LA BRAISE SOUS LA CENDRE

Disclaimer : voir prologue.

Chapitre 2 : Le mariage du ciel et de l'enfer

Hermione Granger avait un problème ce matin-là. Et pas des moindres selon ses critères de priorité : la veille au soir, Ron lui avait déclaré sa flamme ! Depuis quelque temps, elle avait bien observé le changement de comportement du jeune homme envers elle et redoutait une déclaration. Non pas qu'elle n'aimait pas Ron, mais elle était sûre de ne pas partager ses sentiments de la même façon qu'il l'entendait

Sur le coup, elle avait été prise au dépourvu et avait protesté faiblement. Trop fatiguée pour lui expliquer les raisons profondes de son attitude, elle l'avait laissé dire. De toute façon, Ron était beaucoup trop empressé et enthousiaste pour l'écouter une seule seconde. Elle avait eu sous les yeux le mâle typiquement balbutiant et gêné d'avouer son trouble, puis comblé jusqu'au délire lorsqu'elle ne l'avait pas repoussé.

A présent, Hermione s'en voulait d'avance de devoir être cruelle avec son ami. Car c'était bien d'amitié dont il s'agissait entre Ron et elle. Jamais elle n'avait éprouvé de penchant débordant pour le jeune homme. Elle s'appuyait sur leur solide camaraderie et cela lui suffisait. De même avec Harry, avec qui elle entretenait un rapport réellement fraternel et complice.

Gérer la susceptibilité de Ron lui avait toujours posé des problèmes. Depuis le premier jour à Poudlard, des antagonismes existaient car ils étaient différents. Harry arrondissait toujours les angles entre eux. L'avantage d'être trois en amitié, c'était que le troisième pouvait toujours s'interposer entre les deux autres et les ramener à la raison. Mais là, c'était délicat. Ron devait certainement avoir averti Harry de ses projets ; Harry avait encouragé Ron en croyant bien faire pour ses deux amis. Elle soupira. Oh, ces garçons qui ne comprennent rien aux filles !… Et maintenant, elle devait parler à Ron, sans l'appui d'Harry. A voir la réaction de Ron la veille, il le prendrait certainement mal. Comment lui dire la vérité sans qu'il se sente rejeté ? C'était impossible.

Elle avait pourtant bien d'autres soucis en tête que ses histoires de cœur. La guerre qui avait éclatée au grand jour entre Voldemort et les Forces de la Lumière pouvait basculer dans un sens comme dans un autre à tout moment. La situation était vraiment critique et requérait toutes les énergies.

Attablée seule devant son petit-déjeuner, elle ruminait de sombres pensées en lançant de fréquents coups d'œil vers la porte de la Grande Salle et en s'attendant à voir apparaître à tout moment son couple d'amis. Il n'y avait pas grand monde au petit déjeuner. Tous ceux qui le pouvaient, profitaient au maximum d'un repos difficilement gagné.

Enfin, Ron et Harry franchirent les portes de la Grande Salle, puis s'installèrent aux côtés d'Hermione en saluant leurs camarades présents. Ron déposa un baiser sur la joue de la jeune femme qui se mit à rougir, gênée de cette attention. Le jeune rouquin ne remarqua rien et bailla à s'en décrocher la mâchoire, alors qu'Harry commandait leurs petits déjeuners. Hermione fit comme si de rien n'était. Elle essaya de se détendre et observa ses deux amis. Ils avaient l'air tous les deux épuisés.

« Bonjour 'Mione. Bien dormi ? »

« Comme un bébé. Vous deux, en revanche, vous avez des têtes de déterrés. »

Harry se frotta les yeux avant de remettre ses lunettes en place. Ron se servit un bol de café en baillant une nouvelle fois.

« C'est à cause de Flitwick. Il n'a pas arrêté de demander à Harry de produire son Patronus pour le renforcer… »

« Et ça marche ? »

Harry fit la moue.

« Il faut que je travaille là-dessus. C'est Ron qui fait des progrès, tu sais. »

« Ah bon ? »

« Maintenant, j'arrive à donner une forme au mien ! » Dit fièrement le jeune rouquin.

« C'est vrai ? Et ton Patronus ressemble à quoi ? »

« Euh… »

Ron parut gêné. Harry éclata de rire.

« Il n'ose pas le dire. On dirait une grosse chauve-souris… »

« Hé ! Flitwick m'a dit que ce serait peut-être un aigle ! »

Hermione regarda les garçons se chamailler en souriant. Elle avait assisté à tellement de scènes semblables qu'elle n'en faisait plus le compte. Tout était comme avant la guerre. Maintenant, ces instants étaient particulièrement rares et précieux pour les apprécier pleinement. Ils apportaient un peu de détente dans un quotidien difficile. Quand la jeune femme sentit que Ron pourrait être blessé par les moqueries d'Harry, elle reprit la parole :

« C'est peut-être un signe. Tu pourrais aller aider ton frère Charlie en Roumanie après la guerre. »

« Et devenir chasseur de vampires ? Certainement pas ! Et puis maintenant que je dois m'occuper de toi… »

Harry tourna la tête vers son amie et lui sourit.

