Bonjour, bonjour !

À présent voici la partie 2 !


Partie 2

La première fois qu'il remarqua que l'aiguille avait bougé et qu'elle pointait désormais vers le sud-ouest, il était trop fatigué pour avoir une quelconque réaction. Il s'était écroulé sur son lit au retour d'une bataille contre les Senju et il était très facile pour n'importe qui de conclure que Tobirama était finalement rentré de seuls les dieux savaient où. Le nombre de blessés et de morts avait doublé avec les deux frères présents au combat et Tobirama n'avait pas la pitié de son aîné.

Si Izuna avait essayé de le contrer, de le rencontrer et de l'affronter, le démon Senju lui avait échappé trop de fois et trop de fois son sang était mort à ses pieds.

Quand ils avaient finalement croisé le fer, Izuna avait dû admettre qu'il n'était pas encore prêt. Senju était trop réactif, et même le sharingan peinait à le suivre pour l'instant.

Donc la main qu'Izuna avait tendue à son tiroir ce soir-là ne visait pas à jeter un énième coup d'œil à cette boussole stupide. Elle tâtonnait à la recherche d'un onguent qui lui permettrait de soulager un peu ses plaies. Comme elles étaient minimes – parce qu'il n'était pas non plus totalement nul, il avait pu éviter la majorité des coups mortels tentés par Tobirama, déviant les autres pour les transformer en éraflures – il n'avait pas souhaité déranger leurs guérisseurs qui avaient déjà fort à faire avec les blessés graves, les amputés et les traumatisés.

Alors bien sûr il remarqua immédiatement que l'aiguille ne pointait plus dans la même direction, mais il se contenta de lui jeter un regard agacé, la refermant d'un petit tapotement sec sur le capot. Il avait bien le temps de voir ce qu'il se passerait le lendemain.


Le lendemain, il se réveilla avec un mal de tête épouvantable qui tirait sur ses yeux et ses rétines, qui tapait contre ses tempes et coulait jusqu'à l'os de la mâchoire, irradiant avec force et il jappa d'inconfort, roulant sur lui-même pour enfouir son visage dans son oreiller et le presser aussi fort qu'il le pouvait.

Quand il parvint à s'habituer à la douleur, les dents serrées, il se dégagea de son coussin et de ses cheveux qui n'étaient plus retenus par le nœud qu'il glissait dedans tous les soirs pour éviter les catastrophes capillaires. Ils lui tombaient à mi-dos à présent, presque aussi longs que ceux de Madara, mais infiniment moins épais et moins indisciplinés. C'était probablement dû aux quelques mèches plus courtes qu'Izuna tenait à conserver pour ne pas être gêné au combat si ses cheveux venaient à s'échapper du nœud qui les retenait en quasi-permanence.

Il avait presque quatorze ans, à présent, et son frère aîné allait fêter ses dix-sept ans.

Il soupira et contempla le plafond un bref instant qu'il consacra à se remémorer tout ce qu'il avait à faire ce lendemain de bataille. Les guérisseurs allaient probablement être surchargés de travail, il fallait diriger une équipe vers le champ de bataille pour récupérer les armes et brûler les corps des Uchiha (ou, à défaut, crever leurs yeux), conduire la cérémonie d'hommage aux morts, puis tenir compte de la redistribution des biens ayant appartenu aux shinobis tombés au combat.

Il serait très certainement mandaté pour fouiller le terrain avant que les pilleurs et les charognards ne s'en emparent. Et vu l'heure, il n'aurait pas à se charger des corps des siens.

Il frotta paresseusement ses yeux, se blottissant un peu plus dans la chaleur de son lit, des courbatures traîtresses tirant sur les muscles de ses épaules et dans ses cuisses. Croiser le fer avec Tobirama avait mis en relief tous les défauts de ses entraînements, qu'il faisait la plupart du temps sans Madara. Alors qu'il portait une main à sa nuque pour masser mollement la zone entre ses omoplates, il se promit de demander à son frère de l'inclure dans ses entraînements le plus tôt possible.

Le souvenir de la boussole le frappa soudainement et il se redressa, les yeux écarquillés fixés sur la porte close.

Sa main droite tâtonna sur la table de chevet, heurtant le pot en verre contenant l'onguent guérisseur, puis elle attrapa la poignée du tiroir qu'elle tira. Le coulissement résonna dans la chambre, accompagné par une déglutition bruyante et Izuna saisit l'Artefact d'argent avec hésitation. Il ferma les paupières pour se donner du courage puis souleva le capot, avant de laisser tomber ses yeux dessus.

Si son visage resta strictement impassible, il sentit son cœur frémir quand il constata qu'il n'avait pas rêvé et que l'aiguille avait bel et bien bougé.

Il ramena ses genoux vers lui et regarda longuement encore la boussole, l'aiguille orientée ailleurs que sur ce sud-est insupportable et un début de sourire commença à glisser sur ses lèvres, avant de retomber aussi sec quand l'aiguille sauta presque de l'autre côté, désigna un nord/nord-est quasiment immédiat.

Il referma le capot avec rage et jeta son Artefact dans le tiroir, se traitant d'imbécile pour avoir pensé qu'elle avait peut-être décidé à fonctionner comme elle le devait.

Rejetant les couvertures aussi bien que la déception qui le saisissait, il sortit de son lit et s'habilla sommairement, coiffant ses cheveux avant de quitter sa chambre pour prendre une collation rapide. De toute façon, il ne pouvait rien y faire. Personne ne pouvait inspecter son sceau.

Et il y avait aussi la possibilité déchirante qu'il n'avait tout simplement pas d'âme sœur. Peut-être que la boussole fonctionnait correctement mais qu'elle n'avait pas la moindre direction à pointer parce que son amour parfait n'existait pas. Elle s'orientait donc aléatoirement vers un point cardinal pour tenter de se recalibrer, saisir le lien élusif.

Ce n'était pas lui qui avait émis cette hypothèse pour la première fois, il avait entendu des anciens du clan en discuter. La rumeur évoquant son Artefact d'Âme défectueux courait parmi les Uchiha depuis un long moment, maintenant. Bien incapable de prouver la moindre théorie à ce propos, il laissait dire, priant pour que ça n'arrive jamais aux oreilles de Madara qui risquerait d'être passablement agacé.

L'agacement chez Madara se traduisait généralement par des os brisés, des bagarres impliquant les quatre comparses et un sermon carabiné de la part de Tajima, ainsi qu'une punition et des corvées supplémentaires incluant le récurage des linges souillés de sang venant aussi bien de l'infirmerie que des femmes menstruées du clan.

