Avec un peu de retard, la partie 4. Elle sera amenée à être modifiée et updatée dans un avenir proche, je n'ai pas pris le temps de la corriger.
Partie 4
Le tonnerre qui grondait se trouvait au-dessus de sa tête. Ce fut la première chose qu'il pensa quand il reprit conscience dans une lumière basse et naturelle, grisée par l'orage qui déchirait le ciel.
La pluie s'abattait en un crachotement de fond qui permettait de rafraîchir l'atmosphère lourde. Il frissonna et ramena sur lui le peu de couverture qu'il avait à sa disposition, les yeux rivés sur le plafond qu'il ne reconnaissait pas, entouré par une odeur à la fois familière et totalement étrangère.
Il lui fallut un moment pour réaliser qu'il n'aurait pas dû se réveiller.
Qu'il devrait être mort.
Les souvenirs de la dernière bataille le firent tenter de se redresser dans son lit, mais il échoua, ne parvenant qu'à se trémousser alors qu'il portait une main à son côté gauche, là où la lame avait tailladé.
Un nouveau coup de tonnerre gronda, assourdissant et les éclairs clignotèrent dans la pièce alors qu'il haletait, sa main ne trouvant ni plaie ni bandage. Comme si cette bataille n'avait eu lieu que dans un rêve flou dont il peinait à émerger. Ses gestes étaient lourds, engourdis comme s'il avait trop dormi et il gémit bassement en se tortillant un peu plus pour tâtonner à gauche sur sa table de chevet à la recherche de sa boussole dans un réflexe qu'il ne pouvait jamais vraiment contenir.
Sa main ne rencontra que le vide.
Parfaitement éveillé, cette fois, Izuna réalisa qu'il n'était pas dans sa chambre. Qu'il ne reconnaissait ni les sons ni les odeurs. Que le plafond n'avait pas la bonne couleur. Que l'atmosphère était électrique et lourde comme en fin d'été.
Un mauvais pressentiment le saisit à la gorge alors qu'il essayait de nouveau de se redresser.
Son autre bras sortit des couvertures, puis du lit et tapa un meuble. Il tourna la tête pour y trouver un chevet de bois sombre familier. Il cligna des paupières et fit de son mieux pour se calmer et pour contempler la pièce avec plus d'attention.
Elle ressemblait à sa chambre, mais tous les meubles avaient été inversés, comme dans un mauvais simulacre de sa vie.
Au cas où, il se pinça, tenta de dissiper un genjutsu et quand rien ne se passa, il conclut que c'était la réalité et il ne savait pas vraiment ce qu'il préférait.
Sa main chercha la poignée du tiroir de la table de chevet puis tâtonna dedans, un soulagement intense s'insinuant en lui quand il sentit le froid familier du métal de sa boussole. Il l'attrapa et ouvrit le capot, pour regarder l'aiguille orientée au sud puis il la referma, s'agrippant malgré lui à la sensation réconfortante de savoir que personne ne la lui avait prise, qu'elle était toujours là.
Son flanc gauche n'était pas douloureux. À vrai dire, il n'avait mal nulle part à part au dos et à la tête, un début de migraine picotant derrière ses tempes. Ça lui arrivait quand il avait trop dormi.
La question restait maintenant de savoir combien de temps il avait dormi, ce qu'il avait raté et pourquoi, bon sang, pourquoi il n'était pas mort sous la lame du démon Senju ? Et pourquoi Madara n'avait-il pas obéi à ses suppliques et pris ses yeux ?
Une nouvelle fois, il tenta de bouger et parvint finalement à se redresser, un voile bleu et une sensation de tournis percutant sa vision. Il se stabilisa et attendit d'être de nouveau capable d'effectuer un mouvement avant de sortir de la couverture pour s'avancer jusqu'à la fenêtre et contempler l'extérieur.
L'image qui s'offrit à lui n'était pas vraiment ce qu'il attendait.
Izuna ne savait pas vraiment ce qu'il attendait, mais quoiqu'il voie actuellement n'était clairement pas ce qu'il pensait trouver à son réveil. À la place de l'habituelle vue sur la forêt qu'offrait sa chambre, il y avait tout autour de lui des bâtisses en cours de construction, des ruissellements de terre emportée par les eaux qui tombaient diluviennes, drainées par la pente et transportées jusqu'à la rivière qui faisait résonner son tumulte dans les rues vides.
Le ronron des conversations provenant de plus loin, hors de son champ de vision, laissait à penser que d'autres personnes se retrouvaient à vivre dans les environs.
Izuna déglutit, ses intuitions se renforçant davantage encore.
Il s'avança jusqu'à son placard et s'y raccrocha pour ne pas tomber quand il constata que ses pieds ne répondaient plus à ses ordres avec autant d'agilité qu'auparavant. La porte glissa quand il poussa dessus, dévoilant les vêtements qu'il y conservait, ainsi que son armure qui avait apparemment été restaurée. Il saisit une tunique et un pantalon, se débarrassa du yukata de nuit qu'il portait en grimaçant d'un air dégoûté quand il sentit l'odeur qui en émanait.
Vaguement, il pria pour sentir moins mauvais que ça, mais il n'y croyait pas trop.
Après quelques tortillements qu'il jugea pathétiques et indignes de son rang de deuxième shinobi le plus fort du clan Uchiha, il se retrouva enfin vêtu et décida de traverser la pièce, ne s'arrêtant pas pour récupérer son artefact délaissé sur la table de chevet.
Il ouvrit la porte et cligna des yeux, se figeant en se retenant au mur pour essayer de localiser les voix qui discutaient quelque part dans cette maison qui n'était certainement pas la sienne. Une exclamation plus forte que les autres lui permit d'identifier la voix de Madara, mais il ne connaissait pas celle qui était avec lui. Ou, en tout cas, il ne parvenait pas à l'identifier.
Se retenant toujours au mur, il se força à avancer jusqu'à l'endroit où se trouvait son frère.
L'espace n'était pas aussi exigu qu'il avait été auparavant : c'était une immense pièce à vivre et Madara s'y était installé à la lueur de bougies à la citronnelle qui permettaient d'ordinaire d'éloigner les moustiques en plein été et, dos à Izuna, il y avait quelqu'un portant de longs cheveux bruns et un yukata informel.
Le frère d'Izuna partageait une coupe de saké avec cette personne, se penchant sur un document qu'ils avaient mis entre eux en diagonale pour pouvoir le lire et, quand Madara leva sa coupe pour la vider, il se rendit compte que son cadet avait émergé de son inconscience.
— Izuna, souffla-t-il un peu inquiet. Qu'est-ce… Tu aurais dû m'appeler, tu ne dois pas faire d'effort !
Il se leva précipitamment pour venir se placer devant son frère et le soutenir, peut-être même le reconduire dans sa chambre, mais c'était trop tard. Izuna avait vu qui avait l'audace de s'installer à la même table que son frère pour rire avec lui.
Malgré la faiblesse de son corps, Izuna repoussa Madara qui essayait de l'aider à retourner vers sa chambre. Il vacilla, se raccrocha au mur et siffla :
— Mais qu'est-ce que tu fous, Madara ? Qu'est-ce qu'il fait là, celui-là ?
Derrière eux, Hashirama Senju s'était relevé dans toute sa hauteur, portant sur les deux frères une œillade soulagée, comme s'il était heureux de voir Izuna se trouver parmi eux. Pour autant, il ne fit pas un mouvement pour s'avancer vers eux, comme s'il sentait la menace qui émanait par vagues du frère fraîchement sorti de l'inconscience. Les yeux d'obsidienne du cadet Uchiha glissèrent sur le chef du clan Senju, revinrent derechef sur son aîné pour le foudroyer du regard.
Madara fit un nouveau geste quand son frère bascula et Izuna esquiva l'aide une fois de plus.
— Les choses ont changé pendant ton inconscience, lui apprit Madara d'un ton doux et apaisé. Laisse-moi te ramener à ta chambre et je vais tout–
— Certainement pas, cracha Izuna. Je peux déjà deviner et je ne veux pas entendre ça ! Tu as fait la paix avec nos ennemis !
Un claquement sonore résonna dans le silence qui s'était épaissi au fur et à mesure que la colère d'Izuna grimpait en flèche.
Il n'avait pas besoin d'être un génie pour comprendre ce qui avait dû se passer. Profitant de son inconscience, Madara avait sûrement fait ce qu'il rêvait de faire depuis toujours, ce qu'Izuna avait pressenti depuis si longtemps : il avait rendu les armes. Il avait préféré une paix dans la défaite à une victoire. Il avait sali tous les sacrifices qui avaient été consentis par les Uchiha, par Momo, par lui-même, pour simplement accepter la reddition.
Ce qui déformait le visage d'Izuna était bien plus profond qu'une simple colère, mais Madara ne se laissa pas impressionner. Il avança une nouvelle fois, se fixant dans la ligne de mire entre Hashirama et Izuna et ce fut à ce moment-là que le plus jeune réalisa qu'il avait activé son sharingan. Il y eut un bruissement de vêtements et finalement, une voix chaude, grave et profonde qui annonça « je vous laisse discuter entre frères, Madara ». La présence d'Hashirama Senju disparut comme elle était venue et, au lieu d'au moins un peu impressionner Izuna, ça l'énerva encore plus.
