Chapitre XIX
Les renégats d'ALMSIVI
Alinor se réveilla avec une horrible migraine.
Elle ne se doutait pas que, sans l'obscurité du lieu où elle se trouvait, cela se serait aggravé de par la façon dont elle ouvrit brusquement les yeux sans se soucier de la lumière qui aurait pu la frapper et l'aveugler.
Elle était allongée à même le sol, sur une pierre froide et humide – sans doute des geôles ou une cave. Ses mains étaient solidement attachées ensemble par une corde et lorsqu'elle essaya de faire appel à sa magie pour défaire ses liens, rien ne se passa. Des bracelets de métal enchantés lui gelaient la peau et entravaient sa magie.
Elle parvint à se redresser et s'adossa contre le mur le plus proche.
Je suis dans une fâcheuse situation, jugea-t-elle avec aigreur. Comment était-elle censée s'en sortir maintenant ? Elle ne savait pas où elle se trouvait ni même pourquoi on l'avait enlevée. Était-ce encore un coup de la Camonna Tong ?
Des bruits de pas résonnèrent dans un couloir non loin et la sortirent de ses réflexions. En face d'elle, une porte en bois de chêne qu'elle n'avait pas remarqué dans la pénombre s'ouvrit et une grande Dunmer entra, vêtue d'un plastron et de jambière en adamantium par dessus des vêtements sombres. De longs cheveux auburn encadraient son visage élancé et semblaient accentuer la lueur emplie de mépris et de dédain qui se reflétait dans ses yeux rouges lorsque son regard se posa sur Alinor.
« Vous êtes réveillée ? Bien, cela nous évitera de perdre plus de temps. Levez-vous et suivez moi. »
Elle fit volte-face, prête à repartir mais s'arrêta un instant et ajouta par dessus son épaule :
« Et sachez qu'au moindre geste suspect de votre part, je n'hésiterais pas à vous faire regretter votre audace. »
Cette Dunmer me prend-t-elle pour une idiote ? rétorqua en silence Alinor avec amertume. Les Disciples de Stendarr étaient courageux et téméraires mais certainement pas impulsifs ou irréfléchis.
Elle se leva avec difficulté – la blessure causée par le Daedra de Verre recommençait à la tirailler – suivit en chancelant la Dunmer. Même si elle l'avait voulu, elle aurait été incapable de tenter quoi que ce soit pour s'évader dans son état.
Après avoir traversé un long couloir et grimpé une série de marches avant d'arriver devant une grande et massive porte à double vantail. La Dunmer frappa à la porte tout en gardant un œil vigilant à Alinor derrière elle jusqu'à ce que quelqu'un vienne leur ouvrit.
En pénétrant dans la salle, Alinor sentit son sang se glacer.
Pour l'amour des Neuf, où suis-je tombée ?
Au centre de la salle, plongée dans la pénombre et éclairée seulement de quelques torches qui ne révélaient que la présence d'un autel en pierre au fond, se tenaient quatre personnes auxquelles vint se joindre la Dunmer qui était allée la chercher dans sa cellule.
Alinor reconnut trois personnes parmi eux. Baadargo le Khajiit qu'avait affronté Nels Llendo sur la Place du Dragon, à côté du seul et unique Daedra de Verre, toujours recouvert de son armure aux teintes d'émeraude.
Ainsi donc, il était bel et bien un des leurs…
Derrière son casque, elle pouvait sentir qu'il la scrutait, sans en comprendre la raison. Elle se retint de frisonner, ne voulant pas lui donner la satisfaction de voir qu'elle était toujours marquée par leur rencontre à Coeurébène.
La troisième personne était aussi une Dunmer, partiellement dissimulée sous une capuche mais Alinor reconnaissait son visage. Elle en resta muette. Sa présence ici ne la surprenait qu'à moitié mais elle fut tout de même déçue – et surtout courroucée – de la voir car si elle parvenait à sortir d'ici et retourner à Balmora, elle serait porteuse de mauvaises nouvelles pour le Conseil Hlaalu et surtout Almasea…
Son attention fut détournée par le dernier membre du groupe qui, par son équipement et sa posture, devait être le chef : il portait un ensemble d'armure d'ébonite, à l'exception de sa cuirasse dont la teinte sombre et l'allure difforme et malfaisante ne laissait aucun doute quant à son origine daedrique.
