Bonjour, bonjour !

Bon, je me suis rendu compte que j'avais oublié de poster cette histoire sur ffnet. J'ai posté ce chapitre la semaine dernière sur AO3 puis je vous ai oubliés. Oups.

Bienvenue dans le résultat de mon NaNoWriMo 2021. C'est toujours en cours d'écriture, il y aura six parties, je suis actuellement en train d'écrire la partie 4.

Il s'agit d'un UA Soulmates TobiIzu. The Broken Compass est entièrement Izuna-centric : c'est son point de vue et uniquement son point de vue qui est écrit.

J'ai pour projet d'écrire également le point de Tobirama (The Lightning Sword) et le point de vue de Madara (Engraved In a Heart Made of Stone).

L'histoire d'amour sera longue à venir, parce que c'est moi qui écris et si vous me connaissez, vous savez combien j'aime les slow burns.

Voilà, j'espère que ça vous plaira !


Partie 1

Emmitouflé dans un manteau épais qui coupait à la fois le vent et le froid, mais n'empêchait ni l'un ni l'autre de s'engouffrer dans son col, Izuna contemplait l'immense étendue d'eau tout autour d'eux, un léger vertige se saisissant de lui quand il constata que la côte à tribord paraissait minuscule vue d'ici.

Atteindre la capitale aurait été bien plus rapide par la terre que par la mer, pensa Izuna, appuyé contre le bois de la proue, mais son père avait préféré naviguer plutôt que risquer de tomber dans une embuscade tendue par les Senju si près de son dixième anniversaire.

C'était la première fois qu'il faisait le voyage. Quand ils avaient embarqué, Madara s'était fendu d'une moue peu impressionnée, sa démarche nonchalante déambulant sur le pont avec une aisance qui avait renouvelé l'admiration que lui portait son cadet. Madara avait déjà fait ça, quelques années plus tôt.

Comme tous les Uchiha, pour leurs dix ans, leur père les conduisait à la capitale. Il ne s'agissait pas d'une présentation officielle au Daimyo, comme aurait pu le faire un clan shinobi de l'envergure des Uchiha, non, c'était quelque chose d'autrement plus important.

Izuna n'avait pas eu les détails sur le déroulement des événements une fois qu'ils auraient accosté au port. Madara avait refusé de lui en parler pour lui laisser la surprise pleine et entière et si Izuna détestait les surprises, il aimait suffisamment son frère pour lui faire confiance à ce propos.

Alors il autorisait son esprit à vagabonder quand le reste de sa famille s'enfermait dans leur coin de bateau, un endroit dont il avait perdu le nom tant il avait dû apprendre de nouvelles choses ces derniers jours, entre les ponts, les mâts et les nœuds.

Le voyage organisé par Tajima était fastueux. Après tout, Izuna était le petit dernier de la fratrie et rien ne comptait plus pour les Uchiha que ce rituel qui marquait l'entrée dans l'âge adulte : l'obtention de l'Artefact d'Âme.

Une bourrasque siffla, fouettant son visage, piquant ses joues de sel et d'embruns, faisant voltiger ses cheveux tout autour de lui et il tenta de les réunir dans ses mains pour les plaquer sur son crâne. Il pouvait déjà dire qu'il détestait la sensation de ses cheveux poisseux d'iode, de ce goût omniprésent sur sa langue et de l'impression que le vent laissait sur sa peau.

Tajima avait économisé toute la vie d'Izuna pour être certain de pouvoir lui offrir ce voyage, malgré la situation de guerre permanente. Il avait été rude de se serrer la ceinture, les économies de bout de chandelle conduisant Izuna à récupérer les vieux vêtements de ses aînés, ceux qui étaient morts avant sa naissance ou ceux de Madara qui grandissait trop vite. Ses armes provenaient des armureries Uchiha, étaient autrefois à des cousins tombés au combat, avaient été collectées sur les champs de bataille, les armes plutôt que les corps des frères morts, le clan n'étant plus assez prospère pour lui offrir ses propres affaires.

Tajima disait toujours qu'un bon chef de clan se devait de mener l'exemple en tout.

Pourtant, ce voyage était celui des grandes premières pour Izuna.

La première fois qu'il voyait la mer, infinie, immense et inquiétante, brillant de mille feux sous la lumière d'un soleil d'hiver, sombre comme la nuit dès que le ciel s'obscurcissait. Il n'était pas préparé à un tel spectacle.

Quand il avait remarqué, après le troisième jour de navigation au large, qu'il n'était entouré que d'eau, qu'il n'y avait pas de terre, que seul le roulis des vagues portait le brise-glace, il avait chuté sur les fesses, étourdi, ses genoux refusant de le porter plus longuement. Il s'était relevé, massant la zone endolorie et fixant un regard noir sur Madara, comme le défiant de se moquer, mais son frère n'avait pas ri.

Voir la mer pour la première fois faisait cet effet au plus grand nombre, avait avoué un des marins. Il avait encore la peau tannée par le soleil, malgré l'hiver avancé, et portait des vêtements un peu moins épais que les ninjas, passagers précieux pour un bateau en route vers la capitale.

Ce serait aussi la première fois qu'Izuna posséderait un objet qui n'appartiendrait qu'à lui. Il ne pouvait le donner à personne et personne ne pourrait le lui prendre. Il serait intrinsèquement lié à son être et personne n'en avait eu l'usage avant. Dans quelques jours, Izuna allait recevoir son Artefact d'Âme et cette simple désignation le faisait trembler d'excitation.

Depuis qu'il était monté sur le brise-glace, il avait mis de côté son entraînement, la guerre, l'idée qu'il était un shinobi, aussi bien que le fait que cette cérémonie marquerait son entrée sur le champ de bataille.

Les seules choses auxquelles il réussissait à penser était son âme sœur et l'Artefact d'Âme qui lui permettrait de la retrouver, où qu'elle soit.

Il ne parvenait pas à se figurer à quoi elle allait ressembler, mais il avait l'imagination fertile et beaucoup de temps libre depuis qu'ils naviguaient.

Il la souhaitait grande, brune, belle et forte, une kunoichi incroyablement douée, mais c'était peut-être parce qu'il avait trop feuilleté les histoires d'amour que lisait la cousine Mayu, profitant de ses absences pour se faufiler dans sa chambre et fouiller à la recherche de quelque chose pour se divertir.

Il espérait aussi que son Artefact serait plus élégant que celui de son frère. Malgré tout le génie de Madara, il avait choisi pauvrement et s'était retrouvé avec un vieux galet tout plat. Tajima n'avait eu de cesse de pincer les lèvres à chaque fois que c'était évoqué et quand Izuna avait essayé d'en parler avec son aîné, celui-ci avait seulement haussé les épaules avec un soupir. « On ne choisit pas, Izuna. Tu verras ». C'était la seule information qu'il avait pu glaner sur la cérémonie.

