Pas de fenêtre, pas de brèche pour appeler les vents à son secours. Les lumières se sont éteintes une à une, l'ascenseur s'est arrêté, la voilà prisonnière. Elle a du mal à respirer, elle essaie de se calmer, elle tremble et son souffle en est entrecoupé. Elle appuie sur le bouton de l'ascenseur, mais rien ne répond. Ses ongles grattent d'eux-mêmes à la porte lisse métallisée en quête d'un appui. Elle se retourne, toujours collée au mur, glisse lentement par terre. Son souffle se fait de plus en plus court, elle sait qu'elle ne peut plus rien faire, il faut juste attendre que ça passe.
Il fait nuit, elle est seule, son angoisse est de plus en plus grande. Elle s'allonge par terre pour se prouver qu'elle a de la place. Elle se souvient des gens qui l'idolâtraient. Où est passé la déesse qu'elle était ? Elle n'est plus rien en ce moment, dans une boîte faite de couloirs, elle pourrait presque penser que le Gardien joue avec elle, mais cette idée ne l'a pas effleuré.
Un éclair zèbre le ciel, pourtant si calme, dehors.
La déesse Ororo vivait un rêve ; un homme se disant professeur l'a arraché à ce rêve lorsqu'il lui a expliqué qu'elle était seulement mutante. Il lui a offert un nouveau monde où les gens la haïssent, un monde laid et cruel mais un monde réel. Elle a déjà passé bien des épreuves dans sa vie : être confrontée à la réalité est de loin la plus dure.
La pluie se fait torrent dehors, et le torrent est sur ses joues.
Elle aimerait se relever, marcher pour sortir de ce cataclysme, mais c'est au-delà de ses forces. Elle était déesse, elle a abandonné ce privilège pour devenir professeur, et maintenant elle n'est plus qu'une enfant sans pouvoir avec toutes ses faiblesses, l'enfant Ororo, seule, délaissée, sans présent, sans avenir, qui vit sans cesse dans la peur du lendemain, sans personne pour lui venir en aide, prisonnière dans les couloirs vides du sous-sol.
Elle a été voleuse et il ne lui serait pas difficile de créer un court circuit qui permettrait à l'ascenseur de venir la chercher. Mais elle pense seulement à Kitty et son pouvoir : plus aucune barrière ne la retiendrait. Elle pourrait traverser la paroi pour se retrouver dans la cage d'ascenseur, puis franchir les murs des souterrains de l'institut jusqu'à trouver une fenêtre, son premier lien avec l'extérieur.
Les néons qui courent le long des murs se rallument un à un. Les lumières éblouissent Ororo. Elle ferme les yeux et revoit l'avion qui s'écrasa sur la maison, pour emporter à jamais N'Daré, la princesse africaine et David, photographe de presse : la mère et le père d'Ororo. Elle n'avait pas cinq ans. Elle se souvient des décombres qui la tenaient prisonnière, elle se souvient de la vision de la main de sa mère, lui prouvant qu'elle ne reviendrait plus, lui prouvant qu'elle serait seule maintenant, et qu'allait commencer sa vie de fugitive et de voleuse.
Le ciel se déchire encore une fois, les éclairs violents s'apaisent peu à peu.
Elle rentre enfin dans l'ascenseur. Tout va prendre fin, elle pourra sortir d'ici quelques minutes. Elle essaie de chasser cette idée au plus vite de sa tête avant que tout ne recommence.
Les larmes continuent de ruisseler sur
ses joues tout comme la pluie
sur la pelouse de l'école.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent enfin. Elle se rue à l'extérieur. Son visage mendie la caresse de l'air libre qui séchera ses larmes. Une fois dehors, elle s'envolera. Si on la surprenait dans cet état, son cœur hurlerait de honte. Elle bouscule quelque chose, non, quelqu'un, un élève qui lui refuse le passage. Elle voudrait le supplier de la laisser abaisser cette poignée de porte qui la nargue, mais il reste immobile. Les yeux topazes d'Ororo flamboient d'indignation. Il la dévisage et lui assène le coup de grâce en ânonnant chaque syllabe : « Pro-fes-seur-Mun-roe ». L'humiliation suprême. Elle a failli, il le sait. Sa honte se mue en colère contre elle-même, contre lui. La déesse ne peut laver l'injure que dans le venin.
