Chapter 28 - La fuite

Hermione essaya de détendre sa nuque en agitant ses épaules. La nuit avait été longue, et c'était un euphémisme que de dire qu'ils avaient relativement mal dormi. Hestia était roulée en boule sur un canapé, ses pieds étalés sur les genoux de Pansy qui dormait en position assise, affalée sur un accoudoir. À cet instant, il était difficile de se souvenir qu'elles étaient héritières de nobles familles sorcières. Nott était le seul à être réveillé, fixant l'écran de la télévision dont le son avait été coupé. Il ne devait même pas être en train de regarder les images, parce que le show de télé-réalité actuellement diffusé lui aurait fait dresser les cheveux sur la tête. Il ne tourna son visage dans sa direction que lorsqu'une des vertèbres d'Hermione émit un craquement sinistre.

"Alors ? chuchota Hermione en se frottant les yeux.

- Rien. J'ai essayé tous mes contacts. Le corps n'a toujours pas été identifié, ou alors les aurors cachent l'information... marmonna Nott. La presse est clairement maintenue à l'écart.

- Drago n'a pas rappelé ?"

Nott fixa un instant ses mains, et haussa les épaules d'un geste évasif.

"Il a envoyé un message tout à l'heure. Il a réussi à joindre tous vos collègues, ils sont en sécurité. Et apparemment, le penthouse a été placé sous protection du ministère, comme les autres sièges politiques."

Hermione replia ses genoux contre son corps et les encercla de ses bras. C'était un soulagement d'avoir la certitude qu'aucun des Non-alignés n'avait péri, mais la mort d'un député, quel que soit son groupe, restait un évènement terrible. Les choses avaient pris un tournant dramatique qui semblait irréel. Comment avaient-ils pu passer, en quelques jours, d'un ex-collègue vaguement menaçant à des bombes meurtrières ? Quelque chose ne tournait pas rond. Pas rond du tout. Hermione se mordit la lèvre dans un geste anxieux.

"Je suppose que les aurors feront une conférence de presse rapidement... tenta-t-elle. On va en savoir plus très vite."

Hestia remua dans son sommeil et un de ses bras retomba au sol.

"Je vais devoir rentrer à Londres. La chaîne va avoir besoin de moi pour couvrir l'actu, grogna Nott.

- On va tous devoir rentrer... répondit Hermione. On est députés. Ça va être la panique, il faut qu'on rassure les gens et qu'on fasse des apparitions publiques.

- Granger, c'est l'opposé de ce que les aurors vont demander. Ça va être un cauchemar d'assurer votre sécurité. Pour eux, ils ont trois victimes : Pods, toi, et ce député mystère. Ça ressemble sacrément à une vendetta.

- Et alors quoi, on se cache comme des rats apeurés ? Hors de question. Personne ne va se laisser impressionner."

Nott émit un petit claquement de langue sec en avisant la lueur déterminée dans les yeux d'Hermione.

"Je n'en attendais pas moins de toi, Granger. Toujours en première ligne.

- C'est pas le moment de te moquer de moi, Nott !

- J'étais parfaitement sérieux. Aucune moquerie.

- Disputez vous moins fort, je dors, râla Pansy en se pelotonnant dans son coin de canapé."

Nott grogna à nouveau et Hermione se leva, étirant ses bras vers le ciel dans une tentative de détendre ses muscles engourdis. Elle avait besoin d'aller à Londres, et immédiatement. Rester cloitrés ici n'avait plus aucun sens. Elle était venue pour prendre quelques jours de recul, mais il était évident que toute détente était à présent proscrite : ils étaient sous le coup d'une attaque, et assister à des conférences en de pareilles circonstances ne rimait à rien. Nott allait rentrer, Pansy allait indubitablement le suivre, et de toute façon Drago allait avoir besoin d'elle. Tout le groupe des Non-alignés allait avoir besoin d'elle.

"Granger, ne fais pas ta valise tout de suite, l'interrompit Théo, qui la dévisageait comme s'il avait établi une ligne directe pour lire ses pensées.

- Pourquoi pas ? rétorqua Hermione en se plantant devant lui, les poings sur les hanches."

Nullement impressionné, le Serpentard leva les yeux au ciel.

"Tellement prévisible. Qu'est-ce que tu comptes faire ? Débarquer à Londres en pointant ta baguette dans toutes les directions, compliquer le travail des aurors, attirer les regards sur nous à un moment où il est capital qu'on se fasse discrets ? énuméra Théo en comptant sur ses doigts. Tu n'as même plus d'endroit où vivre. Parce que, contrairement à ce Progressiste, tu as eu de la chance. Tu comprends ?