Il allait être conduit dans une boutique de la capitale, Uzumaki : Sceaux & Artefacts d'Âme. Elle traitait principalement avec les Uchiha, mais d'autres clans aimaient à se fournir chez eux. Takeshi Uzumaki, le propriétaire et maître des sceaux qui y exerçait, était un exilé d'Uzushio. Il avait trouvé refuge auprès du Daimyo qui lui avait garanti une protection en échange de livraisons régulières en sceaux de défense. Les artefacts d'âme étaient un à-côté que le vieux maître du fuinjutsu aimait à réaliser, en dehors de son travail pour la cour.

Le bateau ballotta et Izuna crispa ses mains sur le bois, tentant de garder une contenance malgré tout. Il ne voulait pas montrer que l'eau l'inquiétait. Il fronça les sourcils, momentanément ramené vers ses terres où les escarmouches avec le clan Senju ne tarderaient pas à reprendre, après la fonte des glaces.

L'eau lui faisait immanquablement penser à Tobirama Senju, le plus jeune fils vivant de Butsuma Senju. Izuna se plaisait à l'imaginer comme un rival, mais il était inquiétant, avec sa maîtrise du suiton. Quoiqu'ils se soient plutôt affrontés au taijutsu plus qu'avec le ninjutsu, il n'en restait pas moins que des échos de son expertise commençaient à parcourir le clan Uchiha ses alliés. D'aucuns disaient qu'ils n'avaient pas vu telle compétence à un âge si tendre depuis l'Ermite Rikudo en personne et que le jeune Tobirama se dessinait peu à peu comme le prochain grand maître du suiton.

Certains plaisantaient : d'ici quelques années, Tobirama parviendrait à tirer de l'eau même dans le désert, mais Izuna ne riait pas. Il ne voyait pas en quoi une telle perspective pouvait prêter à rire.

Instinctivement, il porta une main à son bras droit, frottant le manteau à l'endroit où se cachait une cicatrice durement acquise. Il la devait à ce maudit Senju et l'avait dans son collimateur depuis.

Il secoua la tête, refusant de laisser le souvenir de son rival gâcher le moment où il allait recevoir son Artefact. De toute façon, depuis la pseudo-trêve hivernale exigée par le Daimyo, les Senju s'étaient faits discrets.

Il tapota le bastingage de bois de sa main gantée, frissonna encore une fois quand le vent souffla, puis il arracha à regret son regard de la mer, déterminé à retourner vers la cabine où son père et son frère devaient avoir fini de parler de la suite des préparatifs.

Avant de s'engouffrer à l'intérieur du bateau, il se demanda vaguement si le katon fonctionnait correctement dans un environnement aussi humide et il se jura d'essayer la nuit tombée.


Quand ils accostèrent au port, Izuna fut une nouvelle fois enseveli par la quantité de choses qu'il y avait à écouter, voir et sentir, les docks étaient agités par une activité foisonnante et il avait envie de courir partout pour parvenir à toucher, goûter et observer chacune de ces découvertes étonnantes.

Madara saisit son épaule avant qu'il ne puisse pas sauter au bas du bateau, secouant la tête, un sourire taquin frissonnant sur son visage.

— Reste tranquille, Izu, Père doit d'abord nous enregistrer auprès du capitaine de port.

— Pour faire quoi ? grommela Izuna en trépignant.

D'un geste souple, Madara l'écarta du chemin d'un docker chargé, le remettant à sa place l'instant d'après et Izuna admira un peu les réflexes de son frère, contrôlant finalement ses ardeurs, soufflant doucement pour calmer les battements sourds de son cœur. Une odeur de poisson monta à son nez, suivie par des épices enivrantes et il baissa les yeux, sa bouche se tordant, alors que Madara répondait.

— La trêve hivernale. Les shinobis présents dans la capitale sont obligés de se déclarer au capitaine du port ou aux gardes des portes. Les samouraïs nous surveillent.

— Ils pourraient vraiment nous arrêter si on engageait le combat ?

Le scepticisme dans la voix d'Izuna fit sourire Madara. Il dégagea ses cheveux de son col – ils arrivaient presque en dessous de ses omoplates, maintenant, et formaient une masse épaisse et indomptable qu'Izuna n'enviait pas. C'était peut-être la seule chose qu'il aimait mieux chez lui que chez son frère, ça. Ses cheveux.

La moue taquine de Madara se renforça, fronçant son nez et faisant pétiller ses yeux de malice.

— Non, mais on les laisse y croire. De toute façon, continua-t-il en faisant signe à son frère de le suivre quand leur père les interpela depuis l'autre bout du promontoire, nous ne sommes pas là pour engager le moindre combat. Il y a beaucoup plus important.

Il tendit les doigts, fouetta le nez d'Izuna d'une pichenette qui fit se crisper le plus jeune. La protestation resta molle, malgré tout, Izuna ajustant la sangle de son sac sur son épaule, slalomant avec grâce entre les badauds pour qu'ils puissent rejoindre Tajima qui les attendait.

Leur père ne prononça pas un mot avant d'être arrivé à l'auberge. Les deux frères en profitèrent pour échanger des avis sur ce qu'ils voyaient, sur les odeurs nouvelles et les couleurs étranges qu'ils n'avaient pas vraiment l'occasion de porter sur des vêtements – comme cet orange criard, par Amaterasu, aucun ninja digne de ce nom n'accepterait de se vêtir en orange !

Ils avaient quitté leurs terres en comité réduit. Tajima ne voulait pas prendre trop de risques en amenant avec eux plus de shinobis actifs. Aucun clan n'était à l'abri d'une traîtrise et il n'était pas garanti que la trêve perdurerait jusqu'à la fonte des glaces. Priver les Uchiha de Tajima et Madara était déjà un coup dur.

Pour autant, le chef de clan n'aurait manqué cette cérémonie pour rien au monde. Izuna se redressa quand son père lui porta un regard doux et fier alors qu'il fermait la porte du dortoir qu'ils partageraient pour quelques jours.

Quand ils eurent pris possession de leur couchage et après s'être délestés de tout l'équipement inutile, Tajima accepta de se laisser aller, ordonnant d'un geste à ses fils de se détendre à leur tour.

Ils se chamaillèrent un moment, Madara gagnant par un coup en traître à base de chatouilles sur la plante des pieds et ils finirent par s'allonger sur leur futon sur l'œillade attendrie de Tajima qui s'était installé plus loin, consultant un rouleau de parchemin.

