Auteur: Kuro-Hagi – 26/10/2021
Genre: Romance – Yaoi – Friendship – Hurt/Comfort
Disclaimer: Tout ce monde et ces personnages appartiennent à Tadatoshi Fujimaki
Note : Je vois que vous avez bien apprécié le citron du chapitre précédent ;) Il ne reste que quelques chapitres et nos fauves sont vraiment sur la bonne voie ! Merci pour votre suivi et votre soutien ! Vous êtes géniaux ! :)
Ju : Câlin !:D Oui ! Complètement opposé au citron de Setsuna, deux ambiances bien différentes ! Mais ça ne fait que deux fois plus de bonheur pour les lecteurs:p Ah ah clairement la situation ici est bien différente d'American Dream ^^ Mais je comprends ta frustration… ça arrivera un jour !;) patience ! Merci pour cette review en tout cas ! A bientôt ! :)
CONNECT (relier)
by Daiki
Un frisson désagréable saisit sa nuque, se ramifie jusque dans ses épaules et descend le long de son corps jusqu'à ses chevilles hérissant sa peau de chair de poule. Il essaie de souffler doucement pour maîtriser la réaction épidermique de son corps mais déjà il ressent une tension dans ses épaules. Le brouhaha des voix, les annonces crachées par les hauts-parleurs, les roulettes des valises, les rires, les cris, les bips des appareils électroniques, les sonneries des téléphones… Les bruits saturés lui vrillent les nerfs.
Il inspire doucement. Toute cette agitation, tous ces gens qui le frôlent, parfois le bousculent, il a l'impression de se noyer de se perdre dans cette marée de corps inconnus qui s'introduisent sans son accord dans sa zone personnelle et intime. Il a l'impression d'étouffer. Il accélère le pas essayant de trouver une issue. Du haut de ses presque deux mètres, il surplombe de pratiquement deux têtes la majorité de la foule qui s'amasse devant lui. Ça devrait être un confort pour lui, un soulagement… Mais ça ne lui donne qu'une meilleure vue sur la foule qui lui semble s'étendre à perte de vue.
Il n'aime pas cette foule dense. Son estomac se tord douloureusement et sa respiration est plus courte alors que l'anxiété se fraye un chemin jusqu'à ses nerfs. La réalité lui tombe dessus comme un coup de massue. Il est de retour. Il est à Tokyo. La voix dans les haut-parleurs crache en japonais et anglais les diverses informations qui ne le concernent pas mais semblent l'agresser. Les kanjis et kanas familiers s'étalent sur les affichages publicitaires, les panneaux d'indication et autres enseignes autour de lui.
Il n'aime pas les foules denses, il a appris à vivre avec. Il n'avait pas le choix, il a toujours vécu ici dans cette ville surpeuplée même s'il n'y a jamais trouvé vraiment sa place, même s'il a toujours rêvé des grands espaces. C'était sa vie. Il n'aime la foule compacte des aéroports, mais il en a pris son parti quand l'aéroport il y a quelques mois fût synonyme de sa porte vers la liberté. Il a presque même apprécié ce moment, d'anticipation du départ, savourant l'excitation à l'idée de l'aventure et d'enfin découvrir ce dont il rêvait depuis si longtemps.
Mais aujourd'hui, c'est comme s'il refermait une parenthèse de sa vie, comme si l'aéroport était la porte qui le ramenait à la conscience après un doux rêve, dont on se réveille avec une tristesse infinie en devant refaire face à la réalité de notre vie. Comme s'il était le point de connexion entre deux univers qui ne pouvaient exister dans le même espace temps.