— Tu as vendu notre clan à ces chiens à la seconde même où le démon m'a abattu ! L'occasion était trop belle, c'est ça ? Tu en as profité pendant que j'avais le dos tourné ? C'était avant ou après avoir veillé à mon chevet ? As-tu au moins pleuré pour moi ?
— Izuna, tenta Madara en s'approchant un peu plus, s'il te plaît, calme-toi, je vais tout t'expliquer.
— NON !
L'air crépita entre eux et la foudre apparut en un flash autour de lui. Elle disparut aussi sec mais maintint Madara à une distance raisonnable alors qu'il lui portait un nouveau regard désolé.
Jamais Izuna ne s'était senti aussi trahi.
Pas même quand sa boussole avait refusé de fonctionner.
Pas même quand l'aîné Imaizumi avait profité de cette défaillance pour le vendre au clan marchand le plus offrant.
Bon sang, même quand Tobirama Senju avait exécuté son père de sang-froid, même là, il ne s'était pas senti aussi trahi.
Finalement, il y avait bien quelqu'un que son frère aimait plus que lui. Aimait au point d'aller signer un traité de paix alors que son cadavre était encore chaud, malgré toutes ses réticences et tous les avertissements qu'il avait sifflés, malgré ce qui aurait dû être ses derniers mots, sa dernière volonté : « ne fais pas confiance aux Senju ».
Au lieu de respecter son souhait, Madara avait fait exactement l'inverse. C'était humiliant. Et douloureux.
Il cligna des paupières pour empêcher les larmes de rage de couler. L'électricité serpentait toujours autour de son corps, empêchant Madara de l'approcher et finalement, Izuna tourna les talons, se dirigeant vers ce qu'il pensait être la porte d'entrée. Il l'ouvrit et se dirigea dehors, ne tenant compte ni de la pluie ni de la direction qu'il prenait. Tout ce qu'il voulait, c'était mettre le plus de distance possible entre Madara et lui. Ne plus voir son traître de frère.
Alors tous ses efforts avaient été réduits à ça ? Devenir les sous-fifres des Senju ? Devenir les obligés de personnes sans honneur ?
C'était pour ça que Momo était morte ? C'était pour ça qu'il l'avait laissée mourir ? Pour ça qu'il avait dû si souvent faire des choix qui lui avaient cisaillé le cœur ? C'était à ça qu'il avait dédié toute son énergie depuis ses dix ans ? Finalement s'agenouiller devant les Senju pendant que Madara buvait du saké avec son meilleur ami d'enfance ?
C'était une honte, voilà ce que c'était.
Il ne put cependant pas aller bien loin avant de se sentir de nouveau mal. Il trébucha et s'affaissa, mais ne toucha pas le sol, retenu par Madara qu'il le rattrapa.
— Ne me touche pas, grogna Izuna, dégage !
Si sa main se crispait sur la tunique de son frère, et si le peu de force qui lui restait lui servaient à rester proche de lui, ses mots tenaient un tout autre discours.
— Tu m'as trahi, Madara, tu nous as tous trahis. Comment as-tu pu faire ça ?
Madara réinstalla son frère contre lui et finit par le soulever pour le porter jusqu'à la maison, le mettant à l'abri. Il le réinstalla dans son lit et attrapa la chaise qui était installée contre un mur, visiblement laissée là pour les nombreuses visites que Madara faisait à son cadet.
— L'été mourra bientôt, commença par dire Madara.
Ostensiblement, Izuna se retourna dans son lit après avoir saisi sa boussole pour la serrer contre son cœur.
C'était décidément la seule constante dans sa vie : elle était toujours, toujours présente, toujours inefficace et cassée. Et il l'aimait, cette boussole, la chérissait plus que tout. Le contact glacé du métal paraissait presque chaud sur sa paume refroidie par la colère et par la pluie qui avait coulé sur lui.
L'été se mourait, en effet. Les orages le lui avaient appris avant Madara. Une telle surcharge, une ambiance si électrique ne pouvait exister que lorsque l'automne se rapprochait. C'était dans ces moments qu'Izuna avait le plus de difficulté à contrôler sa nature raiton, parce qu'elle était totalement influencée par les orages qui se pressaient dans le ciel, se déchaînant avec une puissance magnifique.
— Je n'ai pas signé un traité de paix dans ton dos, souffla Madara d'un ton blessé à cette idée. Nous avons perdu notre dernier combat. Hashirama m'a vaincu.
Izuna, figé par les paroles insensées, ne prononça pas le moindre son, guettant ceux qui indiquaient que Madara basculait son poids vers l'avant de la chaise. Il n'était pas difficile d'imaginer qu'il appuyait ses coudes sur ses genoux pour enserrer sa tête de ses mains, les doigts perdus dans ses cheveux trop longs.
— Quand tu es tombé, j'ai cru que je t'avais perdu, Izuna. J'ai cru que tu étais mort.
Il y eut un « pop » humide, puis un soupir.
— Ce n'est pas passé loin. Les fièvres t'ont rendu délirant pendant des jours entiers et puis tu as sombré dans l'inconscience. Pour moi, tu étais… Tu étais m-mort.
La déglutition bruyante qui envahit la pièce laissait entendre combien Madara se débattait avec ses mots, combien ce qu'il avait traversé était indicible.
— J'ai perdu, Izuna. J'étais à terre, au bout de son épée et au lieu de me tuer, il m'a tendu la main. Il m'a proposé la paix. Pas une paix de vainqueur à vaincu, mais d'ami à ami.
Izuna ricana d'incrédulité malgré l'émotion qu'il ressentait à l'idée que son frère l'avait cru mort. Lui-même ne serait pas beau à voir si les situations étaient inversées, mais ça n'apaisait pas vraiment sa colère.
— Et tu l'as cru ?
— Bien sûr que non, siffla Madara, qu'est-ce que tu crois ? Je lui ai dit de tuer son frère pour qu'on soit quittes.
Le cœur d'Izuna se glaça.
Alors le démon Senju est mort ?
Il ne savait pas vraiment quoi ressentir à cette idée. Peut-être qu'il ne devrait rien ressentir, mais son cœur se serrait et il se souvint des mots de son père « On s'habitue à un bon ennemi ».
— Il ne l'a pas fait, détrompa Madara. Il a refusé de tuer la raison pour laquelle il voulait fonder un village. Pour laquelle nous voulions fonder un village.
Il laissa passer un silence pour permettre à Izuna de s'habituer à l'idée. Celui-ci bougea légèrement dans le lit, mais ne se tourna pas plus vers son frère.
— Je voulais te sauver, Izuna. Je voulais que tu sois en sécurité. Tu peux me reprocher ce que tu veux, mais tu ne peux pas m'en vouloir de t'aimer au point de mettre fin à ce conflit. Dors. On en reparlera demain.
Les orages ne se calmèrent pas pendant une semaine, pas plus que les disputes.
Ni l'un ni l'autre ne semblait vouloir céder sur sa position, le conflit perdura encore et encore. Madara insistait à dire que c'était la seule solution pour faire mieux que leurs prédécesseurs, qu'il n'y avait aucune raison de continuer ce conflit séculier et Izuna ne pouvait s'empêcher de les énumérer, ces raisons, les nommant, rappelant à son frère ce que ces guerriers avaient aimé, ce qu'ils auraient pu chérir s'ils n'avaient pas commis l'erreur de se trouver dans les trajectoires des Senju.
Cet argument ne prenait pas sur Madara qui le repoussait d'un geste de la main, précisant qu'eux aussi avaient tué des Senju, qu'ils n'étaient pas non plus tout propres et qu'il y avait probablement des orphelins Senju qui l'étaient à cause d'eux.
Incapables de se comprendre, ils se quittaient chaque soir fâchés l'un contre l'autre, Madara partant en claquant la porte en direction de ce Senju de malheur.
Puis vint la dispute finale.
Elle débuta comme toutes les autres quand Izuna refusa d'entendre parler de cette absurdité de village, de l'avancée des travaux, des maisons qui poussaient sous son nez comme des champignons vénéneux.
La paix était bien, Izuna pouvait au moins concéder cela à son frère. Lui aussi s'était battu toute sa vie pour parvenir à arrêter de se battre et il n'y avait rien qu'il souhaitait plus que voir le rêve son frère se réaliser.
Cependant, le village et le copinage avec le clan qui avait tué tant de ses frères, avec le clan de son propre assassin, ce n'était pas possible. C'était trop lui demander.
Madara rétorquait sans cesse « mais tu n'es pas mort », comme si ça annulait l'acte, la douleur, la déchirure du monde d'Izuna et les mois qui manquaient à sa mémoire parce qu'il les avait passés dans l'inconscience, entre poussées de fièvre et délires épais.
Quand il calmait sa colère, Izuna entendait ce que son frère voulait dire. Il entendait que Madara n'aurait jamais souhaité faire la paix avec des personnes qui l'auraient tué s'il était bel et bien mort.
Cependant, comme il ne décolérait jamais vraiment, le message passait mal, était reçu de travers et cela déboucha à la dernière dispute.
Madara apaisa soudainement sa colère, calma la fournaise de son aura pour redescendre en pression et porter un regard presque serein sur son cadet.
— Cette paix et ce village, je les aurai avec ou sans toi, petit frère. À toi de décider si tu veux être une partie de mon rêve.
Remué jusque dans les tréfonds de son être de voir la rapidité avec laquelle Madara était passé de son affirmation « je fais ce village pour toi » à cette phrase plate et terriblement déchirante, Izuna papillonna des cils et baissa les yeux, un jappement incrédule franchissant ses lèvres.