Quand il fut sûr que ses deux fils avaient finalement évacué leur trop-plein d'énergie, il les interpela, les faisant venir près de lui. Ils s'assirent en tailleur, silencieux quoique toujours un peu agités et au bout d'un moment, Madara humecta ses lèvres, retrouvant son calme, imité par son frère.

L'air sérieux sur le visage de son père inquiétait Izuna. Il massa une dernière fois son pied agressé, le chatouillis fantôme s'attardant dans un creux inattendu, puis il croisa les mains, patientant jusqu'à ce que Tajima prenne la parole, ce qu'il fit sans tarder.

— Demain sera ton jour spécial, Izuna. Demain tu fêteras tes dix ans. Comme ton frère avant toi, comme moi avant lui et comme mon père avant moi, et tant d'autres encore, tu recevras ton Artefact d'Âme.

Le ton était solennel, comme le hochement de tête d'Izuna ou la posture de Madara. Le cadet prit une respiration fébrile en observant l'un après l'autre son frère et son père, remarquant à quel point ils étaient tous semblables : les mêmes cheveux noirs, la même forme de visage et surtout les mêmes yeux noirs semblables à de l'obsidienne.

Il réalisa que c'était à son tour de parler et que la prestation de serment avait commencé. Intimidé, il se replaça correctement, avant de lever un menton déterminé pour réciter les mots.

— Je suis prêt à recevoir l'Artefact d'Âme, Père. Je promets d'en prendre soin, de le traiter avec toute la déférence qu'il mérite, lui qui me guidera sans faille jusqu'à mon âme sœur. Je l'aimerai et le chérirai qu'importe la forme qu'il prendra parce qu'il est celui qui conduira mes pas jusqu'à cet amour parfait.

Une tension qu'il n'avait pas remarquée chez son frère se dénoua quand il acheva la tirade apprise depuis son plus jeune âge. Il n'en avait pas vraiment saisi le sens la première fois qu'il l'avait prononcée, mais à présent il comprenait pourquoi Madara avait toujours refusé d'admettre que son Artefact d'Âme était nul. Ce serait comme trahir un serment fait aux Dieux en personne et ce n'était jamais une bonne idée.

Il hocha la tête avec conviction alors que son père lui souriait, reprenant le cours de son discours.

— Quand tu auras trouvé ton âme sœur, il te faudra la revendiquer, la porter aux nues et la chérir, comme j'ai chéri votre mère, comme je la chéris encore par-delà la mort. Cet amour te sauvera comme il sauve chaque Uchiha. Il te suivra et te soutiendra, te donnera ta puissance, ton courage et plus encore. Il sera là pour pallier tes défauts et compléter tes forces. Est-ce que tu comprends, mon fils ?

— Oui, Père, je comprends. Et je jure, à l'instant même où je rencontrerai mon âme sœur, de compléter le lien et de le défendre jusqu'à ma mort.

À côté de lui, Madara se trémoussa d'inconfort, Izuna fronça les sourcils et réfléchit à ce qu'il avait oublié. Il mordilla sa lèvre en levant les yeux vers son père qui murmura « et cet amour sera… » avec un regard encourageant et un sourire sur les lèvres.

— Et cet amour sera, répéta le jeune shinobi, ma seule allégeance et passera avant le clan, avant le sang. Parce qu'elle sera mon tout.

Dignement, Tajima saisit la bougie qui se consumait à côté de sa main droite, puis il l'inclina vers le parchemin, laissant la cire goutter lentement. Finalement, il y appliqua un sceau et la pression se relâcha.

— Ce rituel est un peu vieilli, commenta-t-il. Mais la tradition perdure… Il faudrait que j'envisage de le faire réécrire par les Anciens, la partie disant que le lien d'âme passe avant le clan est gênante.

Les deux frères hoquetèrent et Tajima leur jeta un regard neutre.

— Les traditions se changent. Imaginez que l'un des nôtres ait son âme sœur dans un clan ennemi. Il ne faudrait pas que nos secrets servent aux Senju pour nous asservir.

— Mais les Senju n'ont pas d'âme sœur, ricana Izuna. C'est Setsuna qui me l'a dit.

Une fois de plus, Madara se trémoussa sans grâce, mais ni son frère ni son père n'en tinrent compte, Tajima esquissant un sourire à la boutade lancée par son cadet.

— Un autre clan, alors, modifia-t-il. Pas forcément les Senju. Toujours est-il que demain sera une longue journée. Nous sommes attendus tôt chez Takeshi. Il sait que notre famille est difficile à contenter en termes d'Artefact d'Âme.

Il était rare que le visage de Tajima soit aussi détendu. Il était ouvert à la discussion, souriant et son esprit n'était plus en guerre, le temps d'une soirée.

Il raconta longuement les anecdotes des Artefacts d'Âme des générations précédentes, comment ils avaient atterri entre les mains des Uchiha d'avant, comment Takeshi les avait liés et il profita pour refaire une leçon sur les sceaux Uzumaki, particulièrement l'art de forger des Artefacts d'Âme, une compétence unique et rare.

Izuna n'écoutait qu'à moitié, l'oreille bercée par les histoires incroyables de son arrière-grand-mère Naori, une Uchiha reconnue et adorée qui avait dirigé le clan d'une main de fer et qui l'avait protégé comme une louve, risquant ses propres yeux pour les mettre hors de danger.

Naori était son ancêtre préférée. Elle était puissante, digne et discrète, meurtrière. C'était une grande kunoichi et une des rares femmes à avoir pris la tête du clan. Il finit par s'endormir, lové contre son frère.


La boutique de Takeshi Uzumaki se trouvait dissimulée au fond d'une ruelle assez loin tout à la fois du palais du Daimyo et de l'auberge dans laquelle ils avaient trouvé refuge la veille.

La façade de l'endroit était usée, défraichie, si bien qu'Izuna prit une pause avant de franchir la porte pour l'examiner plus en détail. L'inscription se lisait à peine, effacée par le temps, et rien ne semblait indiquer qu'un maître des sceaux exerçait à cet endroit.

En vitrine, des objets étranges, inquiétants ou insolites trônaient et les rétines d'Izuna s'arrêtèrent sur un petit alligator en jade qui le regardait avec des yeux globuleux. Il cilla, se demandant un instant qui pourrait vouloir d'un tel objet, si c'était un bijou ou un ornement quelconque. Quand son père le rappela à l'ordre, il fit la moue et se détourna de la vitrine, passant finalement le seuil pour pénétrer dans la boutique.