Il a soudain du mal à saisir la réalité de ces six derniers mois, la réalité de ces trois mois avec Taiga. Vingt-quatre heures plutôt, il était encore entre ses bras et pourtant il lui semble que c'était il y a des jours. Il lui a dit au revoir sur le pas de la porte du chalet, il faisait nuit, il n'a pas voulu partir la veille et dormir à Chicago avant son départ, il n'a pas voulu perdre une minute de son temps avec Taiga. La nuit était douce et presque apaisante quand ils se sont dit au revoir. Taiga ne portait qu'un jogging, laissant son torse nu accrocher la pale lueur de la lune, il semblait presque irréel. Pourtant ses bras bien solides autour de lui étaient bien réels, comme ses doigts sur sa nuque et ses mots chauds à son oreille : I love you Daiki.
Mais il a dû monter dans le taxi qui attendait patiemment pour l'emmener jusqu'à Chicago. Ce trajet allait lui coûter une fortune, mais il s'en fichait, il voulait juste profiter de Taiga jusqu'à la dernière minute. A ce moment-là, il avait déjà l'impression désagréable que ce serait la dernière fois qu'il le verrait, que finalement sa vie allait reprendre son cours là où il l'avait laissé comme si cette aventure américaine n'avait jamais existé.
Cette impression était ténue, elle n'avait fait que s'alourdir à mesure que les kilomètres l'éloignaient de Taiga. Comme si le fil invisible qui les reliait l'un à l'autre perdait de sa substance et s'affaiblissait avec l'éloignement. Il lui avait envoyé quelques messages pour l'informer qu'il était à l'aéroport, puis qu'il allait décoller. Taiga lui avait répondu aussitôt et pourtant la sensation restait là comme un trou qui se creuse dans son cœur.
L'impression est plus lourde maintenant qu'il est vraiment rentré. Pendant ses longues heures de vol, il se sentait un peu ailleurs, le cœur toujours auprès de Taiga et la tête dans un flou de pensées incohérentes. Et maintenant, l'anxiété lui donne la nausée, son estomac se noue avec l'impression de se jeter dans la gueule du loup, de revenir s'empêtrer dans la toile tissée de la veuve noire qui l'a choisi comme proie pour le dévorer à petit feu depuis tant d'année.
Il traverse la foule, un peu paniqué, il a récupéré sa valise comme un automate, suivant le flot simplement. Il a besoin de sortir de respirer. Il devrait aller prendre le métro, mais d'abord il a besoin d'air, maintenant. Il cherche une issue désespérément. Il cherche de l'air. Et quand enfin une porte s'ouvre vers l'extérieur, il ne se préoccupe pas de bousculer un homme d'affaires et s'éloigne le plus loin possible. Il tremble et sort son téléphone, sans se préoccuper de l'heure, sans réfléchir à ce qu'il fallait, il presse le bouton d'appel.
A la seconde sonnerie la voix ensommeillée de Taiga répond.
« Dai ? T'es arrivé ? »
Il s'adosse à un pilier et un soupir plaintif de soulagement lui échappe. Un tout petit morceau de son anxiété desserre un peu ce nœud qui noue son estomac, mais son cœur lui semble plus serré que jamais. Il n'aurait pas dû laisser Taiga derrière lui, il n'aurait pas dû refuser sa proposition de l'accompagner. Non seulement, il sait qu'il a blessé un peu son homme en refusant qu'il vienne, en se montrant butté à vouloir gérer les choses seuls, mais il réalise à présent quelle connerie c'était. Il a besoin de lui. Il se sent tellement faible sans lui.