« Merci de nous l'avoir amenée, Ervesa. »
La Dunmer qui l'avait conduit jusque là inclina la tête et se recula jusqu'à rejoindre les autres. Le chef s'avança et dévisagea Alinor.
« C'est donc vous l'envoyée de Cyrodiil dont j'ai entendu parler. »
Il s'exprimait avec lenteur, d'un ton profond mais morose, une attitude qui se reflétait jusque dans ses yeux rouges mais dans lesquels Alinor parvint à discerner un semblant d'émotion, la colère froide et patiente d'une vengeance qui se devait d'être bien accomplie. Néanmoins elle ne lui ferait pas le plaisir de laisser paraître le moindre signe de peur face à lui.
« Savez-vous qui nous sommes ? lui demanda-t-il en croisant les bras.
— Des fanatiques qui veulent la perte de tous ceux qui sont différents d'eux », répondit-elle sans sourciller.
Il esquissa un sourire sardonique, partiellement caché sous sa barbe rousse.
« Une réponse digne d'une Disciple de Stendarr. Je n'en attendais pas moins. Finalement, les zélateurs d'ALMSIVI et des Neuf sont plus semblables qu'ils ne veuillent le croire. Tous aveuglés par leur dévotion… »
Il secoua la tête avec dépit et la regarda avec pitié.
« J'ai été à votre place, une fois, avoua-t-il en prenant une expression pensive et lointaine. J'ai été fidèle et loyal à quelqu'un que je pensais digne d'être vénéré et ce pendant des années. Puis le Nérévarine est arrivé et a fait éclaté la vérité sur celui à qui j'avais voué ma vie. Comme des centaines d'autres, mes illusions ont été brisées – nous avions été dupés par des siècles de mensonges alimentés par des êtres mégalomaniaques qui voulaient qu'on les révère comme des déités. »
Alinor fronça les sourcils. Ce Dunmer utilisait-il cette analogie pitoyable pour justifier les actes de sa secte ?
« Les Aedra ne sont en rien comparable aux Tribuns », dit-elle sèchement.
Il ne lui jeta qu'un coup d'œil indifférent avant de poursuivre son discours :
« La vérité est blessante – beaucoup préfèrent vivre dans le mensonge plutôt que de l'accepter car, souvent, elle est accompagnée de changements radicaux que peu acceptent ou comprennent. Bon nombre de mes frères et sœurs d'armes n'ont pas été capables d'accepter les conséquences de la venue du Nérévarine et ont préféré mettre fin à leurs jours parce qu'ils refusaient que le sens même de leur existence ait été un mensonge ou qu'ils se sentaient transis d'effroi et de honte d'avoir adhéré à des ignominies déguisées et d'avoir vénéré des usurpateurs… »
Il se tut et soupira, recroisant le regard d'Alinor.
« J'ignore pourquoi est-ce que je perd mon temps à vous parler de ça : vous ne comprenez pas ce que j'essaye de vous dire, cela se lit dans vos yeux. Sans doute ai-je de la peine pour vous, qui n'êtes qu'un simple outil de la propagande de la religion impériale.
— Les Huit et l'Unique ne sont pas des imposteurs, insista la Disciple de Stendarr – qui sentait le besoin de défendre sa dévotion contre ces diffamations. Leur essence divine ne fait aucun doute puisqu'ils sont des Et'Ada.
— Les Daedra aussi en sont et pourtant vous les haïssiez à cause de théories cosmogoniques que les dévots ne comprennent même pas.
— Insinuez-vous que votre secte vénère des Princes Daedra ?
