« C'est ce soir, hein Jubilée ! C'est la fête ce soir !

- Oui, maintenant tu me lâches. De toute façon, les X-morveux, vous allez au lit !

- M-M-Mais le professeur Summers, il a dit qu'on allait tous faire la fête cette nuit !

- Rahne a raison. T'as qu'à aller lui demander, Jubilée, il arrive. Professeur ? Hein c'est vrai que même nous on peut aussi faire la fête cette nuit ?

- Mais oui, petit ! » répond Scott Summers d'une voix lasse. Victorieux, Artie exhibe sa belle langue bleue. Le règlement intérieur ne lui permettant pas de répondre par un feu d'artifice, Jubilée se contente d'émettre un long soupir. Elle prend congé du petit groupe et décoche au passage un coup de coude à Jamie. La chute du petit mutant entraîne la création d'une douzaine de clones qui jonchent le sol. Trop pour les enjamber ! Jubilée les piétinerait sans hésiter, si elle n'avait pas entendu le professeur Munroe s'approcher. Les petits mutants rient aux éclats et applaudissent. Jubilée n'en peut plus, elle prend à témoin le professeur Summers. Il a l'air dépité, il semble compatir. Ça y est, il prend enfin la parole, il va pouvoir l'aider :

« Tu peux les occuper…

- Pardon ! Bien sûr. Ça tombe bien, j'avais que ça à faire !

- Ce n'était pas une question, Jubilée… s'il te plaît…

- Pas eux ! Pas ce soir ! enfin t'as vu mes cheveux ! sous cette serviette s'élabore une création inédite à la fois décontractée et sophistiquée qui fera rougir les plus grands créateurs de la côte est. Je me fais une couleur pour ce soir. Si je bouge, les mèches vont coller ! »

Tornade gronde, les poings sur les hanches :

« Si tu ne t'y colles pas, c'est ton prof qui va te coller !

- Je ne vous savais pas de service ce soir, agent Munroe !

- Allons, Jubilée, tu survivras. Il faut que tu les occupes pendant, quoi, une petite heure ? »

Abandonnant Jubilée à son supplice, Tornade accompagne Cyclope dans la salle à manger. Scott tire sa chaise, ses yeux le brûlent. Sa main s'agrippe au dossier. Une odeur de fumée encombre sa poitrine. Il cherche Tornade en vain, la chaise bascule à ses pieds. Cerné par les flammes, il se met à courir. L'institut aux tons rouges a laissé place à un brasier céleste aux couleurs violentes. La porte cède. Des rafales d'air lui arrachent des larmes, il tombe sur le carrelage et se rattrape à la cuvette. Scott est perdu en plein ciel, son parachute s'ouvre sous une pluie de débris enflammés. L'avion explose. Des gouttes de feu brisent les liens qui l'attachaient à son petit frère. Une deuxième explosion se produit derrière le parachute blanc, emportant à jamais ses parents et son enfance.

Au milieu de la fumée apparaît une forme floue, fragile, presque intangible, que Scott veut saisir, doit saisir, mais qui s'éloigne encore, toujours, à chaque fois, toutes les nuits. Il ne sent jamais que le vide à la place de cette main potelée qu'il devine à peine, ces petits doigts crispés par la peur, ce petit frère dont il a oublié le visage… une enfance perdue à jamais entre ciel et terre, sans autre tombe qu'un trou noir, l'obscurité des cauchemars et des souvenirs d'un orphelin brisé, qui se dissimule sous les chemises impeccables du professeur Summers.

Ses parents et son petit frère Alex l'ont abandonné. Il voudrait les haïr pour ça, tout serait tellement plus simple. Mais une part en lui refuse et l'oblige à revivre ses souffrances. Alors, chaque nuit, il tente d'arracher à la mort des ombres sans visage. En vain.

Mais la nuit sera blanche et Scott s'éveille sans s'être endormi. Le carrelage est froid et visqueux. Scott cherche un appui mais sa main se débat dans le vide, encore.

Le cauchemar prend vie, les fantômes s'incarnent, la chaleur d'une main se glisse dans la paume fiévreuse de Scott. Une main difforme, trois doigts… Scott lâche la main avec horreur. Ses lèvres tremblantes crachent un dernier filet de bile, amer et acre.

« Mein Freund ? Tout va bien ? »

Kurt Wagner lui tend une boîte de kleenex. Scott devine le visage de Kitty dans l'entrebâillement de la porte. La douleur physique se dissipe, laissant place à la honte. Scott rassemble ses dernières forces, repousse Diablo dans le couloir et fait claquer le verrou.