— Alors amuse-toi bien avec tes nouveaux frères.
Il se débarrassa sans plus tarder de la couverture qui le recouvrait pour aller saisir les seules choses qu'il ne laisserait jamais derrière lui : sa boussole et ses armes. Il traversa la pièce d'un pas décidé et s'arrêta un instant sur le seuil, prenant une respiration, mais il renonça à dire quoi que ce soit, secouant la tête avec dépit.
Derrière lui, Madara n'avait pas bougé et ne paraissait même pas se soucier de le retenir. Izuna avait pourtant espéré qu'il poserait une main sur son épaule et l'empêcherait de partir, mais son frère n'avait pas fait le moindre geste.
Il battit des cils pour empêcher l'idée de lui broyer le cœur et il passa la porte sans un regard en arrière.
Quand il sortit de la maison fabriquée par Hashirama au cœur de ce qu'ils osaient appeler un village et qui n'était finalement que des planches qui tenaient cahin-caha, il laissa une partie de sa rage jaillir en un grognement frustré.
Ils vous bercent dans un sentiment de confort pour mieux vous trahir, voulut-il hurler dans la rue, mais les forces lui manquèrent. Il dut se raccrocher à la palissade la plus proche pour reprendre le contrôle de ses genoux qui tremblaient. Puis il resserra sa main sur la sangle qui maintenait son katana dans son dos, porta ses doigts à sa boussole pour regarder l'aiguille qui pointait toujours en direction du sud avant de bondir vers le sud-est.
Ce bon vieux sud-est, une direction qu'il n'avait plus vue depuis si longtemps. Il ferma les paupières un instant, puis, déterminé, il orienta son regard au nord-ouest et se remit en marche.
Il n'était visiblement pas le bienvenu ici.
Son frère ne voulait pas de lui, préférant ses jeux de cour avec le surpuissant Senju qui dirigeait sans doute ce simulacre de village.
Izuna avait été enterré avant même d'avoir poussé son dernier soupir et toutes ses dernières volontés avec lui. Il n'avait plus rien à faire ici. Et si ce qu'il voulait pour le clan ne pouvait pas satisfaire aux exigences de leur chef, si le bien du clan n'avait pas le même sens pour eux deux, alors il n'avait pas à s'attarder plus que nécessaire.
De toute façon, ce n'était pas comme si quelqu'un l'attendait quelque part.
Setsuna avait Kagami.
Et Madara avait non pas lui, mais Hashirama.
Quand il passa les portes ouest de Konoha, il ne jeta pas le moindre regard en arrière, concentré vers son objectif, mettant le plus de distance possible entre ce frère qui ne s'était pas jeté à sa poursuite et lui.
— Hé, tu vas où comme ça ?
Au moment où la voix s'adressa à lui, il l'avait déjà sentie venir depuis longtemps. La femme qui lui avait parlé faisait partie de la procession de marchands qui était passée devant lui un peu plus tôt dans la journée alors qu'il s'avançait sur le bord de la route, suffisamment sur le côté pour ne pas être surpris par la course des chevaux de traits que les guildes marchandes dressaient afin de tirer leurs attelages.
La brume était épaisse depuis quelques semaines, à présent, et ne se levait que tard dans l'après-midi les meilleurs jours. Le froid était bien installé à cette mi-novembre, mais les premières neiges n'étaient pas encore tombées, bien qu'il s'approche toujours plus du nord.
Il releva les yeux vers celle qui s'avançait vers lui, l'observant malgré les bords de sa capuche qui tombaient devant son visage. Il avait depuis longtemps troqué les vêtements traditionnels Uchiha contre une tenue plus adaptée au voyage et il avait rajouté un manteau depuis peu, gommant définitivement toute affiliation visible à un quelconque clan de shinobis.
La pause qu'il prenait devait lui servir à déjeuner avant de repartir. Il marchait à une allure civile, profitant du voyage sans destination pour observer le paysage avec un autre regard : non plus celui du shinobi perpétuellement menacé et sur ses gardes, mais celui du badaud qui appréciait à sa juste valeur ce qui lui était offert par les dieux.
Et les dieux savaient que la femme qui approchait était digne d'être appréciée à sa juste valeur.
Pour répondre à sa question, il haussa les épaules, examina l'air de rien son niveau de menace et le considéra comme nul assez rapidement. Elle avait la silhouette frêle d'une civile non entraînée, aucun réflexe défensif s'il faisait un geste un peu agressif et son visage était bien trop facilement lisible pour qu'elle veuille lui faire du mal.
Prenant sa non-réponse comme une invitation, elle s'approcha un peu plus près, le bois de la terrasse où il s'était installé pour prendre une pause rapide craquant sous ses pas. Définitivement pas une menace.
— Nous t'avons croisé sur la route, ce matin, informa-t-elle. Dans une procession marchande. Je fais partie de la guilde des marchands du Pays de la Foudre.
Il hocha la tête en signe qu'il avait entendu et saisit sa gourde pour y boire une longue gorgée de thé chaud qu'il était parvenu à récupérer dans l'échoppe qui bordait la route, à la terrasse de laquelle il était installé.
Une conversation ronflante semblait émaner des murs de la boutique et la jeune femme tourna les yeux pour suivre la direction du regard d'Izuna.
— Mon père est en train de négocier les nouveaux tarifs, expliqua-t-elle. Qu'est-ce que tu fais tout seul ?
— Je voyage, répondit-il.
— Tu vas où ?
La question était une redite, mais cette fois-ci, il accepta de lui répondre sans mystère.
— Je ne sais pas. Je passe de ville en ville. Je n'ai pas de but à atteindre.
Parce que le seul but de sa vie lui avait été volé. Comme il n'avait rien d'autre, il pouvait tout aussi bien se consacrer à visiter le Pays du Feu, peut-être partir au-delà des frontières.
La semaine précédente, il avait entendu parler d'une créature mystique, une sorte de renard géant qui possèderait neuf queues et la capacité de provoquer des catastrophes naturelles par le seul battement d'un de ses appendices. Pas qu'Izuna croyait vraiment qu'une telle chose était possible, mais il s'était en mis en quête de cette créature, pour se donner un objectif à atteindre et rester alerte.
La paix pour son clan existait. Ce n'était pas la forme qu'il aurait souhaitée et ce qu'il voulait pour les siens différait de ce que les siens voulaient pour eux-mêmes. Ainsi mis au ban de son propre clan, tant par sa propre volonté que par celle de celui qui les dirigeait, il n'avait plus vraiment d'existence : il avait perdu à la fois le clan et le sang. Par réflexe, sa main fusa dans sa poche pour attraper la boussole qu'il serra fort, puis il sourit à la fille.
— Je cherche à en apprendre plus sur les bêtes à queue, admit-il en constatant le regard sceptique qu'elle dirigeait vers lui. Je n'avais jamais entendu cette légende. Je la trouve attrayante.
Elle sourit à son tour en resserrant son manteau sur elle, comprimant un frisson comme elle le pouvait.
— Tu as froid ? s'amusa-t-il. Je pensais pourtant que les températures descendaient bien plus bas, au Pays de la Foudre.
— C'est vrai, répondit-elle en grelotant, et je suis généralement plus habillée que ça. Un homme digne de ce nom me donnerait son manteau.
Il laissa un rire lui échapper.
— Si j'en vois un, je le lui signalerai, pour qu'il ne commette pas cette erreur.
Elle piaula d'indignation et il éclata de rire.
— Je m'appelle Izuna, se présenta-t-il.
— Kimi, répondit-elle. Ravie d'avoir fait ta connaissance, Izuna, ajouta-t-elle en voyant son père sortir de la boutique. J'espère qu'on se reverra.
Il acquiesça rapidement puis retourna à son repas sans se soucier du départ de Kimi. Elle était jolie, bien sûr et s'il avait été d'une meilleure humeur, sans doute aurait-il pris plus de temps pour l'observer, elle aussi. Peut-être même aurait-il franchi le pas et l'aurait-il désirée.
Mais il n'était pas d'humeur. Il n'était plus d'humeur depuis longtemps déjà.
Sa colère s'était apaisée depuis son départ, mais il n'avait pas vraiment ressenti l'envie de rentrer à la maison.
Il savait très bien qu'il aurait pu à tout moment rebrousser chemin et retourner à Konoha, mais ce village n'était pas sa maison, n'était même pas son rêve et il était parvenu au bout de ce qu'il pouvait encaisser au nom du clan.
Et son frère n'avait pas vraiment cherché à le retenir.
Il exhala un souffle par le nez et la vapeur d'eau se mêla à la brume épaisse qui l'entourait. La procession de vendeurs reprit sa course et ne tarda pas à disparaître, ne laissant derrière elle que le tapotement des sabots contre la terre froide et il soupira.
Cela faisait deux mois qu'il était parti. Il avait traversé le Pays du Feu de plus de façons qu'il ne l'avait jamais fait avant. Il avait vu des paysages roussis par l'automne qu'il n'avait connu que verts du printemps. Il avait traversé des bourgades si souvent évitées en tant que shinobi et rencontré l'hospitalité des civils qui le laissaient passer la nuit sur un futon en échange de services rendus, d'une aide dans un travail qui n'aurait souffert aucun retard et qui n'aurait pas pu être achevé sans sa présence. Et chacune de ces rencontres lui avait appris énormément.
Cependant, le seul mystère qui avait su titiller ses sens était la potentielle existence de cette bête à neuf queues.