Pas qu'Izuna ait un quelconque problème à l'idée de nettoyer les linges imbibés du sang de lune des femmes. Il ne voyait pas vraiment pourquoi ça tirait des grimaces écœurées de ses meilleurs amis. Hikaku et Setsuna avaient tendance à faire du tri dans leur propre charge de travail pour lui donner les linges de femmes à nettoyer, refusant d'y mettre les doigts. C'était ridicule et parfaitement illogique : ils voyaient des plaies purulentes, des membres arrachés et distribuaient aussi des blessures de gravité équivalente. Un écoulement naturel de sang, de bon augure, ne devrait pas soulever plus de répulsion que les autres, puisqu'il signifiait que les femmes étaient capables d'enfanter – enfin, la plupart du temps. C'était compliqué : la tante Riko, par exemple, saignait tous les mois mais ne pouvait pas donner naissance.

S'il n'était pas dérangé par l'idée de laver les linges ensanglantés, ça ne signifiait pas non plus qu'il tenait particulièrement à le faire. C'était pour ça qu'il espérait que les rumeurs ne viendraient jamais jusqu'aux oreilles de Madara.


Quand il quitta finalement la demeure principale ce fut pour rejoindre Setsuna et Hikaku qui étaient déjà présents dans le bureau de Tajima. Son père le salua d'un hochement de tête, lui signalant distraitement que Madara était parti en patrouille à l'intérieur des terres, aux abords du no man's land qui séparait le territoire Uchiha du territoire Senju.

Izuna encaissa l'information calmement – c'était traditionnellement le rôle de Madara de distiller son chakra et sa présence aux frontières après une bataille, pour dissuader les quelques esprits vengeurs qui pourraient vouloir profiter de l'après-bataille pour mener un raid punitif. Il s'installa sur la chaise du milieu qui n'attendait que lui, recevant avec plaisir les regards affectueux de ses amis.

Setsuna tapota sa tête, Hikaku lui donna un petit coup de genou et les trois shinobis reportèrent leurs yeux sur le chef de clan qui pinçait les lèvres.

— Le bilan est lourd, répéta-t-il à l'adresse de son fils. Le démon des Senju a été plus meurtrier que jamais. Les rumeurs de son retour couraient depuis quelques semaines déjà, mais à présent, c'est difficile de le nier. Il est loin d'être aussi mou que son aîné.

C'était le maximum de reconnaissance que Tajima pouvait accorder à un Senju. Izuna déglutit et fit craquer ses doigts. Le son arracha une grimace à Setsuna qui frissonna, ses cheveux ondulés dansant à ce rythme sur le haut de sa tête.

— Heureusement que Madara se charge de contenir l'aîné mou, siffla Izuna avec un soupçon de ce vitriol qu'il mettait souvent dans ses mots. Si Hashirama est moins meurtrier que son frère, Madara évite que nos troupes soient réduites à l'impuissance. J'imagine qu'il est inutile de mentionner combien des nôtres le Dieu des Shinobis a définitivement renvoyé à la vie civile.

Tajima le lui accorda d'un signe de tête, posant son pinceau et croisant le regard de son cadet.

— Bien entendu. Et j'attends de toi que tu remplisses le même rôle que ton frère en contenant le démon Senju. Restreins-le sur un bout de territoire. Ne le laisse jamais passer devant toi et rends coup pour coup.

C'était déjà prévu, mais Izuna hocha tout de même la tête, alors que Tajima portait son regard vers Hikaku.

— Charge-toi de leur sorcière. Tu es l'un de nos meilleurs utilisateurs de genjutsu et toi seul peux la contrer.

Principalement parce que les autres avaient été renvoyés à la vie civile par Hashirama Senju qui visait bien proprement et ciblait avec attention les shinobis qu'il blessait au-delà de toute réparation.

Izuna fit claquer sa langue.

— S'ils n'obtiennent pas de résultats dans nos batailles frontales, alors la guerre changera de secteur, Père.

— J'en ai conscience, sourit Tajima avec agacement.

Le rictus sur le visage de son père montrait qu'il outrepassait clairement sa position, mais il n'en tint pas vraiment compte et ne s'en excusa pas. Même si le chef de clan avait probablement la pleine connaissance de ce qu'il avait dit, le formuler ne coûtait rien.

L'annonce du retour du démon Senju, peu importait d'où il était revenu, laissait une sensation glacée dans l'estomac d'Izuna. Il avait depuis longtemps appris à ne pas sous-estimer son ennemi et le combat mené la veille, l'amenant à se frotter à la maîtrise exceptionnelle du ninjutsu de Tobirama, l'avait rendu encore plus méfiant. Qui savait, exactement, de quoi était capable ce monstre ?

Il n'avait qu'une année de plus qu'Izuna, mais il était déjà reconnu à travers tout le Pays du Feu, particulièrement pour sa grande intelligence. Il avait été absent des champs de bataille pendant un long moment, semblait-il, et Izuna ne l'avait plus croisé depuis ce jour de février dans la capitale, mais c'était lui qui avait aidé à l'élaboration de la plupart des stratégies du clan Senju, si les rumeurs disaient vrai.

Il avait planifié tout ça à distance. À présent qu'il était plus aguerri, il ne faisait aucun doute qu'il occuperait une place centrale aux côtés de Butsuma.

Il se perdit dans ses pensées, se demandant un instant comment ils avaient pu passer à côté des directives lancées par Tobirama, de ses suggestions et propositions, avec le nombre d'espions et de courriers interceptés qu'ils avaient.

Il se promit de se pencher sur cette question ultérieurement si son père lui en donnait l'occasion, puis il revint à la conversation, alors que Tajima assignait Setsuna aux lignes arrière, pour le ravitaillement et les soins aux blessés.

— En attendant, dit Izuna en interrogeant ses deux amis du regard, je pensais lever une équipe pour aller faire de la récupération. La présence de Madara aux frontières, doublée de son don de capteur nous permettra une relative sécurité, le temps de récupérer ce qui peut être récupéré.

Tajima considéra la proposition pendant un instant, puis il hocha la tête en assentiment.

Ils quittèrent les lieux quelques minutes plus tard, presque parés pour cette mission.


La vallée coincée entre deux plateaux dans laquelle les deux clans s'étaient affrontés la veille empestait le sang et la terre brûlée. C'était toujours mieux que l'odeur de mort qui finirait par envahir l'endroit, mais ça restait désagréable et les trois compères froncèrent le nez.

Les yeux d'Izuna balayèrent l'intégralité du champ de bataille, le découpèrent en trois portions égales et il envoya ses amis de part et d'autre, avant de faire flamboyer son chakra rapidement pour signaler à Madara qu'ils étaient en place. La sensation de crépitement soudain du chakra de son cadet pousserait l'aîné à davantage de vigilance.

Lorsque la première demi-journée fut passée, Hikaku et Setsuna rejoignirent Izuna au centre du terrain pour faire un bilan de ce qu'ils avaient pu collecter, profitant pour prendre un rapide déjeuner à base de barre énergétique et de ration militaire.

Assis sur un rocher plus large que haut, les yeux levés vers le ciel, Izuna mâchonnait son repas d'un air franchement peu convaincu. Ses pensées avaient dévié, quittant momentanément le champ de bataille pour revenir vers la boussole cachée dans son tiroir.