- Tu crois pas que c'est suspect, qu'on soit tous à l'étranger en plein milieu d'une enquête des aurors ? contra Hermione à voix basse, en jetant des regards à Hestia qui dormait toujours. Cachés dans un pays qui, comme par hasard, n'extrade pas les criminels ? En plus, personne ne pourrait imaginer que je me terre dans un coin, pendant que notre monde est sous les bombes.

- Alors que nous, les Serpentard... Tout le monde pourrait le croire. Pas vrai ? lança Pansy, qui était à présent parfaitement réveillée."

Théo étouffa un rire, et Hermione déglutit. Ce n'était pas exactement ce qu'elle avait voulu dire. Bien sûr, beaucoup de Serpentards s'étaient tenus très loin des champs de bataille, y compris pendant la bataille de Poudlard. Mais nombre d'entre eux avaient perdu la vie à l'arrière, sous la pression des mangemorts, forcés à commettre des actes qu'ils réprouvaient ou à fuir pour sauver leurs familles. Personne n'avait exactement eu une vie facile et légère pendant ces années.

"On a peut-être pas la même façon de faire la guerre. Mais vous non plus, vous n'êtes pas franchement connus pour vous terrer dans un coin, répliqua Hermione."

Pansy hocha la tête vigoureusement, et se redressa. Nott se renfrogna et secoua la tête, sa désapprobation se lisant sur ses traits.

"Je veux rentrer à Londres, affirma-t-elle. Le groupe a besoin de nous. Nos électeurs doivent nous voir montrer l'exemple. On ne peut pas céder à la peur comme ça, Hermione a raison... Ce n'est pas le comportement qu'on attend de ses leaders.

- Je sens qu'on est déjà en route pour combattre la tyrannie, nota Hestia en baillant.

- Vous n'êtes pas sérieuses... maugréa Nott."

Pansy le provoqua d'un haussement de sourcils.

"Devine, Nott.

- Bon sang... pesta l'intéressé. Attendez au moins d'avoir des nouvelles de Drago ou de Potter avant de vous jeter tête baissée dans la mêlée ! J'arrive pas à croire que JE sois en train de vous raisonner. Granger, c'est ton boulot normalement. Tu peux pas abandonner une seconde ton armure scintillante de Gryffondor et penser avec ta tête ?"

Vexée, Hermione croisa les bras sur sa poitrine et pinça les lèvres. Aussi pénible que ce soit de le reconnaître, Nott marquait un point. Se jeter tête baissée, c'était précisément ce qu'elle s'apprêtait à faire, et il fallait bien avouer que ce n'était potentiellement pas la conduite la plus intelligente à tenir. Encore moins en impliquant trois autres personnes dans son projet improvisé.

Harry n'allait pas du tout aimer qu'elle s'auto-rapatrie en Angleterre sans prévenir.

Percevant son hésitation, Théo s'engouffra dans la brèche.

"De toute façon, ce n'est pas comme si on pouvait sortir de cette chambre. Ton équipe de sécurité nous bloquera la route, et le réseau de cheminettes est coupé. On ne peut probablement pas transplanner non plus, les aurors ont dû penser à cette option avant nous. Et ensuite quoi ? On saute dans un portoloin au hasard, en priant pour qu'on nous laisse embarquer sans discussion ?"

Pansy tenta de transplaner pour vérifier ses dires, et au vu de son visage tout rouge et congestionné, Nott avait encore une fois raison. Ils étaient bel et bien pris au piège dans cette chambre d'hôtel.

"Qu'est-ce que tu proposes, alors ? demanda Hestia, qui avait collé son oreille à la porte pour tenter d'écouter les aurors à travers le battant.

- On attend, conclut Théo.

- Brillant, ce plan, maugréa Hermione."

Mais avant qu'elle ne puisse développer, la porte s'ouvrit sur l'auror numéro 2. Et il avait l'air passablement agacé.

"Lequel d'entre vous est assez stupide pour essayer de quitter cette chambre ? demanda-t-il. Tant que vous êtes à l'intérieur, vous êtes en sécurité, alors ne nous compliquez pas la tâche et restez tranquilles.

- Dites donc, ce n'est certainement pas une façon de s'adresser à des députés élus par le peuple sorcier, le rabroua Pansy.

- Et un journaliste, ajouta Nott en se désignant d'un index.

- Combien de temps est-ce que vous comptez nous garder enfermés ? Sans nous dire ce qu'il se passe, ou même qui est décédé ? Je ne crois pas qu'Harry Potter se satisfasse de cette situation, messieurs, débita Hermione. Vous ne pouvez pas nous retenir dans un pays étranger contre notre volonté, en nous empêchant de communiquer avec l'extérieur !

