What If est un série de brefs récits qui imagine plusieurs développements alternatifs de la série.

Le but n'est pas d'explorer une réécriture totale de la série à l'éclairage de nouveaux événements, mais plutôt de donner une photo à un instant T d'uns situation alternative aux choix des auteurs de la série originale.

Piste 3
Et si Jess n'était jamais revenu à Stars Hollow à la fin de la saison 2 ?

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Rory jaugea le contenu de son sac à dos avec circonspection. Il n'y avait aucune chance qu'elle puisse le fermer. Il allait falloir qu'elle se débarrasse de plusieurs items. Au mois deux volumineux ou quatre petits. Elle allait devoir choisir entre le dernier roman de François Begaudeau, qu'elle espérait rencontrer en France, celui de Sandro Veronesi, qu'elle voulait croiser en Italie, ou de Alina Nelega sur laquelle elle tomberait par miracle en Roumanie. Elle allait devoir choisir entre ses deux pulls noirs, celui qui tenait chaud et celui qui tenait très chaud, ou alors éliminer quelques produits de toilette. Elle pourrait toujours supplier sa mère de partager les siens. Lorelai refuserait sans doute les premiers temps, mais après deux ou trois jours à puer, son instinct maternel (ou la honte) prendrait le dessus et elle lui céderait un peu de dentifrice et de déodorant.

_Maman ! Combien de tubes de dentifrice tu prends ? Appela Rory.

_Deux ! Répondit Lorelai depuis l'étage.

Donc quatre. Elles devraient être couvertes. Rory entreprit de retirer son tube mais elle s'aperçut qu'il était coincé sous un pile de livres, elle-même compressée entre les t-shirts et un duvet de secours. Il fallait se rendre à l'évidence : Rory allait devoir vider et refaire entièrement son sac. Elle soupira, un peu fatiguée. Il était mal fait de toute manière. Les deux Gilmore partaient demain pour leur voyage en Europe et Rory n'avait même pas terminé de faire ses bagages. Elle ne savait pas où était passé son légendaire sens de l'organisation, mais il s'était probablement envolé avec son statut de lycéenne.

_Tu avances ? Demanda Lorelai en entrant dans la chambre.

_Pas trop, et toi ?

_Absolument pas ! S'exclama Lorelai.

_Maman, on part demain ! Notre avion est à onze heures !

_Meh, je serai prête. Répondit la mère en haussant les épaules. Rory coula un regard inquiet vers elle. Habituellement, c'était elle qui houspillait sa mère, mais cette fois, elle-même était tellement dépassée qu'elle ne se sentait pas en droit de réprimander la moins organisée du groupe.

_Je vais recommencer. Annonça Rory d'une voix morte.

_Bonne chance. Ironisa Lorelai en quittant rapidement la pièce.

Pour se distraire et se donner du courage, Rory ouvrit son téléphone à clapet. Dean lui avait envoyé un mms. Il abusait franchement de cette fonctionnalité de son tout nouveau téléphone portable dernier cri, mais il était vrai que c'était plutôt impressionnant. Avant, pour échanger des images, ils devaient coller leur téléphone et attendre des heures (d'accord, une minute) que le transfert d'image soit complété [1].

Dean avait envoyé une photo de Clara qui tentait désespérément de ne pas pleurer, assise sur un poney. Après plus de six mois d'équitation, la petite fille restait terrifiée par la taille de la bête et chaque montée la faisait pleurer d'effroi. Dean et leurs parents avaient tenté de la convaincre d'arrêter mais elle refusait obstinément. Rory eut un petit rire en voyant la photo. Puis, en dessous, un texto disait « Tu vas tellement me manquer, déjà hâte que tu rentres ! ».

Rory sentit son estomac se tordre et elle eut envie de vomir. Pour effacer cette sensation, elle ferma son téléphone et le posa brusquement sur son bureau pour se concentrer sur ses bagages.

Elle n'avait pas envie de penser à Dean. Plus précisément, elle n'avait pas envie de penser au fait qu'elle ne pensait pas à Dean. Presque tous les jours, depuis le jour de sa remise de diplôme à Chilton la semaine dernière, Dean lui répétait qu'elle allait lui manquer lors de son voyage en Europe et qu'il espérait qu'elle lui reviendrait vite. Il lui semblait même – bien qu'elle n'avait certainement pas osé formuler l'accusation – qu'il avait sous-entendu à plusieurs reprises qu'elle pourrait choisir de ne pas y aller. Un si long voyage juste avant son entrée à Yale n'était pas très prudent, ne valait-il pas mieux préparer minutieusement sa rentrée, elle qui aimait tant ce qui était bien planifié ? Rory n'avait pas répondu. A l'intérieur, elle avait à la fois eut envie de crier, de pleurer et de le frapper. A l'extérieur, elle avait eu un peu de mal à respirer pendant quelques minutes. Dean n'avait rien remarqué.

Rory termina de trier les objets dont elle pouvait se passer et les étala en ligne bien visible afin d'être sûre qu'aucun de ces éléments ne s'avérerait indispensable dans une situation même incongrue.