Une larme glisse doucement sur sa joue. Il ne comprend pas vraiment sa réaction violente en reposant le pied dans sa vie. Comme si soudain tout lui échappait, comme s'il perdait le contrôle qu'il avait réussi à prendre sur sa vie. Il n'a même pas encore essayé, il est juste dans un foutu aéroport et pourtant il se sent déjà perdant. Il ne se sent pas assez fort. Il a mis des mois à réussir à partir, non des années. Des années à accepter qu'il avait besoin de partir, qu'il avait besoin de s'éloigner de tout ça. Il a l'impression d'être une toute autre personne que celle qu'il était auprès de Taiga. Il avait oublié la noirceur de ses pensées, il avait oublié qu'il était si faible, il avait oublié qu'il était si insignifiant et si nul. Il frissonne, il se rappelle du collège et du lycée, de cette période de sa vie où il a totalement sombré, il se rappelle de l'inquiétude de Satsuki ces dernières années qui le voyait glisser de nouveau vers la dépression et il se rappelle de toutes ces fois où il lui a dit ces mensonges auxquels il croyait vraiment : « T'inquiète. Je vais bien. Je suis juste un peu fatigué… Mais ça va. T'en fais pas. ». Et il se rappelle de ces cachets qu'il prenait chaque jour par habitude, parce que ça l'aidait à être « moins fatigué ». Les cachets sont restés au fond de sa deuxième valise chez Taiga. Les cachets il en a pris de moins en moins souvent en arrivant aux Etats-Unis, distrait de ses préoccupations habituelles, plus libres et puis en s'installant chez Taiga, il n'en a plus pris du tout. Il se sentait mélancolique parfois, mais ce n'était plus d'une façon angoissante, c'était presque une sensation agréable.
« Daiki ? Hey ? Ça va ? »
La voix plus alerte et inquiète de Taiga le ramène à la réalité. Derrière ses lèvres le mensonge habituel se prépare : « T'inquiète. Je vais bien. Je suis juste un peu fatigué… Mais ça va. T'en fais pas. ». Mais il le retient juste à temps. Il ne veut pas commencer à mentir à Taiga. Il ne veut pas se mentir à lui-même de nouveau. Il ne va pas bien non et il ne peut plus se cacher. Il ne pourra pas continuer. Et quand, ils n'ont que le téléphone pour les relier l'un à l'autre, il ne veut pas faire semblant pour Taiga, même si c'est injuste, car il est trop loin pour faire quoique ce soit de l'inquiéter. Avec ce seul lien, entre eux, il serait trop facile de mentir et de prétendre.
« Pas vraiment non…
— Qu'est ce qui se passe ? »
Il sent la panique dans la voix de Taiga, il s'en veut un peu, mais il ne recule.
« Juste… Je sais pas comment l'expliquer… Je… Je vais bien physiquement, ok il m'est rien arrivé de grave. C'est juste… Ma tête qui me joue des tours. J'avais besoin de t'entendre… Me rappeler que c'est vrai, que j'ai pas rêvé… J'ai peur…
— Tu n'as pas rêvé Dai. Je suis là… Je suis bien là.
— Yeah… Je t'entends.
— Tu as peur de quoi ?
— De pas être assez fort…
— Pas assez fort pour quoi ?
— Me libérer. »
Il déglutit. Il a déjà parlé à Taiga de sa vie qui lui semblait être prison dans laquelle il avait l'impression d'être retenu captif. Mais une prison dont la porte était ouverte mais dont il n'avait pas force d'ouvrir par lui-même, parce que des forces plus sombres l'empêchaient juste d'atteindre cette porte et de tourner la poignée. C'était une sensation terrifiante.
Il a conscience qu'il est le seul à pouvoir se libérer. Il a conscience que cette prison était dans sa tête, qu'il est son propre geôlier. Et pourtant, il semble que ce soit de cette prison qu'il soit le plus difficile à s'évader.
« Tu es fort Daiki… Tu as déjà su franchir le pas une fois… Et tu le feras encore cette fois. J'ai confiance en toi… Je sais que tu reviendras. Je t'attends.
— …
— Dai ?
— Je suis là… Désolé… Je suis là.
— Tu es où ? »
La voix de Taiga est douce et semble être comme une caresse sur sa nuque, apaisant un peu les frissons qui le parcourent depuis qu'il a posé le pied sur le sol nippon.
« A l'aéroport.
— Tu es épuisé. Tu viens de faire un voyage de presque vingt-quatre heures. Prends un taxi et rentre chez toi… Va te reposer. Je serais là quand tu te réveilleras. Je t'abandonne pas Daiki… Je suis toujours là ok ?
