Chapitre 6 - "Personne ne veut m'écouter."

Elle aurait préféré des giboulées. Des torrents d'eau engloutissant le parc, des éclairs si violents qu'ils éclairaient comme en plein jour, des infiltrations d'eau partout dans le château et un froid humide à glacer le sang dans les veines. Oui, Rose aurait préféré - elle souhaitait, même ! - que le soleil qu'elle apercevait par la fenêtre disparaisse, que le tonnerre gronde et que l'apocalypse s'abatte sur l'école.

Les reflets de soleil doux sur le lac, les fleurs embaumant la brise de printemps qui entrait par la fenêtre entrouverte et les rires des élèves dehors étaient un supplice insupportable pour la jeune femme. Coincée dans une salle de classe vide du troisième étage avec son cousin Louis, elle aurait aimé une tempête de neige plutôt que ce temps idyllique car alors, la tentation de s'enfuir en courant rejoindre ses amis dans le parc n'aurait pas été si forte.

"J'pige pas, grogna Louis pour ce qui devait être la troisième fois en une demi-heure. Là, ce sort… Il fonctionne pas.

-Tu es sûr de ton mouvement de poignet ?

-J'suis en sixième année, pas en première."

Il était aussi agréable qu'à l'accoutumée, pour couronner le tout. Rose leva les yeux au ciel et s'empara de sa baguette, transformant sans difficulté la plante posée sur la table. Elle jeta un regard interrogateur à Louis, qui se contenta de hausser les épaules et de reprendre sa propre baguette pour tenter à son tour de métamorphoser le pot de lavande en escargot.

La métamorphose d'un être vivant en autre être vivant était assez compliquée, Rose en convenait, mais largement à la portée d'un élève de sixième année appliqué - ce qu'était son cousin, contre toute attente. Il râlait et s'agaçait assez vite, pourtant il connaissait les bases de toutes les matières qu'ils avaient retravaillé ensemble pendant leurs sessions, et il avait - à la grande surprise de Rose ! - même fait les quelques devoirs qu'elle lui avait confiés lors de leur précédente session de révision.

"Rah, gronda Louis, encore raté ! J'suis vraiment naze, ajouta-t-il en laissant tomber sa baguette devant un escargot moribond couvert de picot violet."

Rose se dépêcha d'abréger les souffrances de l'animal en le retransformant et se tourna vers son cousin, la mine sévère.

"Je sais que c'est plus gros que la fois où vous avez transformé des mouches en lichen, mais le principe est le même. Tu l'as déjà fait, normalement.

-Je sais, soupira Louis. Et j'y arrivais bien, en plus ! C'est ces trois mois sans cours, grommela-t-il plus bas. J'ai perdu la main. J'sais plus faire de magie.

-N'importe quoi, souffla Rose en levant les yeux au ciel. Ça s'oublie pas, la magie. Si t'es un sorcier, tu sais le faire, point.

-Ah ouais ? Dis ça à ton frère, il sera content, tiens ! cracha le jeune homme en croisant les bras sur sa poitrine."

La colère monta d'un coup aux tempes de la jeune femme et elle sentie son sang bouillir. Son poing serra sa baguette à s'en rendre les phalanges blanches et pendant un court instant, elle contempla l'idée de balancer un maléfice bien senti à son crétin de cousin. Mais ils étaient seuls, et McGonagall l'avait rendue responsable de lui… Ce serait abuser de son pouvoir, et le jeu n'en valait pas la chandelle. Elle se contenta de lever les sourcils et lui lança un regard de mépris.

"Ça te va bien, de dire ça ! Et pile au moment où je me disais justement que tu vaux peut-être mieux l'espèce de limace répugnante que je vois en toi ! Je dois te rappeler qui a fait fuir Hugo du château, peut-être ?

-Pas besoin, répondit Louis, la mâchoire serrée. Aucun risque que je l'oublie, t'en fais pas, va. J'en paye assez le prix.

-Tant mieux, siffla Rose. Tant mieux, Louis. Parce que tu ne mérites pas qu'on te fiche la paix avec ça, pas tant que tu étaleras tes idées dégueulasses partout où tu passes !

-On dirait mon père, fit-il avec un rictus mauvais. "Louis, quelle honte ! Je ne pensais pas avoir élevé un garçon aussi faible et petit !" singea-t-il en riant jaune."