Bien sûr, il avait déjà entendu les légendes à propos des bijuus, mais les légendes shinobis différaient des contes civils, et ils avaient renouvelé son émerveillement, ravivé une curiosité qu'il pensait avoir perdue quand il s'était égaré dans la guerre, trop concentré sur la façon dont il pourrait amener son clan à la victoire pour se laisser embarquer n'importe où ailleurs.
De ce qu'il entendait, le démon à neuf queues et ses capacités extraordinaires pour façonner le paysage d'un seul mouvement de queue ressemblait beaucoup à l'utilisation d'un chakra élémentaire fuuton. Et c'était fascinant.
Il s'était donc lancé sur les traces de ces bruits de couloir, pour tenter de trouver la bête, sans trop y croire. Il voulait simplement savoir. Si elle existait, était-elle façonnée par du chakra ou était-ce un être fait de chair et de sang ? Depuis quand existait-elle ?
Il y avait tant de questions pour lesquelles il n'avait pas de réponse, encore. Il en trépignait presque d'impatience.
Il poursuivit les traces de cette créature pendant encore plusieurs semaines avant parvenir à la frontière entre le Pays de la Cascade et le Pays du Feu.
Passer le barrage frontalier allait être peut-être un peu plus difficile que prévu, il y avait plusieurs heures de queue avant de pouvoir passer les points de contrôle et les samouraïs qui gardaient l'entrée avaient l'air particulièrement attentifs, comme s'ils cherchaient quelqu'un ou quelque chose.
Les murmures lui apprirent qu'ils étaient à la recherche de shinobis venus pour espionner le Daimyo. C'était très peu probable, compte tenu de l'absence de poids politique de ce pays insignifiant, mais la paranoïa du Daimyo local était de notoriété publique : il était convaincu qu'il avait plus à défendre que ce qui ressemblait à une petite province du Pays du Feu, à peine de dotée de richesses enviables.
Izuna était présent parce qu'il ciblait la bibliothèque du Daimyo. Elle regorgeait de ressources inestimables sur la mythologie et la formation du monde, de mille théories rédigées par les moines, et c'était là-bas qu'il espérait trouver davantage d'informations sur les bijuus.
Réticent, il grimaça un peu en admettant que peut-être, finalement, le Pays de la Cascade avait des secrets à protéger, puisque lui-même avait eu pour projet d'en dérober quelques-uns.
Il s'assura que sa capuche dissimulait bel et bien son visage. L'attitude était suspecte, mais pas plus que celle de ceux qui se passaient en sous-main des cargaisons illicites qui ne franchiraient pas les portes avec eux.
Bien sûr, il lui était tout à fait possible de passer furtivement les contrôles sans même s'embarrasser de signaler sa présence au Pays de la Cascade, les failles étaient suffisamment évidentes pour un shinobi de son niveau.
Il s'apprêta à quitter la file d'attente pour s'infiltrer derrière la muraille entourant la forteresse qu'était Taki, slalomant entre les badauds qui se pressaient et s'impatientaient, tapant du pied et renâclant, les bras croisés.
Un peu sur le côté, à la droite des samouraïs qui surveillaient l'entrée et dissimulée à la vue de quiconque ne serait pas doté d'une pupille aussi puissante que la sienne, il y avait une brèche dans laquelle il pourrait s'engouffrer.
Toujours dissimulé par sa capuche, Izuna se permit un sourire ironique. Les samouraïs avaient beau se pavaner comme les fiers soldats du Daimyo, ils n'en restaient pas moins très loin d'être à la hauteur contre des shinobis ayant un peu d'envergure. D'un battement de paupière, il désactiva son sharingan et commença à s'éloigner de la foule avec le plus de discrétion possible, faisant bien attention à ne pas attirer l'attention des gardes qui scrutaient la foule avec dévotion.
Il était presque parvenu à s'éclipser quand il entendit une voix le héler :
— Izuna ! Par ici !
Roulant des yeux, il sentit ses épaules s'affaisser en reconnaissant la voix de Kimi, la fille faisant partie du convoi qu'il avait croisé quelques semaines plus tôt. Il se força à dissimuler tout l'agacement qu'il ressentait face à cette intervention indélicate qui l'interrompait dans quelque chose de bien plus important que des salutations.
Quand il lui fit finalement face, il avait réussi à forcer sur ses lèvres un sourire qu'il espérait poli et surpris puis il la regarda à approcher sans faire le moindre mouvement vers elle. Quand elle parvint à son niveau, elle haletait, elle avait visiblement pressé le pas pour pouvoir le rejoindre le plus rapidement possible.
— J'ai eu peur que ce ne soit pas toi, prononça-t-elle entre deux bouffées d'air mal assurées. Je ne pensais pas te retrouver du côté de Taki !
Elle posa ses mains sur ses genoux pour retrouver un peu de souffle puis elle leva les yeux sur lui.
— Je ne pensais pas te retrouver du tout, en fait, admit-elle. Pas que je te cherchais, de toute façon. Qu'est-ce que tu fais là ?
Elle parlait fort. Suffisamment pour attirer sur eux l'attention des gardes et la cristalliser sur lui. Et il reconnaissait qu'il devait avoir l'air louche, avec sa capuche enfoncée sur la tête et son attitude qui hurlait à la tentative de disparition furtive.
Les options étaient limitées. Il ne pourrait jamais soumettre à un genjutsu l'ensemble des personnes présentes, ce n'était tout simplement pas possible : il n'avait pas la portée de Madara et il n'était même pas question de se comparer à Hikaku sur ces questions.
Il retint un grognement et rabattit sa capuche, adressant un sourire encore plus grand à Kimi, s'inclinant doucement vers elle pour la saluer.
— Bonjour Kimi.
C'était sa meilleure voix aimable. Les civils lui avaient toujours posé problème : il ne savait pas gérer les conversations avec des personnes qui ne connaissaient de la guerre que des illustrations sur les rares estampes qui circulaient. Pas alors qu'il avait vécu dedans toute sa vie. C'était une faiblesse importante, aussi pria-t-il rapidement pour qu'elle ne note pas les fluctuations hasardeuses de son timbre alors qu'il essayait de s'adapter à son public.
Pense-la comme une cible, réfléchit-il, sauf que cette fois, se débarrasser d'elle, c'est uniquement faire en sorte qu'elle s'en aille sans avoir à la tuer.
Elle sourit à l'entente de son prénom, visiblement ravie qu'il se souvienne d'elle et il se tourna un peu vers la foule qui se pressait dans le goulot d'étranglement que constituait le passage de la frontière.
— Je suis toujours à la recherche des bêtes à queue, informa-t-il sans se départir de ce sourire crispant. J'espérais pouvoir obtenir l'autorisation de consulter quelques ouvrages de la bibliothèque, il paraît qu'il y a des livres très détaillés, ici.
— Tu sais lire ?
L'exclamation était tout aussi surprise qu'émerveillée et il dut retenir de justesse une expression de dédain, se rappelant que ces prérequis n'étaient pas courants parmi les civils. D'un hochement de tête, il approuva et elle mordilla ses lèvres.
— Tu es une sorte d'érudit, c'est ça ?
— En quelque sorte, sourit-il – vraiment cette fois.
Embarrassé, il frotta sa nuque et ses lèvres se tordirent en une grimace un peu gênée.
— J'aime bien apprendre de nouvelles choses et ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de le faire. Mais avec tout ce qu'il se passe, j'imagine que je n'aurais pas la chance d'entrer dans la bibliothèque. J'allais repartir. Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de monde qui viendrait au Pays de la Cascade.
C'était presque honnête, à vrai dire : son discours contenait principalement des mensonges par omission.
Il s'apprêta à la contourner quand il sentit une main s'enrouler autour de son poignet et ne dut qu'à un contrôle extraordinaire de lui-même de ne pas laisser le réflexe de combat s'emparer de son corps pour la projeter à terre.
Il se tendit, se crispa sous le contact, mais elle ne remarqua pas la contraction qui s'étendit dans tout le corps d'Izuna.
— Attends, lança-t-elle, tu sais compter aussi ?
Il haussa les épaules, profitant de cette question pour se libérer de l'emprise et reculer d'un pas.
— Pourquoi ? demanda-t-il en plissant des paupières méfiantes.
Mal à l'aise, Kimi se tortilla un peu, jouant avec ses mains.
— Moi, je ne sais pas faire. Lire ou compter, je ne sais pas faire. Et mon père a la vue qui baisse et il ne parvient pas à… Tu sais, les livres de compte… Je… On a un sauf-conduit. On peut entrer en ville et… Si tu veux bien nous aider avec tout ça, on pourrait peut-être t'aider à notre tour. Et te faire entrer ?
Cette fois-ci, il éclata de rire, un peu abasourdi par la proposition.
— Tu me connais à peine, souleva-t-il, et tu serais prête à me confier ce genre de d'informations cruciales pour ta guilde ? Au choix, tu es très naïve ou totalement stupide.
Offensée, elle croisa les bras sous sa poitrine, fronça les sourcils et gonfla ses joues d'indignation.
— Si tu ne veux pas de mon aide, tu peux simplement dire non sans te sentir obligé de m'insulter.
La démarche raide, elle se détourna de lui, levant un menton fier et elle partit alors qu'il sifflait entre ses dents « imbécile ».