Il n'était guère étonnant qu'il ne l'amène pas avec lui en combat, aucun Uchiha ne faisait ça. Prendre le risque de détruire son Artefact d'Âme avant d'avoir trouvé son âme sœur était un sacrilège parmi eux. Si la plupart des Uchiha possédaient des Artefacts inutiles en combat, certains avaient commis l'erreur de choisir un objet du quotidien, et avaient vu leur guide être anéanti dans une bataille. D'autres l'avaient volontairement brisé en signe de protestation, mécontents de la personne que la Destinée leur réservait, ou simplement opposés à l'idée de l'âme sœur : il y avait des hurluberlus partout, y compris chez les Uchiha.

Il déglutit et repoussa d'un geste écœuré le morceau qui restait de sa barre énergétique. Il la rangea dans le papier qui l'enveloppait, puis la remit dans son sac pour plus tard avant d'appuyer ses avant-bras contre ses genoux, replaçant ses pieds sur la paroi rocheuse.

— L'aiguille a bougé, annonça-t-il.

Même s'il ne parlait pas souvent de son Artefact, il savait qu'Hikaku et Setsuna comprendraient immédiatement. Quand il fut sûr que leurs regards étaient braqués sur lui, il contempla au loin, ses yeux se perdant sur le cadavre abandonné d'un Senju à peine reconnaissable, dévoré par les flammes. Il n'y aurait probablement rien à en retirer.

— Quand je me suis levé, elle pointait en direction du sud-ouest. Et l'instant d'après, elle était du côté nord/nord-est.

Il poussa un soupir à fendre l'âme.

— De deux choses l'une : soit mon âme sœur a la capacité de se téléporter, soit l'aîné Imaizumi a raison et je n'ai simplement pas d'âme sœur.

Hikaku grimaça et Setsuna tendit une main pour frotter le dos d'Izuna dans un geste réconfortant. Il était malheureusement très peu probable que la première option soit vraie, mais aucun des amis d'Izuna n'était prêt à accorder le moindre crédit à l'idée de l'aîné Imaizumi, tout vénérable qu'il soit.

— Je pense qu'il est temps que je me fasse une raison et que j'adhère à cette théorie.

— Qu'ils aillent se faire foutre à « théoriser » sur ta vie et tes sentiments, grogna Hikaku sans pouvoir s'en empêcher.

Il était pourtant le plus calme et le plus pondéré des trois, c'était dire l'agacement généralisé face à la situation sans précédent d'Izuna. Ce dernier offrit un sourire reconnaissant à ses amis et son regard se perdit de nouveau sur le champ de bataille.

— Je les comprends, cependant, apaisa-t-il pour lisser les relents de négativité qui émanaient des deux autres. Ils sont inquiets pour la lignée principale et pour les héritiers et on ne peut pas trop leur donner tort. Madara a son Artefact depuis près de huit ans et il n'a jamais témoigné la moindre envie de partir à la recherche de son âme sœur. Après l'incident avec les Senju, on sait que c'est un rebelle. Ça ne m'étonnerait qu'à peine qu'il rejette totalement le concept d'âme sœur. Ou de romance. À part les grandes batailles et danser avec « HASHIRAAAMAAAA », il n'y a pas grand-chose qui le fasse vibrer. Donc les regards se sont tournés vers moi. Je suis le suivant dans la lignée, après tout.

Il y eut un silence désagréable et Setsuna ouvrit la bouche.

— Ou peut-être qu'elle est pas née, encore. On sait pas. Et les anciens devraient pas se préoccuper autant de lignée. Madara serait bien capable de nous ramener un bâtard d'une de ses missions, s'ils sont trop sur ton dos avec ça.

Un ricanement secoua Izuna et Hikaku. Le cocon de protection exacerbé dans lequel Madara tentait d'engoncer son cadet était devenu un calembour entre eux. Le premier secoua finalement la tête.

— Ce n'est pas important, de toute façon. Je voulais seulement vous le dire. Je n'ai pas le temps de me préoccuper d'une âme sœur pour l'instant. J'ai vraiment un mauvais pressentiment avec le retour du démon Senju. D'ailleurs, pas qu'il m'ait manqué, mais on sait où il était ?

Ses deux amis secouèrent la tête avec une moue et Setsuna s'agita.

— Tu ne penses pas que tu le surestimes ? demanda-t-il en prenant le plus de pincettes possible.

C'était de notoriété publique qu'Izuna était assez susceptible quand il s'agissait de Tobirama Senju. D'ailleurs tout dans l'attitude d'Izuna montra qu'il avait mal pris le commentaire de son ami, lui renvoyant un regard torve, son dos crispé et une moue dégoûtée sur le visage.

— Non. Rappelle-toi qu'on parle du type qui a affronté Suzume en combat singulier à l'âge de neuf ans. Il a gagné. Contre Suzume. Tu te souviens combien de fois elle nous a mis au tapis après sa blessure et au même âge ?

— Mais tu rivalises, maintenant, temporisa Hikaku.

— À peine, grogna Izuna.

Il manquait encore de vitesse. Son sharingan voyait venir les attaques, mais le démon était trop rapide et parfois, il ne pouvait que subir les coups qu'il prenait, assénés du plat de l'épée. Son adversaire était joueur, provocateur. Izuna n'avait pas compté combien de coups de pied au cul il avait reçus pendant la dernière bataille alors que Tobirama aurait pu porter un coup fatal. Ce monstre était un prédateur et pour l'instant, Izuna n'était qu'une proie avec laquelle il jouait avant de la dévorer. Un frisson d'inquiétude le parcourut.

— Si Tajima t'a demandé de le bloquer, c'est qu'il t'en pense capable.

— Hm.

Le grognement était une non-réponse équivoque, mais Hikaku et Setsuna le connaissaient par cœur. Finalement, il secoua la tête, ne leur offrant pas plus d'occasions de lui faire changer d'avis à propos du démon Senju. Il donna l'ordre de retourner au travail et se laissa tomber au bas du rocher où il était installé, reprenant sa fouille là où il l'avait mise en pause.

Il ne lui fallut pas longtemps pour découvrir le cadavre d'un Senju encore entièrement équipé. Il se baissa pour lui faire les poches, récupérant des fumigènes intacts, des parchemins explosifs, une édition de prières à adresser au Sage des Six Chemins et un étrange kunai.

Il s'arrêta un instant pour l'examiner de près. L'objet était plus lourd que ceux qui étaient habituellement utilisés en combat, même si le tranchant de la lame ne laissait aucun doute sur son usage. Sur la poignée, un étrange sceau était dessiné et il ne semblait pas à Izuna qu'il ait déjà vu motif similaire avant.

Il pesa longuement le pour et le contre en examinant le cadavre. Il semblait être un officier plus ou moins bien placé des troupes Senju. Vaguement, dans son esprit, il lui parut important de ramener l'objet pour en examiner le sceau. Pourtant, il rejeta l'envie : personne dans le clan Uchiha n'avait les compétences nécessaires pour faire du rétrofuinjutsu et lui moins que les autres.