_Alors, tu avances ? Interrogea Lorelai qui tentait elle-même de trouver des excuses pour procrastiner.

_Plus ou moins. J'ai mis à part ce que je pense pouvoir laisser derrière moi.

Lorelai jeta un œil à la ligne d'objets et eut un sourire : sans s'en rendre compte, Rory avait ajouté un sens supplémentaire à sa déclaration.

_Effectivement, je pense que tu n'auras pas nécessairement besoin d'un bracelet, de ce parfum, et je suppose que, vu que tu n'as pas touché au Seigneur des Anneaux depuis un bail, tu ne le finiras probablement jamais.

_Ouais...

Lorelai savait, elle savait depuis longtemps, elle avait compris bien avant Rory ce qu'il se passait. Elle l'avait compris l'an dernier, quand Rory était allée à New York pour voir Jess une dernière fois, et depuis, elle attendait que cela arrive ; que la vie suive son cours ; que les enfants grandissent ; que Rory prenne cette décision. Peut-être qu'elle l'aurait compris plus tôt si Jess était resté, mais Rory ne l'avait jamais revu. Elle était montée dans ce bus, Jess lui avait fait un signe de la main et ils ne s'étaient jamais revus.

_Rory, chérie, tu ne trouves pas qu'il y a un point commun entre tous ces objets que tu laisses derrière toi ? Demanda doucement Lorelai en reprenant les mots de sa fille.

_Ce ne sont pas des items indispensables. Répondit pragmatiquement Rory.

_Oui, mais je voulais dire, si tu regardes, disons, l'origine de ces objets. Où tu les as eus.

Rory tourna la tête vers elle et la regarda sans comprendre.

_Ma chérie, toutes les possessions que tu as mises dans cette pile... elles ont toutes un rapport avec Dean.

Rory se retourna vers son inventaire. Il devait y avoir une erreur. Elle avait construit sa pile de rejetés uniquement sur des critères d'utilité. Une petite bouteille de parfum, un bracelet, deux livres qu'elle ne lisait plus, un miroir de poche, une paire de tongs, un porte-clé et un thermos.

_Ce sont tous les cadeaux de Dean. Finit par expliquer Lorelai avec tristesse.

_Non, ce n'est pas vrai, protesta Rory, j'ai acheté ces tongs moi-même.

_Lorsque tu es allée à la plage avec sa famille l'été dernier.

_Le Seigneur des Anneaux est un grand livre, Tolkien était un brillant auteur et linguiste, ça n'a rien à voir avec Dean.

_Il t'a encouragée à lire le livre dans l'espoir que tu apprécies le film.

_Et le bracelet, c'est vrai que c'est le sien, mais j'y tiens et je ne veux pas le perdre. Je ne l'ai jamais perdu, je m'en voudrais trop de l'égarer.

Lorelai ne répondit pas mais soutint le regard de Rory en espérant que cela suffise à lui faire entendre la vérité. Rory avait du mal à regarder sa mère dans les yeux. Une sorte de honte rougissait ses joues. Ce n'était pas la première fois que les filles Gilmore abordaient ce sujet. Même Émilie, de façon très détournée, avait tenté de faire comprendre à Rory qu'elle n'était pas obligée de rester dans une relation qui ne la rendait pas heureuse, et encore moins à son âge. Rory avait fait la sourde oreille. Pourtant, il lui était devenu de plus en plus difficile d'ignorer le fait que, dernièrement, la place que Rory laissait à Dean dans ses projets d'avenir était de plus en plus limitée. Au début de l'année de senior [2], il lui semblait évident que Dean et elle feraient tout pour se voir durant les week-ends et les vacances une fois tous les deux à la fac. Au moment où elle avait envoyé ses candidatures à différentes universités, cette perspective lui semblait déjà compromise. Quand Rory s'était finalement décidée pour Yale, l'idée de consacrer ses week-ends à son amoureux de lycée semblait totalement irréaliste.

Rory pensait à Yale

Rory n'avait pas oublié Jess.

Rory n'aimait plus Dean.

Rory partait pour un long voyage en Europe, puis elle partirait pour Yale. Rory allait entamer une nouvelle étape de sa vie, et – elle était obligée de l'admettre – elle n'avait pas envie que Dean la suive. Elle voulait le sortir de son sac et le laisser derrière elle. Sa mère avait raison, c'était exactement ce que cette pile disait d'elle. Rory ne pouvait plus faire semblant de l'ignorer.

_Maman... Gémit Rory dans un sanglot.

Préparée à vivre ce moment depuis longtemps, Lorelai prit sa fille contre elle sans rien ajouter.

Grandir pouvait parfois être douloureux.

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[1] Pour les plus jeunes d'entre nous qui n'ont pas connu les téléphones à infrarouge, il fallait coller l'infrarouge de son téléphone à celui d'un autre et on pouvait transférer des images à faible résolution une par une. Les mms (sms contenant des images) passent par le réseau téléphonique, ce qui rend l'envoi incertain.

[2] équivalent terminale

N'hésitez pas à ma suggérer des alternatives au scénario original !

~Jusqu'à la prochaine fois,
BillySage