« Alors ça y est ? Vous êtes ensemble ? »

Hermione le fusilla du regard.

« Justement, Ron, à ce propos… »

Mais elle fut interrompue par des battements d'ailes. Les personnes présentes accueillirent avec plaisir et soulagement l'arrivée du courrier tant attendue depuis quelques jours. Enfin des nouvelles de l'extérieur, de parents et d'amis isolés par la guerre. Elle leva la tête et observa le ballet aérien des oiseaux qui larguaient leurs lettres ou leurs petits paquets au-dessus des tables. Comme elle regrettait le temps où la Grande Salle entière était envahie par une nuée de hiboux bruyants sous les acclamations des élèves !

Un hibou de la volière de Poudlard arriva dans la direction de leur petit groupe et se posa devant Hermione à qui il tendit sa patte. La jeune femme détacha le parchemin et donna un morceau de brioche à l'oiseau qui s'envola immédiatement. Harry, pour sa part, ouvrit « la Voix du Dragon », un journal clandestin d'informations, et commença à lire à voix haute les titres pour Ron.

« Ecoutes ça, Ron ! L'offensive à Vieux Faouët a réussi. Les Aurors ont repris le village ! »

« Fais voir ! »

Ron alla s'installer près d'Harry pour lire l'article. De son côté, Hermione ouvrit la lettre et commença à la parcourir. Intriguée, elle s'interrompit au milieu du premier paragraphe et regarda la signature en bas du parchemin. Elle eut une réaction de surprise qui passa inaperçue auprès des deux garçons et reprit sa lecture après avoir jeté un coup d'œil vers la place habituelle du Maître des Potions à la table des professeurs. Mais il n'y avait personne.

Elle continua et eut du mal à croire ce qu'elle lisait. Rogue la complimentait ! C'était bien la première fois. Plus loin, il faisait même plus que la complimenter, il lui disait toute son admiration ! Elle lança un nouveau regard vers la table des professeurs, mais comme précédemment, mis à part les professeurs Chourave et McGonagall qui bavardaient ensemble, Rogue brillait par son absence.

Le ton était élogieux, respectueux, loin de ce que l'on pouvait imaginer venant du professeur de potions détesté de tous. L'idée que quelqu'un lui faisait une blague la traversa et elle jeta un regard soupçonneux autour d'elle. Ron et Harry continuaient leur lecture sans s'occuper d'elle. Les autres élèves et les Aurors mangeaient en silence ou en bavardant. Certains lisaient leurs courriers et aucun ne prêtait attention à elle.

Elle observa l'écriture, fine et nerveuse. Pas de doute, c'était bien la même que celle qu'elle retrouvait sur ses parchemins de potions lorsqu'il daignait faire des commentaires. Elle reprit sa lecture, et cette fois, elle manqua de s'étrangler. Elle se mit à tousser violemment et dut boire un verre d'eau apparu instantanément devant elle. Ron la regarda avec inquiétude.

« Ca va, 'Mione ? »

« Oui, oui… »

Elle reprit sa lecture incroyable et termina la lettre d'une traite en se répétant que c'était impossible, que ce n'était pas lui, qu'il devait être tombé sur la tête, qu'il était déprimé – le ton était d'une tristesse terrible. Elle dut relire deux ou trois fois le parchemin pour se persuader que ce qu'elle voyait sous ses yeux, était bien réel. Elle pratiqua néanmoins sous la table un sort pour révéler si l'auteur présumé du texte était bien celui qui avait signé le document et en eut la confirmation. Que devait-elle faire maintenant ?

Trop choquée pour réfléchir, Hermione se leva et quitta la salle. Elle n'avait même pas entendu la question que lui avait posé Harry au moment de son départ, ni vu l'échange de regards entre les deux amis. Après un haussement d'épaule, Ron et Harry avaient continué à manger et à discuter des événements rapportés dans le journal.

Hermione trouva refuge dans son sanctuaire, une petite pièce isolée dans la tour d'astronomie. Pour seul mobilier, il y avait une table et un vieux banc, un fauteuil confortable et une lunette d'observation près de la fenêtre. Cette pièce circulaire située dans la tour la plus haute de Poudlard servaient aussi de vigie depuis la guerre. Ce matin là, il n'y avait personne. Une chance.

Elle s'installa dans le fauteuil et essaya de réfléchir calmement. Elle était extrêmement perturbée par les révélations de son professeur et alarmée aussi par ses propos. Les pensées se bousculaient dans sa tête alors qu'elle s'efforçait d'y mettre de l'ordre. Elle relisait inlassablement le parchemin afin de comprendre la démarche de Rogue. Il était clair pour elle qu'il voulait faire amende honorable parce qu'il pensait qu'il allait bientôt mourir.