Ses déconvenues avec le seul sceau qui accompagnait sa vie n'aidait pas à le convaincre que c'était une bonne idée de ramener avec lui un sceau inconnu. Il prit le reste et abandonna l'arme sur le cadavre de son ennemi.


Comme il l'avait prévu, pendant les mois suivants, il s'entraîna plus dur encore. Refusant d'être seulement considéré comme un jeu, comme une proie, il avait redoublé d'efforts à l'entraînement, exerçant sa vitesse, sa réactivité pour être capable de répondre aux informations de son sharingan.

Ses efforts finirent par payer. À la fin de l'automne, peu avant les premières neiges et les ébauches d'une nouvelle trêve hivernale, le démon Senju ne pouvait plus se glisser derrière lui pour lui mettre son pied au cul. C'était une humiliation de moins.

À bout de souffle, il profita du dixième de seconde de répit que lui ménageait son coup précédent, pour observer du côté de son frère qui se battait toujours avec acharnement contre son ancien ami.

Le temps qu'il ramène son regard vers son adversaire, Tobirama était sur lui, l'épée brandie et son rictus provocateur disparu de son visage. Ce fut Izuna qui sourit alors qu'il accompagnait le mouvement de sa lame la paume gauche appuyée sur le plat pour venir rencontrer l'arme du démon et le repousser. Il força, poussa et finalement réussi à se dégager assez d'espace pour envoyer la garde de son katana dans la mâchoire de Tobirama. Elle craqua de façon satisfaisante et chacun d'eux fit un bond en arrière pour reprendre un peu plus de souffle.

Tobirama cracha du sang et une dent. Izuna se para d'un sourire narquois.

— Oups, quel dommage d'abimer un si joli sourire, ricana-t-il. J'espère que tu me pardonneras.

En réponse à sa provocation, Tobirama eut un rictus ensanglanté, une de ses canines manquant, cracha un peu plus de sang et essuya le coin de sa bouche, étalant le rouge plein de salive sur sa joue.

— Tu fanfaronnes beaucoup, mais je ne t'ai pas encore vu attaquer.

C'était vrai. Clairement, depuis le début de la bataille, Izuna n'avait pas réussi à récupérer une seule fois l'initiative sur le combat. Il le subissait avec suffisamment d'entrain pour que Tobirama le prenne enfin au sérieux, mais il ne parvenait toujours pas à dominer.

Pour autant, il ne se laissa pas embarquer dans la vague d'agacement qui le saisissait, la provocation était trop évidente pour qu'il s'y engouffre la tête la première.

Sa position – entre les siens et Tobirama – était exactement celle que son père avait souhaitée pour lui et il ne comptait pas bouger. De toute façon, pour l'instant, il n'était pas capable de faire face et d'attaquer pour tuer. Il était d'autant plus méfiant qu'il était convaincu que le démon n'avait pas encore dévoilé tous ses atouts.

Il raffermit ses appuis, renforça sa garde et contempla Tobirama faire de même.

Quelqu'un sonna la retraite et ils demeurèrent encore un moment à s'observer, comme pour vérifier que l'autre ne tenterait rien pendant le retrait des troupes.

Quand Izuna se fut assuré que tous les siens étaient rentré, qu'il ne restait plus personne derrière, il plongea la main dans une de ses poches et répandit un fumigène pour masquer son départ.


Une dispute violente éclata entre Tajima et Madara quelques semaines après cette bataille qui n'avait miraculeusement fait aucun mort du côté Uchiha.

Quand Izuna pénétra dans le bureau de son père, les deux hommes se faisaient face à face, la même moue contrariée sur le visage, leurs chakras voguant en pulsions dévastatrices autour d'eux. C'était Mayu qui était venue le chercher alors qu'il sortait d'une réunion privée avec les anciens.

Le conseil avait statué, semblait-il, sans même se référer au moindre expert en fuinjutsu ni même au chef de clan. Leur voix était portée par l'ancien Imaizumi qui n'avait rien caché de son mépris quand il avait expliqué à Izuna qu'un Uchiha sans âme sœur était un déshonneur et qu'ils avaient négocié son mariage avec l'héritière d'un clan marchand extrêmement riche. Qu'il servirait son clan en lui faisant des enfants au plus tôt et en accaparant la fortune des marchands pour renflouer leurs caisses. Que c'était son devoir.

Il avait écouté d'une oreille distraite, le sceau sur le kunai le hantant toujours à moitié, ayant l'impression de rater quelque chose de réellement crucial.

La réunion avait pris fin et Mayu était venue le trouver en toute hâte, parce qu'il était le seul à oser s'interposer entre Tajima et Madara.

Alors qu'il s'apprêtait à leur demander ce qui n'allait pas, Madara recommença à aboyer en direction de leur père.

— Il est parfaitement hors de question d'envoyer Izuna tout seul là-bas !

Le concerné haussa un sourcil étonné. Il ne savait pas vraiment où il devait être envoyé ni pourquoi son frère était aussi énervé mais c'était assurément une mauvaise nouvelle.

La trêve hivernale avait commencé, donc son père n'envisageait probablement pas de lui donner le commandement d'une bataille, d'autant plus qu'ils avaient bien assez de soucis à gérer sans rajouter un combat avec les Senju en plein milieu d'un cessez-le-feu, même temporaire.

Depuis une année, à présent, les tensions avec leurs alliés du clan Hagoromo s'étaient exacerbées.

Akari Hagoromo, la Sorcière Écarlate, semblait avoir décidé que son clan pouvait tout à fait se hisser dans la cour des grands plutôt que rester dans l'ombre des Uchiha. Depuis, elle multipliait les coups en traître et faisait tout pour que les Uchiha brisent leur pacte, pour rendre la trêve caduque. Elle ne faisait rien d'interdit, bien sûr que non. Elle se contentait de piétiner leurs traditions, de manquer de respect à leurs aînés et prendre par-dessus la jambe les avertissements courtois de Tajima.

Elle jetait régulièrement de l'huile sur le feu de querelles qui n'avaient pas à gagner tant d'importance. C'était dangereux. Le cessez-le-feu était crucial pour tous les clans. Si un conflit éclatait pendant l'hiver, il ne resterait probablement plus grand-monde pour pleurer quand viendrait le printemps.

Tajima rejeta l'exigence de Madara d'un mouvement de la main.

— Alors que proposes-tu ? Puisque tu sembles être déjà prêt à prendre ma place, je t'en prie, je t'écoute.

Madara ouvrit la bouche, puis la referma, n'ayant aucune réponse à faire à leur père. Izuna profita de ce silence pour s'y engouffrer, toussotant pour rappeler sa présence.

— Que se passe-t-il ?

— La Sorcière Écarlate demande à voir un émissaire du clan Uchiha, signala Tajima.