Dire qu'il s'attendait au spectacle qui s'étendait sous ses yeux était un mensonge. Il avait pensé que l'endroit serait sombre, désordonné et sordide, s'il en croyait la façade. Il aurait dû savoir que se fier aux apparences pouvait conduire à la mort. Dans un combat, l'instant de surprise qui l'avait saisi quand il avait franchi le seuil aurait pu lui coûter la vie.

La pièce immense dans laquelle il entra en premier était lumineuse, bien rangée, occupée par des présentoirs, des étagères. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour tenter d'apercevoir l'alligator en jade, mais la haute silhouette de son frère lui dissimulait la vue. Madara lui tira la langue, s'amusant grandement de l'air qu'arborait son cadet. Izuna répondit en fronçant les sourcils et son père le poussa en avant du plat de la main, le forçant à se concentrer sur le vieil homme qui s'avançait vers lui.

— Je suis Takeshi, se présenta-t-il rapidement avant de tourner autour d'Izuna qui se tendit immédiatement.

Plus tard, il rirait sans doute en imaginant son frère s'électriser à l'idée qu'un vieux se tenait derrière lui, mais pour l'instant, il se contentait de suivre du regard l'Uzumaki qui virevoltait d'un bord à l'autre de son champ de vision. Il y avait quelque chose de répugnant dans la façon dont l'homme tournait autour de lui comme un faucon et finalement, Izuna frissonna quand l'homme posa la main sur son crâne.

— Je vois, prononça Takeshi après de trop longues secondes de cet examen minutieux. Je vais devoir changer la base, l'habituelle n'ira pas.

Izuna se hérissa, Tajima l'apaisa d'un geste de la main, attrapant son épaule avec fermeté.

— Takeshi ? demanda le chef de clan.

Le vieil homme humecta ses lèvres, désigna Izuna d'un mouvement vague, reculant assez et retirant ses doigts des cheveux où ils étaient restés.

— Celui-là est différent des autres. Pas d'inquiétude, Tajima. Je sers votre clan depuis suffisamment de temps pour que vous n'ayez pas la moindre raison de vous défier de moi. Je dois seulement apporter quelques subtilités supplémentaires à la base du sceau. Inclure une protection imprévue, assouplir les accroches du lien. Rien de bien méchant.

Pas vraiment apaisé, Tajima hocha tout de même la tête, sa main restant sur l'épaule de son fils cadet et se contractant légèrement. Le vieil Uzumaki finit par ramener ses yeux sur Izuna, lui adressa un sourire qui sonnait faux.

— Ton frère et ton père vont aller patienter dans la salle d'à côté. Attends ici.

Une nouvelle fois électrifié par les impulsions que l'homme modulait dans sa voix, Izuna se tendit, s'apprêta à répliquer vertement, mais il se contint quand il vit que tout aussi bien Madara que Tajima répondaient à l'ordre à peine voilé.

Que le vieux qui lui faisait face puisse si facilement se faire obéir des deux Uchiha les plus puissants vivants en disait long sur ses capacités, mais ça n'empêcha pas Izuna de plisser les yeux avec méfiance.

— Qu'est-ce qu'il y a de différent chez moi ? Que suis-je censé faire en vous attendant ? Qu'est-ce que c'est, une base de sceau ? Pourquoi est-ce que vous devez la modifier pour moi ? Est-ce que c'est parce que je suis différent ? Ça sonne comme une insulte. Tous ces objets, c'est quoi ? Pourquoi est-ce que mon frère ne peut pas rester avec moi ?

Takeshi eut le mérite de paraître surpris par l'ensemble des questions. Il sourit en toisant Izuna, haussant un sourcil.

— Futé, complimenta-t-il. Manque encore de subtilité. Bon potentiel. Reste là. Pas bouger.

Il disparut, laissant Izuna outré par ce manque de réponse délibéré.

Le jeune shinobi demeura immobile pendant quelques minutes, tendant l'oreille pour essayer de percevoir quoi que ce soit dans l'épais silence qui régnait sur le magasin. Il n'entendait rien d'autre que le vague bourdonnement des voix de sa famille dans la salle d'attente et aucun son significatif ne provenait de l'arrière-boutique dans laquelle Takeshi avait disparu.

Le premier quart d'heure passa sans qu'il bouge d'un millimètre, malgré tout l'ennui qu'il ressentait. Au loin, il y avait le brouhaha provenant de la ville, le clapotis de l'eau et un grincement étrange dont l'origine resterait probablement mystérieuse tant qu'il serait coincé dans cet endroit.

Ses yeux se promenaient sur les objets qu'il pouvait voir sans bouger : une horloge dont le tic-tac sourd avait été étouffé par un sceau de silence, un collier clinquant en or massif qui devait être aussi lourd que dangereux à porter tant il plaçait une cible facile sur son propriétaire, un katana à la lame visiblement ébréchée et émoussée, une foule de machins inutiles qui lui firent hausser un sourcil.

Le second quart d'heure qu'il passa à observer le plafond eut raison de sa patience. Il commença à se déplacer parmi les rayonnages de la boutique, les mains croisées dans le dos. Il vit une mappemonde imprécise, une cage à oiseau, une estampe ancienne, des objets fraîchement forgés, des livres aux pages qui semblaient blanches. Rien qui n'attirait son attention.

Alors qu'il revenait vers l'entrée de la boutique, il eut soudainement envie d'examiner de plus près l'alligator en jade qui se trouvait dans la vitrine.

Il s'immobilisa, se pencha quelques secondes plus tard et tendit l'oreille, ses yeux analysant toutes ouvertures disponibles pour vérifier que le vieux maître des sceaux ne se montrait pas, puis il s'approcha à pas de loups de la vitrine, se glissant dans l'alcôve qui servait à l'atteindre.

Il allongea les doigts et l'ensemble de son corps se contorsionna pour essayer de saisir l'objet et, dans le secret de son esprit, il maudit sa petite taille avant de revenir à sa position d'origine. S'il voulait atteindre le bijou de jade, il allait lui falloir une impulsion supplémentaire.

Il se mit en position, prêt à bondir quand un son sourd le surprit, l'interrompant dans son geste. Automatiquement, ses yeux balayèrent la pièce à la recherche de la source du bruit.

Ce fut alors qu'il la vit.

La boussole.

Oubliant tout de l'alligator de jade, Izuna retint son souffle alors qu'il avançait vers l'objet qui était apparu dans son champ de vision, posé sur un écrin de velours noir. Émerveillé, il s'approcha de plus en plus près et ne s'aperçut qu'à peine qu'il saisissait la boussole dans sa main pour effleurer l'argent, ouvrir le capot et contempler l'aiguille résolument pointée vers le nord. Il le referma et le clapet émit un son qui résonna dans le silence, mais il n'y prit pas garde, se contentant de la retourner pour examiner le métal avec attention.

