LA BRAISE SOUS LA CENDRE
Disclaimer : voir prologue.
Chapitre 4 : Qui monet, quasi adjuvat (1)
Hermione Granger traversa les couloirs encombrés de Poudlard pour rejoindre le bureau du professeur Rogue situé dans les cachots et s'étonna de l'atmosphère électrique qui y régnait. Depuis que la guerre avait commencé, le château grouillait comme une fourmilière en activité. On le sentait vibrer littéralement de toutes les énergies concentrées entre ses murs, en symbiose totale avec les sorciers.
Le plus bizarre tout de même dans cette agitation, pensait Hermione, c'était de passer devant des peintures désertés par leurs habituels portraits ou occupés par des personnages qui n'étaient pas à leurs places. On pouvait passer des heures à regarder tout ce petit monde figuratif se promener de murs en murs et s'apostropher silencieusement. Hermione essaya d'imaginer un instant le tintamarre infernal qu'aurait produit peintures et sorciers si le professeur Flitwick n'avait pas mis au point un enchantement capable d'isoler les paroles des uns et des autres. Cela fonctionnait d'ailleurs presque comme un système de fréquences. Les portraits étaient sur un canal et les sorciers sur un autre. C'était très pratique et discret, car les peintures magiques servaient de messagers et transportaient les informations à travers le château. Un portrait ne délivrait ainsi ses communications qu'au sorcier à qui elles étaient destinées.
Hermione croisa Sir Nicholas, l'esprit de Gryffondor, et le salua avec déférence. Les fantômes avaient aussi une mission d'intérêt général. Il veillait à la surveillance intérieure des lieux en permanence. Le Baron Sanglant, l'esprit des Serpentards, prenait son rôle très à cœur et dirigeait ses troupes d'une main de fer, même si Peeves profitait de la moindre occasion pour faire des blagues de mauvais goût à tout le monde. C'était les fantômes qui patrouillaient en silence la nuit alors que tout le monde dormait ou presque.
Hermione descendit un escalier et s'engagea dans un couloir moins fréquenté. Elle eut la surprise de marcher à la rencontre de Sibylle Trelawney, une pile de livres sous le bras. La sorcière sortait pourtant rarement de sa tour située dans l'aile nord du château. Sachant que le professeur de divination était myope comme une taupe et d'une maladresse inégalable - à part peut-être celle de Neville Londubat - Hermione tenta prudemment de passer au large pour l'éviter. Bien évidement, comme un fait exprès, la sorcière la heurta et les volumes tombèrent à terre dans une cacophonie de protestations. Elles se baissèrent toutes deux pour les ramasser.
« Oh, ma chérie ! Je suis désolée, tout est de ma faute ! Il fait si sombre dans ces couloirs… »
« Ce n'est rien, professeur, il n'y a pas de mal. »
« Parlez pour vous ! répondirent les livres en cœur.
« Vous êtes la petite Granger, n'est-ce pas ? »
Petite, petite, pensa Hermione en se révoltant, j'ai dix sept ans ! Dix huit même, si l'on compte mes sauts dans le temps ! Elle se força au calme et répondit :
« C'est exact. »
« L'amie d'Harry Potter ? »
« En effet. »
« Pauvre garçon ! Il n'a vraiment pas de chance… Depuis sa naissance, cet enfant est destiné à de grandes choses, mais son karma est semé d'embûches… »
Allez, c'est reparti pour un tour ! pensa Hermione en essayant de fermer un livre récalcitrant qui se rebellait.
« Quoi ? Qu'avez-vous dit ? »
« Rien ! Je n'ai rien dit ! » protesta Hermione. Elle lit dans les pensées ou quoi !
« Aaaahhh ! Combien de fois lui ai-je prédit un grand malheur ? » reprit Trelawney d'une voix tragique.
« On ne les compte plus... » lâcha Hermione avant de s'apercevoir en rougissant de sa maladresse. « Euh… Heureusement, Harry s'en sort toujours. »
Trelawney la regarda d'un drôle d'air avec ces lunettes à quintuples foyers. Par inadvertance, la main du professeur effleura celle de la jeune sorcière.
« Ma chérie… »
Hermione la regarda, alarmée par son ton.
« Oui ? »
« Vous êtes très sarcastique. »
« Euh… » Hermione se sentit gênée et s'excusa. « Désolée, professeur. »
« Mais vous avez une âme noble et un cœur pur… Vous êtes de ces rares élues qui connaîtront le grand Amour, le vrai, celui qui transcende la mort... »
Formidable… pensa Hermione avec dérision. Comme si je n'avais déjà pas assez de problèmes comme ça. Heureusement, l'image de Parvati dans une situation identique s'imposa soudain à elle et Hermione réussit à prononcer un candide « C'est vrai ? » qui ravit Trelawney.
