Chapitre 2
Un quart d'heure après que Koushiro avait reçu ce mail d'appel au secours, tous les Enfants Élus se retrouvèrent sur la berge face au pont détruit par Ordinemon. Koushiro avait fait sortir tous les digimons de la salle des serveurs. Taichi et Meiko arrivèrent les derniers.
– Koushiro ! s'exclama Taichi. Qu'est-ce qu'il se passe ?
– Je viens de recevoir un email étrange. Je me suis d'abord demandé si ce n'était pas un virus, car l'émetteur était masqué. Mais après avoir procédé à quelques analyses, j'ai eu la certitude qu'il était sain.
– Qu'est-ce qu'il dit ? demanda Joe.
– C'est un appel au secours, dit-il en tournant l'écran vers eux.
Tous purent lire distinctement le mail : « Ce message est destiné aux Enfants Élus. Je sais qui vous êtes, et ce que vous avez fait pour le monde digital. Je suis votre allié, mais j'ai besoin de votre aide. C'est une question de vie ou de mort. J'ouvrirai un passage vers le digimonde dans exactement trente-minute à compter du moment où vous ouvrirez ce message, là où vous avez vaincu Ordinemon. Je vous attendrai. »
– Et si c'était un piège ? se méfia Yamato.
– Je ne crois pas, dit Koushiro. En creusant un peu, j'ai découvert que ce message émanait de la même source – ou, tout du moins, du même groupe de sources – que le mail qui contenait la prophétie pour la digivolution ultime.
– Tu veux dire … que c'est la même personne qui envoyé les deux mails ?
– Je le crois.
– Ne devrions-nous pas contacter Gennai avant d'aller dans le digimonde ? fit Sora.
– Je crains que nous n'en ayons pas le temps, dit Koushiro en regardant sa montre. Le portail devrait apparaître d'une minute à l'autre.
– Je ne crois pas que celui qui nous a écrit soit dangereux, dit soudain Hikari.
– Comment tu peux en être aussi sûre ? demanda Taichi.
– Je le sens.
– Bon, alors allons-y ! s'exclama Mimi.
Au même instant, un immense portail se pixélisa alors devant eux, ouvrant un passage vers le monde digital. Koushiro se releva, rangea son ordinateur portable :
– Prêts ?
– Prêts ! acquiescèrent ses amis.
Ils s'élancèrent alors à travers le portail, et dès que le dernier d'entre eux l'eut franchi, il se referma. Ils atterrirent sur une plage près d'une mer gelée. Comme dans le monde réel, il faisait nuit dans le monde digital. Seules les étoiles du ciel leur apportaient une faible clarté. Les yeux des adolescents durent s'habituer à l'obscurité. Ils distinguèrent d'abord une grande forme devant eux. Elle s'avança dans la lumière des trois lunes du digimonde, et tous purent alors la voir distinctement.
C'était un grand tigre blanc aux rayures indigo. Sa tête était couverte d'un grand masque de métal bleu qui laissait voir deux paires d'yeux rouges, l'une au-dessus de l'autre. De chaque côté de ce masque saillaient deux piques indigo presqu'aussi longues qu'un bras. Ses pattes avant étaient recouvertes par deux protections en métal bleu sur lesquelles se détachait un kanji blanc. Il portait des anneaux à pointes de fer sur ses pattes arrière et à l'extrémité de sa queue. Trois larges épines noires suivaient sa colonne vertébrale. Ce qui impressionna le plus les Enfants Élus, cependant, furent les douze digi-sphères d'un jaune éclatant qui faisaient cercle autour de son abdomen, telle une ceinture flottante de lumière. Il se dégageait de ce grand digimon une aura de puissance et de majesté.
À ses pieds était étendu le corps d'un être humain, qui paraissait sans vie. Les yeux de Taichi s'écarquillèrent brusquement :
– Sensei !
En effet, tous reconnurent M. Nishijima. Taichi se précipita près de lui. Les autres le suivirent en courant. M. Nishijima portait les mêmes blessures que lorsque Taichi l'avait vu pour la dernière fois, mais il ne saignait plus. Il était inconscient. Joe s'agenouilla près de Taichi, s'inclina et approcha son oreille du nez de M. Nishijima :
– Il respire.
Dans le cœur de Taichi, une lumière d'espoir s'alluma. Joe se redressa, prit le poignet de M. Nishijima et chercha le pouls.