Il ne savait pas trop si cette insulte s'adressait à la jeune femme qui avait bien trop confiance en autrui ou s'il s'adressait à lui-même qui venait de saccager une opportunité d'entrer en ville sans encombre.
Quand il remarqua que les gardes ne le lâchaient pas des yeux, il conclut qu'il s'adressait aux deux et décida d'aller s'installer contre un arbre pour réfléchir à une autre solution.
Quand Kimi revint vers lui, plusieurs heures d'attente plus tard, elle avait les épaules voûtées et l'air franchement troublé. Elle leva les yeux vers lui, leurs regards se croisèrent et elle le détourna aussitôt, contrite.
— Je suis désolée d'être partie comme je l'ai fait, prononça-t-elle difficilement.
Confus, Izuna émergea de ses pensées, une nouvelle fois interrompu en plein milieu de quelque chose. Cette fois, il choisit de ne pas lui en tenir rigueur, son train de réflexion le conduisant à son clan, se demandant s'ils s'en sortaient sans lui.
— Nouvelle idée, proposa-t-elle en s'accroupissant près de lui pour mettre leurs visages au même niveau. Je te fais entrer et en échange, tu me fais la lecture.
Izuna cilla et haussa un sourcil dubitatif.
— Te faire la lecture… ?
Kimi hocha la tête avec entrain, puis elle se redressa, scrutant les portes pour essayer de comprendre pourquoi personne n'avance.
— On m'a offert des livres d'histoire, il y a quelques années, mais je ne peux pas les lire et mon père n'a jamais eu le temps de me les lire. Si je te fais passer les portes, tu les liras pour moi.
L'accord était acceptable, aussi se leva-t-il, ressemblant les quelques affaires qu'il avait éparpillées.
Kimi n'était pas, bien loin s'en fallait, la femme la plus intelligente qu'Izuna avait rencontrée jusqu'à présent. Elle peinait à comprendre des raisonnements qui lui paraissaient élémentaires, mettait bien plus de temps que lui à résoudre des problèmes simples et n'était clairement pas adaptée à la vie d'étude.
Quoiqu'il n'ait pas la prétention d'être un génie comme pouvait l'être le démon Senju, Izuna savait qu'il était intelligent et il avait longtemps estimé autrui par rapport à leur aptitude de compréhension.
Plus il fréquentait Kimi, plus il se rendait compte qu'il avait eu tort. Parce que Kimi, n'était pas la personne la plus intelligente qu'il eut côtoyée dans son existence, mais elle était, et de très loin, la plus joyeuse et la plus optimiste.
Depuis deux mois qu'il suivait la procession de la guilde de la Foudre, adopté comme l'un d'entre eux dès qu'il eut fait ses preuves auprès d'Akira, le père de Kimi, il avait eu l'occasion de passer bien plus de temps qu'il ne l'aurait jamais imaginé auprès de la jeune femme, l'aidant dans son travail quand elle peinait à l'accomplir.
Il avait appris des informations absolument étonnantes, en épluchant les lourds rayonnages cachés dans les entrailles de la bibliothèque du pays de la Cascade. Ses doigts avaient pu effleurer des reliques d'un autre temps, des témoignages pas nécessairement tous crédibles, mais néanmoins enrichissants, il avait pu comparer quelques-unes des légendes shinobis avec les équivalents civils et les points de divergence semblaient montrer une voie à suivre, comme les points d'accord.
Les bijuus seraient donc au nombre de neuf, tous avec un nombre de queues différents, du tanuki du désert à une queue au renard du Pays du Feu qui en possédait neuf. Les récits divergeaient sur la signification de ce nombre d'appendices. Certains affirmaient qu'ils étaient le reflet de la puissance destructrice et de la malveillance de la créature, d'autres que c'était un indicateur de l'âge de la créature, une queue supplémentaire tous les mille ans.
Les neufs bijuus auraient été éparpillés sur l'ensemble des mondes connus, sur la terre ou dans la mer. Quelques écrits scientifiques affirmaient que cette légende permettait d'expliquer les catastrophes naturelles : les tempêtes de sable provoquées par Shukaku, les raz-de-marée invoqués par le poulpe à huit queues, les éruptions du singe géant et les feux de forêt réguliers dans le pays de la Foudre seraient provoqués par un bakeneko à deux queues.
Mais plus Izuna avait croisé et recroisé les différents récits, plus il lui semblait percevoir derrière tout ça l'utilisation d'un chakra presque infini contrôlé à la perfection, avec des affinités élémentaires particulières à chaque bijuu.
En écoutant les récits de la guilde de la Foudre, il avait vite compris qu'il y avait des terres dans leur pays où personne n'osait s'aventurer et même s'ils ne le formulaient pas de cette façon, il l'avait entendu comme un défi, alors, quand ils avaient levé le camp pour finalement rentrer chez eux, il avait choisi de suivre, espérant partir à la recherche de ce bakeneko. Et il avait repoussé chaque jour un peu plus le moment de partir, parce qu'il se sentait bien en compagnie de Kimi.
Cette femme était étonnante : elle s'émerveillait d'un rien, s'étonnait de tout et était d'une telle naïveté qu'Akira avait été des plus reconnaissants quand Izuna s'était proposé pour la suivre où qu'elle irait et s'assurer qu'il ne lui arriverait rien.
Si on avait demandé à l'héritier du clan Uchiha encore quelques mois auparavant, avant cette fichue bataille, jamais il n'aurait imaginé qu'il aurait pu passer tant de temps en compagnie d'une civile. Encore moins qu'il apprendrait à apprécier ces moments et à les chérir, comme s'il était en présence de son sang.
C'était un sentiment particulier, qu'il n'avait jamais ressenti avant. Il n'y avait pas d'urgence, pas de bataille, pas de plan à élaborer. C'était une vie agréable, qu'il partageait entre son travail pour la guilde et ses entraînements solitaires qu'il ponctuait de pauses passées en compagnie de Kimi.
Elle n'avait toujours pas compris qu'il était un shinobi, malgré toute l'admiration qu'elle portait à l'ensemble des ninjas de toutes les nations. La plupart des histoires qu'il lui avait lues et lui lisait toujours racontaient les aventures d'un shinobi qui découvrait l'amour et devait choisir entre son devoir et son cœur. Elle raffolait de ce genre de récits qui avait parfois débouché sur des paroles malencontreuses qui avaient fait réfléchir Izuna bien plus qu'il ne l'aurait dû.
Kimi n'était pas difficile à contenter, pas difficile à comprendre, elle avait une vision simple de la vie, parfois simpliste, mais réconfortante dans la facilité qu'elle avait à mettre fin à des conflits qui s'attardaient parfois dans l'esprit d'Izuna.
Parce que, comme elle n'était pas capable de comprendre toutes les subtilités et tous les enjeux, elle allait toujours à l'essentiel. Et c'était un peu grâce à elle qu'il comprenait le sens de la paix.
Il était en paix, sur les routes, avec le convoi qui rentrait petit à petit vers le Pays de la Foudre.
Il riait beaucoup, souvent aux dépens de son amie qui finissait inlassablement par gonfler ses joues de vexation et par lui enfoncer des doigts vengeurs dans l'épaule.
La première fois que le manque de son frère et de sa famille se fit ressentir, cependant, il se sentit vaciller et dut s'agripper à sa boussole pour ne pas basculer.
Bien sûr, à aucun moment il n'avait perdu de vue son clan ou son sang, depuis qu'il avait choisi de s'éloigner du simulacre de village bâti par Madara et Senju. Il restait à l'affût du moindre bruit de couloir qui pourrait lui donner des informations, au cas où il doive faire demi-tour et se rendre aux côtés de son frère pour lui balancer un « je te l'avais bien dit ! » bien senti en combattant à ses côtés, comme avant.
Cependant, la vague de nostalgie qui le frappa n'était pas vraiment commune à ce besoin de savoir ce qu'il se passait dans le Pays du Feu – que ce soit pour entendre qu'il avait eu raison et qui rien n'allait bien ou pour qu'on lui explique que le village était florissant et qu'il avait eu tort.
Kimi était une fois de plus en train de s'accrocher à son bras comme si sa vie en dépendait alors qu'ils marchaient ensemble dans les rues et elle lui parlait une fois de plus des shinobis qu'elle aimait tant.
Ce qu'elle lui racontait de l'univers ninja n'avait pratiquement rien à voir avec la réalité. Elle en avait une vision fantasmée et très optimiste qui le faisait presque se sentir comme un héros, quand il l'écoutait.
Cette fois-ci, elle lui racontait une histoire qu'elle avait entendu sur le clan Uchiha et il devait mordre l'intérieur de ses joues pour s'empêcher de ricaner. Le récit était évidemment romancé : c'était une pièce de théâtre souvent jouée dans les bourgades au fin fond du Pays du Feu et c'était sa tragédie préférée.
Dedans, un Uchiha – qui était décrit comme grand, beau, brun avec une peau de porcelaine et des muscles saillants ainsi qu'une paire d'yeux rouges qui scintillaient dans la nuit – devait choisir entre protéger son clan et protéger son âme sœur.
En soi, le dilemme était suffisamment crédible pour simplement le faire tressaillir, mais la mention des yeux rouges scintillant dans la nuit avec presque réussi à le faire pouffer de rire alors qu'il essayait de toutes ses forces de se retenir.
Non, le sharingan ne luisait pas dans l'obscurité. Non, tous les Uchiha n'étaient pas d'une incommensurable beauté, il pouvait en citer quelques-uns qui étaient extrêmement laids. Et non, ils n'étaient pas tous gigantesques et cela, Izuna en était la preuve vivante.
