Derrière le comptoir, une radio crachote en boucle les informations nationales. Le barman monte le son : le problème mutant : discrimination, fichage et solutions, attention avant de prendre le volant et meilleurs vœux pour la nouvelle année. « Commence à bien faire, leurs histoires : on va vous débarrasser des mutants… et de votre argent, pas vrai ? », lance-t-il à un cigare flottant dans un fond de bière. Logan s'avance vers la monture qui l'attend devant le bar, une motocylope. Son puissant moteur rugit. Une douzaine de Harley répondent. Les motards s'élancent. Logan les distance, sauf deux qui s'accrochent, le talonnent, le klaxonnent. Les flocons dansent dans les appels de phare. Logan est aveuglé, sa moto se couche sous lui, entraînant dans sa chute la Fat Boy qui lui a coupé la route. La neige est souillée d'huile et de sang. Logan se précipite sur le rider à terre et le tire loin des motos en flammes. Une jante s'envole au milieu des flocons de neige. Logan se penche sur le blessé, dont la main ensanglantée le frappe au visage. Les motards l'ont rejoint et l'encerclent. « Salop'rie d'mutos… » grince l'un d'eux. Aux chaînes répondent les griffes d'adamantium…

« Les mômes ! Scott, faut plus laisser les gamins sortir.

- Logan ?

- Ah oui, la Suzuki… les Japonaises et moi, décidément…

- Logan ?

- Un corps à corps avec une Harley, tu parles d'une fin… ces fils de putes… qui c'est ? »

Nouveau visage, nouveau parfum. La jeune femme ouvre la bouche. Aucun son n'en sort. Penché sur un corps allongé devant l'entrée, Scott est trop occupé pour faire les présentations. D'un geste machinal, Logan referme la porte du pied et brosse son jean lacéré.

« Logan, merde ! aide-moi : on l'emmène à l'infirmerie.

- Mon dieu, il est blessé ! Il saigne, regardez-le !

- Lui, il se démerde », lâche Scott Summers à la grande brune. Logan réalise qu'on parle de lui : les lambeaux de ses vêtements sont tachés de sang. Ils traînent une odeur d'essence et de caoutchouc brûlé. Mais la douche peut attendre, Scott Summers a besoin de ses services pour évacuer un mort. Qui s'est relevé. Qui gémit.

« Bordel, mais c'est l'autre play-boy ! » Logan n'en croit pas ses yeux : Warren Worthington III n'avait pas remis les pieds à l'institut depuis un bon moment. L'appel des affaires. Et voilà que le soir du réveillon, un taxi le crache sur le perron avec sa petite amie du moment…

« Son assistante, Elizabeth Brad--

- Ok Betsy, dis-nous pourquoi il n'est pas en smoking blanc sur une plage hawaïenne ?

- Depuis quelque temps, monsieur Worthington ne va pas très bien et…

- Il a tenté de mettre fin à ses jours », murmure Scott Summers. Ses lunettes en rubis-quartz s'assombrissent. Logan oublie les fanatiques anti-mutants qui l'ont passé à tabac.

Elizabeth brise le silence malsain :

« J'ai pensé que vous pourriez… vous êtes ses amis les plus sincères… »

Logan hausse un sourcil. Warren avait rendu son costume après avoir été sincère envers Logan. Tout y était passé : la violence de Wolverine, son irascibilité, son incapacité à s'intégrer dans un groupe et à travailler en équipe, ses trop nombreuses absences, sa vulgarité, ses cigares, son manque de respect pour le vieux Charlie, pardon, le professeur Xavier. Logan aurait préféré régler ça en Salle des Dangers, pas dans la salle de séjour pas devant les gamins.

« Sa famille est à L.A. Ses associés sont des traîtres et des vautours, et moi je vois tous les jours ces photos sur son bureau, celle de cette école… j'ai cru… je croyais… » Des sanglots ébranlent la voix d'Elizabeth : « N'y a-t-il donc personne qui puisse lui venir en aid--

- Mais foutez-moi la paix ! »

La voix de Warren explose dans le couloir comme la Suzuki de Scott dans la neige. Il se lève, il titube. Le long manteau que Elizabeth lui a passé entrave ses mouvements. Il se débat, jusqu'à le jeter à terre et dénuder ses ailes amputées. Il se tourne alors vers Elizabeth qui tente d'étouffer un cri. Il lui murmure : « Ce soir ou demain, qu'est-ce ça pouvait bien te faire ? »