Rose le regarda sans rien dire pendant quelques secondes, surprise de l'entendre ironiser ainsi, avec ce ton pitoyable et cette mine défaite. Il faisait le fier, mais tout se voyait à travers les fissures de son attitude bravache. Petit et faible, oui… Rose comprenait un peu ce que Bill voulait dire.

"J'en conclus que Bill et Fleur n'ont pas été indulgents avec toi, alors ? Pourtant, ils avaient l'air agacé, l'autre jour, quand il a été question que je te donne des cours.

-Ils auraient préféré un vrai prof, ils sont convaincus que je ne rattraperai jamais le niveau, répondit Louis sans la regarder en agitant sa baguette vers la plante. Mais t'en fais pas, va, ils m'en veulent plus à moi qu'à toi ! Je me tape un stage d'été chez Gringott pour me "remettre les idées en place", et Maman a annulé mon voyage en France.

-Mon pauvre petit, annulé ton voyage en France ? Voilà qui est terrible ! se moqua Rose.

-Tu peux te foutre de moi, dit-il d'un ton égal, j'm'en tape. C'était pas ça, l'important.

-C'était quoi, l'important ? Une sortie en poney volant ? Des billets pour la prochaine Coupe du Monde de Quidditch ?

-Ils ont dit que j'étais une déception, lâcha son cousin sans la regarder."

Aussi loin qu'elle se souvienne, Louis avait toujours été le chouchou. Le préféré de Grandma, pour commencer, mais aussi peut-être le plus favorisé vis-à-vis de ses deux sœurs. Peut-être parce qu'il y avait une grande différence d'âge avec ses sœurs, parties depuis longtemps de la maison, ou peut-être parce que c'était l'unique garçon de la fratrie, Rose n'en savait rien. Toujours était-il qu'elle avait vu un nombre de choses incalculables pardonnées à Louis que Fleur n'aurait jamais laissé passé dans le cas de ses filles, avec lesquelles elle était plutôt sévère. Son cousin avait été plus que choyé.

"Déception ? répéta-t-elle. Je croyais que tu étais le petit fils parfait à sa maman.

-Comme si tu savais à quoi ça ressemble, chez moi ! ironisa-t-il.

-J'ai assez vu Grandma se pâmer dès que tu respires pour avoir une bonne idée de la réalité, ouais.

-C'est tellement fatiguant… continua-t-il sans lui répondre vraiment, comme s'il réfléchissait à voix haute. Grandma, Papa, Maman… Ils ont toujours dit qu'il fallait être fier d'être un Weasley, être fier d'être Vélane, être fier d'être le "fils de" et pourtant…

-Non, dit Rose d'un ton sans appel, le faisant sursauter. Non, il est hors de question que tu joues les victimes. Pas devant moi. Je refuse que tu pleures sur mon épaule sur comment c'était dur de grandir chez toi et le poids des responsabilités et je ne sais quelles idioties."

Louis la fixa un moment sans rien dire et se contenta de hausser les épaules. La colère de Rose disparut presque aussitôt. Ça ne lui ressemblait pas, d'abandonner sans rien ajouter alors qu'il avait trouvé un point sensible. En temps normal, Louis aimait appuyer là où c'était douloureux, chercher la réaction, provoquer autant que possible pour pousser son interlocuteur à bout.

"C'est tout ? finit-elle par demander alors qu'il essayait à nouveau de transformer sa plante.

-Tu veux pas m'écouter, alors j'me tais. De toute façon, personne ne veut m'écouter. Papa n'a rien voulu entendre, Maman non plus, et les abrutis qui me servent d'amis sont trop bêtes pour comprendre. Pourquoi insister ?"

Il agita sa baguette et un escargot de la taille d'un chaton apparut à la place du pot de lavande, se jetant déjà à l'assaut de la table en bois et laissant derrière lui une traînée immonde de bave et de mucus. Sans un mot de plus, Louis rangea ses affaires, balança son sac sur son épaule et quitta la salle de classe, laissant sa cousine pensive dans la salle vide.

Des heures après, Rose se surprit à le chercher des yeux dans la Grande Salle au moment du repas, comme pour s'assurer de quelque chose. Il était à côté d'Eames à la table des Gryffondor, remuant sans jamais en avaler une bouchée sa purée de citrouille dans son assiette creuse. Elle ne savait pas sur quel pied danser, parce qu'il paraissait encore plus pitoyable qu'avant et que même à cette distance elle voyait le malaise entre Eames et lui, pourtant elle lui en voulait toujours - à raison, jugeait-elle.