– Le pouls est filant, j'ai du mal à le sentir. Il est en état de défaillance circulatoire. Il a perdu trop de sang. Il faut le ramener dans le monde réel pour le conduire à l'hôpital si on veut avoir une chance de le sauver.
– Tu as raison, acquiesça une voix grave au-dessus de lui.
Tous relevèrent la tête. Le tigre blanc les dévisageait de ses quatre yeux rouges en amande.
– Koushiro, qui est-ce ? demanda Takeru.
Koushiro alluma son ordinateur et ouvrit son analyseur. Quand il lui révéla l'identité du digimon, il ouvrit de grands yeux :
– Incroyable ! C'est … Baihumon ! L'une des quatre Bêtes Sacrées du digimonde !
– Tu veux dire … comme Azulongmon ? comprit Takeru.
– C'est exact, approuva Baihumon. Alors qu'Azulongmon protège la région de l'est du monde digital, je protège l'ouest. Vous devez savoir qu'Azulongmon, ainsi que les deux autres Bêtes Sacrées du digimonde, Xuanwumon et Zhuqiaomon, ont de nouveau été emprisonnés par les Ténèbres.
– Tu parles … d'Yggdrasil ? demanda Koushiro.
– Oui. Ils auront besoin de vous pour se libérer.
– Mais toi, comment t'es-tu libéré ? demanda Sora.
– J'ai pu le faire car je devais protéger Daigo.
– Daigo … tu veux dire … M. Nishijima ? dit Koushiro, surpris.
– C'est toi qui l'as sauvé de l'explosion du laboratoire ? demanda Taichi.
– Oui. Mais nous n'avons pas le temps de parler. Vous devez vous hâter. Ramenez Daigo dans votre monde, et sauvez-le.
Les digi-sphères de Baihumon s'illuminèrent alors, et le portail vers le monde réel se rouvrit.
– Allons-y, dit Taichi.
Avec précaution, Taichi et Yamato prirent M. Nishijima par les aisselles, tandis que Joe le soulevait par les pieds. Lentement, ils repassèrent l'ouverture qui les ramènerait vers leur monde. En un instant, ils étaient revenus sur les rives d'Odaiba.
– J'appelle une ambulance, dit Joe en sortant son téléphone portable.
Cinq minutes plus tard, les ambulanciers arrivaient. La nuit facilitait la circulation, et ils furent en peu de temps aux urgences. Des médecins prirent tout de suite M. Nishijima en charge. Les Enfants Élus demeurèrent dans la salle d'attente. Quelques minutes passèrent, et le médecin urgentiste ressortit brusquement :
– Vous ! dit-il aux adolescents. Est-ce vous qui avez amené l'homme aux multiples fractures ?
– C'est bien nous, acquiesça Joe.
– Qui êtes-vous pour lui ?
– Nous sommes … ses élèves, dit Sora.
– Savez-vous s'il a de la famille ? Il ne portait aucun papier sur lui.
– Nous … nous l'ignorons, répondit Yamato.
– Nous devons absolument la contacter. Cet homme a perdu énormément de sang, il a besoin d'une transfusion d'urgence si nous voulons qu'il survive. Le problème est qu'il a un groupe sanguin très rare : AB négatif. Nous ne possédons pas de ce groupe sanguin dans nos réserves, mais peut-être qu'un membre de sa famille a le même.
Les Enfants Élus se regardèrent, alarmés. Ils ignoraient complètement si M. Nishijima avait de la famille à Tokyo.
– Si l'un d'entre nous avait le même groupe sanguin, réfléchit Joe, nous pourrions proposer au médecin de donner notre sang. Mais ce n'est pas possible pour moi : je suis A positif.
– Moi aussi, dit Sora.
– Moi aussi, dit Mimi.
– Vous autres, l'un de vous est-il O négatif ? leur demanda Joe. Les O sont donneurs universels pour tous les autres groupes sanguins, à condition d'avoir le même rhésus.
– Désolé, je suis O positif, dit Koushiro.
– Mon frère et moi sommes B positif, dit Takeru.
– Attendez ! s'exclama Hikari. Taichi et moi sommes AB négatif !
– Hikari, comment tu sais ça ? s'exclama Taichi.
– Quand j'ai dû aller à l'hôpital à cause de ma pneumonie, il y a dix ans, on m'a dit mon groupe sanguin. Maman m'a dit que nous avions tous le même dans la famille et qu'il était très rare.
