Au centre d'une porte restée entrouverte, la cellule optique de Cérébro est éteinte. Scott Summers s'avance sur la longue passerelle puis jette un coup d'œil en arrière. Personne ne l'a suivi, sauf ses empreintes dans la poussière. Une odeur de renfermé s'est emparée de la salle. La passerelle surplombe une immensité vide, une rotondité complaisante et oppressante à la fois, un lieu intime et secret, où peut être mis à jour l'inconscient de l'humanité. Le centre de l'œuf originel et de la sphère destructrice abritait l'œuvre d'une amitié inoxydable pour laquelle on a tué. Charles Xavier se tient à l'endroit où se trouvait la table de navigation et le casque pour piloter Cérébro. Scott pose la main sur le fauteuil roulant.
« Professeur… »
Scott n'avait jamais cherché à déguiser son inquiétude quand le télépathe pilotait Cérébro. Pourtant, ce soir, il en serait venu à souhaiter que la machine infernale soit réactivée par le professeur X, pour devenir une projection de lui-même. Une illusion, une de plus : si Charles Xavier avait construit Cérébro à son image, les hommes de Stryker avaient mutilé l'ordinateur dont la table de commande avait disparu sous les décombres du barrage d'Alkali Lake. Désormais, Cérébro n'est plus qu'une immense salle vide dans les sous-sols du manoir.
On m'a tant manipulé
La voix mentale de Xavier résonne en lui. Scott ouvre son esprit presque malgré lui, il ne veut plus de ce silence qu'il réserve aux plus jeunes, à ses collègues, à son entourage, à tous. Le vernis s'écaille et son cœur s'ouvre : « Professeur, je vous en prie. Warren…
- Angel… un bon garçon
- Il a fait une tentative de suicide. Son assistante l'a trouvé dans son bureau, elle l'a amené à l'institut il y a une demi-heure à peine, mais j'ignore encore si nous pourrons l'aider… Logan s'est fait passer à tabac par des fanatiques, ça m'inquiète, surtout pour les jeunes. Ils sont à l'étage, pas question de gâcher leur réveillon, mais il faudra bien qu'on leur dise qu'on va les cloîtrer dans l'institut, pour ne pas risquer le pire. »
Scott a parlé d'une traite, sans reprendre son souffle. Il n'a pas eu à chercher ses mots, son cœur parlait sans entrave, pourtant il s'est arrêté, il se souvient. Il y a un mois, Scott avait déjà dû lui parler d'un sujet que les autres évitaient soigneusement :
« Demain débute l'application officielle de la loi sur le fichage des mutants, vous savez, l'A.E.M. Dorénavant, toutes les informations concernant nos identités et lieux de résidences seront rendues publiques…
- Bien, Scott. Tu sais, il est grand temps que l'humanité sache que les mutants font partie de son quotidien. Nous n'aurons plus à nous cacher, n'est-ce pas ce que nous voulions ? »
Scott chasse ce souvenir de ses pensées. C'était il y a un mois. La situation a changé depuis.
Il prend une inspiration, ferme les yeux et récite d'une voix brisée :
« Au 1ier janvier entrera en application l'O.T.Z., l'Opération Tolérance Zéro. Autrement dit, la mise en service des Sentinelles, destinées à mettre hors d'état de nuire tout individu mutant susceptible de représenter une menace pour la santé, la sécurité et le bien-être de chacun. Le 1ier janvier, professeur, c'est dans moins de deux heures… c'est demain. Professeur ? »
Je ne sais pas« Professeur, j'ai tant besoin de vous… »
Il y a simplement des choses que l'esprit doit découvrir de sa propre initiative
« Non, pas cette fois, vous ne pouvez pas nous abandonner, pas vous, pas maintenant… »
Tu n'as jamais accepté le sacrifice : c'est là ta faiblesse
« Combien se sont déjà sacrifiés, combien devront encore se sacrifier ? Professeur ! »
La mort du corps est immédiate, celle de l'esprit est une éternelle tortureLe télépathe montrait un tel détachement face à ce qu'il endurait… Charles Xavier revêtait ce masque pour préserver un avenir à ses protégés, mais une partie du Professeur X - le maître, le guide et le patriarche qu'il avait incarnés - avait disparu avec Cérébro. Scott le savait. Mais l'avouer, c'était le renier, le mettre à mort et tuer Jean une seconde fois.