Il n'y avait pas la moindre trace dessus. Pas le plus petit coup ni de rayure d'aucune sorte. C'était comme si, véritablement, elle venait seulement d'être fabriquée et posée sur son coussin de velours, prête à atterrir dans la boutique miteuse d'un Uzumaki en exil.

Il sursauta quand il entendit des bruits de pas revenir vers lui et ses doigts se crispèrent sur la boussole. Le vieux Takeshi s'arrêta au niveau de son comptoir pour lui jeter un regard par-dessus une paire de lunettes usées et aussi défraîchies que la devanture de la boutique.

— As-tu trouvé ce que tu cherchais ?

— Je vous demande pardon ?

Hébété, émergeant de sa contemplation à grand-peine, Izuna dissimula son butin dans son dos, sa respiration se troublant légèrement quand Takeshi se figea pour l'observer. Dévisageant le maître des sceaux, Izuna remarqua enfin que quelques mèches de sa chevelure conservaient encore le rouge Uzumaki. Derrière la peau flasque d'une figure trop âgée se devinait la courbure d'une mâchoire carrée et franche, un nez plusieurs fois cassé et un œil autrefois vif et fringant. Malgré les verres qui agrandissaient les globes oculaires, les faisant paraître plus gros qu'ils l'étaient vraiment, Takeshi Uzumaki jouissait encore d'un visage équilibré.

— J'espère que tu n'es pas resté ici sans rien faire, le temps de mon absence. As-tu trouvé un contenant pour le sceau ?

— Je… Oui, souffla Izuna en dépliant son bras, cessant de cacher la boussole.

Il s'avança vers Takeshi et ouvrit sa main devant le maître du sceau qui baissa les yeux rapidement avant de revenir vers le visage d'Izuna.

— Je voudrais ça. S'il vous plaît ?

— Tu n'es pas ton frère aîné, déclara Takeshi.

Il ne paraissait pas surpris quand il énonça cette évidence. Il ne paraissait pas déçu non plus. C'était un peu comme s'il citait le premier élément d'une liste, comme s'il… Les yeux d'Izuna s'écarquillèrent quand il comprit que c'était la réponse à sa question.

— C'est pour cela que je dois changer la base. Tu es différent de ton frère. Je m'attendais à une fratrie particulière, après avoir vu Madara il y a quatre ans. Il est unique en son genre. Et tu l'es aussi, d'une façon tout à fait originale.

Le maître des sceaux se détourna, faisant signe à Izuna de lui emboîter le pas jusqu'à l'arrière-salle. Le jeune shinobi referma ses doigts sur la boussole et s'empressa de suivre le vieil homme.


En lui-même, le rituel était plutôt pénible. Takeshi avait percé le bout de son doigt pour collecter du sang et le lier au sceau et à la boussole, puis il l'avait envoyé patienter à l'autre bout de la pièce. Izuna s'était installé sur un siège et avait regardé le vieil Uzumaki embarquer sa boussole dans un endroit qui n'était pas accessible aux non-initiés. Puis il avait attendu.

Quand Takeshi était revenu, plusieurs heures plus tard, Tajima et Madara l'avaient rejoint. Il était semble-t-il nécessaire qu'un témoin soit présent lors de la remise de l'Artefact.

Takeshi discuta un long moment avec Tajima et Madara avant de donner à Izuna un écrin fermé par un sceau de serrure. La déception affaissa les épaules du plus jeune qui ne put s'empêcher de retrousser une lèvre un peu boudeuse. Il récupéra l'écrin entre ses mains et écouta avec soin le maître des sceaux qui expliqua :

— Laisse ton Artefact tranquille pendant tout ton séjour ici puis pendant encore trois semaines quand tu seras rentré. Le sceau qu'il contient a besoin de temps pour se stabiliser.

Izuna hocha la tête, malgré l'impatience qui vibrait dans sa poitrine. La tendre accolade que lui offrit Madara lui arracha un sourire timide alors qu'il réalisait finalement que ce qu'il avait entre ses mains était son Artefact d'Âme.

À lui.

Enfin.

Il ne dissimula pas une seule seconde l'immense sourire sur ses lèvres.

Tajima lui offrit une œillade tendre et fière, ébouriffant ses cheveux dans un geste plein d'amour, puis il se tourna vers Takeshi avec étonnement.

— Que voulez-vous dire en affirmant qu'Izuna est différent ?

Takeshi cligna des yeux et prit une respiration courte et saccadée, puis il fit signe à Izuna de s'approcher, fouillant sur son bureau pour trouver un morceau de papier vierge qu'il tendit à Izuna.

— Infuse du chakra là-dedans, s'il te plaît.

Izuna obéit après avoir cherché le regard de son père qui lui donna une autorisation un peu étonnée. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu de papier à chakra, il était rare et peu de gens savaient comment le fabriquer. Les Uchiha n'avaient pas réellement besoin de s'en servir, ils avaient tous une affinité particulière avec le feu.

Pourtant, dans la main d'Izuna, le papier se froissa.

Tajima papillonna des cils, Madara vibra presque d'excitation sur son siège.

— Un utilisateur de raiton !

La voix emballée de Madara résonna dans la pièce alors que son frère et leur père échangeaient un regard. Izuna baissa de nouveau les yeux sur le papier et fronça les sourcils. C'était étrange. Pourquoi serait-il, particulièrement, un utilisateur de raiton ? Ce n'était pas une exception franche chez les Uchiha, bien sûr, d'autres étaient nés parmi eux, mais ça restait rare, comme affinité.

Il humecta ses lèvres et déglutit, son bras serrant son écrin contre sa poitrine.


Avoir son Artefact si près et ne pas pouvoir le contempler était d'une frustration sans nom. Il avait posé l'écrin bien en évidence sur un meuble bas et le regardait sans parvenir à retenir les grognements de d'insatisfaction réguliers qui lui échappaient. Il voulait ouvrir l'écrin. Il voulait déterminer comment l'objet allait le guider vers l'autre moitié de son âme, même si ça semblait assez évident : l'aiguille serait attirée par elle comme si elle était son nord. N'est-ce pas ?

Il n'en pouvait plus d'attendre de la voir bouger.

Madara et Tajima étaient sortis sans lui. Même s'ils n'étaient pas venus dans cet objectif, le chef du clan Uchiha avait réussi à planifier une réunion avec le Daimyo pour lui détailler la précarité de leur situation sur leur territoire. Le but était avant tout d'obtenir des missions privilégiées commanditées par la cour, mieux payées que la plupart des autres. Cela leur permettrait de renflouer un peu les caisses et d'avoir plus de fonds, donc d'investir plus judicieusement et peut-être finalement gagner la guerre.