Pas qu'il se considère comme petit. Son mètre soixante-quatorze le situait dans la moyenne haute des hommes de son clan. Il ne se considérait pas non plus comme étant frêle. Sans avoir la carrure de son aîné, ou celle de Setsuna, il était athlétique et avait ce qu'il fallait où il le fallait. Cependant, il n'avait rien à voir avec ces shinobis que Kimi décrivait.
Entendre les rumeurs qui étaient colportées sur eux lui avait donné envie de les répéter à Madara, pour qu'ils en rient ensemble et c'était cette envie dansant au fond de son estomac qui l'avait paralysé, lui donnant presque envie de pleurer.
C'était la première fois que son frère lui manquait par-delà les mots, au point de le faire chavirer et il dut s'arrêter de marcher un instant, une grimace contrite sur le visage.
Inquiète, Kimi l'observa longuement, s'approchant suffisamment pour que son souffle frôle la figure d'Izuna quand elle lui demanda s'il allait bien. Il hocha sèchement la tête, mais ne desserra pas les dents pour autant.
Il avait eu raison de partir, se dit-il pour éloigner son manque et son besoin de rentrer à la maison.
Mais plus il y pensait et plus ça sonnait creux.
Les semaines passaient, depuis son départ et ils approchaient doucement du pays de la Foudre, rendant Kimi incroyablement bavarde sur son petit frère, sur sa mère, sur ceux qui les attendaient dans la chaleur de leur foyer.
Et plus elle racontait ce qui lui procurait tant d'envie de rentrer, plus lui-même sentait ses entrailles se tordre de jalousie et de tristesse.
Parce qu'il n'avait plus nulle part où rentrer, à présent qu'il avait quitté Konoha. Il n'avait nulle part qu'il pourrait appeler « son foyer » : un endroit au chaud où son retour serait attendu.
Et si Kimi et les siens l'avaient accueilli comme s'il avait toujours été avec eux, si Kimi était pour lui comme une sœur qu'il n'aurait connu que trop tard, une petite sœur qu'il voulait garder pour lui jalousement, il n'en oubliait pas qu'il n'était pas des leurs et qu'il ne pourrait jamais nommer le Pays de la Foudre comme étant son foyer.
Elle relâcha son emprise sur son bras et ses yeux bruns se chargèrent d'inquiétude alors qu'elle tentait de lire dans l'expression d'Izuna pour comprendre ce qui avait bien pu le faire changer d'humeur de façon si soudaine.
— J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas ?
— C'est rien, se força-t-il à sourire. Ma famille me manque, c'est tout.
Elle humecta ses lèvres et le sourire d'Izuna se teinta de tristesse quand elle baissa la tête et parla d'un ton hésitant :
— Tu… Tu veux en parler ? Tu ne parles jamais d'eux…
Il ouvrit la bouche et prit une goulée d'air avant de sourire plus franchement.
— J'ai un frère, moi aussi, dit-il. Il est plus grand que moi.
— C'est pas bien compliqué, tu es tout petit.
Il roula des yeux de façon exagérée, heureux qu'elle joue avec lui et qu'elle fasse tous les efforts possibles pour l'éloigner de sa mélancolie.
Il passa le reste de la journée à lui parler d'Hikaku, de Setsuna et de Madara, puis de Kagami et de Momo, omettant avec beaucoup de talent tout ce qui concernait sa vie de shinobi, éludant leurs noms, leur localisation et tout indice qui pourrait mener jusqu'à sa filiation.
Parce que même si Kimi n'était pas la personne la plus intelligente qu'il connaisse – cette place étant malheureusement occupée par Senju Tobirama – et même si elle ne ferait jamais le rapprochement entre Izuna et le clan Uchiha, il n'était pas question pour lui de la mettre en danger.
Parce qu'elle était ce qu'il avait de plus proche du clan et du sang, pour l'instant. Et que si sa boussole pesait toujours des tonnes, pointant de plus en plus au sud au fur et à mesure qu'il avançait vers l'est, il n'oubliait pas, certainement pas quels étaient ses devoirs.
Le chargement de marchandises paraissait ne jamais en finir et, le dos rendu raide par les mouvements répétitifs pour vider le chargement, Izuna ne put s'empêcher de penser que, peut-être, si Kimi acceptait de l'aider, ils auraient déjà fini.
Pour autant, elle restait appuyée contre la charrette, emmitouflée dans son manteau alors qu'il s'occupait de la majorité des aller-retours vers l'arrière-boutique, portant en quelques heures bien plus de poids qu'il ne l'avait fait ces dernières semaines.
Cela sollicitait des muscles qu'il n'avait pas l'habitude de mettre en mouvement et il ne se plaignait pas de pouvoir travailler un peu sur ses trapèzes et ses deltoïdes délaissés par le manque d'entraînement.
Il vérifia rapidement sur le parchemin que la livraison correspondait à la commande, utilisant le sharingan par flash rapides et discrets pour gagner le maximum de temps possible, puis il se tourna vers Kimi pour hocher la tête, satisfait de son travail.
Au lieu de bouger pour reprendre sa place dans l'attelage, elle frissonna et leva les yeux vers lui.
— Tu as déjà imaginé ton âme sœur, toi ?
Pris au dépourvu, il porta la main à sa poche, effleurant son Artefact par-dessus ses vêtements épais puis il hocha la tête. Elle inclina la sienne sur le côté, lui portant un regard perplexe.
— Ah bon, répondit-elle. Je ne t'imaginais pas comme étant le genre d'hommes à te soucier de ce genre de choses.
Il haussa les épaules.
— Au Pays du Feu, expliqua-t-il, l'âme sœur est quelque chose de très important. Alors, on y pense tous, évidemment.
Acceptant l'explication sans poser la moindre question, Kimi bougea finalement pour rejoindre sa place et il accompagna le mouvement, rejoignant la sienne. Il se passa plusieurs autres minutes avant qu'elle ne relance la conversation.
— Comment tu la vois, la tienne ? Ici, nous n'aurons jamais les moyens d'acheter un Artefact d'Âme comme font les maîtres des sceaux Uzumaki. Ça coûte super cher, donc on a peu de chance de rencontrer l'amour parfait. Mais ça n'empêche pas de rêver.
Le gloussement qui échappa à Izuna ressemblait un peu à un sanglot, dans le cahot de la charrette.
Non, en effet, ça n'empêchait pas de rêver. Même si cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas pris à espérer quoi que ce soit en ce qui concernait un amour parfait, Izuna avait eu des rêves, étant enfant. Ses rêves avaient un peu changé à l'adolescence, baignant l'image de son âme sœur dans une lumière crue et bleu-blanc électrique, baignée par la lueur de l'épée de foudre qu'il désirait ardemment à chaque fois qu'il y pensait, même après tout ce temps sans la voir.
Même après avoir failli mourir de la main de son porteur.
Si Izuna se prenait souvent à penser à Tobirama Senju, quand ça arrivait, il tentait toujours d'empêcher son esprit de dévier trop loin. Il ne voulait pas donner de l'espace à cet assassin dans ses pensées.
Bien sûr, il comprenait que c'était la guerre, que lui-même visait les points vitaux avec son arme et que Tobirama avait simplement eu plus de chance. Seulement, Izuna ne comprenait pas comment son rival avait pu arriver si près, comment il avait pu arriver si vite et sans se faire repérer par le sharingan.
Parce que l'héritier des Uchiha ne l'avait pas vu. Ça aurait été presque plus facile à accepter s'il n'avait simplement pas pu esquiver un coup anticipé, si ça avait seulement été une défaillance de son entraînement, mais c'était encore pire : c'étaient ses yeux qui lui avaient fait faux bond au pire moment. Parce qu'il n'avait pas vu le mouvement de Tobirama. À un moment il était à un endroit, lançant des kunais, et l'instant d'après il le passait au fil de son épée. Et Izuna ne l'avait pas vu bouger.
Pour un Uchiha, ne pas voir quelque chose était une véritable humiliation. Et pour Izuna, cette sensation était décuplée, parce qu'il faisait tout pour garder son focus sur Tobirama à chaque instant et avait appris à s'en méfier. Et il en était certain, il n'avait pas quitté son rival des yeux une seule seconde.
Pourtant il ne l'avait pas vu.
Il observa le profil de Kimi, son nez rond, ses sourcils épais et son teint un peu halé, puis il laissa une exhalation sortir hors de ses lèvres.
— Je me figurais quelqu'un de grand, ma taille au moins – et je t'interdis de dire que je suis petit, ce n'est pas vrai –, quelqu'un qui serait aussi intéressé que moi par « mes trucs d'érudit » comme tu dis. Ce serait une personne travailleuse, pugnace et rusée. Une personne avec qui je pourrais m'allier et m'accorder aussi bien que débattre pour le plaisir, une personne brillante. Une personne qui placerait la famille au centre de sa vie.
Il humecta ses lèvres alors que son regard devenait rêveur. Il aurait adoré avoir une telle personne au centre de son existence, vraiment.
— Tu as déjà rencontré quelqu'un qui ressemblait à ça ?
Kimi avait un ton particulier quand elle voulait lui demander de redescendre un peu dans la vraie vie des vraies gens. Elle le prenait pour un rêveur parce qu'il savait lire et avait la possibilité de s'évader dans les rêves des autres qui prenaient la forme de roman, mais il n'était rien d'autre que terre à terre. Alors il hocha la tête avec une grimace.