- Ce sont nos ordres, Miss Granger."

Et l'auror confisqua leurs téléphones portables d'un coup de baguette imprévisible, claqua la porte, et la verrouilla à double tour. Sans aucune explication.

"Toujours décidé à obéir sagement, Nott ? fulmina Hermione, la mâchoire crispée.

- Mon appareil de télécommunication moldu... gémit Théo en tendant la main vers la porte, sous le choc."

Pansy lui asséna une claque sur la main et leva les yeux au ciel.

"Il faut qu'on sorte d'ici, décréta la jeune femme. Ils nous cachent quelque chose, c'est évident. Pourquoi leur hiérarchie voudrait nous tenir à l'écart de tout ce qui se passe ?

- Pour nous protéger ? suggéra Hestia.

- Drago ne peut même plus nous joindre, réalisa Hermione."

Nott se leva prestement, lissa son pantalon en silence, et se mit à se gratter le menton. Il avait l'air tiraillé.

"Très bien. Rentrons à Londres, décida-t-il."

Les trois filles le dévisagèrent, attendant la suite - au hasard, une solution pour s'échapper -, mais visiblement Théo était à court d'idées.

"Igor ! réalisa tout à coup Hermione. Ton elfe. Il peut entrer et sortir comme bon lui semble. Il n'a qu'à nous emmener à l'aire de portoloin, et de là, on rentrera à Londres !

- En admettant qu'on puisse encore entrer au Royaume-Uni. Ils ont dû renforcer la sécurité des frontières, à l'heure actuelle... songea Hestia.

- On aura qu'à prendre un portoloin pour Paris, et de là transplanner vers Londres, suggéra Pansy. C'est loin, mais c'est faisable.

- On peut ensorceler nos passeports et s'enregistrer avec d'autres identités, ajouta Hermione. Au cas où le ministère ait bloqué nos autorisations.

- On dirait qu'on a un plan, confirma Nott."

Et comme ça, la décision de ficher le camp en toute illégalité avait été prise.

Il appela Igor, qui rassembla les affaires disséminées dans chacune de leurs chambres, et en moins de cinq minutes ils étaient sagement dans une file d'attente à l'aire de portoloin de La Havane. Terrifiée à l'idée d'être arrêtée, Pansy avait enfoncé un des chapeaux ridicules d'Hermione jusqu'à ses oreilles, et cachait son visage avec un exemplaire de Sorcière Hebdo. Nott avait revêtu un costume sombre et des lunettes de soleil, et sifflotait d'un air détendu, pendant qu'Hestia se rongeait les ongles derrière Hermione. Igor était retourné à l'hôtel pour faire du bruit dans leur chambre, et laisser penser aux aurors qu'elle était toujours occupée.

Hermione était donc en train de négocier depuis dix bonnes minutes un portoloin en urgence pour Cardiff, puisque Londres était effectivement coupée du monde pour le moment. Chaque seconde qui passait les rapprochait du moment où son équipe de sécurité allait réaliser qu'ils avaient pris la poudre d'escampette, et à partir de là, il n'y avait pas besoin d'être particulièrement intuitif pour se rendre à l'aire de Portoloin. C'était le seul moyen de quitter l'île.

"Écoutez, monsieur, je comprends bien que cette situation est compliquée pour vous, et je vous demande un grand geste mais... Notre grand-mère vit ses dernières heures, nous devons absolument arriver au Pays de Galles au plus tôt ! mentit la Gryffondor sans sourciller."

Elle n'était plus à un contournement de la loi près. La liste de leurs méfaits s'allongeait, mais à présent qu'ils étaient lancés dans ce projet de fuite, ils ne pouvaient ni reculer, ni improviser des solutions idéales. Aux grands maux...

"Vous êtes tous de la même famille ? demanda l'employé d'un air dubitatif, leurs cartes d'identité ensorcelées à la main. Vous n'avez pas les mêmes noms de famille. Et vous ne vous ressemblez pas vraiment...

- Dites-donc, vous croyez que c'est facile d'être des enfants abandonnés ? Nous avons grandi en foyer, monsieur, et Madame... Doubtfire n'était peut-être pas une grand-mère par le sang, mais c'est ce qu'on a de plus proche d'une famille ! s'écria Hermione en plantant un coup de poing vigoureux sur son guichet."

Le pauvre employé sursauta vivement et Nott se mordit la main pour ne pas rire. Même en de pareilles circonstances, c'était toujours aussi divertissant de voir la parfaite petite préfète en chef Hermione Granger mentir effrontément.

"Allez-vous nous fournir ce portoloin, oui ou non ? insista Hermione, faisant appel à sa Mcgonagall intérieure."