– Mais alors … on peut sauver M. Nishijima ! s'exclama Taichi.
Il s'avança vers le médecin :
– Docteur, attendez ! J'ai le même groupe sanguin que cet homme, et je suis d'accord pour que vous lui transfusiez mon sang.
– Vous êtes de sa famille ?
– Non.
– Vous êtes majeur ?
– Heu … non.
– Il me faut l'autorisation de vos parents.
Taichi échangea un regard affolé avec ses amis : le temps passait, et M. Nishijima était peut-être sur le point de mourir. Il revit le visage ensanglanté de son professeur, le garrot de fortune qu'il s'était fait avec sa veste. Il s'était sacrifié pour le sauver, dans ce laboratoire infernal. C'était à lui maintenant de l'aider. Taichi sentit l'angoisse le saisir. Il se mit en colère :
– Docteur, vous avez besoin d'un donneur de sang ! Je suis prêt à vous aider, alors que voulez-vous de plus ? Vous l'avez dit vous-même, ce groupe sanguin est extrêmement rare. Vous ne trouverez pas d'autre donneur à temps. Vous allez regarder cet homme mourir parce que je ne suis pas majeur ?
Le médecin le dévisagea. Sa mâchoire se contracta, il sourcilla, hésitant. Taichi le fixait, déterminé, poings serrés.
– Bon, venez avec moi, lui dit-il. Tenez, mettez ce masque chirurgical. Il faut faire vite !
– Taichi ! s'exclama Sora.
– Non, nous ne devons pas aller avec lui pour ne pas transporter de bactéries ! s'exclama Joe en la retenant. Tout ce qu'on peut faire maintenant, c'est attendre.
Le médecin amena Taichi jusqu'au bloc opératoire où les médecins s'occupaient des blessures M. Nishijima. La porte du bloc s'ouvrit et deux médecins poussèrent un brancard où était étendu le professeur. Un masque à oxygène lui couvrait le nez et la bouche.
– Nous avons drainé le sang et suturé les plaies, mais il lui faut une transfusion au plus vite, dit le chirurgien avant de retourner dans le bloc.
– On s'en occupe, dit l'autre docteur. Suis-moi, mon garçon, dit-il à Taichi.
Ils firent rouler le brancard jusqu'à une chambre proche équipée pour la transfusion. Deux lits parallèles s'y trouvaient. Ils couchèrent M. Nishijima sur l'un, tandis que le docteur dit à Taichi :
– Allonge-toi ici et remonte ta manche droite.
Le médecin désinfecta la zone qu'il allait piquer, puis plaça l'aiguille du transfuseur. Il relia le tube au cell saver, machine capable de récupérer directement le sang pour le centrifuger et le réinjecter. De l'autre côté, deux médecins préparait M. Nishijima. Taichi ne quittait pas des yeux son professeur. « Accrochez-vous, Monsieur … » pensait-il. « Vous m'avez sauvé la vie, c'est à moi de vous sauver. Je ne vous laisserai pas mourir. » Il serra le poing fermement, et son sang fut expulsé au cell saver. Et lentement, il alla réalimenter les veines de M. Nishijima.
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Les adolescents s'étaient installés dans la salle d'attente pour patienter. La nuit avançait, et ils ne voyaient toujours pas Taichi reparaître. Koushiro avait sorti son ordinateur, et dans la salle, on n'entendait presque que le pianotement de ses doigts sur le clavier.
– C'est très long, dit Hikari d'une voix tendue. Ça va faire presque trois heures qu'il est là-bas.
– M. Nishijima avait perdu beaucoup de sang, dit Joe. Un litre, peut-être plus. Une transfusion doit se faire lentement, c'est pour cela que ça prend du temps.
– Mais … ils vont prendre un litre de sang à Taichi ? demanda Yamato. Je veux dire … c'est pas dangereux ?
– Ils lui en prendront sans doute un peu moins, dit Joe. Sinon, c'est Taichi qui pourrait tomber dans les pommes. En espérant que ce qu'il donnera à M. Nishijima lui permette de guérir.
– Meiko ? fit Agumon en s'approchant de la jeune fille. Tout ira bien pour Taichi, n'est-ce pas ?
