5 octobre
Prompt : Regarder le lever du soleil (Watching the sunrise)
Fandom : Louis le Galoup
Louis avait beau se dire qu'ils allaient devoir rentrer au château rapidement s'ils ne voulaient pas fâcher leur père, un événement toujours survenait et l'empêchait d'aller chercher son frère pour se mettre en chemin. C'était des garçons du village qui voulaient qu'il vienne jouer avec eux, c'était des jeunes paysannes qui entendaient obtenir chacune une danse, c'était le père Georges qui souhaitait s'entretenir avec lui. Louis n'arrêtait pas de repousser le moment de partir et il se disait que, vu comme l'heure était avancée et comme ils étaient déjà en retard, quelques minutes en plus ne changeraient pas grand-chose. Alors il repoussait, Louis, il repoussait, et il savait très bien que la rouste qu'ils allaient prendre serait d'autant plus grande qu'ils avaient manqué le dîner sans avertir personne et que leurs parents et leurs deux frères aînés avaient dû les attendre et que le repas avait sûrement refroidi.
« Tu devrais manger tant que tu le peux, lui conseilla justement Séverin en sortant comme de nulle part pour lui agiter un chapelet de saucisses de Mandailles juste sous le nez. Père ne nous laissera pas repartager sa table de sitôt après lui avait fait faux bond de cette façon.
-Toi et ta manie de toujours t'éterniser auprès des filles, plaisanta Louis tout en sachant très bien qu'il était largement en faute lui aussi.
-Moque-toi, mais je t'ai bien vu avec ces demoiselles, tout à l'heure ! Tu étais si rouge et si gauche que je m'étonne qu'elles ne t'aient pas pris pour une de ces écrevisses que l'on pêche dans les lacs !
-Tu ne sais pas ce qu'est une écrevisse ! Seulement ce que le père Georges t'a raconté ! »
Louis, en souriant, pris la viande que lui tendait son frère et partagea le chapelet en deux pour que Séverin puisse aussi en avoir. Les enfants de seigneurs comme eux, normalement, ne faisaient pas ça. Mais les deux frères de Mandailles avaient l'habitude d'être privés de repas par leur père et de devoir se contenter d'un morceau de pain et de fromage à diviser en deux.
« Merci, mais j'ai déjà mangé, déclina Séverin. À m'en faire exploser la panse, tu imagines bien.
-Et tu as compté fleurette à toutes ces filles avec ce bout de gras entre les dents ? Bien joué, frangin, vraiment bien joué !
-Quoi ? Tu n'es pas sérieux ? »
Séverin s'en fut immédiatement vers le tonneau d'eau le plus proche pour s'examiner et il rata l'éclat de rire de son cadet. Louis le perdit de vue durant tout le reste de la soirée, mais il prit son parti d'attendre le plus longtemps possible avant de rentrer chez eux. Séverin avait raison, autant profiter de pouvoir manger… rire, danser, se promener partout, être libre, tant qu'ils le pouvaient encore. Le cellier dans lequel leur père les faisait enfermer quand ils lui désobéissaient n'était pas aussi confortable.
Vers trois heures du matin, Louis commença vraiment à se sentir fatigué. Il s'était étourdi de conversations, de bière, de danse, de musique… Il aspirait à un repos bien mérité. D'un pas titubant, par une habitude acquise depuis sa plus tendre enfance, il se mit en quête de Séverin. Il le trouva à côté d'un tonneau d'eau qui servait à la pêche à la pomme, l'air rattrapé par l'excitation de la soirée, lui aussi. Il était appuyé sur un coude au tonneau et se frottait le visage.
« Je vois que tu es arrivé au bout de ton endurance, constata-t-il en venant à sa rencontre. Tu es prêt à rentrer à la maison ?
-Pas vraiment, admit Louis. Est-ce que tu crois que Père sera encore debout pour nous voir rentrer ?
-Non, probablement pas à cette heure. Mais il s'est aperçu que nous ne sommes pas rentrés, ça, tu peux me croire. »
Le cadet acquiesça en silence, l'estomac déjà noué.
« Ne t'en fais pas, le rassura Séverin en lui tendant la main. Nous ne sommes pas obligés d'y aller tout de suite. La herse ne sera même plus levée à cette heure.
-Dans ce cas, j'aimerais que nous prenions au moins le temps de regarder le lever du soleil, le pria Louis en posant sa paume sur la sienne. Je sais qu'il n'apparaîtra pas avant plusieurs heures, mais…
-Je sais et je comprends. Moi aussi, j'ai envie de voir ça. Les occasions que nous avons d'en profiter sont trop rares. »
Comme la fête se finissait et que les lieux se vidaient progressivement, les deux frères quittèrent les étals posés sur les plaines herbeuses et se dirigèrent vers un point un peu plus élevé du village. Effectivement, ils avaient bien trois heures à attendre, mais Séverin avait pris soin de se munir d'une lourde cape de laine et d'une vasque de vin chaud, certes de village montagnard, donc ni très bon ni très réputé, mais qui aurait le mérite de leur réchauffer l'estomac. Rapidement, après avoir bu quelques gorgées, Louis, qui avait déjà bien consommé de la bière en abondance durant la soirée, commença à piquer du nez. Séverin le vit et passa un bras derrière son dos pour arranger la couverture qu'ils partageaient, mais ce faisant, il attira son frère contre lui et Louis posa sa tête sur son épaule presque sans s'en rendre compte. Ceci fait, il s'endormit, et l'aîné se fit un devoir de rester éveillé pour pouvoir secouer son frère lorsque le ciel commencerait à pâlir à l'horizon.
Ce faisant, il recommença à élaborer des plans d'évasion. Il aimait ce village, Mandailles, il l'aimait énormément, de même que ces hautes et fières montagnes, mais ils ne pouvaient pas rester éternellement sous le joug de leur père si froid et si intransigeant avec eux. Et, plus que tout, il devait tirer son frère de là. Rien qu'imaginer la punition qu'il subirait dans quelques heures le rendait fou de rage.
« Louis, le soleil se lève, annonça-t-il quelques trois heures plus tard, laissant de côté ses sentiments d'indignation et d'injustice. Réveille-toi. »
Son frère bougea d'abord à peine, puis ôta sa tête de son épaule et ouvrit les yeux. C'était enchanteur de voir comme le monde pouvait changer soudain, en un battement de paupières, et passer d'un manteau sombre qui empêchait de voir à un mètre à un monde en pleine renaissance, enveloppé de lumière claire et pleine d'espoir. Séverin et Louis aimaient voir Mandailles et ses environs échapper aux ténèbres de cette façon et offrir au regard la beauté des hautes montagnes et des majestueux plateaux qui faisaient leur monde depuis toujours. En partie parce qu'ils étaient ensemble pour voir ça et qu'ils le seraient toujours, ils se l'étaient promis sans se le dire. Et Louis reposa sa tête sur l'épaule de son frère.