L'employé la dévisagea d'un air hésitant, sans répondre, et sans donner aucun signe favorable. Elle sentit des larmes perler dans ses yeux, ne sachant si c'était là une preuve de ses grands talents d'actrice ou tout simplement un signe de stress excessif.

"Je... J'ai peut-être un créneau dans quinze minutes... Est-ce que ça vous irait...?"

Hermione lui jeta un regard courroucé à travers ses yeux embués de larmes, et haussa les épaules.

"Si c'est le mieux que vous pouvez faire... Ça ira, je suppose. Ça vous va ? demanda-t-elle aux trois autres, qui s'empressèrent de hocher la tête."

Ils patientèrent donc quatorze minutes dans un recoin de la salle d'attente, cachés par une rangée de palmiers en pot. Ils se croyaient sortis d'affaire, lorsque seulement une minute avant le départ, les quatre aurors déboulèrent en courant dans le hall, scannant les lieux à leur recherche.

"Fuck, lâcha Nott en forçant tout le monde à reculer précipitamment derrière un distributeur de boissons.

- Jetez vous un sort de désillusion, chuchota Hermione à toute vitesse."

Ce n'était pas particulièrement convaincant, mais dans un espace aussi vaste, ça pouvait leur faire gagner un temps précieux. Camouflés de manière primitive, ils virent les aurors parcourir le hall sans que jamais leurs regards ne se pose sur leurs formes floues.

"On va rater le portoloin, s'inquiéta Pansy à voix basse.

- Si on bouge, ils risquent de nous repérer... se lamenta Hestia, cramponnée à sa valise.

- Il nous faut une diversion ! décréta Hermione en regardant frénétiquement autour d'elle à la recherche d'une idée.

- Imperius ! lança Théo entre ses dents."

Il pointa sa baguette sur une femme occupée à lire un magazine, sous les yeux effarés de ses trois acolytes.

"Vraiment, Nott ? Ton idée de diversion, c'est un sortilège impardonnable ? grinça Hermione en secouant la tête."

Mais Théo, concentré sur sa tâche, n'écoutait plus. Il secoua sa baguette lentement et la femme se leva, replia soigneusement son magazine, et se mit à marcher d'un pas un peu étrange vers un des aurors.

Hermione agrippa le bras de Théo pour attirer son attention, et lui administra une pression vigoureuse pour l'obliger à arrêter immédiatement son entreprise.

"Quoi, Granger ? siffla-t-il, irrité d'être dérangé."

Ce qui eu pour effet de stopper la femme au beau milieu du hall. Elle se retourna, perplexe, et pour une raison obscure s'empêtra dans ses propres pieds et s'écroula au sol dans un bruissement. Miraculeusement, sa chute n'attira pas l'attention de l'équipe de sécurité d'Hermione.

"Regarde ce que tu as fait, lui reprocha Théo en se reconcentrant sur sa victime."

Anxieuse, Hermione se mordit la lèvre, et regarda avec une inquiétude décuplée la dame se relever, épousseter sa robe dignement, et marcher droit vers l'auror Numéro 2. Elle lui tapota l'épaule pour le forcer à se retourner, et se jeta sur lui.

Simultanément, Hestia, Pansy et Hermione étouffèrent un couinement. Mais la femme - ou plutôt, Nott - n'avait visiblement aucune intention brutale, puisqu'elle se contenta d'agripper le visage de l'auror et de l'embrasser à pleine bouche. La confusion qui en résulta permis aux quatre comparses de se jeter sur leur portoloin, et de disparaître.

.

Ils ne parlèrent pas avant d'être arrivés devant la porte de l'appartement de Drago. Ni à leur atterrissage à Cardiff, ni après avoir transplanné à Londres, ni en prenant l'ascenseur vers le loft du Serpentard. Hermione, bras crispés sur la poitrine et lèvres pincées, regardait fixement devant elle. Chacun savait que c'était là son attitude pré-explosion. Hestia était hébétée et tremblait légèrement, sous l'effet de l'adrénaline. Pansy fronçait les sourcils, et jetait à intervalles réguliers des regards inquiets à Nott et à Hermione. Théo était clairement le plus détendu, apparemment peu perturbé par l'infraction qu'il venait de commettre, comme si elle n'avait aucune chance de l'envoyer tout droit en prison.

Aussi, lorsque Drago ouvrit la porte, il ouvrit la bouche pour exprimer sa surprise de les trouver là, mais la referma. Les quatre personnes présentes face à lui avaient l'air bien trop irritées pour qu'il ne fasse de commentaire.

"Euh... Entrez, dit-il en s'effaçant pour laisser passer le troupeau silencieux."