— Vénérer des Princes Daedra ? Bien sûr que non. Nous ne nous sommes pas libérés de notre soumission envers des dieux imposteurs pour nous offrir en servilité à d'autres. Il serait plus juste de dire que nous avons décidé de coexister avec eux et de reconnaître que nous allier avec eux est avantageux car nous partageons des intérêts communs. »
Si les Exaltés du Nérévarine avaient des intérêts communs avec des Princes Daedra, cela n'annonçait rien de bon.
Alinor hésita à essayer d'en apprendre plus, de pouvoir donner des informations primordiales à Almasea et les autres si jamais elle parvenait à se sortir de cette situation.
« Vous êtes tombé bien bas si vous pensez qu'il est de bonne augure de faire alliance avec des Princes Daedra, critiqua-t-elle. Votre foi devait être ébranlée depuis longtemps.
— Ma foi était ébranlée ? répéta le Dunmer d'un ton moqueur et acéré. Vous ne pouvez pas plus vous trompez, sotte. J'étais un Exalté. Un membre de l'ordre le plus fidèle et dévot de tout le Temple de Morrowind. Voilà pourquoi la trahison de mon maître fut si difficile à reconnaître, pourquoi nous nous sommes décidés à ramener le peuple élu dans la voie à laquelle Véloth le destinait par le biais des Exaltés du Nérévarine.
— Croyez-vous vraiment que le Nérévarine, dont votre groupe usurpe le nom, approuverait vos agissements ? Pactiser avec des Princes Daedra ne peut que conduire Vvardenfell vers sa perte. »
Le Dunmer eut un sourire en coin et secoua la tête.
« Vous êtes une étrangère – qui plus est aux bottes de l'Empire des Septims, dit-il avec douceur, comme un parent expliquant une évidence à un enfant ignare. Vous ne pouvez pas comprendre nos croyances. Comment le Nérévarine pourrait-il nous désapprouver alors que lui-même œuvrait pour Azura ? Il nous a montré que nous devions tourner le dos aux faux-dieux et revenir aux valeurs ancestrales du peuple de Véloth. Nous n'allons pas conduire Morrowind vers sa perte – au contraire, nous allons lui rendre sa gloire et sa puissance. »
Il mit fin à cette conversation d'un revers de la main et d'un geste de la tête vers ceux qui l'accompagnaient. La geôlière qui était venue la chercher – Ervesa, comme l'avait appelée le chef Dunmer – attrapa une torche au mur, imitée le Daedra de Verre. Ils allumèrent ainsi des flambeaux sur de bas supports en fer forgé qui éclairèrent toute la salle, révélant ce qui se dissimulait dans la pénombre.
Alinor eut un haut-le-cœur. L'affiliation de ces criminels avec des Princes Daedra était plus grave qu'elle le pensait : sur les murs aux couleurs d'argiles étaient peints des caractères daedriques d'un rouge carmin et certains formaient des symboles qu'elle ne connaissait pas mas qu'elle soupçonna être des motifs runiques magiques. Sur le sol, derrière le chef Dunmer, se trouvaient des marques similaires, dont la plus importante formait un grand cercle.
Qu'allaient-ils lui faire ? Quel Prince Daedra fou vénéraient-ils ? Le pire d'entre tous, Méhrunes Dagon, ou d'autres dont les cultes à Vvardenfell étaient connus de l'Empire comme Azura, Boéthia ou Méphala ?
Le chef Dunmer se dirigea vers le cercle et lui fit signe de s'approcher. Elle refusa de bouger, du moins jusqu'à ce qu'Ervesa et Baadargo se saisissent d'elle et la forcèrent à s'avancer et s'agenouiller au centre du cercle, devant leur maître sectaire.
Celui-ci approcha avec une dague mais plutôt que de s'en servir pour lui trancher la gorge ou la poignarder en plein coeur comme le craignait Alinor, il lui attrapa le bras et lui fit une profonde entaille dans la paume de la main droite et recueillit le sang qui en coulait dans un petit bol en terre cuire recouvert de feuilles d'or qu'il posa sur l'autel derrière lui avec la dague ensanglantée.
