« Peter, tu t'en vas ? tu nous lâches ? Le grand Colossus passe dans l'autre camp ? »

Piotr Rasputin s'arrête, la main sur la poignée de la grande porte d'entrée. Sa voix est calme :

« La loi entre en application dans moins d'une heure. Remarque, l'accès aux aéroports ne nous est pas interdit avant minuit ! J'ai de la famille en Sibérie. Tu me demandes de choisir entre deux dictatures ? Autant mourir auprès des miens, tu ne crois pas ? Mais en parlant de l'autre camp, Tornade, tu devrais y faire un tour…

- Pour aller chercher le jeune Allerdyce ?

- Pyro a choisi. Il saurait bien revenir, il connaît le chemin. Mais toi, es-tu bien sûre d'avoir choisi le bon camp ? Les mutants sont de plus en plus nombreux à s'entasser dans l'ombre, à attendre sagement qu'on vienne les déloger, les déporter, les massacrer. Dire qu'ils peuvent se défendre et tout changer, dire qu'il suffirait qu'ils se rallient tous autour d'un leader qui saurait les mener vers la révolution... » Un fort accent russe a ressurgi dans ses derniers mots.

« J'ai beaucoup appris dans cette école. Je voudrais remercier chacun d'entre vous pour ce que vous m'avez apporté.

- Mais tu pars sans même nous dire au revoir, Peter…

- Ororo… ce cours que tu as donné sur les persécutions des Chrétiens dans la Rome impériale.

- Pardon !

- C'était le premier jour de Malicia parmi nous, tu te souviens ? Tu parlais de Constantin, cet Empereur Romain qui s'est converti. Les Chrétiens ont alors pu s'afficher au grand jour… La prise de pouvoir semble nécessaire pour mettre fin aux persécutions. Qu'en dis-tu, Ororo : Magnéto président ?

- Tu divagues, Peter.

- Par le loup blanc, tu hais les humains au moins autant que Magnéto !

- Je les hais autant je le hais, lui. »

Piotr se retourne. Aucune trace de colère ne ternit son visage, mais ses yeux luisent d'une profonde tristesse : « C'est sa haine pour les humains qui l'a détruit. A cause d'elle, il a perdu la confiance de son meilleur ami : vois l'inquiétude du professeur Xavier dès que l'on évoque Magnéto. Ses idées font froid dans le dos : une dictature pour éviter un génocide… Mais le Rêve de Xavier, tu y crois ? Erik Lehnscherr a d'immenses qualités qu'il a dédiées à nous autres, les mutants.

- Et c'est moi qui devrais rejoindre la Confrérie ?

- Aah… la Confrérie des Mauvais Mutants : les méchants, c'est pas nous… sauf qu'il n'y a plus vraiment de nous. Je suis fatigué de jouer un jeu auquel plus personne ici ne croit.

- Attends ! Comment oses-tu parler ainsi des X-men ? Reviens, Peter ! Reviens ! »

Tornade lui saisit le bras. Il se dégage de son étreinte, sans retenir sa force naturelle. Ororo perd l'équilibre et chute. Piotr l'entend tomber. Il repasse la porte, l'air inquiet. Ororo s'est déjà relevée. Ses joues s'empourprent de colère. Une gifle devance les excuses du jeune Russe. C'est la surprise et non la douleur qui scelle ses lèvres. Piotr réalise trop tard que son corps a laissé place à son avatar d'acier. Instinctivement, pour prévenir une menace. Sauf qu'Ororo vient d'y voir un défi. Elle se jette sur lui, ils roulent ensemble sur le perron et dévalent l'escalier de pierre. Des grêlons dégringolent du ciel noir dans un fracas assourdissant qui couvre les cris et les coups. Un homme se jette dans la mêlée et tente de les séparer. C'est Logan. Il gueule dans la nuit. Sa veste en jean pue l'alcool, l'essence et le sang séché. Une manche semble avoir été coupée net par un laser. Derrière lui, il y a Scott. Sa chemise lacérée n'est plus qu'une guenille. Il prend Tornade par le bras et l'invite à rentrer. Elle apaise le ciel en quelques instants et bafouille : « Il nous quittait. Ce lâche, ce traître…

- Sans sa valise ? Sans ses dessins ? Sans sa petite sœur ? Allons 'roro, rentrons, tu veux ? »

Piotr soupire, monte dans sa chambre, referme la porte et s'assied sur le lit. Du plafond jaillit une fine silhouette qui se pose délicatement sur le sol. Ariel… Kathryn 'Kitty' Pryde. Piotr devine l'esquisse de deux fossettes sous ses yeux de chat et lui rend son sourire.