Hermione passa devant lui sans le regarder, et abandonna sa valise dans l'entrée d'un geste brusque avant de pivoter brutalement sur ses talons pour foudroyer Théo du regard. Pansy et Hestia reculèrent prudemment vers le salon, mais Drago, qui n'avait aucune idée de ce qui avait bien pu se passer pour créer ce climat glacial, attendit que quelqu'un se décide à parler.

"Nott- commença Hermione avant de s'arrêter brusquement.

- Oui Granger, j'ai enfreint la loi. Oui, j'ai utilisé un sortilège impardonnable. Oui, c'est mal de priver une inconnue de son libre arbitre et de la forcer à lécher le visage d'un sorcier..."

Drago émit un petit hoquet.

"... Oui, tu réprouves mon comportement, c'est bien clair pour tout le monde. En revanche, si je ne l'avais pas fait, on serait toujours coincés à Cuba sous la garde de ton équipe de sécurité. Et qui te dit que cette dame ne rêvait pas déjà d'embrasser l'auror ? Elle y a mis beaucoup d'enthousiasme, il me semble, et ça, ce n'était pas de mon fait.

- Est-ce que tu es vraiment en train d'essayer de minimiser les faits en inventant des motifs romantiques derrière le fait que tu as ensorcelé une innocente pour qu'elle attaque un auror assermenté avec sa langue, Théodore Nott ? s'exclama Hermione.

- Attendez, si je récapitule la situation... les coupa Drago en levant une main en l'air. Vous avez fui Cuba en faussant compagnie à ton équipe de sécurité, et ceci en soumettant quelqu'un à l'Imperius ?

- Oui, c'est ça, confirma Théo en levant les yeux au ciel. Tu vois Granger, ce n'est pas si choquant, inutile de jouer les drama queen offensées. Même Drago est d'accord avec moi. J'ai fait ce qui était nécessaire avec les moyens dont je disposais sur le moment.

- Ce n'est pas ce que..."

Drago s'arrêta, et regarda Théo lui passer devant d'un air blasé pour aller rejoindre les filles au salon. Il fronça les sourcils, et pivota pour observer Hermione, qui n'avait pas bougé. Les poings sur les hanches, elle semblait figée dans une attitude de stupeur muette.

"Il est complètement cinglé, finit-elle par affirmer en plongeant deux yeux écarquillés dans les siens.

- Oui, confirma Drago en secouant la tête. Mais... Est-ce que quelqu'un peut découvrir ce qu'il a fait ?"

Il savait qu'il prenait un risque en posant cette question purement pragmatique au beau milieu d'une crise de conscience éthique. Mais Hermione ne s'offusqua pas, et haussa les épaules en jetant un regard irrité en direction du salon.

"Non, à moins que sa baguette soit saisie pour être examinée. Les aurors ne nous ont pas vus sur place, et on a embarqué sous de fausses identités. De toute façon, j'ai jeté un sortilège de confusion à l'employé des portoloins, il ne se rappellera pas de nous voir vus."

A cet aveu, Drago haussa un sourcil goguenard, et Hermione s'empourpra légèrement.

"On dirait que Théo n'est pas le seul à avoir enfreint la loi, madame la députée Granger, lui lança-t-il avec son rictus signature."

Hermione se mordit la lèvre inférieure pour retenir le sourire qui menaçait d'apparaître sur son visage sans qu'elle ne sache exactement pourquoi. Tout à coup, les méfaits de Nott n'avaient plus autant d'importance, et lui semblaient presque anecdotiques. La proximité avec Drago empêchait clairement son système cérébral de fonctionner, et la poussait à l'observer plutôt qu'à argumenter. Il avait les traits tirés de quelqu'un qui manquait de sommeil, et il ne portait pas de cravate, mais mis à part cela, il avait l'air égal à lui-même. En particulier avec son sourire en coin et sa façon de la regarder par-dessous ses cils.

"Préviens Potter que vous êtes rentrés, sinon il va lancer une chasse à l'homme et utiliser toutes les ressources du ministère pour rien, conseilla Drago.

- Je ne peux pas faire ça, mes aurors vont se faire taper sur les doigts pour nous avoir laissés nous échapper... réalisa Hermione. Non, je vais les contacter eux, et personne ne saura rien de notre petite fuite. Ils n'ont aucun intérêt à rapporter cet incident à leurs supérieurs.

- Diabolique, Granger, la félicita Drago en étouffant de nouveau un rire."

.

