30 octobre
Prompt : S'endormir sur mes genoux (Fall asleep in my lap)
Fandom : Louis le Galoup
Louis essayait encore de s'habituer à cette situation si extraordinaire, à ces seigneurs d'Occitanià qui tournaient autour de son frère et l'appelaient « Sire » en s'inclinant. Ils étaient si sérieux, si solennels… On voyait bien qu'ils n'avaient jamais connu le garçon de montagne, « fils » d'un châtelain sans prestance et sans fortune, les cheveux blonds toujours hirsutes, qui avait partagé toute la vie de Louis et qui comptait fleurette aux paysannes dans les granges ! Cette vision fit sourire le jeune galoup. Oui, ils auraient bien du mal à continuer leurs courbettes s'ils l'avaient vu ainsi ! Même si Séverin avait toujours eu quelque chose de royal, finalement, et déjà à cette époque-là, avec sa gentillesse et son charisme naturel.
La tendresse et la fierté donnèrent à Louis l'envie de taper dans l'épaule de son frère et de lui serrer le bras. Mais il n'osait pas vraiment, encore réservé devant le regard des grands seigneurs qui les entouraient. Surtout qu'ils étaient en train de se livrer à une activité sérieuse, importante : la chasse à cheval, avec Séverin, le roi, en plein milieu, et puis des barons et des ducs qui l'entouraient sur leurs montures puissantes, avec leurs chiens et leurs gens un peu en retrait. Pauvre Séverin, il n'avait pas l'air à son aise, malgré son contact habituellement très facile avec les gens… Là, un froncement de sourcil rendait son visage juvénile trop sérieux, il ne prenait pas de bon temps et restait concentré sur les gens qui l'entouraient et les paroles dont ils l'abreuvaient. À intervalles réguliers, il hochait la tête. Et Louis se rendit compte, à ce moment-là, à quel point il était fatigué.
Le cœur du jeune galoup se serra. Pauvre Séverin. Il n'était pas habitué à tout ça. Ils ne l'appelaient même pas par le nom qu'il avait porté toute sa vie, préférant le « Guilhem » dont on l'avait baptisé à sa naissance. Ce qui était normal, mais son frère devait, à force, avoir l'impression de s'être un peu perdu lui-même. Discrètement, Louis se rapprocha de Séverin et lui murmura :
« Ça va ? »
Son aîné lui retourna un regard préoccupé, comme s'il réfléchissait à des questions importantes et ne le voyait pas vraiment.
« Tu ne peux pas continuer comme ça, lui souffla Louis. Il faut que tu fasses une pause. Suis-moi. Je vais essayer de nous perdre dans la forêt. »
Séverin le fixa de nouveau et sembla un peu émerger de sa fatigue. Il hocha la tête et susurra :
« Ne nous ramène pas à Mandailles par inadvertance, c'est tout ce que je te demande.
-Pourtant, tu y serais beaucoup mieux, rétorqua Louis avant d'éperonner sa monture. »
Il trouvait ça vraiment ridicule, pour un galoup, d'être monté sur un cheval, mais les seigneurs n'étaient sans doute pas prêts à voir un immense loup anthropomorphe courir après le gibier au milieu de leurs destriers. Et Louis avait envie de passer du temps avec son frère. Dans cette perspective, il s'engagea au galop dans la forêt et se colla au cheval de Séverin pour l'encourager à rester près de lui. Au fur et à mesure de leur course joyeuse, le visage du jeune roi se dérida et un sourire illumina ses traits. Louis sourit aussi et accéléra, guidant son frère au milieu des broussailles et des arbres couchés jusqu'à ce qu'il soit trop difficile pour l'escorte du roi de les suivre.
« Sire ! s'exclamèrent les barons derrière eux. »
Mais Séverin, au grand soulagement de Louis, les ignora et laissa échapper un petit rire en continuant de le suivre. Bientôt, ils furent totalement hors de vue des seigneurs. Le jeune galoup espéra qu'ils renonceraient à les suivre et considèreraient qu'il était en sécurité avec lui.
Au bout d'un long moment, ils se retrouvèrent dans une petite clairière où leurs montures s'arrêtèrent. Séverin se tourna vers son frère et les couleurs, grâce à la fraîcheur automnale, étaient enfin revenues sur ses joues. Ses cheveux étaient de nouveau ébouriffés et ses yeux brillaient.
« Ça me soulage, tu ne peux pas savoir à quel point, de te revoir comme ça, lança Louis en sautant à terre. »
Il vit taper dans la jambe de son aîné.
« Ça me peine beaucoup de te voir comme ça, tu sais, ajouta-t-il.
-Je sais, soupira Séverin en descendant à son tour de cheval. Mais que puis-je y faire ? Je suis roi, maintenant. Et j'ai tellement de connaissances à rattraper en si peu de temps.
-Ah ça, c'est sûr que ce n'est pas l'éducation que Marfont nous a donnée à Mandailles qui te sera utile en quoi que ce soit !
-Et tu appelles ça une éducation ? Tu es bien indulgent, Louis. »
Le jeune galoup sourit et s'avança pour prendre son frère dans ses bras. Séverin s'abandonna contre lui en soupirant et appuya son front contre son épaule, contre l'épaule de ce petit frère qui lui prenait une bonne tête, maintenant.
« Tu devrais te reposer, murmura Louis.
-J'essayerai une fois que je serai rentré au château, promit Séverin.
-Non, tu n'y arriveras pas. Essaye de te reposer maintenant. Je ne nous ai pas perdus dans la forêt et risqué les foudres de tes seigneurs pour rien. »
En faisant signe à son frère de le suivre, Louis se dirigea vers un carré de mousse sous deux arbres jumeaux et s'installa en-dessous.
« Viens, répéta-t-il en pliant les jambes sur le côté. À moins que ça ne soit pas digne d'un roi de dormir par terre sur les genoux de son frère ?
-Hum, je pense que je peux décréter qu'il n'y a rien de plus noble, plaisanta Séverin en le rejoignant. »
Il s'allongea au sol, sur la terre et les feuilles mortes, et posa sa tête sur les genoux de Louis avant de se recroqueviller sur lui-même. Il poussa un gros soupir.
« Celui-là venait du fond des entrailles, observa le cadet avec un pincement de cœur.
-Oui… Si tu savais comme j'aimerais, parfois, que tout redevienne comme avant…
-Je sais, Séverin. Mais ce n'est pas possible… Et tous ces gens ont besoin de toi. »
Doucement, Louis baissa la main et prit celle de son frère pour la serrer. Le jeune roi entremêla ses doigts aux siens et murmura avant de s'endormir :
« Ce qui me manque le plus, je crois, c'est qu'on m'appelle Séverin… »
Louis n'en doutait pas. Quand on le nommait « Sire Guilhem », il devait avoir l'impression que toute sa vie passée était partie loin, très loin de lui. En tout cas, le jeune galoup se promit de lui redonner l'impression d'être encore un peu ce garçon de Mandailles, naïf et sans responsabilités, ne serait-ce que quelques heures, pendant qu'il dormait sur ses genoux.