Elle l'entendit murmurer à voix basse avec révérence, la tête basse :
« Les portes d'Oblivion s'ouvrirent entre ses dents, puis elle dit : ''Dis-moi, désormais dernier de mes fidèles, pour quelle raison es-tu encore en vie alors que les autres ne sont plus ?'' Récupérant mon épée, je la lui présentais en disant : ''Je suis en vie parce que celui-ci est mort. J'existe parce que j'ai la volonté d'exister et il en sera ainsi tant qu'il y aura des preuves de mes actes, comme le sang qui coule de cette épée.'' Acceptant mon cadeau, elle hocha la tête et dit : ''En effet.'' »
Alinor déglutit.
Elle avait sa réponse. C'était un rituel envers le Prince Daedra de la Tromperie et des Complots. Elle avait rencontré assez de fanatiques adorateurs de Boéthia pour en reconnaître un. Boéthia était un être assoiffé de sang et c'étaient de sacrifices que se faisaient les rituels en son hommage – de préférence le meurtre de Mortels sur un autel lui étant dédié.
Les prochains propos qu'elle entendit ne firent que confirmer ses craintes :
« Si, à l'entente de ces mots, votre sang se met à bouillir dans vos veines et votre esprit brûle d'un feu ardent, c'est que Boéthiah vous lance un appel et il est sage d'y répondre. »
Alinor sentit son sang se glacer en réalisant ce qui allait lui arriver.
Elle ne craignait pas la mort – du moins pas plus qu'un autre – mais le sort réservé par Boéthia à ses victimes était pire que ça : les rumeurs prétendaient qu'il se servait de ceux qui lui étaient dévoués pour, lorsqu'ils trépassaient, prendre possession de leur corps et faire d'eux ses avatars. Elle ne savait si cela ne concernait que ses suppôts mais certains supposaient que cela comprenait aussi les sacrifiés – bien que d'autres réfutaient que Boéthia, qui abhorrait la faiblesse, n'irait pas s'emparer du corps d'un être assez faible pour être sacrifié plutôt que de mourir en luttant.
Elle ne voulait être une marionnette entre les mains d'un Prince Daedra – si elle pouvait, elle préférerait mettre fin à ses jours elle-même pour éviter un destin aussi terrible. À quoi était destiné ce sacrifice ? Était-ce un simple hommage envers Boéthia ou s'agissait-il d'un rituel plus élaboré avec un but précis ?
Ses mains furent libérées pour être placées dans son dos et de nouveau attachés par une corde. Ervesa et Baadargo s'éloignèrent ensuite jusqu'à être en dehors du cercle, ne laissant dans celui-ci que le chef Dunmer et Alinor. Celui-ci s'approcha d'elle avec sa dague – qui semblait avoir été négligemment nettoyée de son sang avec un chiffon – et sans avertissement, lui planta la lame dans l'épaule gauche.
Alinor s'efforça de ne pas crier de douleur et ferma les yeux pour contenir la douleur qui traversait son corps parcouru de soubresauts. Elle sentit son sang couler et, à travers la brume de souffrance qui lui obscurcissait l'esprit, entendit être récité en coeur avec entrain :
« Contemple le visage de Boéthia et émerveille-toi.
Lève les bras pour que Boéthia puisse les voir et t'accorde sa bénédiction.
Sache que le combat est une bénédiction.
Sache que la mort est une éventualité.
Sache que tu n'es que poussière aux yeux de Boéthia. »
La Disciple de Stendarr laissa échapper un soupir sardonique. Ils connaissent trop bien les litanies daedriques pour des gens qui prétendent ne pas être dévoués à Boéthia… songea-t-elle amèrement.
Pourquoi même prenaient-ils la peine de le cacher ? Les Dunmer, dans leur arrogance, croyaient que certains Princes Daedra étaient bons. C'était un fait connu de tous, quand bien même le Temple de Morrowind ne vénérait plus ces Princes Daedra – du moins officiellement.
Ils croient sincèrement que Boéthia leur est favorable, constata-t-elle avec stupéfaction. Je ne comprendrai décidément jamais les Dunmers.
Les voix entonnèrent avec de plus en plus de véhémences, au point de résonner dans la salle comme si tout un chœur chantait :
« Long est le bras de Boéthia et rapide est sa lame.