Hermione n'eut pas le loisir de mettre son plan à exécution, puisque Harry Potter en personne débarqua chez Drago avec sa tête des mauvais jours. A la seconde où leurs regards se croisèrent, Hermione devina qu'il était d'une part à bout de nerf et épuisé, et d'autre part exaspéré de la trouver là, sans son escorte. Pour autant, il ne semblait pas du tout surpris. Drago avait ouvert la porte avec une nonchalance calculée, Harry était entré en levant les yeux au ciel, puis il s'était contenté de fixer Hermione en tapant du pied par terre. Toujours sans rien dire, il lui avait fourré quatre téléphones portables dans les mains - ceux que les aurors leurs avaient confisqués quelques heures auparavant.

"Ça sent le mélodrame entre Gryffondor, je vais donc vous laisser un peu d'intimité, tenta le blond en claquant la porte d'entrée.

- Malefoy, reste ici s'il te plaît, objecta Harry sans quitter Hermione des yeux, comme s'il craignait qu'elle ne se volatilise à nouveau.

- Drago n'y est pour rien, dit Hermione. Il n'était pas au courant, et on vient juste d'arriver. J'allais..."

Elle cessa toute tentative d'explication, étant donné que la suite de son argumentation risquait de l'emmener à confesser un autre mensonge.

"... Tout arranger, finit-elle laconiquement.

- Oh, vraiment ? Bon sang Hermione, tu ne peux pas disparaître comme ça, sans prévenir personne, et duper une équipe d'aurors qui sont là pour te protéger ! Qu'est-ce qui t'as pris ? Il s'est passé quoi, à La Havane, pour que l'un de vous balance un impardonnable sur une bonne femme qui passait par là ? Et inutile de nier, tous les signes sont là. Je sais même pas pourquoi j'ai pas encore fait de rapport ! Mes aurors sont humiliés, mais le pire, c'est qu'ils n'ont rien compris à ce qui leur est arrivé. Et cet employé ? Un sortilège de confusion, vraiment ? C'est quand même pas moi, entre tous, qui devrait être là à te faire la leçon sur ton comportement dangereux et téméraire !

- Potter, tu es très lucide sur ta propre propension à courir au devant du danger, nota Malefoy."

Après tout, puisqu'il devait rester là à les regarder s'invectiver, il tenait à participer. Apporter sa petite pierre à l'édifice de la colère de Saint Potter.

"Je sais bien que c'était stupide, reprit Hermione. Mais on était enfermés dans une chambre, sans aucun moyen de communiquer avec l'extérieur, sans explication, comme si on était coupables de quelque chose. C'était une prison ! Ils ont dit qu'ils avaient des ordres... Est-ce que... ?

- C'était mes ordres, confirma Harry. Je n'avais pas le choix. Je voulais que vous restiez là-bas quelques heures de plus, le temps qu'on mette au point un système de sécurité efficace.

- Et ? C'est quoi, ce système de sécurité efficace ? questionna Drago, clairement hostile à cette idée."

Harry sentit sa méfiance, et soupira pesamment.

"On a pas assez d'effectifs pour assigner des aurors à chaque député. On n'a aucune idée de qui est derrière tout ça, ni de ce qu'il cherche. On ne sait même pas si on a affaire à une ou plusieurs personnes, résuma Harry.

- T'es en train de dire que vous ne pouvez pas assurer notre sécurité, traduisit Hermione. Est-ce que vous savez qui est mort ?"

Les épaules d'Harry se tendirent, et il se massa le front dans un geste nerveux.

"Je ne peux rien dire pour le moment, on a pas réussi à joindre sa famille. Mais c'est un député progressiste, c'est officiel.

- Harry, je n'ai pas besoin de quatre aurors. On peut assurer nous même notre sécurité. Ré-affecte les à des députés qui en ont besoin.

- Ton sens du sacrifice est admirable Granger, mais je me suis déjà occupé de ça. J'ai engagé une équipe privée pour les Non-alignés, coupa Drago."

Interloqués, Harry et Hermione le dévisagèrent comme si une seconde tête venait de lui pousser. Non pas que ce serait une mauvaise chose, mais une double dose de sa beauté magnétique pourrait déstabiliser la rotation de la Terre sur son axe.

"J'ai préféré anticiper, expliqua le blond. Les équipes du ministère sont réduites, ce n'est un secret pour personne. Alors on va vous décharger de cette responsabilité.

- Tu as créé ton service d'ordre personnel en quelques heures ? tiqua Harry. Qui sont ces gens ? Quelle est leur formation ? On a pas besoin de plus de combattants armés dans nos rues en ce moment, Malefoy."