— Ok… »
Il n'arrive même pas à parler, c'est lui qui appelle et il n'y a que Taiga qui parle il se sent plus minable que jamais, mais il accepte les mots de Taiga.
« Ce n'était pas un rêve. Ce n'est pas un rêve. Toi et moi Dai… C'est réel.
— … Je suis désolé… J'aurai pas dû… Je sais pas si je pourrai faire ça sans toi… J'ai cru…
— Hey… It's ok. Tu ne fais pas sans moi. Je suis là. Et je te soutiens ok ? Quoiqu'il arrive… Je suis avec toi. Et si tu veux que je te rejoigne. Tu n'as qu'un mot à dire. OK ? Je t'aime Daiki. Et je sais que tu m'aimes aussi… Et je ne compte pas laisser qui que ce soit se mettre entre nous… Même pas toi… »
Il comprend très bien ce que Taiga veut dire. Il s'est suffisamment confié à lui. Il soupire doucement. Le soutien sans faille de Taiga est difficile à croire, mais pour l'instant il veut s'y raccrocher parce qu'il n'a que ça pour avancer. Il regarde autour de lui, il voit la file de taxi non loin.
« Ok… »
Il déglutit et essaie de stabiliser sa voix.
« Je vais prendre un taxi… Je peux te rappeler quand je suis chez moi ?
— J'aimerai ça Daiki… Et dans tous les cas, quand tu veux Dai ok ? Quand tu as besoin… Je serais là.
— Merci.
— Me remercie pas… Je le fais pour moi Dai… J'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu rentres à la maison. »
Il a envie de pleurer de soulagement en entendant ces mots. Il n'est pas aussi émotif d'habitude, Taiga a raison il est épuisé et ça n'aide pas son état mental.
« Ok… Je te rappelle.
— J'attends ton appel. Je t'aime.
— Je t'aime aussi Taiga. »
Il raccroche avec un peu d'appréhension, puis se redresse. Il rejoint la file de taxi et effectivement il se sent lessivé. Il trouve une voiture libre et monte. Il donne son adresse et se laisse tomber à l'arrière du véhicule. Dans le calme de l'habitacle, où il est par chance isolé du conducteur et n'a donc à subir ni sa discussion, ni sa radio, il se trouve dans un silence relatif apaisant. Doucement, l'anxiété qui l'a paralysé et qui a commencé à refluer en entendant la voix de Taiga, se réduit tout doucement à un simple petit nœud qui serre encore son estomac.
Il somnole. La vibration dans sa poche le sort de sa léthargie : un message de Satsuki.
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[Satsu — 16h13]
Hey. Tout va bien ? Tu es bien arrivé ? Tu avais promis d'envoyer un message à l'atterrissage.
[Moi — 16h14]
Oui. Désolé. J'ai oublié. Epuisé. Je rentre chez moi.
[Satsu — 16h15]
Tu veux qu'on passe ce soir ? T'amener à manger ? Te faire quelques courses ?
[Moi — 16h16]
Non. Merci. Je crois que je vais m'écrouler et dormir. On se voit demain. Ok ?
[Satsu — 16h16]
Sûr ?
[Moi — 16h17]
Sûr.
[Satsu — 16h17]
Ok. A demain.
[Moi — 16h18]
A demain.
.
Il soupire et range son téléphone. Il devrait être content de revoir sa meilleure amie après tout ce temps, elle lui a manqué. Mais pas tout de suite, pas quand il se sent aussi minable. Il s'enfonce un peu dans le col de sa veste et il presse sa tête contre la vitre. Il lutte contre toutes les pensées glaçantes qui l'assaillent et menacent de le faire craquer encore. Il devrait manger. Et dormir. Ses placards sont vides. Il mangera plus tard. Il a besoin de dormir.