— Mon frère aîné est un peu comme ça. C'est peut-être pour ça que je veux une âme sœur qui lui ressemble. Et toi ? Tu as déjà imaginé ton âme sœur ?
Elle approuva avec beaucoup de fougue et entreprit de lui décrire son âme sœur avec beaucoup d'énergie. Sans surprise, s'il en est, elle s'imaginait avoir une âme sœur shinobi avec des yeux écarlates et scintillants.
Pour Izuna, ce serait sans doute le pire des cauchemars : avoir une civile pour âme sœur. Plus il y pensait, plus il se disait qu'il ne pourrait pas vivre avec l'angoisse qu'elle soit attaquée comme étant son point faible, qu'il ne pourrait pas supporter une telle menace.
À la liste de ce qu'il aurait voulu que soit son âme sœur, il ajouta inconsciemment « capable de se défendre aussi bien que moi ».
Il finit par l'interrompre, tout de même, pour lui demander ce qui amenait une telle question. L'air rêveur qu'elle avait sur le visage tourna au rouge quand elle admit qu'elle avait vu des shinobis du clan Yotsuki s'installer en ville, deux jours auparavant.
Ce qu'Izuna ne savait pas et qu'il apprit bien trop tard, c'était qu'Akira et Kimi n'étaient pas à la tête d'une guilde marchande mineure quelconque.
Même s'ils ne jouissaient pas d'un réseau étendu et commerçaient plutôt avec l'extérieur du Pays de la Foudre, ils avaient attiré l'attention du Daimyo avec lequel ils avaient des partenariats privilégiés.
Le Daimyo se fiait à Akira. Parce qu'Akira était naturellement doué pour le commerce, même si totalement dépourvu d'une once d'ambition.
Au bout de quelques années d'un échange fructueux pour les deux partis, Akira en était venu à donner son opinion au Daimyo sur la politique, et il était entendu au point que certaines décisions étaient prises sur l'organisation du commerce.
Akira s'en ouvrit à Izuna, venant le trouver dans sa chambre, conservant une attitude agitée et un regard fuyant.
Izuna se redressa légèrement sur son assise, enroulant le parchemin qu'il était en train de consulter – il avait trouvé au fin fond d'une boutique une initiation aux sceaux. C'était tellement exigeant qu'il lui avait fallu mobiliser toute la concentration dont il était capable pour parvenir au bout de l'introduction et il avait dû admettre qu'il n'avait probablement pas la capacité d'apprendre seul le fuinjutsu. Il avait continué pour le plaisir de la découverte et s'attelait au chapitre deux quand Akira s'était approché.
L'homme continua à voix basse et Izuna fronça les sourcils quand il nota toute l'agitation et l'inquiétude qui s'attardait sur quelques trémolos mal contrôlés.
Akira avait suggéré au Daimyo de favoriser le clan Chinoike sur le clan Yotsuki pour la protection des convois marchands. Le dojutsu des premiers était puissant et pouvait lutter parfaitement contre les embuscades régulièrement tendues à la frontière avec le Pays du Gel.
Izuna grogna à l'évocation du clan Chinoike. Ils avaient une ardoise de longue date avec le clan Uchiha, mais il se garda bien de montrer autre chose qu'une attention polie, ne comprenant pas où voulait en venir Akira.
Les menaces étaient arrivées d'abord voilées par des intentions d'apparence courtoise, puis s'étaient durcies avec le temps. Les Yotsuki aimaient que leur cible ait peur avant toute chose. Quand Akira avait demandé de l'aide au clan Chinoike, les anciens avaient refusé, ne voyant pas ce qu'ils pouvaient bien devoir au marchand.
L'homme expliqua qu'il avait choisi de partir lui-même à travers le Pays du Feu parce qu'il savait que le clan Yotsuki redoutait les shinobis dotés de pupilles exceptionnelles et les terres du pays voisin en étaient remplies, entre les Hyuuga et les Uchiha et qu'ils n'oseraient pas les suivre de peur d'être confrontés aux autres possesseurs de dojutsu.
Il voulait protéger Kimi, affirma-t-il en tortillant ses mains de culpabilité. Alors il avait attendu que les choses se tassent avant de la reconduire à la maison.
Cela faisait déjà plus d'une année qu'ils étaient sur les routes quand Kimi avait rencontré Izuna. Ce dernier le savait et, à présent qu'il connaissait mieux la guilde marchande de la Foudre, il trouva ce temps extrêmement long et l'explication plausible.
Bien sûr, il ne put s'empêcher de trouver la tentative mignonne, mais ridicule. Si vraiment les Yotsuki jugeaient Akira responsable de la perte de leur contrat avec le Daimyo, alors il leur faudrait bien plus d'une année pour cesser de chercher la vengeance : ce clan n'était pas, loin s'en fallait, aussi rancunier que pouvaient l'être certains de leurs voisins du Pays du Sable, mais ils n'en restaient pas moins des shinobis. Une telle perte de revenus pouvait s'apparenter à de la trahison et la trahison était…
Il sentit ses yeux s'écarquiller alors que le rouleau glissait de ses genoux pour tomber mollement sur le sol quand il empoigna Akira par les épaules.
— Où est Kimi ?
Il y avait plus d'empressement que de panique dans sa voix quand il prononça cette phrase, mais le cube glacé qui glissa contre sa trachée et jusqu'à son estomac quand Akira secoua la tête et mordit sa lèvre pour retenir un sanglot.
La glace se changea en un feu de rage qui fit tournoyer le sharingan d'Izuna dans ses yeux et il braqua son regard rouge sur le père de son amie alors qu'il se levait pour récupérer la lame qu'il cachait sous son oreiller.
Peu importait, vraiment, qu'ils soient trois ou douze, ou même tout un clan.
S'ils avaient ne serait-ce que touché un seul des cheveux de Kimi, il les massacrerait tous.
Par bonheur, comme ces idiots ne pensaient pas rencontrer d'Uchiha dans les environs, ils avaient laissé les traces dégoûtantes de leur enlèvement partout où Kimi avait été vue pour la dernière fois. Il ne fut donc pas difficile pour Izuna de remonter la piste.
Ils n'essayaient même pas d'être discrets. En les comptant rapidement, Izuna put distinguer une dizaine de ces nuisibles qui riaient et s'esclaffaient de l'air terrorisé que Kimi portait sur son visage. Elle n'était pas bâillonnée, parce qu'ils voulaient qu'elle les supplie d'avoir la vie sauve, mais elle semblait seulement tétanisée par la peur.
Vu le manque d'entrain qu'ils mettaient à être des shinobis dignes de ce nom, Izuna n'eut pas beaucoup de difficulté à éliminer les trois premiers sans le moindre bruit et il pensa que c'était une honte que ce clan ait survécu si longtemps avec si peu d'attention.
Il entra finalement à visage découvert, le sharingan désactivé et sa lame cachée, traversant le hangar pour arriver jusqu'à là où se trouvait son amie qu'il appela doucement pour attirer son attention.
— Kimi ?
La voix d'Izuna était plus douce qu'elle ne l'avait jamais été. Elle leva des yeux terrifiés vers lui quand il apparut à proximité du groupe de shinobis qui la tenait. Elle avait la lèvre fendue et ne semblait plus pouvoir s'appuyer sur sa cheville qui avait pris de drôles de teintes. Les mâchoires d'Izuna se crispèrent et il ferma les paupières une demi-seconde pour contenir la fureur qui montait en lui.
Cette colère, il le savait, était une source de force pour ceux de son sang. Elle détenait à elle seule une bonne partie de la puissance du clan Uchiha et ne pouvait s'éprouver que lorsqu'elle s'assortissait d'un amour sans borne.
Il déglutit et dévisagea tour à tour chacun des hommes qui avaient signé leur arrêt de mort en osant lever la main sur elle.
— Ferme les yeux, s'il te plaît.
Par réflexe et parce qu'elle se fiait à lui, elle s'exécuta, le laissant faire face à ses agresseurs qui se détournaient d'elle pour le toiser.
Le premier qui approcha Izuna jusqu'à le frôler lui offrit une haleine atroce alors qu'il crachait :
— T'es qui, toi ?
Izuna ne prit pas la peine de lui répondre et l'empêcha de nuire de façon définitive. Le corps de l'homme s'affaissa, il l'évita alors qu'il s'effondrait au sol.
Rapidement encerclé par les autres qui s'étaient finalement départis de leur amusement, Izuna les dévisagea tour à tour, puis laissa un sourire carnassier s'inscrire sur son visage alors qu'il réactivait son sharingan.
L'homme qui se tenait entre Kimi et lui hoqueta d'un air effrayé et recula d'un pas.
— Uchiha, souffla-t-il avant de simplement s'enfuir.
Ce nom à peine murmuré parut vibrer dans le silence alors que la menace s'étendait sur tous les autres Yotsuki.
Face à lui, Kimi avait ouvert les paupières et le contemplait sans comprendre ce qui était en train de se passer.
Il choisit de reporter la résolution de ce problème à plus tard, quand il aurait finalement géré le plus pressant.
Il se mit en position de combat.
Quand il se fut suffisamment éloigné du lieu de combat, la prise ferme autour de Kimi qui s'accrochait à son cou, il accepta de faire une pause, la gardant contre lui.