Meiko sursauta, surprise qu'Agumon s'adresse à elle. Elle lui sourit et lui dit, d'une voix qui se voulait rassurante :
– Je suis sûre que oui. Taichi est fort. Mais il aura sans doute faim en sortant, alors il faudra peut-être que tu lui laisses ta part pour une fois !
– Pas de problème ! Pour Taichi, je ferai n'importe quoi. Mais, dis-moi, Meiko …
– Oui ?
– Est-ce que je pourrai quand même avoir à manger moi aussi ?
– Hi hi, évidemment ! dit-elle en riant.
Une infirmière sortit alors dans la salle d'attente et s'approcha du groupe.
– Votre ami a terminé sa transfusion. Il se repose à la cafétéria. Vous pouvez aller le voir si vous voulez.
– Et notre professeur ? demanda Takeru.
– Il est encore inconscient. Mais la transfusion a réussi : il est hors de danger.
Un grand sourire illumina le visage des Enfants Élus. Ils rejoignirent Taichi à la cafétéria.
– Grand frère ! s'exclama Hikari. Comment te sens-tu ?
– Un peu étourdi. Je crois qu'on m'a prélevé plus que la normale. Mais c'était pour la bonne cause. Les médecins m'ont dit de ne pas trop me forcer, de manger et de boire.
– Je crois qu'on a tous besoin de manger, dit Mimi. Pourquoi ne pas aller se chercher un plateau chacun à la cafétéria ?
– Vu l'heure, ce doit être fermé depuis longtemps, dit Joe. Il va être minuit.
– Mais il reste les machines ! s'exclama Mimi en se lançant à leur assaut. Qui veut quoi ?
Ils dévalisèrent les distributeurs automatiques de tous les onigiris qui s'y trouvaient. Agumon regarda le sien, comme s'il hésitait à le manger. Il s'approcha finalement de Taichi et lui tendit :
– Taichi ! Tiens, Meiko m'a dit que tu aurais besoin d'une double ration aujourd'hui.
– Agumon … merci, vraiment. Mais tu sais, avec tout ce que tout le monde a déjà partagé avec moi, je vais exploser si j'avale une bouchée de plus ! Fais-moi plaisir, prends-le. Tu n'as encore rien mangé, c'est toi qui va t'évanouir si ça continue !
– Bon, si tu insistes … dit Agumon en contemplant son onigiri. Bon appétit !
Et il fourra le triangle de riz tout entier dans sa bouche. Koushiro avait à peine touché à son sandwich, mais gardait son ordinateur ouvert sur ses genoux.
– Koushiro, qu'est-ce que tu fabriques ? demanda Mimi.
– Je voulais vérifier quelque chose. C'est bien Baihumon, ou plutôt, les Quatre Bêtes Sacrées qui nous ont envoyé la prophétie de la digivolution ultime. Comme s'ils savaient que c'était possible …
– Moi, ça ne me surprendrait pas, dit Tentomon. Après tout, ce sont les sphères d'Azulongmon qui nous ont permis de nous sur-digivolver pendant notre tour du monde pour éliminer les Tours Noires, il y a trois ans. Les Quatre Bêtes Sacrées doivent savoir beaucoup de choses sur la digivolution.
– C'est vrai, mais … il y avait quelque chose d'étrange avec Baihumon. Vous avez remarqué qu'il connaissait M. Nishijima ? Qu'il l'appelait par son prénom … comme si … comme s'ils se connaissaient ?
Tous hochèrent la tête, perplexes. Il n'y avait plus personne dans la cafétéria. Taichi alla demander des nouvelles à l'infirmière de l'accueil. Il revint en secouant la tête :
– Il n'est toujours pas réveillé.
– Il est probable qu'il ne se réveille pas avant demain, dit Joe, une main sur le menton.
– On devrait peut-être rentrer chez nous pour dormir un peu ? proposa Sora.
– Bonne idée, approuva Mimi en baillant. Je tombe de fatigue !
– Même avec la sieste qu'on a faite ? ironisa Palmon.
– Oh, tu peux râler ! Tu étais bien contente de la faire avec moi !
– Sora a raison, approuva Takeru. Ça ne nous fera pas de mal.
– Je vais rester ici, dit Taichi.
– Taichi, tu es sûr ? demanda Hikari en prenant Tailmon dans ses bras. Tu dois te reposer.
– On m'a préconisé d'éviter tout effort physique. En restant ici, je ne risque rien.
– Je vais rester avec toi.