— Et c'est un piège, grogna Madara coulant vers leur père un regard plein de colère.

Tajima roula des yeux en même temps qu'Izuna. Pour l'instant, rien n'était plus évident. Le préciser était presque insultant, mais parfois Madara était ainsi, convaincu qu'il était le seul à voir quel chemin il fallait suivre, pensant que seule la voie qu'il désignait était la bonne. La plupart du temps, aussi bien Izuna que Tajima l'ignoraient.

— Et tu veux m'y envoyer pour quelle raison ? demanda le cadet à son père.

— Un assassinat. Net et sans bavure. Pas de combat, pas de grand discours ni de chorégraphie mystique…

Cette phrase gorgée d'ironie était clairement dirigée contre Madara et sa façon de mener ses affrontements contre l'héritier des Senju. Cette partie de la conversation n'avait rien à voir avec Izuna et il choisit de ne pas relever, malgré le regard suppliant de son aîné.

— Je peux le faire, confirma Izuna.

— C'est un piège, Izuna, insista Madara. Tu ne peux quand même pas–

— Je peux, interrompit Izuna. Et je vais.

Il préférait encore mourir face à la Sorcière Écarlate qu'être bradé à un clan mineur au prétexte qu'il n'avait pas d'âme sœur.


Contre toute attente, il ne mourut pas.

Quand il franchit les portes deux semaines après avoir quitté l'enceinte Uchiha, dégoulinant de sang, le regard hanté et flou, il sentit sur lui l'admiration des siens.

C'était probablement parce que ses doigts étaient serrés sur les cheveux blonds de la tête coupée de la Sorcière Écarlate, son autre main résolument crispée sur sa boussole qui n'avait même pas une rayure.

Madara lui expliqua deux jours après, quand il se réveilla, qu'ils avaient failli lui casser les doigts pour lui faire lâcher prise.

Il ne raconta jamais ce qu'il avait vu là-bas, mais c'était pour toujours gravé dans la mémoire de son sharingan.


Les Uchiha le célébrèrent pendant trois jours et trois nuits quand il fut totalement remis.

Comme c'était grossier de brader à un clan marchand mineur mais riche un héros de guerre qui avait abattu à lui seul une légende comme Akari Hagoromo, le conseil reporta le mariage d'Izuna de quelques années. Ils lui accordèrent gracieusement jusqu'à ses vingt-deux ans pour trouver sa soi-disant âme sœur.

L'aîné Imaizumi avait prononcé cette phrase avec du rire dans la voix et le fils cadet de Tajima avait eu envie de le frapper avec force, de faire rebondir son visage contre le bois de la table derrière laquelle s'alignait le conseil des anciens.

Si d'ordinaire, Izuna adorait relever les défis, celui-ci était hors d'atteinte.

À partir de ce moment, il prit l'habitude d'amener la boussole avec lui pendant ses combats et ses missions, jouant distraitement avec son capot quand cela lui était permis.

À défaut de lui apporter l'âme sœur, elle semblait au moins lui porter chance.


Une certaine lassitude envahit les compères au fur et à mesure qu'ils triaient les dernières trouvailles ramassées au cours du mois.

C'était un peu de la responsabilité d'Izuna s'ils se retrouvaient tous les trois assis devant des paniers à vider les différents objets récupérés pour les ranger, alors il évitait de s'exaspérer trop fort, slalomant avec agilité entre les regards furibonds qui lui étaient lancés.

Hikaku s'était attelé au tri de l'armement parce que c'était ce qu'il y avait de plus facile et qu'il estimait qu'il était celui qui avait le moins de raison d'être puni : si Setsuna avait frappé Saito et si Izuna l'avait encouragé en signalant les ouvertures dans sa garde (et en avait rajouté à coup de raiton), Hikaku, lui, avait essayé de calmer le jeu et ce n'était tout de même pas sa faute si, dans l'opération, Saito avait pris un méchant coup de coude qui lui avait brisé le nez.

C'était en tout cas l'excuse qu'il avait présentée pour ne pas être assigné à la partie la plus ingrate de cette tâche déjà particulièrement ennuyeuse. Setsuna et Izuna l'avaient charrié, mais n'avaient pas protesté plus que ça. Casser le nez de Saito était un rêve commun aux trois amis et que l'un d'eux ait pu le faire méritait bien une punition allégée.

À vrai dire, Izuna ne savait même plus de quoi était partie la dispute. Probablement que Saito avait encore colporté de mauvaises paroles sur Kagami et l'avait une fois de trop traité de bâtard. La dispute avait dégénéré et le ton était monté si vite que c'était une chance qu'ils n'aient fait que se battre comme des civils éméchés plutôt que s'affronter, sharingans et kunais au clair.

Saito était insupportable. Comme il était l'unique petit-fils de l'aîné Imaizumi, beaucoup lui passaient à peu près tout et même Izuna, en tant que dernier fils du chef de clan, n'était pas considéré avec tant de laxisme. Pourtant, il ne pouvait pas nier qu'il avait été choyé comme un petit prince, dans les limites des règles de restriction imposées par la guerre. Madara avait été élevé bien plus durement qu'Izuna, c'était certain.

Mais bien sûr, ça n'empêchait pas Tajima d'être sévère quand c'était nécessaire. Pour leur bagarre, ils avaient tous les quatre écopé d'une punition. Saito se retrouvait à laver la vaisselle de la cantine du clan et eux devaient s'occuper du tri.

Ils étaient mieux lotis que l'autre garçon, mais Tajima avait alourdi la punition pour Saito à cause de ses propos lamentables (« personne n'est un bâtard chez les Uchiha »). Tajima n'admettrait jamais qu'il aimait bien le petit gars qui rampait souvent à ses pieds et qu'il fallait éloigner des armes tranchantes.

Assis en tailleur, Izuna s'occupait de trier les lettres et les courriers réceptionnés ou volés, pendant que Setsuna se chargeait de ranger tout le reste, ce qui comprenait majoritairement des rations, ou des kits médicaux.

— Oh ! finit-il par s'exclamer au bout d'un moment. Elle est jolie, cette bague. Je devrais la garder pour l'offrir à Momo.

— Que voudrais-tu qu'elle en fasse ? s'étonna Hikaku en évaluant le tranchant d'un shuriken. J'aimerais pas être celui qui lui suggérera qu'elle doit être plus coquette, je tiens à garder mon cul dans un état correct.

Setsuna roula des yeux pendant qu'Izuna ricanait en accordant le point à son autre ami.

— Je vais lui offrir quand même, ça changera des armes et des rouleaux sur le katon. Tu as trouvé des trucs, toi ? demanda-t-il à Izuna qui secoua la tête en balançant un livre dans le tas à détruire.

— Des livres de prières pour l'Ermite Rikudo, quelques rouleaux de tarifs pour des importations qu'on avait déjà, rien que je pourrai garder.

Il frotta sa nuque endolorie, fit un mouvement qui fit claquer quelques vertèbres alors qu'il étirait son dos vermoulu par trop d'heures courbé sur ces bouts de parchemin.

