What If est un série de brefs récits qui imagine plusieurs développements alternatifs de la série.

Le but n'est pas d'explorer une réécriture totale de la série à l'éclairage de nouveaux événements, mais plutôt de donner une photo à un instant T d'uns situation alternative aux choix des auteurs de la série originale.


Piste 4
Et si Christopher avait choisi Rory et Lorelai à la fin de la saison 2 et n'avait jamais connu Gigi ?

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Personne ne frappait jamais à la porte un soir, en semaine, passé vingt-deux heures, en plein hiver. Jamais. Personne n'attendait quoi que ce soit, personne n'avait commandé de nourriture, de livraison express ; personne n'avait reçu de mauvaise nouvelle ; les voisins ne venaient jamais frapper à la porte ainsi et une visite impromptue d'un proche aurait été plus qu'improbable. Le regard de Rory croisa celui de Frank, un peu inquiet. Ils venaient de passer à table, et Rory eut une pensée pour ces lasagnes aux épinards qu'avait cuisinées son compagnon et qui devraient encore attendre.

Finalement, après un long silence, ce fut Rory qui se décida à se lever et à ouvrir la porte. Dans le couloir, une jeune fille blonde à l'air un peu agacée était plantée là. Elle portait un gros sac en cuir marron en bandoulière et des baskets usées.

_Bonsoir. Tenta Rory, qui n'avait aucune idée de ce que cette adolescente faisait là. Elle devait avoir une quinzaine d'années, mais c'était tout ce que Rory pouvait en dire. Son visage ne lui disait rien.

_Bonsoir. Répéta Rory un peu plus fermement. La situation s'éternisait, et la jeune blonde restait silencieuse. Un mélange de gêne et d'agacement commençait à s'emparer des deux protagonistes de cette scène de couloir.

_Rory ?! Appela Frank, qui s'inquiétait.

Cette voix sembla réveiller la visiteuse, qui entra dans l'appartement sans rien dire. Surprise, Rory n'osa pas l'arrêter et finit, dans une tentative un peu lamentable de garder le contrôle sur la situation, par refermer la porte d'entrée.

La jeune fille se planta dans le salon, et parcourut rapidement la pièce du regard. Les murs bleus pastels et le mobilier étaient élégants, la grande fenêtre offrait une jolie vue sur Brooklyn, la lampe digne d'un catalogue d'objets higgue diffusait une agréable lumière jaune et des livres de toutes les couleurs et de toutes les époques couvraient tout un pan de mur. Un canapé gris, une table basse en bois, avec deux ou trois journaux qui y trainaient. Pas de télévision. Dans un coin du salon, une petite enceinte portable diffusait une émission de radio. Au fond du salon, un comptoir introduisait la cuisine, ou un élégant dîner attendaient les habitants.

Frank était resté planté sur sa chaise, abasourdi par la situation.

_Bonsoir. Répéta encore Rory, qui ne savait absolument pas comment débloquer la situation.

La jeune fille se tourna vers elle et après quelques secondes de regard fixe, finit - enfin - par répondre :

_Bonsoir Rory.

Donc elle connaissait son nom, c'était un début.

_Bonsoir (encore !), euh…

Qui était-ce ?

Rory coula un regard paniqué vers son compagnon, mais il ne semblait pas plus renseigné qu'elle. Il se leva, mais se rassit aussi sec dès que la visiteuse rouvrit la bouche :

_Tu n'as aucune idée de qui je suis.

Ce n'était pas une question et Rory dut bien avouer :

_Non, je suis désolée.

La blonde ne répondit pas. On pouvait dire qu'elle avait un certain sens du drame.

_Il m'a fallu pas mal de temps pour te retrouver. On protège bien les journalistes dans ce pays, si ça peut te rassurer…

_Oh, super. Répondit faiblement Rory. Une sorte d'angoisse commença à remonter dans sa gorge, atténuée par une pensée rationnelle qui lui hurlait de ne pas avoir peur d'une môme de quinze ans.

_Je suis Georgia Hayden, et tu m'a volé mon père.

La nouvelle tomba comme une bombe.

L'autre fille de son père. Georgia. Gigi. La fille de Sherry. La mère et l'enfant que Christopher avait abandonnés pour les rejoindre, elle et Lorelai.

Frank regardait Rory sans comprendre. Il n'était pas au courant. Même après toutes ces années de relation, elle ne lui avait jamais parlé de sa demi-sœur, de cette autre famille que son père avait écartée. Frank et Christopher, ils s'entendaient si bien. Maintenant, Frank allait le détester, lui qui avait été abandonné par son père. La seconde d'après, Rory s'en voulut de penser à des choses aussi triviales et égocentriques, quand sa demi-sœur qu'elle n'avait jamais connue s'était introduite dans son salon, probablement par désespoir.

_Bonsoir Georgia.

Frank se leva enfin et alla se présenter dans l'espoir d'apaiser la situation.