Profonde est l'entaille et subtil est le poison.
Recueille-toi, ô fidèle ! Prie pour que ta mort soit rapide.
Recueille-toi, ô fidèle ! Prie pour que ta mort soit silencieuse.
Recueille-toi, ô fidèle ! Vénère la gloire qu'incarne Boéthia. »
Quelqu'un ne psalmodiait pas, constata Alinor. Elle le voyait du coin de l'œil, la fixant avec flegme sans que ses lèvres ne chantent le moindre mot. On penserait qu'un être à la carrière d'assassin comme le Daedra de Verre vénèrerait Boéthia comme la Morag Tong et la Confrérie Noire le faisaient avec Méphala et Sithis mais il semblait indifférent à la cérémonie qui se déroulait devant ses yeux.
Est-il vraiment un Exalté du Nérévarine ou simplement un assassin que ce culte emploie ?
Avant qu'elle ne puisse s'interroger plus à ce sujet, les voix enhardies se changèrent en murmures féroces et graves :
« Au combat marche à grands pas le Prince Daedra, son épée prête à s'abattre sur ceux qui sont indignes. »
Sur ces derniers mots, la lame qui lui transperçait l'épaule fut brutalement ôtée.
Alinor grimaça. Sa chair semblait en feu et elle avait du mal à se concentrer sur quoi que ce soit. À ce rythme, elle allait s'évanouir – ou bien mourir d'une hémorragie si son tortionnaire recommençait à la poignarder.
Je suppose que m'accorder une mort rapide et indolore ne satisferait pas leur dieu délétère…
Le chef se recula et la dévisagea. Du bout de sa lame, il écarta quelques mèches auburn d'Alinor et observa avec attention l'oreille ainsi dévoilée.
« Des oreilles pointues et pourtant vous n'avez pas les traits d'une Bosmer… cela suppose donc que vous êtes de ces humains bâtards de Haute-Roche, constata-t-il avec un mélange de dégoût et de satisfaction morbide. Votre race est résistante à la magie d'ordinaire mais si vous avez de telles oreilles, c'est que le sang elfique qui coule dans vos veines est fort. »
Il se recula et tendit sa main devant la captive, paume ouverte.
« Voyons voir si vous êtes plus Bréton qu'Altmer. »
Des étincelles crépitèrent entre ses doigts.
Alinor écarquilla les yeux d'effroi mais n'eut pas le temps de réagir qu'une lumière blanche l'aveugla et que la douleur paralysa tout son être, d'un brasier d'éclairs qui la traversait de part en part comme si la foudre elle-même s'était abattue sur elle.
Après ce qui lui parut être une éternité, le feu qui la traversait s'estompa et la laissait pantelante et courbée, le front posé contre terre. Ses oreilles sifflaient et sa tête tournait, la rendant incapable de comprendre ce qui se passait autour d'elle.
Elle savait que le sang elfique dans ses veines était fort. Son père l'avait toujours mise en garde contre la magie, à la fois une bénédiction et un danger pour les Haut-Elfes. Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un découvre sa faiblesse à la magie. En temps que Bréton, les gens l'imaginaient posséder la Peau de Dragon de sa race – un avantage pour elle, car ils ne pensaient donc pas à utiliser la magie contre elle.
Elle ne survivrait pas à un deuxième choc comme ça. Elle le savait et ferma les yeux, espérant juste que cela se termine rapidement mais constata alors que rien ne vint.
Pourquoi n'en finissent-ils pas ?
Elle se força à ouvrir les yeux et vit le Daedra de Verre échanger des bassesses avec le chef Dunmer, tout en la désignant d'un geste de la tête. Ses tentatives de tendre l'oreille pour entendre ce qu'ils se disaient furent infructueuses, d'autant plus qu'elle sentit son esprit s'en aller et sa vision devenir trouble.
Un voile noir passa devant elle et ce fut la dernière chose qu'elle vit avant de s'évanouir.
. . .
Ils l'avaient ramené dans sa cellule.