Hermione s'interrogea donc et ses questions la renvoyèrent directement à ce qu'elle pensait de lui. Comme tout les élèves à Poudlard, elle ne l'aimait pas, même si intérieurement, elle était intriguée par sa personnalité complexe. C'était un être secret, doté d'une intelligence rare, arrogant et détestable. Un paradoxe vivant. Mais contrairement aux rumeurs qui circulaient à son sujet, elle n'avait jamais douté qu'il fut un être humain comme les autres avec ses forces et ses faiblesses. Connaissant son rôle d'espion avant la guerre, elle était parfaitement consciente qu'il ne montrait qu'une facette de son caractère. Il était odieux en général mais ses actes ne manquaient ni de courage, ni d'honneur. Des qualités typiquement Gryffondor. S'il l'entendait ! Il serait certainement furieux ! Et pourtant, c'était la vérité. Dumbledore lui faisait confiance et cela suffisait à Hermione pour lui accorder du crédit. Même si elle n'appréciait guère Rogue, elle se fit la réflexion qu'elle serait tout de même peinée d'apprendre sa disparition.

Ils s'étaient peu fréquenté durant ses huit mois de guerre. Il n'enseignait plus les potions et était souvent absent, envoyé en mission secrète quelque part ou parti combattre aux côtés des Aurors. Ils ne se voyaient donc que lors des réunions de l'Ordre et à chaque fois, ses informations avaient été précieuses. Plusieurs fois, elle avait été tenté de l'aborder. Mais il lui avait toujours fait comprendre qu'il n'avait pas de temps à perdre avec elle. La guerre avant tout. Egal à lui-même, il n'avait pas changé d'avis concernant le petit groupe qu'elle formait avec Ron et Harry. Il ne les appréciait toujours pas et les tolérait tout juste dans les réunions. Quant à ce qu'il éprouvait pour Harry depuis sept ans, il n'avait pas besoin de faire un dessin…

Pourtant, une fois, elle s'en souvenait, il avait eu un comportement étrange avec elle. A la fin d'une de ses réunions quelques mois auparavant, elle lui avait timidement tendu une lettre pour Remus Lupin. Avec réticence, il avait pris le parchemin, puis il l'avait regardé profondément dans les yeux. Habituée à ses tentatives d'intimidation, Hermione avait soutenu son regard et pendant un instant, elle avait cru voir une lueur fugitive dans les yeux perçants du sorcier. Quelque chose qu'elle n'avait pas su alors identifier. Maintenant qu'elle y repensait et qu'elle revoyait la scène, elle aurait juré que cela avait été de la jalousie.

Devait-elle aller le voir ? Elle n'était pas sûre à cent pour cent que la lettre venait de lui. Si c'était une blague, il se mettrait probablement en colère, puis se vengerait en se moquant d'elle et de son sentimentalisme puéril. L'idée de s'exposer volontairement à des sarcasmes cinglants lui paraissait absurde.

Pourtant, c'était la seule solution. D'abord parce qu'elle tenait à s'assurer par-dessus tout qu'il allait bien, mentalement et physiquement. Le ton de la lettre était alarmant, d'autant qu'il ne semblait pas être du genre suicidaire. Elle ne lui connaissait pas ce fatalisme. Mais que savait-elle de lui après tout ? Uniquement ce qu'il voulait laisser paraître - bien peu en vérité. D'ordinaire, il avait un caractère en acier trempé. Il résistait aux pressions et à la fatigue comme personne. Il ne connaissait pas la peur ou du moins, ne le montrait jamais. Alors quoi ? Etait-il allé trop loin ? En avait-il trop vu ? Etait-il en train de craquer ? S'il lui confiait ses états d'âme par écrit, alors elle se devait de lui tendre la main.

Ensuite, compte tenu de l'embarras soulevé, elle devait lui demander des explications même si cette lettre parlait par elle-même et était parfaitement claire. Et puis elle devait lui dire en face ce qu'elle pensait de lui. Ce ne serait pas facile face à un homme aussi intimidant qui n'avait jamais caché son indifférence envers elle, la « Mademoiselle je sais tout » de Poudlard. Avec tact, il fallait lui glisser qu'elle le respectait et était flattée de l'intérêt qu'il lui portait mais qu'elle ne lui rendait pas ses sentiments. C'était tout ce qu'il fallait lui confier pour entretenir des relations cordiales à l'avenir avec lui, à compter qu'il ne se mette pas à la détester. Elle savait déjà ce que haïr signifiait avec lui et franchement, elle ne tenait pas à s'en faire un ennemi.

Ironiquement, elle repensa à ses hésitations matinales face à Ron et se dit qu'elle avait finalement trouvé les mots exacts à lui dire grâce au Maître des Potions. En comparaison, le cas de Ron n'était pas urgent et pouvait attendre. Celui de Severus Rogue, en revanche, ressemblait davantage à un challenge, dont le prix restait à conquérir.

A suivre…