_Bonsoir, je suis Frank, le compagnon de Rory.

Il lui tendit la main, Georgia ne la prit pas, elle resta plantée là d'un air qui se voulait arrogant, jusqu'à ce que l'homme baisse la main.

La jeune fille marcha jusqu'à une photo soigneusement mise sous cadre, suspendue au mur. C'était un cliché qui avait une petite décennie maintenant, d'une interview que Barack Obama avait accordée à Rory alors qu'elle n'était qu'une étudiante en journalisme à Harvard. Frank s'en souvenait bien : c'était le premier article qu'il avait mis en ligne sur le tout nouveau site du Quotidien des étudiants d'Harvard, à une époque où les sites internet avaient encore de grandes marges blanches, des couleurs criardes, un menu dans un cadre et où il n'y avait pas d'autres possibilités que de cliquer sur la barre verticale pour descendre le long de la page.

_J'ai lu cet article. Déclara Georgie face à la photo.

_Vraiment ? Demanda Rory, à la fois surprise et flattée qu'une aussi jeune fille s'intéresse à des choses qui, pour elle, devaient lui sembler vieilles comme le monde.

_Ouais. (Un temps). Je lis tout ce que tu écris en fait. J'achète le New York Times et les magazines dans lesquels t'es publiée. Même ces cinq pauvres lignes que l'on t'a accordées dans le Vanity Fair de septembre 2012.

Ce numéro de Vanity Fair : même Lorelai n'était pas dévouée à ce point.

_Pourquoi ? Osa demander Rory.

_Parce que je veux savoir ce qu'il y a de si génial en toi pour que mon père te préfères à moi.

Rory déglutit. Elle aurait dû s'y attendre - elle ne s'y attendait pas. Elle encaisse le coup.

_Je ne crois pas que ce soit une histoire de préférée… Tenta-t-elle. Georgia la coupa d'un sifflement agacé. Puis, sans rien dire, elle décrocha le cadre du mur, le parcourut rapidement des yeux et le balança sans ménagement sur la table basse.

_Jolie déco. Annonça-t-elle, en s'effondrant sur le canapé.

_Merci. Répondit bêtement Franck. Et, sans savoir pourquoi, il alla s'asseoir à côté d'elle.

_Tu veux boire un verre ? Proposa-t-il. Rory lui fit les gros yeux pour lui rappeler que leur invité ne devait pas avoir plus de 15 ans, mais c'était trop tard, Georgia sauta sur l'occasion :

_Ouais. La même chose que toi.

Rory aurait parié qu'elle disait cela pour se donner de l'assurance, mais elle n'en savait rien ; elle ne connaissait pas Georgia… Franck s'exécuta et lui ouvrit une petite bouteille de bière. Il était comme ça, Franck, il voulait toujours apaiser artificiellement les conflits. Sur ce point, il s'entendait bien avec Christopher. Ne sachant quoi faire, Rory finit par prendre elle aussi une bière et les rejoignit sur le canapé. C'était le moment le plus étrange de sa vie ; en tout cas c'était au moins dans le top trois - facile !

_Donc, tu as lu tous les articles de Rory ? Relança Fanck.

Rory ne sut pas si elle devait l'assommer avec le cadre photo ou le remercier.

_Ouais. Répondit Georgia, qui n'avait visiblement plus envie d'en parler. Elle parcourait encore et encore le salon des yeux, à la recherche de quelque chose.

_Tu me fais visiter le reste ? Finit-elle par proposer, l'air un peu moins énervée.

Ne sachant pas à qui elle s'adressait, Franck finit par se dévouer et l'amena dans le couloir qui conduisait à la chambre, au petit bureau et à la salle de bain. Restée seule, Rory se mit à paniquer. Elle ne savait toujours pas ce que sa demi-sœur faisait là et elle n'avait aucune - absolument aucune - envie de l'héberger. En tant que fille à maman, son premier réflexe fut de vouloir appeler Sherry, mais cela faisait plus de quinze ans qu'elle n'avait plus vu l'ex-compagne de son père. Dans le doute, elle appela donc leur seul parent en commun.

Christopher décrocha après quatre sonneries. Elle entendait Lorelai parler dans le fond, ainsi que d'autres personnes. Ils devaient diner Chez Luke, avec le propriétaire et sa femme, Nicole.

_Salut Chérie. Lui dit son père.

_Papa, Georgia est ici !

_Qui ?! Dit-il d'une voix paniquée. Rory aurait juré qu'il s'était redressé sur sa chaise, l'air coupable, comme à chaque fois que quelqu'un mentionnait sa famille abandonnée.

_Georgia ! Ta fille ! Elle est chez moi !

_A Brooklyn ?

_Oui à Brooklyn, c'est là que j'habite ! Rétorqua-t-elle, exaspérée.

_Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? Tu l'as invitée ?

_Bien sûr que je ne l'ai pas invitée, je ne la connais même pas !