Il faisait bien trop sombre pour qu'elle puisse y voir quoi que ce soit en dehors de la lueur d'un flambeau brûlant à l'extérieur de la salle et visible par dessous la porte d'accès mais avec le froid et l'humidité qui lui gelait les os alors qu'elle était allongée sur un bout de tissu sale, elle devinait qu'elle était de retour dans la geôle qu'ils lui avaient dédiée.
Avec le silence qui régnait dans les alentours, elle supposait que nul n'avait été désigné pour la surveiller. Elle aurait pu en profiter pour essayer de s'évader mais s'en sentait incapable : elle ne parvenait même pas à bouger et même si elle n'était pas alitée sur son lit d'infortune, elle ne pourrait pas utiliser sa magie – qui était sa seule chance de s'enfuir.
Alinor ne comprenait pas bien pourquoi elle n'était pas déjà morte – pour quelle raison ils ne l'avaient pas sacrifié comme c'était prévu.
Qu'importe car de toute façon ça ne tarderait pas à arriver : elle sentait ses forces la quitter et, au fond d'elle, espérait que tout cela se termine. Elle était fatiguée de tout ça et puisqu'elle ne pourrait pas sortir vivante d'ici, autant en finir au plus vite.
Tap… Tap… Tap…
Alinor se força à ouvrir les yeux. Quelqu'un approchait, remarqua son esprit délirant et souffrant.
Le cliquetis métallique d'une clé mise dans une serrure et le grincement de la porte qu'on ouvrait le lui confirmèrent et une silhouette entra.
C'était un Dunmer à la peau sombre, élancé et mince. Ses longs cheveux bruns cendrés hérissés se confondaient avec l'obscurité et la marque noire en forme de main elfique qui traversait le côté droit de son visage était presque imperceptible.
Alinor en eut le souffle coupé et si elle n'était pas alitée, elle aurait bondit sur ses pieds.
« Véloth… ? » bredouilla-t-elle faiblement.
Elle n'en croyait pas ses yeux. Cela doit être la fin, se dit-elle. Avoir des hallucinations ne pouvait pas être bon signe.
Le Dunmer s'agenouilla près d'elle et lui sourit avec tendresse bien que ses yeux à demi-clos exprimaient une grande tristesse.
Il posa une main sur les siennes et lui murmura doucement :
« Repose-toi Alinor. Je vais te sortir de là. »
Ses propos ne firent que confirmer ses craintes : c'était la mort qui la sortirait de ce sinistre endroit.
Qu'il en soit ainsi. Elle était trop fatiguée pour lutter plus longuement contre l'inexorable.
Elle laissa échapper un soupir tremblant et ferma les yeux.
. . .
« Comment ça, elle a disparu ? Comment avez-vous pu la perdre de vue, bon sang ! »
En temps normal, Almasea ne tolérerait pas qu'on lui parle sur ce ton – surtout venant de la part d'un coupe-jarret – mais, en cet instant, elle comprenait l'énervement du brigand ainsi que son choc d'apprendre, au petit matin, qu'Alinor avait été enlevée dans la nuit alors qu'elle rentrait à l'auberge où elle logeait.
Elles devaient se rejoindre ce matin mais puisqu'elle n'avait vu personne, Almasea était partie voir où était Alinor. L'aubergiste ne l'avait pas vu rentrer ou sortir mais les affaires de la Disciples de Stendarr se trouvaient toujours dans sa chambre. Nels Llendo affirmait quant à lui qu'elle n'était pas venue le voir de la soirée et alors qu'il s'apprêtait à quitter la ville pour retourner à Pélagiad, il se retrouvait au manoir du Conseil Hlaalu avec elle, à essayer de comprendre ce qui était arrivé à leur amie.
Almasea hésitait à la faire rechercher par la garde, craignant que cela n'attire trop d'attention indésirable. Elle avait dépêché un messager à la chapelle du Culte impérial à Coeurébène pour informer l'oracle de la situation et, en attendant une réponse, réfléchissait à ce qu'elle pouvait faire d'autre pour qu'Alinor soit retrouvée.
