2 octobre

Prompt: Sortir en douce ensemble (Sneaking out together)

Fandom : Les Rois maudits


Édouard l'avait décidé, il n'irait pas à son conseil du jour. Il voulait bien faire des efforts, assister à ces réunions interminables, écouter en serrant les dents son entourage lui faire remarquer ses erreurs et sentir tous ces regards scrutateurs rivés à lui, mais il y avait une limite au supportable ! Il en avait assez, voilà tout ! Il savait fort bien qu'il ne comprenait pas tout aux arcanes de la politique et c'était déjà assez difficile à admettre dans son intimité, alors le ressentir dans les yeux de tout le monde ! Les barons, les archevêques, ses frères et ses cousins n'avaient qu'à se débrouiller sans lui ! Il était dans un tel état de frustration que même Hugh l'agaçait. L'amour qu'il portait à son amant était si fort qu'il en devenait parfois épuisant. Édouard rêvait de quelque chose de paisible, calme et reposant. Le sentiment de stress qu'il commençait à ressentir était vraiment insupportable. Il fallait qu'il sorte de ce château !

Louvoyant dans les couloirs, en prenant bien garde à ne pas trébucher sur son manteau de fourrure, le roi se dirigea aussi vite et discrètement qu'il put vers la sortie. Mais voilà que soudain, les barons, les archevêques et tout le reste de sa cour apparurent comme par enchantement au détour d'un corridor. Édouard jura dans sa barbe brune, regarda autour de lui, repéra un renfoncement dans le mur et s'y précipita. Il se jeta contre la pierre et remarqua aussitôt les deux yeux bleus qui s'écarquillèrent de surprise.

« Sire mon frère ? eut le temps de murmurer Kent avant que son aîné ne le bâillonne de la main.

-Chut ! lui intima Édouard. Vous allez nous faire repérer ! »

Le jeune comte roula des yeux pour lui faire savoir qu'il avait compris et Édouard le relâcha. Les deux frères se tassèrent l'un contre l'autre et retinrent leur souffle jusqu'à ce que le royal conseil ait complètement disparu de leur vue, tous ses membres jusqu'au dernier. À ce moment-là, tandis qu'Édouard regardait autour de lui pour trouver l'issue la plus proche, il sentit qu'on lui tirait sur le bras. Il tourna la tête et croisa le regard de Kent, qui lui faisait signe de le suivre. Son cadet était tellement plus jeune que lui, avec ses vingt-deux printemps contre ses trente-neuf ans, et il avait un visage encore si innocent que le roi se trouva pris au dépourvu par une soudaine vague de tendresse. Le moment qu'ils vivaient, également, n'était pas dépourvu de charme : il régnait une atmosphère de complicité et de jeu qu'Édouard n'avait plus connue depuis bien longtemps. Sans réfléchir, il posa sa main sur la joue de son frère.

Kent cligna des yeux, complètement stupéfait, et le dévisagea sans savoir quoi faire.

« Sortons d'ici, à présent, ordonna le roi pour cacher la gêne qu'il ressentait à se montrer tendre avec son frère. Si vous connaissez une échappatoire, je suis preneur !

-Heu… Oui. C'était par ici, indiqua Kent en se tournant vers un boyau qu'on devinait à peine, sur la droite. Il y a une porte tout au bout… Mais ne devriez-vous pas… diriger ce conseil ?

-Et vous ? rétorqua Édouard. Vous manquez une convocation de votre roi ? »

Kent rougit et recula, seulement pour se faire attraper par le bras et entrainer vers la sortie.

« Je crois que nous rêvons tous les deux de sortir en douce, observa Édouard, et que nous nous sommes mutuellement surpris en train de céder à cette attitude que d'aucun jugerait peu honorable. Alors faisons fugue commune, voulez-vous ? J'ai besoin de vous pour trouver cette porte et je ferai en sorte de vous récompenser si vous m'aidez.

-Vous n'avez pas besoin de me récompenser pour ça, sire mon frère, se défendit Kent, éberlué par cette tendance à tout acheter. Tournez à gauche, à présent. Il y a un second passage, juste là. »

Bras dessus, bras dessous, les deux frères s'enfilèrent dans le corridor et passèrent la tête à l'extérieur une fois la porte ouverte, humant avec soulagement l'air frais de l'automne. Certes, il ne faisait pas aussi chaud et confortable dans la lande venteuse qu'au château, mais au moins, ils y seraient tranquilles. Kent trottina vers un bouquet d'arbres, un peu plus loin dans la vallée, et Édouard constata avec surprise que c'était précisément vers cet endroit qu'il s'apprêtait à se diriger spontanément. Son frère et lui avaient-ils les mêmes références de fuite ? Rapidement, il rejoignit Kent au milieu des buissons et manqua de peu de s'étaler par terre.

« Je vais bien ! protesta-t-il en rajustant son manteau d'un geste sec lorsque son frère lui tendit des bras secourables. Pourquoi avez-vous choisi ce bosquet ?

-Eh bien… c'est que… enfin, Sire mon frère, s'il ne vous convient pas, nous pouvons toujours…, s'embrouilla Kent, toujours déstabilisé par les excès paranoïaques de son aîné.

-Non, ce n'est pas ça, le détrompa Édouard. Mais cet endroit est aussi celui que j'ai choisi comme retraite lorsque le château m'ennuie. Pourquoi cette coïncidence, à votre avis ?

-Parce que… nous sommes frères ? hasarda le jeune comte en cherchant des yeux un endroit où s'assoir. Je ne saurais sincèrement pas vous répondre. Peut-être est-ce lié à notre père ? Avez-vous souvenance qu'il vous menait ici, étant enfant ? »

Son regard, rivé au visage du roi, était sincèrement intéressé. Édmond avait envie de savoir et il avait le temps d'écouter, il n'était pas obnubilé par les affaires du royaume que l'étaient leurs cousins et autre barons. Ça avait peut-être à voir avec son caractère immensément distrait et nonchalant ou alors sa gentillesse. Toujours est-il qu'Édouard eut envie de passer la journée avec lui et d'apprendre à mieux le connaître. Ils avaient peut-être plus de points communs qu'il le croyait.

« Prenez place, ordonna Édouard en se laissant tomber assis sur un arbre renversé. Je gage que nous allons passer beaucoup de temps ici à attendre.

-Eh bien…

-Mettons ces heures à profit pour passer un peu de temps ensemble. »

Édmond dévisagea son frère sans savoir quoi répondre et finit par prendre place. Assez naturellement, il desserra ses chausses et son étole et ôta le chapeau qu'il portait pour redonner un peu de volume à ses boucles blondes. Puis, plus détendu, il regarda son frère et sourit.

« Vous avez l'air fatigué, observa-t-il. Voulez-vous vous allonger sur l'herbe ?

-Si c'est vous qui le proposez, accepta Édouard en se laissant glisser le long du tronc. Mais remontez vos genoux, s'il vous plaît. »

Kent obéit sans réfléchir et Édouard posa sa tête dans son giron. Ce n'était pas un geste qu'il avait calculé, qui aurait été épouvantablement embarrassant si son frère était resté de marbre, mais Édmond, qui était gentil, n'accusa qu'une seconde de surprise avant de poser sa main sur un de ses bras pour le caresser doucement. Il faisait vraiment attention aux gens autour de lui et il n'avait pas l'air de le détester, contrairement aux autres. C'était ça, le calme et la douceur dont Édouard avait besoin. Juste un moment avec son cadet, presque sans rien dire parce qu'ils n'étaient pas assez liés pour les confidences, mais paisible, sous le vent de la lande et les feuilles mortes.