Première partie : Le Crépuscule
Chapitre 1 : Cauchemar au cœur de la nuit
La nuit constellée d'étoiles clignotantes se peignait d'un bleu si foncé qu'il paraissait noir. Le croissant de lune d'une blancheur blafarde hasardait ses rayons invisibles à travers la plus haute fenêtre d'une petite maison qui se noyait parmi ses semblables. Une demeure insignifiante, banale, ni laide ni belle, juste plantée sur une herbe trop courte, dans le flot gigantesque de maisons trop identiques. Si on s'aventurait au 4, Privet Drive, dans une chambre aussi grande qu'une salle de bains, au papier peint sale, déchiré et terne, aux coins cornés d'humidité, au parquet poussiéreux craquelé et au lit bombé… si on se glissait sous les draps d'un blanc opaque surélevés, d'où s'échappait une étrange lueur lumineuse et magique… on découvrait un adolescent recroquevillé pour ne pas dépasser des couvertures qui le cachaient, aux yeux émeraude ivres de fatigue, un teint livide, une baguette de bois brillant serrée dans la main, un parchemin déroulé sur ses genoux. Il s'y inscrivait des runes étranges, des dessins et gravures effrayantes de réalisme, des formules complexes incompréhensibles… pour un moldu peut être, mais certainement pas pour un sorcier. Harry Potter passa une main moite sur son visage, ajusta ses lunettes rondes sur son nez et se plongea dans son devoir de défenses contre les forces du mal. Sa matière préférée lui posait des problèmes ce soir… Il ne comprenait rien… Il faut dire qu'à deux heures et demie du matin, une nuit d'été à la chaleur écrasante, presque fiévreuse, il s'avérait difficile de se concentrer sur quoi que ce soit… Harry fit courir sa baguette dont la pointe projetait une vive lumière dorée sur le parchemin ocre et entreprit de déchiffrer le sens des formules qui s'étalaient devant ses yeux écarquillés.
Spero patronum… Averno Purifica… Finite dolorissa… chuchotait Harry le plus bas possible, le visage dans les mains.
En récitant machinalement les sortilèges, l'esprit de Harry s'égarait dans le monde des rêves ; les écritures devinrent floues, sa concentration s'évapora, la lueur de sa baguette disparut, ses paupières se clorent… Averno patronum… non… zut, la formule… Le garçon luttait contre le sommeil qui s'emparait de son corps et son âme… mais…
Harry ferma entièrement les yeux, glissa lentement sur le côté et s'effondra mollement sous les draps qui le recouvraient encore. Sa baguette s'échappa de sa main entrouverte, le parchemin se plia entre ses genoux. Un noir intense englobait Harry… tel une bulle d'encre sombre, aqueuse, qui l'enveloppait… Sa conscience s'éteignit, son corps de détendit… Il s'endormit sans même s'en apercevoir.
Sitôt plongé dans le sommeil, une vision s'insinua dans l'esprit embrumé de Harry. Une pièce inondée de pénombre, au sol dallé de marbre glacial, faite de murs en pierre rugueuse et maculée de poussière, se dessina avec lenteur et précision. Des toiles d'araignées s'enchevêtraient sur les poutres pourries, quelques rats noirs aux yeux en amande rouge sang galopaient furtivement d'un repère à l'autre. Une atmosphère horriblement lugubre, presque effrayante, pesait sur la salle comme un spectre sans nom. Harry ne se souvenait pas avoir jamais connu cette salle… L'angle de vue tourna et un fauteuil pourpre rapiécé, à l'allure morne et inquiétante, se matérialisa dans le rêve de Harry. Il le contourna pour voir si quelqu'un s'y asseyait…
Il fut secoué d'un spasme si violent que son cœur rata un battement. Un spectre, un fantôme, une chose terrifiante logeait dans le fauteuil, les bras tendus devant lui. Une odeur de mort extrêmement forte l'encerclait, on apercevait ses os et ses entrailles délabrées à travers sa peau transparente lacérée. Son cœur battait vite, avec un bruit de martèlement, et s'échappait presque de sa poitrine. Son visage émacié, tordu par une expression de démence infinie, se secouait d'avant en arrière. Des cheveux mi long, qui avaient pu être noirs, encadraient sa tête maculée de sang séché. Ses yeux s'exorbitaient d'une manière horrible… Il entrouvrit la bouche pour parler et un serpent s'en échappa, long et luisant d'un vert nauséeux, à la place d'un mot. Après avoir vomi le reptile, le spectre s'étrangla et se redressa, en prononçant d'une voix éraillée, blanche, douloureuse…
Harry… Harry…
Si les borborygmes de la chose se faisaient murmure à peine audible, le hurlement déchirant de Harry, à se briser définitivement les cordes vocales, de toutes ses forces, avec l'énergie de la terreur, réveilla la moitié des habitants de Privet Drive.
AAAAAAAAAARRRRRRRRRGGGGGGGGHHHHHHH! NOOOOOOOOOOOOOOOONNNN ! AAAAAAHHHH !
