PROMPT : Vendre mon âme
Harry Potter avait grandi sans amour. D'aussi loin que portaient ses souvenirs, il n'avait reçu que des insultes et des brimades. Il avait reçu des coups — de son cousin, de son oncle.
Les adultes de son entourage le malmenaient ou détournaient le regard.
Une part de lui ne cessait de se rebeller, refusant de se laisser briser. Il n'y avait rien qui lui permette d'espérer des jours meilleurs — hormis sa majorité, quand il pourrait enfin quitter cette maison qu'il haïssait de toute son âme et qu'il n'avait jamais réussi à considérer comme un foyer.
Il subissait en silence. Il obéissait, obligé de faire les corvées qui lui étaient imposées, obligé de vivre dans un placard alors que Dudley avait deux chambres pour lui seul. Il obéissait, mais il gardait la tête haute et le regard fier, refusant de se laisser écraser, décuplant la fureur de sa famille tant haïe.
Bien sûr, il avait remarqué depuis toujours qu'il se passait des choses étranges lorsque ses émotions étaient… particulièrement incontrôlables. Mais il n'y avait jamais prêté attention. Il n'avait jamais même osé se penser responsable, il y avait bien assez de son oncle qui l'accusait sans fondement et le corrigeait pour tout ce qui paraissait étrange.
Harry avait appris à ne jamais poser de questions sur tout ce qui sortait de l'ordinaire.
Et puis, il y avait eu l'année de son onzième anniversaire.
Sa tante habituellement indifférente s'assurait de le couvrir de corvées de façon à ce qu'il n'ait plus un seul instant de liberté. Elle le regardait avec méfiance et dégoût, comme s'il était une espèce étrange d'insecte, comme si quelque chose allait se produire.
Et quelque chose s'était effectivement produit. Une lettre étrange était arrivée.
Une lettre qui lui était destinée. À lui, uniquement. C'était la toute première fois que quelque chose portait son nom, et bien évidemment Dudley avait immédiatement crié au scandale, refusant de laisser un simple morceau de papier à son cousin.
Harry avait été furieux lorsque son oncle avait arraché le papier épais de ses mains, et qu'il l'avait déchirée sans qu'il ne puisse la lire. Il avait protesté, mais il avait reçu des coups pour le faire taire et il avait passé le reste de la journée enfermé dans son placard.
Il avait entendu son oncle et sa tante chuchoter furieusement, et lorsqu'il sortait de sa prison pour faire une corvée, il notait leurs regards suspicieux — comme s'il avait fait quelque chose — mêlés à une pointe de crainte.
Chaque jour, une nouvelle lettre arrivait, et chaque jour, Vernon s'en emparait et la détruisait. Harry serrait les poings, furieux et plein d'amertume. Pour une fois, quelqu'un s'intéressait à lui, suffisamment pour lui écrire. Pas une seule fois, mais chaque jour. Il voulait savoir de quoi il s'agissait, ce qu'on lui voulait, mais même ce simple droit lui était retiré.
Les lettres se multiplièrent. Rendant fous son oncle et sa tante, faisant naître en lui l'espoir qu'il ne soit pas si seul qu'il l'avait pensé au début.
Un jour, alors qu'un déluge de lettres s'abattait dans la petite cuisine de Privet Drive sous l'œil exorbité de Vernon Dursley, Harry avait réussi à attraper l'une des missives, avec un sourire triomphant. Mais il n'avait pas eu le temps de l'ouvrir, que Vernon la lui arrachait une fois de plus et la détruisait avant de l'enfermer dans son placard.
Harry s'était débattu fou de rage et avant que la porte du placard ne claque sur lui, il avait hurlé.
— Je pourrais vendre mon âme au diable pour me venger !
La porte avait claqué sur lui, mais il avait eu le temps de lire la terreur sur le visage porcin de l'homme.
Harry avait longuement ruminé, enfermé dans le noir comme un animal. Il s'était demandé comment faire pour savoir ce qui se passait exactement, pour échapper à sa vie misérable. Cependant, dès le lendemain matin, toutes ses idées furent réduites à néant. Vernon chargea des valises dans la voiture — Harry n'avait aucune possession à part ce qu'il avait sur le dos, les restes de Dudley — et il démarra dans un crissement de pneus, quittant le quartier tranquille sur les chapeaux de roues comme s'il avait le diable aux trousses, marmonnant comme un dément, sous le regard inquiet de Pétunia.
Ils se réfugièrent dans un phare abandonné, en pleine tempête, et Vernon jubilait qu'à cet endroit oublié de tous, personne ne viendrait porter ces fichues lettres. Le monstre n'avait pas droit d'avoir du courrier après tout.
En prenant conscience que c'était la nuit de son anniversaire, Harry sentit quelque chose se serrer dans son cœur. Une fois de plus, il serait seul, et personne ne penserait à lui.
Mais à minuit pile, alors qu'il se souhaitait à voix basse son anniversaire, quelqu'un défonça la porte misérable du phare abandonné et la vie de Harry Potter, onze ans, bascula sur son axe. Plus rien ne serait jamais plus pareil pour lui, et la douce flamme de l'espoir se mit à brûler en lui alors qu'il pensait enfin avoir le droit au bonheur.
Étant un enfant habitué à peu, Harry savait s'adapter à toutes les situations.
Il découvrit la magie, et passé le premier moment d'incrédulité, il accepta ce nouveau monde sans lutter, fasciné par toutes ces nouveautés. Il découvrit l'histoire de sa famille, apprenant que ses parents avaient été de valeureux combattants qui avaient été assassinés et pas un couple de marginaux comme son oncle se plaisait à les décrire.
Il découvrit qu'il pouvait se faire des amis sans risquer d'être passé à tabac par son idiot de cousin. Et il découvrit Poudlard.
Les yeux brillants, il regarda l'immense château qui allait l'accueillir, et il aima immédiatement les lieux.
Il croisa le regard sombre d'un homme, qui le détaillait avec attention, et il frotta soudain sa cicatrice avec une grimace, surpris de l'élancement de douleur qui lui traversa le crâne. L'homme en noir, impressionnant, fronça les sourcils, et Harry se pencha sur son tout nouvel ami à ses côtés pour lui demander son identité.
Ainsi, il découvrit le nom de celui qui serait son professeur de potions, Severus Rogue, et il se retourna pour l'observer à nouveau, songeur, ne comprenant pas ce regard fixé sur lui.