Rose en était là de ses réflexions sur son cousin, sa propre cuillère pleine de mélasse à mi-chemin entre son ramequin et sa bouche, lorsque Augustus balança ses grandes jambes par-dessus le banc et s'assit à côté d'elle.

"Si tard ? demanda-t-elle avec un sourire.

-Roy nous lâche pas, répondit son ami avec une grimace. On joue dans cinq jours, il est intenable. Un vrai tyran. On a dû menacer de faire grève pour avoir le droit de venir manger, et encore, on a promis de retourner s'entraîner dans une demi-heure.

-C'est votre dernière chance de gagner la Coupe, c'est pour ça.

-Pour Roy et moi seulement, corrigea Augustus en attrapant une aile de poulet. Tu devrais voir la tête des deux troisièmes années quand on leur a dit qu'elles devaient revenir après !

-Tu vas tenir le coup, entre ça et les ASPICS ?

-Heureusement, soupira-t-il, que ça sera terminé dimanche ! Sauf si on gagne, mais je vois vraiment pas comment on peut rattraper les soixante-dix points que Gryffondor nous met dans la tronche. Ça ira pour les exams, par contre je vais rater la rencontre de vendredi. Tu me feras un résumé ?

-Quelle rencontre de vendredi ? demanda Rose en fronçant les sourcils, repoussant son ramequin qui disparu de la table.

-Plus personne n'écoute quand Flitwick parle, c'est dingue, répondit Augustus en attaquant une assiette pleine de purée et de petits pois. La rencontre, là, avec ton oncle !

-Quel oncle ?

-Merlin, Rose, réveille-toi ! Il va y avoir deux rencontres avec les représentants des partis en opposition pour les élections. Vendredi, c'est ton oncle et le mercredi suivant, Malefoy. Et je voulais y aller, pour ton oncle, parce que je l'aime bien - et pour montrer mon soutien après les ragots qu'il s'est pris dans la tronche. T'aurais pu me dire, d'ailleurs, qu'il était de la contre-allée hein ! Ça fait des milliers d'années qu'on se connaît.

-Secret d'état, répondit Rose d'une voix absente. Percy vient à Poudlard, hein ?"

Elle n'écoutait déjà plus la réponse d'Augustus, entrecoupée de bruit de couvert et de mastication. Percy allait venir, et avec lui toute son équipe - dont Teddy.

Elle ne l'avait pas revu depuis… Depuis le dernier cours qu'il avait donné au château, en réalité, puisqu'elle avait pris un grand soin à éviter de le croiser pendant les vacances et qu'il n'était pas au Terrier lorsqu'elle y était passée. Peut-être qu'Albus lui avait dit que c'était elle qui était à l'origine de la colère d'Harry, ou peut-être l'avait-il gardé pour lui, elle n'en avait aucune idée. Mais elle allait devoir l'affronter, vendredi, car il était hors de question que son oncle, pour qui elle prévoyait de voter, ne la voit pas lors de la rencontre.

Et Maggie ?

"Tu as vu Maggie ? demanda-t-elle à Augustus, l'interrompant au milieu d'une phrase sur son oncle et l'importance d'être actif dans son service de la démocratie - elle était bien contente d'avoir décroché, tout compte fait.

-En haut, je crois. Pourquoi ?

-J'ai un truc à lui dire, marmonna Rose. Elle m'évite, en ce moment, je crois. Elle passe tout son temps libre sans moi et dès que j'essaye de parler de ce qui s'est passé avant les vacances et m'excuser, elle élude et passe à autre chose, soupira Rose.

-Je comprends pas, dit-il en fronçant les sourcils, vous vous parlez bien. Je vous ai vu l'autre jour !

-C'est pas pareil… On se parle mais c'est compliqué, elle a pas toujours le temps et… Je sais pas, c'est pas comme avant.

-Ben dis-lui ça. S'il te plaît, fais-le. Pour moi. J'en peux plus de t'entendre de plaindre que un tel te fait la gueule ou machine veut plus te parler. Moi aussi, j'ai des problèmes à te raconter, mais on passe tellement de temps à parler des tiens que je passe toujours à la trappe. Donc, reprit son ami en se redressant, tu vas te lever, monter voir Maggie dans la salle commune, vous allez régler votre histoire et ensuite, j'aimerais bien te raconter ce qui s'est passé avec Al dimanche.