Harry fut secoué d'un nouveau spasme, sursauta dans son lit et ouvrit brusquement les yeux, une main plaquée sur sa cicatrice brûlante, qui semblait lui broyer le crâne, tel un fer chauffé à mille degrés. Une nausée d'une violence indescriptible le saisit et tordit ses entrailles. Il lutta de tout son être pour ne pas vomir, une main pressée sur son T shirt ruisselant de sueur au niveau de son cœur, l'autre appuyée sur sa cicatrice en forme d'éclair. Des flash de son cauchemar le harcelaient, il revoyait cet être… ce serpent… Mon dieu, c'était… Cette chose repoussante… Sirius !
Un haut le cœur étreignit Harry qui se pencha en avant et plaqua une main sur ses lèvres. Il respira à fond plusieurs fois, comme s'il s'oxygénait d'autre chose que de l'air, avec un râle gémissant, pour éviter de déverser sa nausée. Son souffle se bloquait par instant, sa tête tournait, ses oreilles bourdonnaient, ses yeux de jade s'inondaient de larmes en se remémorant le cauchemar atroce dont il était le créateur et la victime.
Sa tante Pétunia, alertée par le cri insupportable et prolongé, déverrouilla la porte qui s'ouvrit à la volée et se jeta sur le lit de son neveu, le haut du corps penché par-dessus le rebord du matelas, blême comme la mort, une main plaquée sur sa cicatrice. Quelque chose de très grave venait d'avoir lieu, elle le sentait, jamais elle n'avait vu Harry dans un tel état de faiblesse, terrifié… Elle fit alors une chose qu'elle ne pensait jamais exécuter, cet effort pourtant maternel et naturel, dépourvu d'existence chez son âme aussi sèche que son corps. Pétunia se pinça les lèvres et, d'un geste d'une infinie douceur pour ses grandes mains rugueuses, elle enlaça Harry et le serra dans ses bras maigres. Harry, ce garçon qu'elle haïssait… Pourquoi s'étaient-ils attirés tant d'ennuis à héberger une « bombe à retardements » dans leur paisible maison ? Comment sa sœur contenait un pouvoir en elle, qu'elle-même ne possédait pas ? La magie signifiait la mort, sans aucun doute… Surtout si elle concernait un certain Harry Potter… Mais en le découvrant en sueur, livide, effrayé comme un enfant… Elle se devait de le consoler…
Harry, agité de convulsions et de sanglots précipités incontrôlables, se blottit contre cette femme grande, mince et froide, déversa toute sa peur et ses larmes sur le seul être qui le rattachait à ses parents… Il toussait, gémissait, et l'étreinte de sa tante se resserra un peu plus. Elle fredonnait des mots apaisants, calmes, comme une douce mélodie, les premiers qui s'échappaient de ses lèvres depuis seize ans :
C'est fini, Harry… N'aies pas peur, je suis là… Ce n'était qu'un mauvais rêve, n'y pense plus… Calme toi, tout va bien… Ne pleure pas, Harry…
L'oncle Vernon qui, malgré ses ronflements sonores, avait perçu le terrible hurlement de son neveu détesté, apparut dans l'entrebâillement de la porte, en pyjama, plus violacé que jamais, la moustache emmêlée, le regard haineux. Son fils, Dudley, plus large que haut, aussi gras qu'une baleine, se fraya un passage entre son père et la porte – ce qui ne fut pas mince affaire étant donné sa corpulence – pour comprendre la raison de tout ce brouhaha. Lui et Vernon frôlèrent la crise cardiaque en apercevant un Harry maladif et une Pétunia pleine de tendresse l'un contre l'autre. Pétunia s'en rendit compte et recula un peu Harry d'elle, très doucement. Il entrouvrit un œil vitreux apeuré et pressa la main de sa tante pour se rassurer. Elle ne la rejeta aucunement.
C'était affreux… Si-Sirius… Il était… là… mort… et un… serpent… Il… n-non… au secours… bredouilla Harry d'une voix blanche et chevrotante de sanglots.
Ce n'était qu'un cauchemar, rien n'était réel… C'est fini… Là, calme toi, Harry… Regarde moi… murmurait Pétunia, toujours sur ce ton mélodieux.
Harry ne parvenait pas à assimiler les paroles de la femme qui le tenait dans ses bras. Il entendait simplement ce fredonnement lointain et chaleureux… Mais il était incapable de comprendre quoi que ce soit. D'ailleurs, il n'était plus capable de rien. Harassé de peur et de fatigue, nauséeux et fiévreux, le corps douloureux, Harry ferma ses yeux d'émeraude comme on éteint une lumière vive, lâcha la main de sa tante, sa tête bascula sur le côté et il perdit conscience. Pétunia le retint de tomber en le soutenant fermement ; elle l'allongea sur le lit, le borda, l'embrassa furtivement et s'éclipsa silencieusement de la chambre, en refermant la porte sans la claquer derrière elle.
Le reste de la nuit se déroula sans incidents, et l'étonnante clarté de la lune pâlissante reprit ses droits pour projeter sa luminescence sur la création endormie.