« Absolument… Oh, ma chérie ! Comme je vous envie ! »
Les deux sorcières se relevèrent en souriant et Trelawney, visiblement aux anges, ajouta en partant :
« Vous verrez… le grand Amour… »
Hermione s'éloigna en réprimant un sourire. Au moins, l'intervention de Trelawney l'avait un peu distraite de ses préoccupations. La pensée d'aller voir Rogue lui serra l'estomac et l'appréhension l'envahit à nouveau. Avec son bon sens et sa détermination habituels, Hermione la réprima rapidement.
Elle tourna le coin du couloir et arriva dans le hall d'entrée quasiment désert à cette heure de la mâtinée. Elle allait s'engager dans l'escalier menant aux cachots lorsqu'elle entendit la voix d'Harry l'appeler.
Hermione se retourna et vit ses deux amis courir vers elle.
« Hermione, où étais-tu passée ? Ca fait une heure qu'on te cherche partout ! » dit Ron.
« Je suis désolée mais j'avais besoin de réfléchir. »
« Un problème ? » demanda Harry, soudain inquiet. « C'est ce parchemin que tu as reçu ce matin ? »
« Ecoutez, je… Je dois aller voir Rogue. »
« Pour quoi faire ? » demanda Ron en grimaçant.
Hermione roula des yeux . « Pour parler avec lui. »
« Il n'est pas là, » dit Harry. « Je l'ai vu partir avec Remus hier soir. »
« Où sont-ils allés ? »
« Aucune idée. Mais ils avaient l'air de conspirer quelque chose tous les deux. »
Hermione parut sincèrement embarrassée, même si au fonds, elle bénissait cette absence qui l'empêchait d'affronter le Maître des Potions.
« On doit passer voir Hagrid. Tu viens avec nous ou tu restes planter là ? » demanda Ron.
« Allez-y sans moi. »
« Tu es sûr que ça va ? » demanda Harry.
Hermione eut un sourire. « Ca va. »
Peu convaincu, Harry laissa néanmoins son amie seule. Il savait qu'il était inutile de la forcer à parler si elle n'en avait pas envie. Pourtant, Hermione éprouvait le besoin de se confier à quelqu'un, mais qui ? Pas les garçons, c'était sûr. Son amie Ginny ? Ce n'était pas non plus le bon choix. Elle avait besoin des conseils d'un adulte. Dumbledore ? Trop occupé, et honnêtement, elle ne se voyait pas parler des confidences de Rogue au vieil homme, même s'ils semblaient proches. Remus était absent, ainsi que la mère de Ron. Peut-être ses parents ? Non, ils ne comprendraient pas. Hermione soupira. Il ne restait plus que McGonagall.
La directrice d'études de Gryffondor la reçut immédiatement. D'ordinaire, elle ne faisait pas de favoritisme parmi ses élèves, mais elle avait toujours éprouvé une affection particulière pour cette brillante étudiante. Elles s'installèrent toutes deux confortablement dans le vieux canapé en cuir devant la cheminée et commandèrent du thé et des petits gâteaux. Quand enfin McGonagall lui demanda ce qui l'amenait, Hermione lui tendit le parchemin pour toute réponse.
La sorcière ajusta ses lunettes et lut la lettre en silence. Diverses expressions apparurent sur son visage ridé qui en disaient long : de la surprise d'abord, puis de l'inquiétude, enfin de la tristesse. Quand elle eut fini, McGonagall opéra le même charme qu'Hermione plus tôt pour vérifier l'authenticité du parchemin, puis devant le résultat, reposa la lettre lentement sur ses genoux, ne sachant visiblement pas par où commencer.
« Et bien, c'est plutôt surprenant, n'est ce pas ? »
Hermione se contenta de hocher la tête. « Je voulais aller le voir et lui demander des explications… »
« … Mais Severus est parti. Je sais... Et il ne sera pas de retour avant quelques jours, je le crains... »
Il y eut un silence pendant lequel Minerva observa attentivement son ancienne étudiante sous un nouveau jour. Comme elle avait changé ! L'adolescente aux cheveux rebelles s'était métamorphosée en une jeune beauté aux yeux de biche et au caractère de feu. Comment un homme pourrait-il être insensible aux charmes et à l'intelligence de cette jeune personne ? se demanda t'elle. Mais là n'était pas la question.
Dans l'immédiat, Minerva s'inquiétait davantage pour sa jeune protégée que pour le Maître des Potions.
« Comment prenez-vous les choses ? » demanda t'elle.
« Je ne sais pas. C'est tellement inattendu… Je suis toute secouée… »
« J'imagine aisément. Ce n'est pas tous les jours qu'un homme dont on ne soupçonne pas les sentiments, vous fait une déclaration d'amour… »
« Surtout lorsqu'il s'agit de l'homme le plus détesté de Poudlard. »
Minerva eut un petit rire et se servit du thé.
« Severus est un être… complexe. »
L'affection que McGonagall ressentait pour le Maître des Potions transparaissait clairement dans ses quelques mots mais Hermione se sentit perdue.