Hermione les écoutait discourir avec un air absent, focalisée sur l'information que Drago venait de lâcher. Il avait encore une fois pris une décision unilatérale, engagé des sommes probablement astronomiques et, connaissant ses relations troubles avec les milieux criminels, elle sentit monter en elle une inquiétude lancinante. Harry avait raison. Il n'avait pas pu monter une équipe aussi vite sans avoir fait des recherches préalables. Ce n'était pas une impulsion soudaine en réaction à l'attentat. C'était préparé. Il ne voulait plus des aurors dans leurs pattes. Il voulait sa propre équipe de gros bras. Mais depuis quand, et dans quel but ?

Elle plissa les yeux en direction du Serpentard, qui continuait à argumenter avec Harry sur le bien-fondé de son initiative, mais rien de ce que faisait Drago n'était altruiste. Il n'avait pas engagé sa milice personnelle pour décharger le ministère. Il envoyait un message clair : il ne faisait pas confiance aux aurors, et avait saisi cette opportunité pour s'offrir une garde qui n'était loyale qu'à lui, et pas aux instances démocratiques. C'est exactement comme ça qu'Harry percevait les choses, et c'était aussi comme ça que le public allait le comprendre.

Personne ne faisait suffisamment confiance à Drago Malefoy pour accepter l'idée qu'il se balade avec sa petite armée de poche, constituée d'on ne savait quels individus louches. Pas après la guerre. Pas avec les préjugés que le nom Malefoy traînait depuis des décennies. Pas après les accusations dont il avait fait l'objet dans la presse pendant sa campagne.

"Je ne sais pas ce que tu fabriques, Malefoy, mais ne crois pas que t'octroyer les services de mercenaires te servira de passe-droit quelconque ! Quoi qu'il advienne, il faudra rendre des comptes à mon service, que tu le veuilles ou non ! menaça Harry, ce qui eut le mérite de ramener Hermione au présent."

Drago n'avait pas l'air secoué par la colère d'Harry. En réalité, il y semblait particulièrement hermétique.

"Ce ne sont pas des mercenaires, Potter. Et même s'ils l'étaient, tu dis ça comme si c'était une mauvaise chose."

Hermione étouffa un grondement sourd.

"Dans quelle dimension tu vis pour trouver que c'est une bonne chose qu'un groupe politique paye ses soldats privés ? s'étrangla Harry. Parce que c'est ça, des mercenaires. Tu viens de créer une armée dans l'armée.

- Toujours ce sens des proportions inhérent aux Gryffondor... Je n'ai pas créé une armée, Potter. Juste quelques hommes compétents et de bonne volonté qui vont s'assurer que ni moi, ni aucun de mes députés, ni ta meilleure amie n'explosent en plein vol. Comme tu l'as très justement dit tout à l'heure, tes aurors et toi, vous ne savez rien de ce qui se passe. Tant qu'on ne connait pas le visage de l'ennemi, je préfère prendre mes précautions, et tu devrais m'en être tout à fait reconnaissant."

Il pensait avoir gagné l'affrontement, puisque son rictus goguenard était réapparu, mais c'était sans compter sur la ténacité d'Harry Potter, qui rougit jusqu'à la racine des cheveux face à l'affront.

"Qu'est-ce que tu crois Malefoy, que ton armée personnelle va traquer le poseur de bombes à notre place ? Parce que c'est pas ce qui va se passer ! Que je ne vois pas un de tes sbires rôder autour des scènes de crime ou des témoins ! Si j'entends parler de la moindre initiative en ce sens, je les fait arrêter aussitôt, et personne n'interférera avec cette enquête. J'espère que c'est clair. Et n'imagine même pas me doubler, parce que je vais te coller au train, c'est pas la peine de tenter tes petites manigances habituelles !

- Tu m'offenses, Potter, lâcha Drago en roulant des yeux. Loin de moi l'idée d'enquêter à ta place. Faites votre travail, mon équipe de sécurité fera le sien, et il n'y aura pas d'interférences."

Cette fois, Hermione comprit directement qu'il mentait, et sentit son sang se glacer. Elle l'avait cru, les autres fois. Mais elle n'allait pas se laisser endormir par Drago Malefoy comme lorsqu'il avait prétendu la jouer fairplay avec Lupin, et qu'elle avait découvert quelques jours après qu'il avait contourné son engagement envers elle. Cette fois, elle lisait clair dans son jeu. Il avait beau prendre un air détaché et rassurant, il avait une idée derrière la tête. Et toute idée impliquant Malefoy et une armée n'augurait rien de bon.

"Hermione, tu dis rien depuis tout à l'heure, remarqua Harry, bras ballants, et à cours d'arguments pour contrer le blond."