Mais négocier allait être compliqué. Le Daimyo n'avait aucune intention de se mêler au conflit et de prendre parti pour l'un ou l'autre des clans impliqués dans cette guerre. Il tenait une position neutre qu'Izuna trouvait lâche.

C'était une des raisons pour lesquelles Tajima lui avait demandé de rester à l'auberge. Son plus jeune fils parvenait encore mal à dissimuler le mépris qu'il ressentait pour la noblesse et les civils de façon générale et cette discussion était trop importante pour risquer le moindre faux pas, particulièrement avec le Daimyo qui prenait facilement la mouche.

Livré à lui-même, avec l'interdiction s'entraîner, la pacification de la capitale bannissant l'utilisation du chakra, ou même d'imaginer à quoi ressemblerait son âme sœur, puisqu'il était privé de la possibilité d'utiliser son Artefact le temps que le sceau se stabilise, Izuna s'ennuyait.

L'idée de posséder un chakra raiton avait enfin fait son chemin et prenait son sens. Même s'il était un peu déçu de ne pas être comme son frère d'une nature de feu, la foudre était un élément plein d'avantages aussi. Et ça expliquait pourquoi il avait eu tant de mal à maîtriser un jutsu katon, au début.

Le problème était qu'il ne restait actuellement aucun utilisateur de raiton dans le clan, les derniers ayant été tués durant l'automne précédent. Il se redressa finalement, cessant enfin de fusiller son écrin du regard, puis il saisit sa bourse et un kunai qu'il dissimula sur lui. Il pouvait au moins aller voir en ville s'il ne trouvait pas un parchemin qui pourrait lui expliquer comment exploiter sa nature électrique au mieux pour le clan.


Il finit par trouver un endroit, en ville, qui grouillait de shinobis de tous les clans et d'échoppes incroyables. Le quartier n'était ni calme ni apaisé, montrant à quel point la trêve n'était que du baratin insipide. La méfiance était présente dans chaque mouvement de chaque shinobi et Izuna sentit sa tension monter en flèche.

Ses yeux tiraient, le sharingan voulant absolument émerger et il lui fallut toute sa concentration pour ne pas laisser les tomoes tournoyer dans ses rétines, ce qui aurait été interprété comme une intention belliqueuse.

Le fait était que la plupart des clans mineurs disséminés dans tout le pays s'écartaient sur son passage. Il avait beau être jeune et inconnu du grand public – n'ayant pas encore eu l'occasion de s'illustrer sur le champ de bataille –, il restait un Uchiha et ce seul nom faisait trembler beaucoup d'autres shinobis.

Ce n'était pas une réalité à laquelle il était habitué. Ses missions assez sommaires pour l'instant l'envoyaient principalement dans les alentours. Il avait eu assez peu de missions longue distance, jugées comme de niveau supérieur, et son périmètre de patrouille était étroit. Il avait donc l'habitude des clans rivaux, des Senju qui les méprisaient, des Hagoromo qui n'attendaient que l'occasion pour les trahir, des Hatake qui les considéraient comme un mal nécessaire.

Il avait l'habitude des clans qui faisaient jeu égal avec les Uchiha, ou presque, et il avait tendance à oublier que son grade inférieur dans la hiérarchie Uchiha correspondait à ce qui se faisait de mieux parmi les clans mineurs. Il était de fait l'un des shinobis les plus puissants des environs.

Vaguement, il se demanda combien se pisseraient dessus s'il laissait échapper son chakra le plus meurtrier, mais il se réfréna, se rappelant que Madara trouvait ça cruel et mauvais.

Depuis l'incident de la rivière, Izuna faisait tout pour se rattraper auprès de son aîné.

Trois ans auparavant, Madara avait rencontré un garçon près de la Naka où il avait aimé rester seul pour réfléchir. Quand Izuna avait découvert que l'autre enfant était un Senju – et pas n'importe lequel, il s'agissait d'Hashirama Senju, l'héritier du clan, le frère de son pire ennemi, l'utilisateur de mokuton, le type qui faisait tant et tant de dégâts sur les champs de bataille –, il n'avait pas hésité une seconde à aller chercher leur père.

Ce n'était pas la jalousie qui l'avait fait agir, même s'il ne pouvait pas nier que ça lui avait brisé le cœur de voir son aîné s'en aller avec précipitation vers la rivière, un air joyeux sur le visage qu'Izuna n'avait jamais vraiment réussi à tirer à son aîné.

Pour autant, Madara avait été idiot, naïf et imprudent. Dans une époque en guerre, faire confiance à un adversaire pouvait être létal.

Même s'il ne regrettait pas une seule seconde d'avoir agi pour protéger le clan et le sang, Il lui en avait voulu pendant un bon moment, de cette façon particulière qu'avait Madara de lui faire la tête.

Son frère l'aimait trop pour simplement ne plus lui parler. Alors les phrases qu'il lui avait adressées s'étaient chargées de fiel, étaient devenues un peu acides. Leurs chamailleries avaient été plus rudes, plus brutales. Pas assez pour lui faire mal physiquement. Suffisamment pour blesser son cœur.

Faire amende honorable était difficile, parce que Madara était rancunier. Cela faisait déjà trois ans qu'Izuna faisait tous les efforts du monde pour que leur relation redevienne comme avant Senju Hashirama, et elle commençait à peine à tiédir, malgré toute l'affection que lui montrait son aîné.

Il secoua la tête pour se sortir de ses souvenirs. Si Madara n'avait pas voulu comprendre son point de vue, c'était son problème, pas celui d'Izuna. À cette époque, il dissimulait déjà l'hideuse cicatrice qu'il avait attrapée en commettant une erreur sur une mission courrier, son chemin croisant celui du démon Senju. Il n'avait dû qu'à la chance et au talent de guérisseur de l'oncle Ko de ne pas perdre son bras. Sa rancune et sa méfiance envers leur ennemi étaient légitimes.

Il soupira en franchissant la porte d'une boutique qu'il espérait satisfaisante. Il avait vu plusieurs ninjas y entrer les mains vides et en sortir avec des parchemins qu'ils s'empressaient de ranger. Peut-être pourrait-il y trouver quelque chose à propos de raiton.

Il fouilla longuement dans les rayonnages avant de tomber sur ce qu'il cherchait. Il se délesta de l'argent exigé par le boutiquier et, satisfait de sa trouvaille, il la rangea dans sa poche puis il quitta le magasin.

Midi n'était plus très éloigné et son estomac grondait sous la faim. Laissant son odorat le guider, il s'arrêta à un stand pour acheter des yakitoris, puis il les emporta vers une place qu'il avait repérée en passant, dérobée dans un endroit discret et protégée du froid charrié par le vent.