Quand il entre dans son appartement, il a une sensation étrange. Il reconnaît à peine les lieux et pourtant, tout lui semble si familier. C'était à une époque son refuge et pourtant d'y pénétrer lui donne la sensation de laisser la nasse se resserrer sur lui. L'appartement est petit, à Tokyo on ne peut guère s'offrir bien plus avec un salaire moyen ou lorsqu'on cherche à économiser pour fuir. Ses parents n'ont jamais compris pourquoi il n'a jamais pris plus grand, il a prétexté faire des économies pour pouvoir acheter. Ils ont accepté à demi cette explication, s'imaginant que leur fils m'était de côté pour acheter son futur logement familial. Quand il a décidé d'utiliser une partie de ses économies pour partir aux États-Unis. Ses parents ont évidemment été choqués de ce gaspillage.
Il soupire. Il ne les a pas prévenus de son retour. Et il ne compte pas le faire avant d'être prêt à les affronter. Il veut d'abord s'occuper de régler les détails de son don de spermes pour sa meilleure amie et de sa démission auprès de son employeur avant de discuter avec ses parents. Il veut juste les mettre devant le fait accompli, il ne veut pas qu'ils puissent argumenter. Il veut juste leur annoncer qu'il a trouvé l'homme de sa vie, là-bas aux États-Unis et qu'il compte aller vivre là-bas avec lui. En tout cas, c'est ce qu'il a prévu. Mais il sait que ce ne sera pas si simple.
Il pose sa valise, retire ses chaussures et sa veste et sans attendre, compose le numéro de Taiga.
« Hey. T'es rentré ?
— Ouais.
— Comment tu te sens ?
— Bof… Mais mieux que tout à l'heure… Merci.
— Pas de problème.
— Je pensais pas que ce serait si difficile.
— Tu veux que je vienne ? »
Le 'oui' est sur le bout de sa langue, il soupire. Quand il a pris son billet pour la liberté i mois, il a volontairement pris un aller simple, ne souhaitant pas s'encombrer d'une date de retour. Cette fois, il a choisi de prendre un aller-retour. Il avait besoin de savoir quand il rentrerait auprès de Taiga. Il a deux semaines pour tout régler et ça lui semble déjà très long et à la fois, il a cette date, ce billet auquel se raccrocher.
« Oui… J'aimerais que tu viennes, que tu sois là mais… Je vais essayer de gérer ça tout seul ok ? Repose-moi la question demain…
— OK. »
Il souffle doucement. C'est bon de pouvoir être honnête, de pouvoir exprimer ce que son cœur lui dit autant que sa raison. Pouvoir avouer ses incertitudes et ces inquiétudes, pouvoir exprimer ses pensées les plus honteuses et les plus égoïstes, sans se sentir totalement coupable. Il pose son téléphone sur haut parleur sur le lit.
« Je vais m'allonger… Tu as raison je suis épuisé et ça m'aide pas à réfléchir…
— Ok… Tu veux que je reste avec toi le temps que tu t'endormes ?
— S'il te plaît. »
Il se déshabille rapidement. Il a envie d'une douche, mais il se sent trop fatigué pour ça. Il se glisse sous la couette, le téléphone posé sur l'oreiller à côté de lui.
« ça fait trop longtemps que j'ai pas dormi tout seul… »
Un léger rire de Taiga lui répond et le réchauffe et lui arrache un sourire.
« Moi non plus… Et c'est… Bizarre. I miss you…
— Tu me manques aussi… J'aime tes bras pour dormir. Il est quelle heure pour toi ? J'suis désolé ça doit être le milieu de la nuit…
— It's fine. T'inquiète pas… J'attendais ton appel pour me recoucher… Comme ça on va dormir ensemble.
— Baka ! Bonne nuit Tai…
— Bonne nuit Daiki… Appelle-moi quand tu te réveilles ok ?
— Ouais… Je vais me réveiller en plein milieu de la nuit ici…
— Laisse toi quelque chose pour reprendre le rythme.
— Ouais. J'ai juste envie d'en finir vite.