-Tu voyais Al dimanche… balbutia Rose, surprise d'avoir oublié et prise de court par la déclaration d'Augustus. J'ai complètement oublié, comment…?

-Nope ! la coupa-t-il. Tu ne sauras rien avant d'être montée, sinon tu m'écoutes toujours à moitié, quand tu m'écoutes ! Vas. Voir. Maggie. conclut-il d'un ton menaçant."

Rose déglutit et se leva d'un coup, renversant au passage le contenu de son verre sur sa jupe. Elle faillit s'étaler par terre en s'extirpant d'entre les bancs et Augustus leva les yeux au ciel, aussi amusé qu'exaspéré. Du menton, il lui désigna la porte de la Grande Salle. Elle partit sans demander son reste, filant dans les étages sans voir le flot d'élèves autour d'elle, courant presque pour rejoindre sa salle commune.

Comme l'avait dit son ami, Maggie était bien dans la Salle Commune de Serdaigle, un épais grimoire ouvert devant elle et une plume prenant des notes à un rythme frénétique. Elle n'était pas descendue faire ses devoirs dans les parties communes depuis des lustres, et n'avait pas passé la soirée avec d'autres Serdaigle depuis le retour des vacances, et la vue de son amie dans le salon bleu réconforta un peu Rose. Maggie redevenait petit à petit elle-même, et cette pensée donna à Rose le courage de s'avancer et de lui tapoter l'épaule.

Surprise, Maggie se tourna vers elle et lui adressa un petit sourire. Rien à voir avec ses habituelles mines réjouies qui sentaient l'été et la chaleur, mais c'était déjà ça.

"Maggie, il faut qu'on parle, dit Rose après une inspiration. Je sais qui a pris la photo."

Pendant une seconde, Maggie ne dit rien. Elle paraissait sonnée.

"Je sais qui a pris la photo, continua Rose, mais c'est plus compliqué que ça… Est-ce que tu veux bien m'écouter ?

-Oui, balbutia Maggie, bien sûr. Oui. Mais Rose, j'ai, euh… J'ai pas beaucoup de temps, dit-elle en refermant son livre avec un bruit mat. Je vois, euh… Scorpius, après."

Un poids tomba sur les épaules de Rose. C'était donc ça !

"Scorpius, répéta-t-elle d'une voix blanche.

-J'aurai dû t'en parler avant, continua Maggie avec une grimace. Mais on peut…

-C'est Teddy Lupin qui a pris la photo, déclara Rose en changeant de sujet d'un ton brusque.

-Teddy Lupin ?

-Le prof, Teddy. Il a pris la photo pour aider à la campagne de mon oncle. Je voulais te le dire parce qu'ils vont venir à Poudlard, bientôt. Vendredi. Enfin, se corrigea-t-elle, c'est possible qu'il accompagne Oncle Percy, je crois. Je ne voulais pas… Je ne veux pas que tu lui parles sans savoir, dit-elle avec dégoût. Ça paraissait… Pas normal.

-Pourquoi tu n'as rien dit avant ? demanda Maggie, amère.

-Je l'ai appris juste avant les vacances ! Et je n'ai rien dit depuis qu'on est rentrée parce que… hésita-t-elle. Parce qu'il fait chanter Albus, soupira Rose. Il a forcé Al à l'aider et maintenant, je ne peux rien faire sans qu'Al se retrouve mêlé à cette affaire. Je ne peux pas t'en dire plus, il faut que tu me crois !

-Je vois."

Pendant un long moment, Maggie ne dit rien. Elle paraissait calme, mais ses mains qui tremblaient par moments trahissait la tempête qui devait avoir lieu sous son crâne. Rose se mordit la lèvre. Elle aurait dû lui dire bien avant…

"Je dois en parler à Scorpius, décida Maggie en se levant soudain au bout d'une longue réflexion.

-Oh. Bien sûr, bafouilla Rose en s'écartant. Scorpius, oui.

-Jure-moi qu'Al a bien été manipulé, demanda Maggie en se retournant.

-Je te le promets.

-Ok, souffla Maggie. Merci, Rose."

Elle disparut par la porte de la Salle Commune sans ajouter un mot.