Nels Llendo et elle faisaient donc les cent pas dans le hall du manoir, sous les regards pensifs de quelques membres mineurs du Conseil Hlaalu présents eux aussi, quand un Dunmer en robe entra avec frénésie. Almasea le reconnut comme un acolyte de son temple. Il la regarda avec de grands yeux paniqués, le visage blanc comme un linge.
« Dame Almasea ! s'écria-t-il avec urgence. Vous devez venir immédiatement au temple ! »
La devineresse échangea un regard inquiet avec Nels Llendo.
« Pourquoi dois-je m'y rendre ? demanda-t-elle.
— Car le… le… bredouilla inutilement l'acolyte, incapable de trouver ses mots.
— Eh bien ? pressa Nels Llendo en tapant du pied. Parlez donc ! »
Almasea lui jeta un regard réprobateur.
« Calmez-vous et reprenez votre souffle, mon frère. Que se passe-t-il de grave là-bas ? »
Son sous-ordre s'exécuta en hochant frénétiquement la tête et prit de profondes respirations avant de reparler et de dire d'un ton plus calme mais toujours empli d'inquiétude :
« Celui qui vous a attaqué sur les quais de Coeurébène… il est apparu au temple !
— Le Daedra de Verre ? s'exclamèrent Almasea et Nels Llendo en coeur.
— Pourquoi ne l'avez-vous pas dit plus tôt, imbécile ? s'écria le bandit en secouant l'ordonné par les épaules. Cet assassin est là-bas et nous, nous perdons du temps ici à discutailler inutilement ! »
Ils arrivèrent en un éclair devant le temple, où attendaient quelques fidèles, la mine inquiète. Ils convergèrent vers Almasea en la voyant et le soulagement se lut sur leurs visages.
« Devineresse ! s'exclamèrent-ils. Dans le temple ! Un…
— Je sais, les coupa-t-elle précipitamment. Où est-il ?
— Dans la grande salle des prières et des reliques. Faites attention et qu'ALMSIVI veille sur vous ! »
Almasea et Nels Llendo s'engagèrent dans le temple, plongé dans le silence. Ils restèrent aux aguets, au cas où le Daedra de Verre se dissimulait dans l'ombre pour leur tomber dessus mais il n'y eu aucun signe de danger alors qu'ils traversèrent le salle des stèles et descendirent les marches qui menaient à la grande salle.
Celle-ci était vide. Avec une armure aussi ostentatoire que celle du Daedra de Verre, il serait difficile de la manquer. Alors après un seul coup d'œil dans la salle, Nels Llendo poussa un soupir agacé et rangea sa dague.
« Vous êtes sûr qu'ils ne picolent pas, vos subalternes ?
— Ne soyez pas malpoli. Les accusez-vous de mentir ? S'ils disent qu'ils l'ont vu, c'est que le Daedra de Verre est venu ici.
— Et pourtant il n'est pas là ! Comment l'expliquez-vous ?
— Il a dû s'enfuir. Par la crypte du sous-sol sans doute : elle est reliée aux égouts de la ville. Je crains qu'il soit trop tard pour le poursuivre.
— Humph. Nous voici donc bien avancé ! Il est venu ici sans qu'on sache pourquoi et… »
Le brigand se tut, comme sidéré. Almasea suivit son regard vers le fond de la salle et remarqua alors la forme inerte qui gisait au sol, vêtue de bleu, avec des cheveux auburn…
« Alinor ? »
Concernant les avatars de Boéthia, je ne crois pas qu'il soit précisé si ceux-ci « apparaissent » de nul part ou bien s'ils sont d'abord des Mortels qui ensuite deviennent des avatars (ce n'est pas précisé dans Boéthia et ses avatars par exemple). Il me semble que c'est plutôt cette dernière hypothèse qui est privilégiée dans Skyrim donc je pars du même principe : que ce sont des Mortels qui le servent et qui, en mourant, deviennent des avatars.
D'ailleurs les propos des rituels de Boéthia dans ce chapitre viennent de L'épreuve de Boéthiah et La Gloire de Boéthia.