— Je ne savais même pas que les Senju étaient pieux, dit-il en examinant succinctement la couverture du livre de prières.

Il le feuilleta rapidement, une moue sceptique sur le visage. Quand il arriva sur le milieu, une page se détacha et vola puis glissa sur le plancher pour terminer sa course sous un meuble.

Exaspéré, il tendit le bras le plus loin possible pour récupérer la feuille et la remettre à sa place, puis il balança le livre avant de passer au document suivant. Il s'agissait d'une lettre signée, en bas « Tobirama Senju, au nom de Butsuma Senju, chef du clan Senju. ».

Il contempla le tracé délicat et assuré, put presque deviner le geste derrière, la tension sur le visage du démon Senju en écrivant les caractères. Il s'attarda un peu plus sur les mots qui semblaient continuer une conversation frivole, manquant cruellement de sens, mais rien de particulièrement alarmant.

— Il a une jolie écriture, le bâtard, grimaça-t-il.

La sienne était désordonnée et brouillonne. Il avait assez peu d'occasions de s'exercer et ce n'était pas une compétence très utile. Inexplicablement, ça le frustra un peu plus encore. Si son rival avait du temps à consacrer à la calligraphie, cela signifiait qu'il passait moins de temps à s'entraîner au ninjutsu.

Izuna le prenait comme une insulte personnelle. C'était peut-être ridicule, mais lui-même passait tout son temps à s'entraîner pour être à la hauteur et finalement réussir à défaire le démon Senju. C'était un peu humiliant qu'il n'ait pas le droit à la même courtoisie de la part de son adversaire et que celui-ci se permette d'avoir des loisirs.

Il examina le papier de plus près et se réjouit de voir des taches d'encre à la droite de l'encart contenant la date.

Lui, au moins, savait ne pas faire de traces aussi laides.

Setsuna craqua.

— Mais pourquoi on garde autant de trucs ayant appartenu à des Senju, d'abord ?

Ce fut Hikaku qui répondit.

— C'est Suzume qui a eu l'idée. Elle se dit que peut-être que si on inspecte tout ce qu'on trouve, on finira par obtenir des indices qui nous aideront peut-être à craquer le code des Senju. Celui dont ils se servent pour communiquer.

Izuna sourit avant de poser la lettre qu'il venait de lire dans un tas bien particulier.

— Vous apprendrez avec surprise que Butsuma Senju aime le kabuki.

Il désigna le papier qu'il venait de poser.

— En tout cas si on en croit la lettre du démon Senju qui invitait ses lieutenants à protéger une troupe venue se donner en spectacle pour l'anniversaire de Butsuma.

— Puisqu'on parle de kabuki et de troupes itinérantes, toussota Hikaku. Je vous ai pas dit…

Il humecta ses lèvres et abandonna la fouille du panier qui l'occupait depuis le début pour observer ses amis avec un air timide.

— Je l'ai trouvée. Mon âme sœur, je l'ai trouvée.

Il n'eut pas le temps d'en dire plus qu'il fut interrompu par des cris de joie et fut rapidement enseveli sous un tas de bras et de jambes.

Elle faisait partie du convoi commercial qui avait visité le clan le mois précédent et qu'il avait accompagné jusqu'à la ville moyenne la plus proche. Ils avaient promis de s'écrire le plus souvent possible. Ils s'étaient bien entendus au premier regard, précisa-t-il, ils avaient tout de suite senti quelque chose qui s'agrippait entre eux.

Setsuna ricana sous l'air rêveur et romantique d'Hikaku et le rire d'Izuna se coinça un peu quand il essaya de suivre, légèrement à retardement.

Et s'il y avait une pointe de jalousie dans la voix d'Izuna quand il félicita son meilleur ami, elle fut vite oubliée au profit d'un récit exhaustif et détaillé de chaque seconde de la rencontre entre Hikaku et Hamiko.


— C'est tellement injuste, soupira Setsuna alors que Kagami, tout en rondeur de bébé et en couche-culotte, se jetait dans les jambes d'Izuna qui le souleva du sol pour le porter dans ses bras. C'est mon neveu à moi, mais c'est toi qu'il préfère.

Izuna haussa les épaules, frottant son nez contre celui de l'enfant qui éclata de rire et rendit le geste en jetant ses bras autour du cou d'Izuna. Kagami était son havre de paix. Il s'était attaché au bébé qui riait tout le temps, agitant ses boucles brunes au rythme délicat et pétillant de ses éclats de joie.

Il ne répondit pas, consolidant sa prise sur l'enfant et tournant sur lui-même alors que Kagami levait les bras au ciel pour s'émerveiller de la vitesse à laquelle il tournait.

Kagami était un petit qui parlait peu. Pas qu'il ne savait pas le faire, c'était simplement qu'il préférait se taire. Au naturel, Kagami était intimidé. Par tout. Certains anciens le scrutaient comme s'il était la nouvelle honte du clan et Izuna se sentait proche de l'enfant à cause de ça.

Momo, la sœur de Setsuna, était revenue grosse des œuvres d'un civil après une mission. Elle avait ignoré les jugements, refusé d'avoir honte et avait haussé la tête avec fierté quand certains la traitaient de traînée. La proposition d'exil des anciens leur avait été jetée au visage par un Madara excédé qui leur avait juré mille et un tourments si cette suggestion parvenait jusqu'à Tajima. Et il était capable de s'exécuter sur l'instant. C'était la principale raison pour laquelle Izuna n'avait toujours rien dit pour la négociation de mariage prônée par les anciens un an plus tôt.

Depuis quelques mois, maintenant, l'enfant marchait et s'était pris d'affection pour lui. Izuna la lui rendait, sourire pour sourire, bisou pour bisou, toujours prêt à consacrer du temps à cette bulle de bonheur qui avait éclos en lui.

S'il n'avait pas regardé sa boussole des dizaines et des dizaines de fois depuis la naissance de Kagami, Izuna aurait presque pu se laisser penser que c'était lui cette âme sœur qu'il attendait tant. Il avait tout de même vérifié, par acquit de conscience, mais l'aiguille était définitivement braquée ailleurs que sur l'enfant.

Il avait simplement dû admettre qu'il aimait le gamin, aussi étrange que cela puisse sembler.

Quand Kagami se lova dans son cou, sa main potelée saisissant les cheveux d'Izuna, il consentit à répondre à son meilleur ami.

— C'est parce que je suis infiniment plus mignon.

Setsuna jappa, Izuna tira la langue et finalement, le premier se départit de son faux air boudeur, tendant la main pour replacer le col de la veste de son neveu, s'assurant qu'il n'attrapait pas froid. La trêve et les premières neiges arrivaient vite, mais avant cela, il y aurait une célébration particulière. Si n'importe qui avait demandé aux Uchiha ce qu'ils fêtaient, tous auraient innocemment répondu qu'ils fêtaient le solstice, ce qui était faux. La Sorcière Écarlate avait payé sa trahison une année auparavant. Cela méritait d'être signalé.

