20 octobre

Prompt : Béguin secret (Secret crush)

Fandom : La route d'Eldorado

Miguel avait souvent eu envie de parler à Tulio de cette fille qu'il avait rencontrée et avec qui il avait entamé un jeu de séduction de plus en plus poussé, mais il n'osait jamais. Ce n'était pas qu'il craignait que son ami n'émette un jugement dur ou méprisant sur elle, ou qu'il ne l'apprécie pas, ou bien qu'il essaye de la lui voler ou de l'arnaquer, elle aussi, parce qu'elle provenait d'une plutôt bonne famille. Non, Tulio avait beau être cynique et prompt à profiter des aubaines, il était aussi vraiment gentil et attentionné envers ses amis. Il ne ferait rien qui pourrait nuire à sa dulcinée et garderait aussi des éventuels avis trop durs par-devers lui.

Non, le vrai problème, c'était que Tulio avait une peur de l'abandon assez prononcée et qu'il risquait d'assez mal le prendre. En tout cas, si Miguel lui mettait la situation sous le nez sans le préparer avant. Sauf que le jeune homme ne savait absolument pas comment le préparer et que, de fait, il repoussait le moment de le lui annoncer encore et encore.

Ce qui était au départ un béguin secret tout à fait banal, du genre qu'on ne dévoile pas parce qu'il est trop doux et trop intime pour être étalé au grand jour, était devenu une vraie histoire sans que Miguel ne trouve la force de l'annoncer à son meilleur ami. Et l'intéressé s'en était rendu compte, bien sûr. Son acolyte aux cheveux blonds ne savait pas cacher ses émotions et il ne savait pas mentir non plus. Après quelques jours à l'observer, le sourcil froncé, et à guetter ses sourires forcés et ses esquives, Tulio finit par le confronter :

« Miguel, est-ce que tu me caches quelque chose ?

-Heu, non, pas du tout, démentit le jeune homme avec toute la conviction dont il était capable – c'est-à-dire, assez peu. Moi, te cacher quelque chose ? Mais enfin, pourquoi est-ce que je te cacherais quoi que ce soit ?

-Ça, c'est à toi de me le dire, répondit Tulio en lui tournant autour comme un soldat en inspection. Tu n'arrêtes pas de t'enfuir sans me dire ou tu vas et de me laisser me débrouiller avec des plans qui nécessitent deux personnes. Ces plans, je les ai préparés pour nous, Miguel. Parce qu'on est ensemble sur ces coups-là.

-Je sais, mais comme tu l'as remarqué, je suis assez occupé, en ce moment, esquiva Miguel en se collant contre le mur de leur planque actuelle pour pouvoir regagner la sortie. Alors on en parlera plus tard, d'accord ?

-Miguel ! Je ne prétends pas devoir connaître toute ta vie, mais comment on fait pour manger si on ne peut plus voler des gens ? »

Mais son ami était déjà loin. Il sentait lui aussi son cœur se pincer, mais il avait l'impression de ne pas avoir le choix. Il n'avait surtout pas envie de blesser Tulio…

Sauf qu'il allait bien falloir qu'il finisse par se rendre compte que c'était de ne rien dire, surtout, qui blessait Tulio. Parce que son complice n'avait aucune idée de pourquoi il disparaissait aussi souvent et pourquoi il ne voulait rien lui dire.

C'était ça qui attisait sa peur de l'abandon, finalement.

Au bout d'un moment, les deux hommes finirent par ne plus se parler du tout et leurs combines en pâtirent fatalement. Ils faillirent se faire attraper plusieurs fois et, un jour, Tulio se tordit si fort la cheville que Miguel fut obligé de le porter pour le ramener chez eux. Il se sentit tellement coupable qu'il ne lâcha pas un mot pendant qu'il soignait la cheville de son ami. Tulio dut sentir sa détresse parce qu'il soupira :

« Miguel, si jamais tu veux partir, tu as le droit, tu sais. Je ne t'obligerai jamais à rester avec moi juste pour ne pas être seul.

-Mais… Je sais à quel point tu souffres de ce type de situation, déplora Miguel en finissant de nouer le bandage autour de sa cheville. Je n'ai pas envie que tu te sentes abandonné. »

Tulio accusa un mouvement de peine au mot d'"abandonné", mais il se ressaisit.

« N'essaye pas de me culpabiliser en faisant cette tête de chien battu, sourit-il doucement en lui donnant une pichenette sur la tempe. Si tu veux t'en aller, va-t-en. Je me débrouillerai. »

Miguel hésita un très long moment en le regardant avec de grands yeux tourmentés, puis il se redressa et le serra très fort dans ses bras.

Tulio, d'abord surpris, lui rendit l'étreinte et puis le regarda partir. Miguel savait bien qu'il ne se retrouverait pas livré à lui-même pour autant et qu'il retrouverait des gars de ses anciennes bandes. Mais quand même… Ce n'était pas pareil.

D'ailleurs, au bout de quelques jours, le jeune homme aux cheveux blonds finit par revenir. Il souffrait trop de cette séparation et il se sentait vraiment indigne d'avoir laissé son meilleur ami derrière lui. Son histoire avec cette fille dura quelques temps, puis elle se fana et s'acheva. Tulio, par contre, et leur amitié mutuelle, qui souffrait tous les sacrifices, resta toujours là.