La jeune femme, tiraillée entre sa propre colère et son incompréhension, fit une moue contrariée. Elle pressentait que l'instant était important, mais aussi qu'elle ne pouvait absolument pas choisir de camp dans cette dispute. Quelques mois auparavant, elle aurait rallié le côté d'Harry en un battement de cil, d'une part parce que c'est ce qu'elle avait toujours fait, mais aussi parce qu'Harry et elle partageaient la même vision du monde et qu'elle faisait confiance à son jugement. Qui, en toute objectivité, était raisonnable sur ce point.

Seulement, maintenant, elle savait qui était Malefoy, elle savait qu'elle devait aller au-delà des apparences, elle savait aussi que sa carrière dépendait de lui et, moins avouable, ça faisait bien longtemps qu'elle avait arrêté de le détester ou de le voir comme un envoyé de Satan. Malefoy et elle partageaient quelque chose. De bizarre, certes, mais tout en elle lui criait de lui faire confiance, sans qu'elle ne puisse déterminer si elle était aveuglée par ses émotions ou si elle connaissait quelque chose de lui qui l'inclinait à le suivre.

Le suivre où, elle n'en savait rien, et c'était bien ça le problème.

Elle n'était pas bien sûre de ses intentions, son plan était potentiellement de renverser le régime et de s'asseoir sur un trône, mais si ces quelques semaines à ses côtés lui avaient appris quelque chose, c'était qu'il n'était jamais où on l'attendait. Elle devait tirer tout ça au clair. Et donc, pour l'instant, faire semblant de lui laisser le bénéfice du doute, au moins face à Harry.

Harry qui attendait, sourcils froncés, qu'elle sorte de son mutisme. Et Drago, appuyé contre le mur, cachait à peine son petit sourire, comme s'il savait exactement ce qu'elle pensait.

"Je pense qu'une équipe de sécurité privée permettrait à tes services de mieux se répartir sur les autres membres du parlement, et de sauver tout le monde, finit par déclarer Hermione. Visiblement, la menace est grande, et pas prête de disparaître, alors... Mettons toutes les chances de notre côté. Pour ce qui est de ces... nouveaux employés, je suis sûre que Drago les a sélectionnés avec soin et qu'ils respecteront les lignes que tu traces. Je pourrais m'en assurer. Drago ?"

Le Serpentard consentit à arrêter quelques secondes de sourire dans une célébration muette de sa victoire, et hocha la tête.

"C'est entendu, conclut Hermione. Je superviserai ces... personnes."

Harry fulminait, c'était évident pour tout le monde. Mais le collégien colérique avait fini par comprendre que parfois, même une saine fureur devait être contenue, et il se résolut à hocher la tête en signe d'assentiment.

"A la première incartade, je les coffre, les avertit-il avant de sortir avec fracas de l'appartement.

- Vous avez mis Potter en rogne, constata Théo en apparaissant comme par miracle dans le hall d'entrée.

- Harry n'est pas le seul à être en rogne, précisa Hermione."

Elle darda un regard si féroce sur Drago qu'il tressaillit, et ravala les démonstrations d'orgueil qu'il s'apprêtait à extérioriser. Pour une fois, il avait vaincu Harry Potter, et Granger s'était ralliée à lui pour ça. Seulement, maintenant, il allait en subir les conséquences. Et au vu de la tête de sa collègue, ça risquait d'être une expérience pénible et douloureuse.

Hermione n'était pas vaguement agacée comme elle avait pu l'être envers Théo à leur arrivée. Cette fois, elle était vraiment, profondément, intrinsèquement furieuse. Et ce n'était pas le genre de fureur qui menaçait de déborder, qui se traduisait en hurlements et insultes, ou qui allait résulter en une engueulade en bonne et due forme. Non, c'était une fureur froide, dévastatrice, comme un point de non-retour. La fureur de quelqu'un qui a compris que quelque chose de sérieux se tramait, et qu'on l'avait volontairement laissée dans le noir.

Il savait depuis le début que ce moment-là allait finir par arriver, et il s'y était préparé. Seulement, il y avait la théorie, et la pratique, qui consistait à affronter Hermione Granger sur le sentier de la guerre.

"Qu'est-ce que tu prépares, Drago ? l'interrogea-t-elle d'une voix neutre.

- Je...-

- Ne me ressors pas le bullshit que tu as servi à Harry. Je veux la vérité. Sinon, et c'est une menace claire, je démissionne immédiatement."

Théo chercha le regard de Drago, Drago se tourna vers lui, et une fois de plus, Hermione sentit ses entrailles remuer pour former un nœud serré. Elle ignorait encore dans quel foutoir elle avait mis les pieds, mais elle n'allait pas tarder à le découvrir.


Ce voyage à Cuba aura été bref - pauvre Hermione, le repos c'est pas pour tout de suite. Encore un peu de patience pour découvrir l'identité de la victime, pour l'instant place aux manigances de Drago ;)