_Oui, oui, bien sûr… Et donc quoi ?

_Ben qu'est-ce que je fais ? Je lui dis quoi ?

Son père fut interrompu dans sa réponse, puis elle entendit du bruit, et enfin, la voix de sa mère.

_Coucou. Il se passe quoi ? Demanda Lorelai.

_Georgia est chez moi. Répéta Rory, la panique commençait à la gagner.

_Elle t'a dit pourquoi ?

_Apparemment elle veut me connaître dans le but de comprendre pourquoi papa a préféré rester avec nous plutôt qu'avec Sherry et elle.

_Oh…

_Sauf qu'elle débarque chez moi à vingt-deux heures passées et se comporte clairement de manière hostile, comme si moi j'étais en tort !

_Ça ne me surprend pas vraiment.

_Maman !

_Rory, si la situation avait évolué dans l'autre sens, tu n'aurais pas voulu faire comme elle ?

_Non !

Rory et Lorelai savaient toutes les deux qu'elle mentait, mais elles ni firent comme si de rien n'était.

_Rory... sois gentille avec elle ok ? Soupira la mère, je veux dire, imagine sa peine. Elle veut sûrement te connaître et ne sait pas comment s'y prendre.

_Ok…

Elles se dirent au revoir et raccrochent. Rory prit une grande inspiration et se redressa, pour se préparer à accueillir correctement sa demi-sœur. Elle entendit leur pas revenir dans le salon quelques minutes plus tard.

_Il est joli ton bureau. Lui dit Georgia, un peu piteusement. Son arrogance et son culot semblaient s'être envolés.

_Merci. Tu veux dîner avec nous ? Tu dois avoir faim. Lui proposa Rory.

_Euh- d'accord.

Ils s'installèrent à table dans un malaise apparent. La radio aidait un peu. Rory et Franck commentaient l'émission diffusée comme ils avaient l'habitude de le faire pour briser le silence. Lorsque les trois parts de lasagnes furent servies, avec de la salade (contrairement à Lorelai, Rory avait fait la paix avec les légumes), Rory se risqua à s'adresser à Georgia :

_Ca va à l'école ?

Franck eut un sourire en coin. Rory était nulle avec les enfants, elle avait l'air d'avoir 102 ans lorsqu'elle s'adressait à eux.

_Ça va. Répondit mollement Georgia.

_Tu vas où ?

_Dans une école privée à Boston.

_Tu habites à Boston ? C'est comment ? Reprit Franck, qui voyait arriver le naufrage et cherchait à changer de sujet.

_J'aime bien. Y'a plein de truc à faire, il se passe tout le temps quelque chose. Comme ma mère travaille beaucoup, elle me laisse sortir avec mes potes la plupart du temps, alors j'ai eu tout le temps d'explorer la ville.

Franck continua de lui poser des questions, et Georgia semblait un peu moins mal à l'aise avec le temps. Rory restait silencieuse et regardait son compagnon tisser un lien avec sa demi-sœur tandis qu'elle restait étrangère au processus. Franck lui parla même un peu de lui, élevé par sa mère seule à Denver, lui aussi avait connu une adolescence urbaine et sans parent. Georgia semblait l'écouter avec un intérêt non feint. Rory voudrait entrer dans la conversation, rattacher sa barque à la leur, expliquer qu'elle aussi avait été une fille unique élevée par une mère seule, mais sa vie ne ressemblait pas à la leur : Lorelai était plus que présente et Stars Hollow ne ressemblait ni à Boston, ni à Denver, ni même à New York. Elle ne parvint pas à trouver de point commun, alors elle resta silencieuse, mangea ses lasagnes, débarrassa les assiettes et apporta des fruits lavés pour le dessert. Georgia saisit une poire sans avoir l'air d'y penser, les yeux toujours rivés sur Franck. Ils riaient même un peu.

Après le repas, Georgia se décida à s'en aller. Elle expliqua qu'elle rentrait en bus chez ses grands-parents maternels, qui vivaient dans une petite ville aux abords de New York. L'idée qu'ils ne lui aient pas posé la question d'où elle venait et comment elle était arrivée ici avant frappa Rory, révélant son cruel manque d'instinct maternel, ou du moins sororal.

Arrêtée à la porte, Georgia proposa :

_Peut-être que l'on pourrait se revoir. Boire un café, à Boston, ici, ou ailleurs ?

Rory voulut répondre. Elle voulut répondre de toutes ses forces. Le oui resta bloqué dans sa gorge, mais elle comprit que de toute façon, ce n'était pas vraiment à elle que Georgia posait la question.

_Bien sûr. Répondit Franck. Ils échangèrent un sourire et il sembla que, par le bizarre jeu des alliances et des mariages, ce serait Franck qui gagnerait une demi-sœur.

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N'hésitez pas à ma suggérer des alternatives au scénario original !

~Jusqu'à la prochaine fois,
BillySage