S'il sifflait moins fort qu'en mer, il n'en restait pas moins glaçant, alors Izuna s'installa dans le coin le plus à l'abri possible pour déjeuner, sa main droite maintenant le parchemin qu'il avait trouvé sur ses genoux repliés.

Il avait presque fini son repas quand des voix qui s'approchaient de l'endroit attirèrent son attention, le faisant presque grogner sourdement. Il ajusta ses niveaux de chakra pour être le plus discret possible et retint son souffle, tendant l'oreille.

— Mito, Mito, Mito, boudait la voix d'Hashirama Senju, tu n'as que ce nom à la bouche. Tu ne serais pas un peu amoureux ?

Le rival d'Izuna bégaya dans sa réplique et le jeune Uchiha ne put retenir une grimace dégoûtée. Instinctivement, il plaignit la fille sur qui Tobirama avait jeté son dévolu.

— N-non, b-bien sûr que n-non.

— Donc, elle est jolie et intelligente, super forte, drôle, tu admires son sens de la répartie et tu as fait un échange de chakra avec elle. Mais tu n'es pas amoureux.

La réponse marmonnée par Tobirama ne parvint qu'en un grognement inaudible à Izuna, mais l'exclamation suivante, d'Hashirama, lui fit clairement comprendre qu'ils s'étaient dangereusement rapprochés de l'endroit où il se tenait caché.

— C'est merveilleux ! J'ai toujours voulu en savoir plus sur les âmes sœurs, c'est un folklore intéressant !

« Un quoi ? » s'indigna silencieusement Izuna en se retenant de se lever pour sauter à la gorge de l'imbécile et le rouer de coups pour corriger son inculture.

Les Senju n'avaient pas d'âme sœur, c'était triste pour eux, mais ce n'était pas une raison pour dénigrer et minimiser le vécu des autres ! Pour qui se prenait-il, ce Senju de malheur, pour insulter les traditions de la plupart des gens et pour manquer de respect aux Dieux qui plaçaient les âmes sœurs sur le chemin des Uchiha ?

La seule raison qui empêcha Izuna d'aller expliquer sa façon de penser à Hashirama fut la présence de son frère cadet pas loin. Si Izuna était certain qu'Hashirama allait respecter la trêve, il doutait que Tobirama aurait eu la même naïveté.

Les frères Senju ne restèrent pas sur la place dérobée et Izuna se détendit immédiatement. Qu'ils s'éloignent et ne l'aient pas repéré était une excellente chose.

Il n'avait pas la moindre idée de la raison qui amenait les fils de Butsuma dans la capitale. Sans doute était-ce les mêmes raisons que celles qui avaient poussé Madara et Tajima à réclamer audience au Daimyo.

Cependant, cela aurait été étonnant, cela faisait un moment que Tobirama n'avait pas fait parler de lui. Izuna eut un rictus méprisant. Cela dit, si son rival passait tout son temps à conter fleurette à Mito, ce n'était pas étonnant.

Quand il eut terminé son déjeuner, un souffle encore plus frais que les premiers le força à rentrer à l'auberge. Il s'installa confortablement pour continuer la lecture qu'il avait entamée.

La théorie du chakra l'intéressait assez peu, s'il devait être honnête. Il sauta des paragraphes entiers, se promettant d'y revenir ultérieurement, passant directement aux applications pratiques du chakra de foudre.

Ses yeux effleuraient régulièrement l'écrin dans lequel son Artefact attendait patiemment.


Le lendemain, ils furent repartis en direction de chez eux. Izuna ne mentionna pas avoir presque croisé les frères Senju à Madara, principalement parce qu'il avait oublié cette rencontre. Quand il s'en souvint, des semaines plus tard, après l'évocation d'une bataille où Hashirama avait encore démontré des talents incommensurables, Izuna jugea qu'il n'était pas nécessaire d'en parler.

Ce jour fut celui où il fut autorisé à retirer les sceaux autour de l'écrin contenant son Artefact.

Il les arracha fébrilement pour effleurer le bois, soulevant le couvercle avec un souffle court. À ses côtés, il y avait Madara – qui n'aurait raté ça pour rien au monde – mais aussi Setsuna et Hikaku.

Si Setsuna avait presque le même âge – son propre voyage vers la capitale était prévu pour l'été – Hikaku était un peu plus vieux, pile entre Madara et lui. Les deux garçonnets étaient ses plus proches amis et ils avaient attendu avec impatience de pouvoir découvrir à quoi ressemblait l'Artefact d'Izuna.

Bien entendu, fidèle à la tradition, Izuna avait refusé d'expliquer à Setsuna ce qui allait se passer quand il serait dans la boutique de Takeshi, c'était bien plus amusant de participer aux spéculations anticipatrices que de raconter sa propre expérience, d'autant plus qu'elle était un peu décevante.

Quand il tourna l'écrin vers ses deux amis, ils émirent un sifflement émerveillé.

— C'est une boussole, chuchota Hikaku, elle est magnifique.

— Elle est en argent, commenta Izuna avec fierté. Elle a été forgée spécialement pour être un Artefact d'Âme. C'est l'Artefact le plus génial de tout le clan.

Il bomba légèrement le torse, envoya un regard effronté à Madara pour le défier de faire le moindre commentaire et de comparer son rocher moisi à sa merveille.

— Vas-y, pressa Setsuna, attrape-la, pour qu'on voie ce qu'il se passe.

Solennellement, Izuna hocha la tête et prit une respiration impatiente en retournant l'écrin vers lui, le posant en équilibre sur sa main gauche, tendant des doigts tremblants vers l'objet.

Quand il l'attrapa, il ne se passa rien. Il jeta un regard aux deux qui possédaient déjà un Artefact et aussi bien Hikaku que Madara haussèrent les épaules.

— Moi j'ai senti un truc, expliqua le premier. Comme un fourmillement dans les doigts.

— Moi, ça m'a fait chaud sur la main, raconta Madara.

Izuna haussa un sourcil et Setsuna croisa les bras.

— Ouvre-la. Peut-être que c'est différent. Peut-être que les fourmillements et la chaleur, tout ça, c'est le moyen que l'Artefact a pour les guider, mais toi t'as pas besoin d'une aide sensorielle, elle a une aiguille.

L'explication était plutôt logique et rationnelle. Aussi, Izuna hocha la tête et souleva le capot de sa boussole. L'aiguille pointait résolument vers le sud-est et, qu'importait les mouvements faits par Izuna, elle restait attirée par cette direction.

Madara jappa, exalté, Setsuna lui tapa dans le dos et Hikaku, plus pondéré, se contenta de hocher la tête avec satisfaction, laissant Izuna dessiner un sourire sur ses lèvres.