Pour cette année, ils accueillaient aussi la procession de marchands de laquelle l'âme sœur d'Hikaku faisait partie. Il y aurait une discussion de mariage qui serait très différente des habituelles conversations qui se tenaient avec eux.

Ces civils échangeaient des vivres contre la promesse d'un acheminement à bon port du reste de la cargaison. Cette partie-là ne changerait bien entendu pas, ils rajouteraient seulement quelques points pour célébrer les fiançailles entre Hamiko et Hikaku. C'était le sceau qui graverait cette alliance définitivement, il était donc plus que nécessaire de la penser correctement. Quand ce serait fait, la troupe repartirait accompagnée de quelques shinobis Uchiha. L'escorte serait menée par Hikaku et quelques hommes dont ni Izuna ni Setsuna ne faisaient partie.

En attendant, les préparatifs de la soirée allaient bon train et les deux adolescents avaient choisi Kagami comme prétexte pour ne pas aider à la décoration des lieux, principalement parce qu'ils n'en avaient pas envie.


À vrai dire, Izuna n'était pas sûr de vouloir célébrer quelque chose qui hantait encore ses cauchemars.


Quand Kagami avait finalement décidé de retourner auprès de sa mère, Izuna avait passé du temps avec les jeunes civiles qui lui tournaient autour. Il leur avait fait visiter l'enceinte en longeant la palissade, évitant les endroits interdits, bien entendu.

Une d'entre elles, mignonne, bien en courbe, brune comme il aimait tant, lui avait fait comprendre qu'elle souhaiterait qu'il visite une certaine partie de son anatomie, peut-être plus tard, quand l'ambiance se prêterait un peu plus à ce genre d'activités.

Il n'avait pas dit non.

Saito l'avait fait pour lui. Décidément, ce type était un poison. Il s'était chargé d'expliquer à la civile qu'Izuna n'avait pas d'âme sœur, pas plus que de temps à consacrer à une jeune femme n'étant pas sa fiancée.

Ce n'était pas tant l'occasion perdue de rouler dans un buisson avec une file qu'il ne reverrait jamais qu'Izuna regrettait. S'être laissé atteindre par les paroles fielleuses de Saito, en revanche, avait été un coup dur. Malgré lui, il avait senti une colère et une honte sans nom l'envahir au fur et à mesure que le petit-fils de l'aîné Imaizumi parlait.

Après presque six ans, il pensait s'être fait à l'idée de ne pas avoir d'âme sœur.

Il avait récemment découvert une nouvelle excentricité à son Artefact. Parfois, sans crier gare, l'aiguille avait un mouvement de balancier inexplicable, passant de boussole à pendule, oscillant doucement d'un point à l'autre, le périmètre parcouru s'étendant, se réduisant au gré de ses envies.

C'était ce mouvement-là qui l'avait forcé à déserter les célébrations. De toute façon, personne ne le chercherait dans l'immédiat et personne ne pourrait lui reprocher d'être parti tant que les civils étaient présents, même si c'était lui le héros de la fête.

Dans la lumière entre chien et loup, il commença à s'enfoncer prudemment dans la forêt avoisinante, les yeux plissés, le sharingan activé, ses rétines revenant trop souvent vers le balancement. Il avait choisi de se diriger vers le point fixe du cadran. Il avait remarqué cette autre bizarrerie : quand le mouvement de balancier commençait, il ne s'étendait pas dans les deux sens, il revenait toujours buter à l'exact point d'où il était parti, sauf en de rares occasions.

Et Izuna avait besoin d'en avoir le cœur net.

Il avait désespérément besoin de n'importe quoi qui pourrait le rassurer et l'apaiser. Et qui ne soit pas Kagami, parce que Kagami devait dormir à heures fixes et n'allait pas tarder à prendre son bain et se coucher.

Il s'élança toujours plus rapidement dans la forêt, bougeant, avec grâce et dextérité : il connaissait ce coin comme sa poche, n'avait même pas besoin de les distinguer vraiment pour éviter les racines, les bosses et les arbres.

Plus il s'approchait, plus l'aiguille montrait des signes de vacillement et son cœur battit de plus en plus fort, l'effort et l'émotion.

Il orientait son corps avec précision, l'habitude gravée dans ses muscles de réagir à la moindre variation que le sharingan détectait lui permettant de s'adapter, de se stabiliser.

Soudain, il y eut un éclair vif. Il attendit le tonnerre qui ne vint pas puis baissa les yeux sur sa boussole. L'aiguille pointait à présent dans la direction opposée.

De dépit, de déception, il ferma les paupières et laissa un tremblement l'agiter de part en part.


La nuit suivante, il tourna et vira dans son lit pendant des heures après avoir été réveillé en sursaut par Madara. Son frère l'avait secoué pour le tirer du sommeil après avoir entendu ses cris qui résonnaient dans toute la maison principale.

Les cauchemars à propos de la Sorcière Écarlate le hantaient toujours. Madara le savait, mais n'avait jamais posé de questions. Il espérait sans doute qu'Izuna viendrait lui parler s'il en ressentait le besoin, mais jamais Izuna ne l'avait fait.

Il somnolait à peine, serrant contre lui tout à la fois sa boussole et sa couverture, ne sachant pas vraiment s'il souhaitait que sa fatigue l'emporte ou s'il tentait de se maintenir éveillé. La nuit était déjà pas mal entamée : dans la maison résonnaient les ronflements de Tajima et la respiration lente de Madara qui s'était depuis longtemps assoupi.

Izuna avait rejeté la proposition de son aîné, lorsque celui-ci lui avait suggéré de dormir ensemble. Même si Madara irradiait le réconfort, le cadet estimait qu'il avait passé l'âge de se réfugier dans le lit de son frère quand un mauvais rêve le faisait trembler. Il était capable de gérer seul.

Pourtant, il tournait et virait, sharingans activés pour mieux voir dans le noir de sa chambre, incapable de rester tout à fait serein dans la nuit épaisse. Il avait hésité à rallumer la lampe à huile, puis avait considéré le geste comme un gâchis de ressources. Il avait la chance d'avoir des pupilles qui le rendaient nyctalope, autant en profiter.

Les pensées et les souvenirs qui rôdaient dans le noir le firent se recourber un peu plus autour de sa boussole alors qu'il se forçait à réfléchir à autre chose, n'importe quoi qui pourrait éloigner les ombres qui rampaient dans sa mémoire.

Une heure passa durant laquelle il regarda l'aiguille pointer fixement vers le sud-ouest. Ses paupières commencèrent à se fermer toutes seules alors que ses pensées dérivaient sans qu'il puisse les saisir totalement.

Ce fut un cliquetis soudain et répété qui lui fit rouvrir les yeux et papillonner des cils en direction du cadran posé sur sa main lâche. L'aiguille vacillait, sautait d'un bord à l'autre, dansait dans un arc de cercle qui s'élargissait lentement et commençait à pointer vers le nord.