– Non, Hikari, tu es fatiguée, rentres à la maison. Ne t'inquiète pas pour moi, je t'assure.
– Bon, si tu es sûr de toi …
– Je … je vais rester moi aussi, dit Meiko.
Tous se tournèrent vers elle, surpris.
– Pour être franche, je … je n'ai pas envie d'être seule chez moi, avoua-t-elle.
– D'accord, soupira Yamato, donc rendez-vous demain, c'est ça ?
– C'est ça, approuva Taichi. Je vous appelle dès que M. Nishijima se réveille.
Ils se saluèrent, puis se séparèrent.
– Il y a une salle de repos par-là, avec des fauteuils confortables, dit Taichi à Meiko. Tu veux y aller ?
– D'accord.
Ils s'y rendirent et s'assirent sur les sièges inclinés. Taichi ne tarda pas à s'endormir, Agumon à ses côtés. Meiko resta assise à contempler le ciel étoilé. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Finalement, elle se leva et erra dans les couloirs de l'hôpital. Il y régnait un silence absolu : elle n'entendait que le son étouffé de ses pas. La lumière verte des issues de secours conférait une atmosphère étrange à l'hôpital, comme si le temps y était suspendu. À travers les vitres des chambres, elle devinait des enfants, des vieillards, des femmes, des hommes. Certains devaient être très malades. Peut-être y en avait-il qui allaient mourir ? Souffraient-ils ? Meicoomon avait-elle souffert quand elle avait disparu ? Qu'avait-elle ressenti ? Il avait semblé à Meiko que la connexion entre elles s'était évanouie quand Meicoomon s'était transformée en Ordinemon. Qu'elle avait perdu ce qui la reliait à sa partenaire digimon. Était-ce le destin de Meicoomon de disparaître ? Était-ce mieux ainsi ? Aurait-il pu en être autrement ?
Elle s'arrêta soudain devant une chambre où un garçon ne dormait pas : c'était Ken Ichijouji. Il tourna la tête à ce moment et la reconnut lui aussi. Il lui fit signe d'entrer. Elle poussa la porte coulissante et pénétra dans la chambre. Ils se dévisagèrent. Meiko se dit qu'il devait avoir l'âge d'Hikari et de Takeru.
– Tu es Meiko Mochizuki, n'est-ce pas ?
– O… oui. Et toi, tu es Ken Ichijouji ?
– Oui. Nous n'avons pas vraiment été présentés, hier.
– Tu venais d'échapper à Yggdrasil, et tu avais besoin de repos. C'est bien normal.
– Tu es la partenaire de Meicoomon, n'est-ce pas ?
– Oui, enfin … je l'étais. Meicoomon s'est transformée en Ordinemon et menaçait de détruire la Terre. Elle possédait en elle une donnée d'Apocalymon, dont Yggdrasil se servait comme balance en faveur du mal.
– Je sais. Koushiro m'a expliqué.
– Alors, tu sais que … que nous n'avons pas eu le choix ? Nous … nous l'avons sacrifiée pour sauver l'humanité, et …
Les poings de Meiko se serrèrent, sa gorge se noua.
– … et je n'ai rien pu faire pour la sauver.
Ken la dévisagea gravement. Il baissa les yeux vers son drap et dit :
– Tu sais, Meiko, on ne se connait pas vraiment. Mais, crois-le ou non, je sais ce que tu ressens.
– Comment … comment peux-tu le savoir ?
– Tu as entendu ce qu'a dit Gennai ? Le plus fidèle serviteur d'Yggdrasil a pris son apparence et la mienne pour se matérialiser dans le monde digital et dans le monde réel. Tu as sans doute vu que l'apparence qu'il prenait de moi est différente de celle que j'ai aujourd'hui ? Cette apparence, c'est celle que j'arborais quand j'étais l'Empereur des digimons. À l'époque, parce que j'étais seul et malheureux, j'ai laissé les ténèbres entrer en moi. J'ai laissé Yggdrasil gagner, et j'ai fait du mal à beaucoup de digimons. Surtout à mon partenaire, Wormon. Quand je me suis aperçu de mon erreur, c'était trop tard. Wormon s'est sacrifié pour me sauver. Il est mort, et longtemps, j'ai cru qu'il ne renaîtrait jamais sous forme de digi-œuf. Je me suis détesté, haï pour tout le mal que j'avais commis. J'avais maltraité Wormon, je ne l'avais pas protégé alors qu'il est mon partenaire. J'avais été un monstre, et je pensais que personne ne pourrait me voir autrement. J'avais été un obstacle pour les Enfants Élus, un fléau pour le digimonde. Il m'a fallu du temps avant de comprendre que je devais tourner la page du passé si je voulais redevenir meilleur. Pendant longtemps, je ne me suis pas accepté. Et … quand je te vois, quand je t'ai vue hier, j'ai su que tu ressentais exactement la même chose.