— Ton âme sœur se trouve au sud-est.

L'évidence était énoncée par Madara, mais il y avait une certaine émotion dans sa voix. Quand leurs regards se croisèrent, Izuna put presque jurer qu'il avait vu les yeux de son frère étinceler de larmes de joie.

Izuna dormit avec sa boussole pressée contre son cœur, souhaitant à tout prix que son âme sœur l'attende, se promettant de se mettre en quête de cet amour aussitôt qu'il le pourrait.


Jusqu'à ce qu'il obtienne l'autorisation d'explorer les terres du sud-est, Izuna jeta des regards plus que fréquents à sa boussole.

Tajima lui promit de le faire entrer sur le champ de bataille dès qu'il maîtriserait son chakra élémentaire de foudre et Izuna passait toutes ses journées à s'entraîner, à imaginer des jutsus, à tenter de recréer ceux qu'il découvrait dans les livres que son père avait retrouvés pour lui.

S'exercer sur la seule base théorique d'inscriptions datées était difficile, mais le mois de juin n'était pas encore mort qu'il avait déjà commencé à modeler le chakra à la bonne forme. La dynamique n'était pas du tout la même que pour façonner du feu et il lui avait fallu du temps pour ressentir au plus profond de son être ce qui était décrit avec des mots.

À présent qu'il avait compris comment modeler des éclairs dans sa paume, il tentait de déterminer quelles étaient les conditions optimales pour l'utilisation du raiton. Il supposait, évidemment, que les journées d'orage étaient idéales, mais il n'avait pas eu l'occasion de tester, la saison des orages étant l'été.

Il imaginait aussi, sans trop de certitude, que l'eau était rendue impuissante par le raiton et un sourire satisfait avait ourlé ses lèvres. Elle était conductrice d'électricité. Diriger sa foudre contre un utilisateur de suiton pourrait réduire ce dernier à l'impuissance, puisque ses techniques dresseraient une route aisément praticable à l'ensemble de ses attaques. Et c'était merveilleux à imaginer.

La nature l'avait doté d'un moyen efficace de contrer Tobirama Senju et son suiton surpuissant.

Quand il tombait, à bouts de force, le seul réconfort qu'il trouvait à travers ses muscles douloureux, ses tendons qui criaient grâce et la migraine qui ceignait son crâne, était cette boussole.

Pourtant son cœur se serra quand il réalisa que l'aiguille n'avait pas bougé depuis le premier jour. Pas d'un millimètre. Pourtant, il la contemplait régulièrement, lui superposant l'image indélébile de cette première fois, gravée à jamais dans son esprit grâce à son sharingan qu'il n'avait même pas conscience d'avoir activé.

Et l'aiguille ne bougeait pas.

S'il restait le plus positif possible, l'ensemble des écarts à la normalité Uchiha qui avait marqué la cérémonie ne cessait de revenir le hanter.

La première fois qu'il pensa que peut-être Takeshi Uzumaki avait commis une erreur, que peut-être son Artefact d'Âme ne fonctionnait pas, il avait senti son cœur se serrer et il était retourné s'entraîner jusqu'à l'épuisement, pour ne pas se laisser distancer plus que nécessaire par son frère aîné qui montait en puissance de façon exponentielle.


La seconde fois qu'il pensa que Takeshi Uzumaki avait commis une erreur, il avait retiré toutes les incertitudes qu'il pouvait encore posséder.

Le mois de septembre courait depuis quelques jours déjà et une mission l'avait conduit à l'autre bout du pays, en plein sud-est. Après l'avoir accomplie, il s'était octroyé quelques jours supplémentaires pour suivre la direction indiquée par la boussole et quand il était arrivé au bord de la falaise qui marquait la fin des terres du Pays du Feu, l'aiguille n'avait toujours pas bougé.

Aucun ajustement dans la direction à suivre, aucun bond, aucune variation.

Les bras ballants, la main droite resserrée sur l'objet inutile, Izuna resta des heures entières, les yeux fixés sur la mer Uzu, contemplant les vagues d'écume qui s'écrasaient sur les rochers, formées par les tourbillons agressifs qui déchiraient la mer bien plus loin sur l'horizon.


Son désespoir s'accentua davantage encore quand Takeshi Uzumaki mourut.

Décembre approchait et, suivant les conseils d'Hikaku à qui Izuna avait tout raconté sur son Artefact, il s'était laissé convaincre de prendre une mission qui le conduirait dans la capitale et qui lui permettrait d'aller trouver le vieil homme et lui demander – exiger – qu'il corrige le problème.

Takeshi était âgé, expliqua la femme qui était en train de vider la boutique. Il tenait les lieux depuis déjà bien des années, avait connu plusieurs générations d'Uchiha, il était logique que même la longévité proverbiale des Uzumaki ait ses limites.

Elle expliqua qu'elle faisait le vide pour le prochain Uzumaki qui viendrait s'installer. Qu'il lui faudrait tenir le chef du clan Uchiha informé. Qu'une alliance allait être créée avec le nouveau forgeron d'Artefacts, qu'il serait envoyé par Uzushio, mais que les conditions seraient sans doute moins avantageuses pour eux que lorsqu'il s'agissait de Takeshi. Il l'avait interrompue pour lui demander quand ce maître des sceaux allait arriver, parce qu'il avait un problème à résoudre et c'était urgent.

La femme grimaça d'un air forcé.

— Il y a plusieurs écoles dans le fuinjutsu, prononça-t-elle d'une voix indifférente, et elles sont strictement impossibles à mélanger. Je crains que seul un maître des sceaux de la lignée de Takeshi puisse résoudre votre problème.

Et le bloc de glace qui coulait dans sa trachée acheva de l'étouffer quand il réalisa que cela signifiait qu'il devait s'adresser à Ashina Uzumaki, le chef de clan Uzumaki, allié des Senju qui n'accepterait probablement jamais de l'aider.

Il était donc condamné à garder cette boussole sans intérêt qui n'indiquait ni le nord ni la direction de son âme sœur.

Quand il rentra finalement sur le territoire Uchiha, la nouvelle de la mort de Takeshi Uzumaki leur fit porter le deuil pendant trente jours consécutifs, presque autant que pour un chef de clan très aimé.

Il porta le deuil un peu plus longtemps, pleurant cette âme sœur qu'il ne rencontrerait jamais et finit par reléguer la boussole dans un tiroir.

Dans l'ordre des choses les plus sacrées à honorer, s'il n'avait pas l'amour de sa vie, il lui restait au moins son clan et son sang.


Trois ans passèrent et l'aiguille ne frémit même pas une seule fois.


Voilà, j'espère que vous avez aimé cette première partie !