Soudainement parfaitement réveillé, ayant complètement mis de côté le sombre cauchemar qui l'avait pourtant remué jusque dans ses fondements, Izuna se redressa dans son lit, posa sa boussole sur la table de chevet et se leva pour retirer son yukata de nuit et enfiler quelque chose de plus chaud, ainsi que des chaussures et un manteau épais.

Quand il fut paré, il emporta son Artefact avec lui, activa ses sharingans et sortit de la maison avec toute la discrétion dont il était capable, contournant la patrouille du deuxième quart qui revenait et qui murmurait des instructions à la troisième équipe en charge de la surveillance.

Ce fut plus délicat qu'il ne l'aurait cru de se faufiler hors de l'enceinte sans encombre, principalement parce qu'il faisait en sorte de maintenir ses niveaux de chakra le plus bas possible pour ne pas attirer l'attention d'un Madara échevelé et en pyjama qui ne manquerait pas de le poursuivre pour le disputer s'il le sentait s'éclipser si tard dans la nuit.

Quand il fut assez loin de chez lui, il pressa l'allure, jetant par moments des regards en direction de l'aiguille de sa boussole, réajustant sa trajectoire sans même y penser.

Il connaissait ce coin de forêt comme sa poche. Il en savait les parfums, il connaissait parfaitement le bruissement du vent dans les branches dénudées, le crissement de la neige sous les semelles de ses chaussures et le silence endormi qui régnait en maître et dans lequel il réussissait à se fondre sans la moindre difficulté.

L'odeur des sous-bois était familière, envoûtante et le sentiment d'excitation qui l'envahit à l'idée d'être ainsi à la poursuite de quoi que ce soit qui fasse réagir la boussole parvint finalement à chasser les plus petits résidus du malaise qui l'avait tenu éloigné du sommeil.

D'un geste souple et félin, il bondit pour se hisser sur une branche, sachant qu'au sol, des pièges demeuraient puis il continua à avancer toujours plus rapidement, gardant à portée de vue le voyage de l'aiguille et la direction dans laquelle il devait s'orienter.

Il s'enfonça tellement profondément dans les terres qu'il finit par débarquer sur le territoire Senju. Quand il s'en rendit compte, il se figea sur la branche où il avait atterri et il s'empressa de ranger sa boussole dans sa poche et voulut rebrousser chemin pour retourner sur le territoire Uchiha et éviter les probables patrouilles de ses ennemis.

Il resta immobile quelques instants, scrutant l'obscurité rendue claire par son sharingan, puis il tendit l'oreille pour mieux percevoir les sons, sa respiration erratique répondant aux bourdonnements sourds de son cœur qui battait contre ses tempes. Il lui paraissait presque qu'il tambourinait haut et fort et perçait le silence avoisinant.

Puis soudain, un nouveau son. Il crispa un peu plus, força sur ses pupilles pour essayer d'éclaircir la vision qui s'offrait à lui. Le sharingan ne permettait pas de distinguer les couleurs en pleine nuit, mais il donnait au moins la possibilité d'identifier clairement les formes et les personnes. Et s'il se concentrait pleinement, il pouvait même avoir une vision limpide, mais en noir et blanc.

Alors il se regroupa et se laissa tomber à bas de l'arbre où il était perché, s'avançant prudemment en restant dissimulé parmi les feuilles et les branchages et il finit par trouver refuge à l'abri d'un arbuste suffisamment massif pour cacher sa présence tout en lui permettant d'observer la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Dans une petite clairière dont il ignorait l'existence au cœur de la forêt se tenaient Butsuma et Tobirama Senju, visiblement en plein milieu d'un échange de mots mouvementé.

Aucun des deux n'était en armure. Ils portaient des kimonos de célébration, même tard dans la nuit et Butsuma transportait une lampe à huile qui éclairait la clairière, jetant une lumière orangée qui mettait en relief tous les plis et toutes les bosses de son visage si creusé en comparaison à la peau lisse et sans aspérité de Tobirama.

Izuna fronça les sourcils. Le chef du clan Senju avait l'air particulièrement agité face à son fils cadet qui restait de marbre.

Les voir côte à côte prouva à Izuna que Tobirama avait encore grandi. Il mesurait à présent la même taille que son père et le jeune Uchiha catalogua cette information comme un retour inutile de ses pupilles fantastiques.

Le fait que Butsuma paraisse si inquiet face à son fils qui ne bronchait pas, hochant parfois la tête pour ponctuer le discours de son père incita Izuna à redoubler d'efforts pour se concentrer sur les mouvements de lèvres faits par Butsuma. Il brûlait de savoir de quoi pouvaient bien discuter un chef de clan et son héritier de secours au beau milieu de la nuit. Il voulait ce qui pouvait force deux des trois plus gradés du camp ennemi à palabrer en secret.

Il s'avança un peu plus dans l'arbuste, sa main bougea et sous son pied gauche, une branche craqua.

Pendant un court instant il lui sembla que tout se figea brutalement : le temps, son sang, son cœur, son cerveau, le plus petit frétillement de son corps et les silhouettes déjà tendues qui se tenaient plus loin dans la clairière.

Prudemment, il releva les rétines.

Tobirama regardait dans la direction du buisson où il était caché. Le fixait de ses yeux rouges. Izuna aspira une goulée d'air silencieuse.

Le pied de Butsuma bougea. Son buste s'orienta vers l'arbuste également.

Izuna allait mourir, il en était certain.

Les deux Senju bougèrent d'un même mouvement.

Butsuma s'élança vers Izuna, mais Tobirama ne suivit pas le mouvement. Au lieu de lui aussi se jeter en direction de son ennemi, il attrapa son père en plein vol, sortit une dague d'un des plis de son kimono et tira la tête de Butsuma vers l'arrière, exposant sa gorge tendue.

Butsuma baissa des yeux effrayés vers Izuna, probablement sans le voir vraiment.

La lame glissa sur la gorge, s'enfonça dans la chair et Tobirama tira. Quand le corps de Butsuma s'affaissa à ses pieds, convulsant et sans vie, il jeta un dernier regard vers l'arbuste dans lequel Izuna était caché, incapable de réagir.

Incapable de réaliser ce qu'il venait de se passer.

Il cilla. Et quand il releva ses rétines vers Tobirama, celui-ci avait disparu, ne laissant derrière lui que le cadavre de son père baigné dans la lueur de cette lampe à huile, auréolée d'une fumée alarmante.


À présent qu'il était revenu dans son lit et qu'il s'était emmitouflé dans sa couverture, incapable d'éteindre son sharingan, de calmer le rythme erratique de son cœur, de mettre des mots sur ce qu'il avait vu et qui était pourtant une complète aberration, il regretta de ne pas avoir accepté la proposition de Madara.


Voilà, j'espère que vous avez aimé cette deuxième partie !