De ce qu'il pouvait voir, elle n'avait pas été blessée, hormis sa cheville qui prenait déjà des teintes violettes et avait doublé de volume, et sa lèvre fendue. Probablement pas cassée, déduisit-il en l'observant un peu mieux.
Il sentit une main se poser sur sa joue et tourna la tête, accentuant le contact sans le vouloir, plongeant ses yeux dans ceux de Kimi qui l'observait sans ciller. Son pouce glissa sous l'œil droit d'Izuna qui frissonna, mal à l'aise. Comme tous les Uchiha, il se répugnait à laisser quiconque toucher son visage et approcher de ses yeux, mais il n'y avait aucune hostilité dans l'attitude de Kimi.
Il la laissa se plonger dans le sharingan et dans ses nuances, il la laissa le contempler tel qu'il était vraiment : un shinobi Uchiha.
Plus son pouce glissait sur sa joue, plus le sang qui avait giclé sur son visage s'étalait, mais elle ne paraissait pas le remarquer. Au bout d'un long moment, elle cligna les paupières puis sa bouche s'ouvrit rond, alors que ses sourcils s'agitaient en une moue un peu déçue :
— Ils scintillent pas du tout, murmura-t-elle.
Il y avait tellement de déception dans sa voix qu'Izuna ne put retenir un éclat de rire franc, la serrant un peu plus fort contre lui, soulagé qu'elle aille bien et que cette attaque ne lui ait pas fait perdre cette naïveté touchante.
— Je t'avais dit que tes livres te mentaient sur les shinobis, souffla-t-il avec un sourire.
Leur conversation eut du mal à repartir normalement. Ils avaient repris la route dès qu'Izuna s'était assuré que Kimi n'était pas blessée, qu'elle n'était pas choquée, mais depuis, elle était plongée dans un silence pensif qui semblait si épais que même l'épée de foudre n'aurait pas pu le trancher.
Elle lui jetait parfois de longs regards pénétrants qu'il sentait s'accrocher sur son visage alors qu'elle guettait la réapparition de ses sharingans, désactivés dès lors qu'ils s'étaient approchés de la ville et des lumières.
Elle avait refusé qu'il la porte jusqu'à chez elle et avait difficilement accepté le contact lui servant de soutien. Le contrecoup de ce qu'elle avait appris, sans doute, commençait à faire son chemin.
— Tu es sûre que ça va ? demanda-t-il plus pour briser cette dynamique étrange que pour réellement s'assurer qu'elle se portait bien.
— Hm, prononça-t-elle du bout des lèvres. Oui, je crois.
Soudainement, elle s'arrêta de marcher alors qu'ils arrivaient à proximité de chez elle, puis elle leva les yeux vers lui pour chuchoter :
— Tu es un déserteur ?
Il y avait quelque chose d'horrible dans ce mot, quelque chose qui se répercuta contre l'estomac d'Izuna, lui coupa le souffle et le fit pâlir brutalement.
Ce mot, particulièrement, n'était jamais lancé à la légère envers quelqu'un. Quand il était encore en vie, son père parlait de la désertion comme d'un crime grave : un Uchiha qui laissait tomber le clan et le sang ne valait rien. Un oncle d'Izuna avait déserté, bien avant sa naissance. Personne n'en parlait vraiment dans le clan, mais lui avait entendu Tajima, des soirs d'ivresse, rappeler à Madara qu'il ne devait pas finir comme leur oncle. Que s'acoquiner avec les Senju, c'était prendre le risque de s'engager sur la voie de la désertion.
Izuna déglutit et trembla. Kimi posa une main sur son bras pour attirer son attention alors qu'il baissait les yeux sur elle.
— Izuna ? Tu peux me le dire, je n'en parlerai pas.
— N-non, hésita-t-il, je ne suis pas un déserteur.
Elle s'étonna sincèrement. Tout son visage montra l'intégralité de son étonnement et la question franchit ses lèvres en toute naïveté :
— Qu'est-ce que tu fais là, alors ?
Il recula d'un pas, puis d'un autre. La question était sincèrement curieuse et le ton n'était pas agressif. Elle n'avait aucune attitude montrant qu'elle souhaitait qu'il s'en aille, ni aucune intonation délibérément cruelle. Pourtant, la réponse qu'il avait à offrir lui déplut.
Son chef de clan – son frère, la personne qu'il aimait le plus au monde – avait pris une décision qui lui avait déplu. Et il était parti. Il pourrait plaider que ladite décision était stupide, incohérente, dangereuse, il pourrait même presque dire que son frère lui avait dit de partir, mais ce serait pervertir ce qu'il s'était passé. Madara lui avait demandé d'accepter une décision.
Il n'avait pas ordonné, comme il était en droit de le faire, il n'avait pas exigé. Au contraire, il avait écouté les arguments d'Izuna, y répondant – parfois avec trop d'optimisme, c'est vrai, mais il avait laissé la place à ses protestations, alors qu'il n'était pas obligé de le faire.
Parce qu'avant d'être son frère, Madara était son supérieur. S'il ordonnait de faire la paix, alors c'était du devoir d'Izuna de s'assurer que la paix était faite selon les conditions désirées par Madara ou en trouvant des compromissions, ce qui impliquait de surveiller les personnes qu'il soupçonnait d'être dangereuses.
Et lui, qu'avait-il fait ? Il avait pesté, tempêté, pris la mouche, laissé son tempérament et sa colère – et son désarroi et son inconfort et sa désorientation due à un réveil récent suite à une blessure mortelle qui ne l'avait pas vraiment tué – prendre le dessus sur tout ce qui importait vraiment.
Il avait abandonné son clan et son sang.
Il avait déserté.
Et c'était inacceptable.
Il émergea de ses pensées quand Kimi boitilla vers lui avec l'air encore plus désolé.
— Izuna, appela-t-elle doucement. Est-ce que tu vas bien ?
Il secoua la tête malgré lui et elle s'approcha pour l'enlacer tendrement et lui apporter du réconfort alors que c'était elle qui était blessée, bon sang.
« Qu'est-ce que tu fais là, alors ? », encore et toujours cette capacité fascinante à réduire un problème à sa plus simple expression. Malgré la complexité de ce qu'Izuna avait ressenti, malgré tous les nœuds solides que formaient toutes les explications qu'il aurait pu fournir à son départ – sa désertion –, elle parvenait à le régler en quelques mots.
S'il n'était pas un déserteur, il n'avait rien à faire en plein milieu du Pays de la Foudre. Pas sans raison. Il n'était pas en quête de son âme sœur, puisque sa boussole ne fonctionnait pas et c'était bien la seule excuse qui aurait pu être valable pour qu'un Uchiha parte simplement et quitte son clan. À condition de revenir.
Il devrait être près des siens. Il devrait être le fer de lance à leur disposition, pour les soutenir si, comme il le pressentait, les Senju se préparaient à se retourner contre eux pour les asservir définitivement.
Il ne devrait pas se trouver loin des siens, à se faire bercer par une civile blessée, même si elle était son amie.
— Il est temps que je rentre chez moi, dit-il.
Kimi ne répliqua pas immédiatement. Elle colla le bout de son nez froid derrière l'oreille d'Izuna, le serrant plus fort contre elle, puis elle hocha la tête contre lui, ses doigts caressant doucement les cheveux du shinobi dans ses bras.
— Tu verras, sourit-elle, il n'y a rien de mieux que le bonheur de rentrer chez soi après une longue absence.
Les adieux furent rapides et désordonnés. Ils eurent lieu quelques jours après l'altercation d'Izuna avec les shinobis du clan Yotsuki, après qu'Izuna se fut assuré que tout était en ordre et que ses adversaires ne chercheraient pas une revanche mesquine.
Ni Kimi ni Izuna ne s'attardèrent sur le seuil de la porte. Elle le salua rapidement et s'empressa de retourner au travail, masquant l'émotion terrible qui embuait ses yeux et menaçait de les faire déborder de larmes que tout le monde trouverait inconvenantes.
S'il était moins émotif, Izuna n'en menait pas plus large. La hâte de retourner vers chez lui était couverte par cette idée qu'il laissait une fois de plus quelqu'un qui lui était cher derrière lui. Pendant un instant, il se demanda s'il ne devrait pas proposer à Kimi de venir avec lui, mais il manqua de s'étouffer de rire en remarquant que c'était exactement comme ça que se passaient les romans fleuris et romantiques qu'elle aimait tant : une telle proposition ressemblerait à une demande en mariage et il n'avait rien à offrir à Akira en échange de la main de sa fille.
En outre, Izuna était convaincu que Kimi était un peu amoureuse de lui. Il n'était pas question, donc, de lui offrir de faux espoirs alors qu'il n'éprouvait lui-même qu'une tendre affection pour elle. Personne ne devrait jamais jouer avec les sentiments amoureux d'une autre personne.
Il la retint avant qu'elle ait totalement disparu dans l'embrasure de la porte, sa main fusant pour saisir son poignet.
— Konoha, murmura-t-il. Le village caché dans les feuilles. Si tes pas te conduisent jusqu'à Konoha… C'est là-bas que tu pourras trouver le clan Uchiha. Comme ça tu pourras aller voir par toi-même qu'ils ne sont pas tous grands et beaux.
Elle cligna des paupières et lui adressa un sourire radieux, teinté d'un peu de rire.
— J'espère t'y trouver aussi, Uchiha Izuna.
Il relâcha ses doigts et la laissa finalement partir, trouvant lui-même son chemin jusqu'à l'extérieur de la ville.