— Je sais… J'aimerai ça aussi… Que tu rentres au plus vite.
— … Comment allait Tony au fait ?
— Bien. Il a demandé de tes nouvelles… Il voulait aller au Japon lui aussi. »
Il écoute Taiga lui raconter et ça lui fait du bien d'entendre sa voix, juste de l'entendre parler de ces choses qui leur sont familières. Il sourit, ses paupières sont lourdes et il se laisse bercer par sa voix.
ooooo
C'est la faim qui le réveille une douzaine d'heures plus tard. Quand il ouvre les yeux, il ne reconnaît pas l'endroit où il se trouve. La luminosité est différente, l'odeur boisée et fraîche est absente. Et puis, il se rappelle où il est. L'angoisse serre un peu son cœur, mais c'est nettement plus supportable que la veille au soir où il s'est vu totalement sombrer. Il regarde son téléphone, pour voir qu'il indique cinq heures du matin. Il ne lui arrive pas souvent de se réveiller si tôt, sinon jamais. Il a un message de Taiga.
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[Taiga — 17h22]
Bonne nuit Dai. Appelle-moi. Love you.
[Moi — 5h03]
Hey. Merci pour hier… Enfin tout à l'heure pour toi. Ça m'a fait du bien de dormir. Love you too.
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Il se lève en grimaçant. Il a mal à la tête comme s'il avait pris une bonne cuite. Il ne se rappelle plus quand il a bu pour la dernière fois, mais il est clairement déshydraté. Il enfile un jogging qui traîne dans son placard et rejoint la cuisine. Il sort un verre et se sert de l'eau. Il boit son verre d'une traite et s'en sert un second avec un cachet de paracétamol. Il a faim, mais évidemment il a vidé tous ses placards avant de partir. Il passe une commande au resto du coin pour se faire livrer et décide de filer sous la douche. Il a terriblement besoin de se laver après ses presque vingt-quatre heures de voyage et douze heures de sommeil.
Il sort de la douche, peu de temps avant que le livreur ne sonne à sa porte et un appel de Taiga manqué. Il réceptionne sa commande et s'installe pour manger en appelant son homme. Il se sent bien mieux que la veille, même s'il sait que l'anxiété restera là à gratter sa nuque, comme une menace constante, comme un insecte qui n'attend qu'un instant de faiblesse de sa proie pour planter ses crochets dans la chair tendre. Entendre la voix de son homme le rassure et l'aide à se raccrocher à son objectif.
ooooo
Il hésite, mais se décide à prendre le cachet. Il se sent toujours anxieux et fatigué. Huit jours qu'il est revenu à Tokyo et ses vieux démons sont de retour. Taiga lui manque et cette fois il n'arrive pas à savourer son absence comme il l'avait fait lors de son excursion dans la forêt, ce n'est qu'une douleur supplémentaire qui s'ajoute à son angoisse. Alors en désespoir de cause, il cède et avale l'une de ses pilules qui le suivent depuis tant d'années.
Il a passé ces derniers jours avec Satsuki et Reira à préparer le don de sperme. Ils ont énormément discuté, pour déterminer quelle place il aurait dans la vie de l'enfant. La discussion n'a pas été simple et il se rend compte qu'il aurait aimé que Taiga y prenne part. Il n'est pas avec lui depuis très longtemps, mais il se projette vraiment dans leur relation et il sait que Taiga partage ce sentiment. Alors cet enfant, il sait qu'il sera un peu le sien aussi. Quand il sera suffisamment grand pour venir lui rendre visite aux États-Unis, il lui faudra une place dans leur maison. Alors avant de donner son accord final et signer les papiers, il a fait part à Taiga de sa décision pour s'assurer qu'il le suivrait dans son choix. Ce n'était qu'une formalité, mais il voulait en être certain et ne prendre aucun risque.