Meiko fixait Ken, tremblante. À cet instant, les larmes coulèrent sur ses joues, elle secoua la tête, et lâcha tout ce qu'elle avait sur le cœur depuis des semaines :
– Oui, c'est vrai. Tu as raison ! Je me sens tellement coupable de ne pas avoir pu sauver Meicoomon ! De ne pas l'avoir mieux protégée d'Yggdrasil ! De ne pas avoir pu aider mes amis, parce que mon digimon se déchaînait ! Combien de fois me suis-je sentie … inutile, faible ! Pas à la hauteur de ce que mes amis attendaient. Pas à la hauteur de ce que Meicoomon espérait de moi. Je crois que si elle est morte, c'est ma faute. Ma faute, parce que je n'ai pas pu empêcher de renaître le mal qui était en elle ! Je me déteste, je me déteste !
Meiko tomba à genoux, impuissante, les larmes coulant sur ses joues. Ken la regardait, et dans son regard il lisait la même douleur que celle qu'il avait éprouvé trois ans auparavant. D'une voix calme, il dit :
– Tu oublies une chose, Meiko Mochizuki. Si elle ne t'avait pas rencontrée, Meicoomon se serait peut-être déchaînée plus tôt. Quoi que tu penses, tu l'as sauvée. Toutes ces années que tu as passées avec elle avant d'arriver à Tokyo, tu l'as sauvée.
– Pour finalement la laisser mourir ? s'exclama-t-elle en relevant la tête. Je ne suis qu'un monstre !
– Ce n'est pas vrai. Tu n'es pas responsable du fait que Meicoomon possédait en elle des données d'Apocalymon.
– Alors, elle était destinée à disparaître depuis sa naissance, c'est ça ? Mais dans ce cas, à quoi servais-je ? Pourquoi ai-je été choisie comme Enfant Élue ?
– Je crois … que rien entre nous et les digimons n'est fait au hasard. Après avoir cessé d'être l'Empereur des digimons, je ne comprenais pas non plus comment j'avais pu être choisi. Pourtant, quand j'ai retrouvé Wormon, j'ai su. J'ai su qu'une force, qu'une raison qui me dépassait faisait que j'avais été choisi. Pas pour sauver la Terre, ou le digimonde, mais d'abord pour Wormon. Et je crois que cela est valable pour toi et Meicoomon. Ce n'était pas un hasard, même si aujourd'hui tu n'en perçois pas le sens. Mais tu ne dois pas laisser ton cœur s'assombrir. Tu as le droit de pleurer, et de te pardonner, aussi. S'il reste quelque chose de Meicoomon dans le monde digital, ou dans ton cœur, ce n'est qu'en faisant renaître la lumière en toi que tu la verras.
– Tu crois … tu crois sincèrement que c'est possible ?
– Je le pense.
Meiko essuya ses larmes et observa Ken. Il y avait un tel calme, une telle sagesse dans son regard, alors que son cœur à elle n'était que révolte et souffrance. Pourrait-elle un jour être comme lui ?
– Tu sais, moi aussi je m'inquiète pour Wormon, dit finalement Ken. Je n'ai aucune nouvelle de lui et j'espère qu'Yggdrasil ne lui aura pas fait de mal. Mais tant qu'il est dans mon cœur, je sais que je pourrai toujours l'aider.
– Je … j'aimerais pouvoir me dire la même chose pour Meicoomon.
– Tu dois le croire.
Meiko sentit les plaies de son âme moins douloureuses tout à coup, comme si l'espoir y renaissait. Elle se releva et s'inclina face à Ken :
– Merci. Merci beaucoup, Ken Ichijouji.
– Tu as dormi ?
– Non, pas encore.
– Tu veux rester ici ?
– Heu ... d'accord. Merci beaucoup.
Elle s'assit sur un fauteuil près du lit de Ken, retira ses lunettes, et s'endormit rapidement.