Il veut reconnaître l'enfant. Il en sera le père biologique et il sera prêt à participer à son éducation. Il ne restera pas au Japon pour autant. Mais il viendra le voir régulièrement et il souhaite que l'enfant puisse venir le voir aussi et assumera aussi financièrement même si Satsuki et Reira lui ont répété que ce n'était pas nécessaire. Qu'il reconnaisse l'enfant leur semblent à tous les trois un gros avantages. En grandissant, il posera forcément des questions sur ses origines et Daiki refuse d'avoir à lui mentir. Ensuite, le mariage de Satsuki et Reira n'étant pas reconnus au Japon, Satsuki ne pourra pas être officiellement sa mère malgré toute la colère et la tristesse que ça peut leur apporter. Il aurait à batailler pour obtenir la garde de l'enfant s'il arrivait quoique ce soit à Reira. En tant que père, il aura d'office la garde et pourra le confier à Satsuki. Et puis, quoiqu'il arrive il fera partie de la vie de cette enfant.
La décision prise et les formalités administratives lancées, ils doivent se rendre à l'étranger dans une clinique privée, pour faire le don et l'insémination, la pratique étant interdite au Japon pour un couple lesbien. Le rendez-vous est pris pour dans deux jours puisque ça tombe au moment opportun par rapport au cycle menstruel de Reira, un premier essai d'insémination pourra ainsi être pratiqué deux jours plus tard. Le reste de son don sera congelé pour un second essai, ou pour une éventuelle autre grossesse. Il a aussi décidé de donner son autorisation pour mettre à disposition son don anonymement pour d'autres couples, si Satsuki et Reira y renonçaient.
Il se réinstalle devant son ordinateur et relit une dernière fois sa lettre. Il reformule une phrase, corrige une faute puis il enregistre et l'imprime. Il a appelé la veille son employeur pour lui annoncer sa démission et aujourd'hui il envoie sa lettre. Il repassera dans quelques jours pour vider son bureau.
Il boit quelques gorgées de la bière qu'il s'est ouverte. Il n'a toujours pas appelé ses parents et n'arrive toujours pas à s'y résoudre. Il a retourné l'échange dans sa tête encore et encore et il ne voit pas d'issue heureuse à leur conversation. Il n'a aucune illusion. Il respecte ses parents pour tout ce qu'ils ont fait pour lui, il sait qu'ils l'aiment sincèrement, qu'ils ont toujours souhaité le meilleur pour lui et ont tout donné pour lui. Mais il sait aussi à quel point ils sont rigides et puritains. Dans leur esprit le travail et la famille sont les seules reconnaissances sociales valables. Quand il ira leur parler, il n'aura ni travail, ni famille ayant de la valeur à leurs yeux. Pour eux, il viendra là pour piétiner tout ce qu'ils lui ont inculqué, tout ce qu'ils ont sacrifié pour lui pendant plus de trente ans. Il a un profond respect pour ses parents, mais il ne peut plus vivre pour leur faire plaisir et c'est un véritable déchirement.
Dès la première sonnerie de son téléphone il décroche.
« Hey…
— Salut Dai. Comment tu vas ? »
Il soupire. Ni vraiment mal, ni vraiment bien. Il a juste hâte d'en finir et pourtant il repousse encore le moment d'appeler ses parents. Non il ne va bien. Il déglutit et répond à son homme.
« … J'ai pris un cachet ce matin… Je me sentais trop anxieux.
— Ok… »
Il sait que Taiga s'inquiète et que savoir qu'il prend des anti-dépresseurs n'est pas pour le rassurer. Mais il ne veut pas lui mentir, alors il est honnête. Et il lui dit à quel point, il se sent mal et à quel point il lui manque.
« Tu as appelé tes parents ?
— Pas encore… J'ai appelé le boulot et préparer le courrier… J'ai les billets d'avion… Je verrai quand ça se sera fini.
— Il ne te restera que quelques jours avant de rentrer…
— Je sais. Je vais rentrer. Je te promets…
— Je sais. »