« Je ne comprends pas… Je n'ai jamais cherché à m'attirer ses faveurs ! Et il n'a jamais fait attention à moi ! »
« C'est ce que vous avez toujours cru, Hermione… Avec le professeur Rogue, il faut aller au-delà des apparences. Vous devez vous en douter, sinon comment aurait-il pu survivre face à Voldemort au cours de toutes ces années ? »
« C'est si difficile de concilier l'image que j'ai de lui et ce qu'il est dans cette lettre. J'ai l'impression qu'il ne s'agit pas de la même personne. Je veux dire… Au fonds, je ne sais rien de lui. Je ne le connais pas. »
« Je sais. Même nous qui le côtoyons tous les jours n'arrivons pas à le cerner. Il n'y a qu'Albus qui sache. Et encore, des fois, je m'interroge. »
Il y eut un nouveau silence. McGonagall soupira.
« Je ne peux pas dire que je sois réellement surprise au fonds. Severus et vous avez plus d'un point commun. »
« Quoi par exemple ? »
« Une intelligence hors norme… La même envie d'apprendre… les livres… Si vous vous parliez, je suis sûre que vous trouveriez des centres d'intérêts communs. »
« Vous croyez ? »
« C'est possible, mais rien n'est sûr avec ce diable d'homme. »
Hermione réfléchit un instant.
« Minerva, que pensez-vous de sa lettre ? »
« Je désapprouve sa démarche. Même si la guerre change bien des choses et que vous n'êtes plus son élève, il n'avait pas à vous écrire de la sorte pour vous mettre dans un tel embarras… Hermione, vous ne devez pas vous sentir coupable de ne pas répondre à ses attentes. Si vous ne l'aimez pas, vous n'avez qu'à le lui dire. S'il est sincère, sa fierté en prendra un coup, mais il est suffisamment intelligent pour comprendre. Il s'en remettra. »
« Il devait se sentir très seul pour avoir osé dévoiler ses sentiments. »
« Ou très déprimé… Cela lui arrive de temps en temps. Un conseil : ne vous apitoyez pas sur lui, il déteste ça. »
« Pourquoi ne s'est-il pas confié à quelqu'un d'autre ? »
« Severus est un homme très secret. »
Ce fut au tour d'Hermione de soupirer.
« Qu'est-ce je dois faire ? »
« Lui dire la vérité. »
« Mais s'il ne revient pas ? S'il meurt ? »
« Mon dieu, qu'allez-vous chercher là ? Severus reviendra. Il revient toujours. »
Hermione secoua la tête, soudain mal à l'aise. Elle venait de mettre enfin le doigt sur un élément qui la tracassait depuis la lecture du parchemin.
« Minerva, je sais que c'est complètement fou, mais j'ai comme un mauvais pressentiment. »
« Allons, allons… »
« Quelque chose me dit qu'il ne va pas revenir. Pas cette fois. »
Inquiète, Minerva McGonagall prit la main de la jeune femme dans la sienne et la serra.
« Ca ne vous ressemble pas de dire ça. C'est une pensée complètement irrationnelle. »
« Je sais, mais je sens que quelque chose de terrible va lui arriver. »
« Hermione, Severus est un battant. Si quelqu'un connaît le sens du mot survie, c'est bien lui… Il reviendra… et il aura affaire à moi, vous pouvez me croire. »
Hermione eut un faible sourire en imaginant le remontage de bretelles de McGonagall sur Rogue. Comme l'Animagus qu'elle était, la sorcière pouvait être excessivement protectrice et féroce quand il le fallait. Même Rogue n'osait se frotter à elle quand elle était dans cet état de fureur.
« Promettez-moi de ne pas être trop dure avec lui. »
« Hermione, vous êtes trop sentimentale. »
La jeune femme haussa les épaules.
« Sans doute… Je ne l'apprécie peut-être pas, mais j'ai du respect pour lui et tout ce qu'il a fait pour l'Ordre. »
« Et il vous intrigue, n'est ce pas ? »
Hermione se mit à rougir. McGonagall avait vu juste et se mit à sourire avec indulgence.
« Il fait cet effet sur toutes les femmes… Il est tellement mystérieux… A sa façon, il est séduisant… Et cette voix… Mon dieu, cette voix… »
Hermione se mit à rougir de plus belle en se rappelant le timbre particulier de la voix du Maître des Potions. Elle pouvait se faire tranchante comme une lame, dure et cassante comme de la glace, ironique avec une pointe de sarcasme, et parfois – rarement - soyeuse et caressante… Il savait parfaitement en jouer pour obtenir l'effet désiré. Elle secoua ses pensées qui commençaient à prendre un tour un peu trop fantasque. C'était quelque chose dont elle ne voulait pas parler, surtout avec McGonagall. Elle préféra changer de sujet.
« Dès qu'il sera de retour, vous pourrez m'avertir ? »
« Bien sûr. »
« Même s'il lui arrive quelque chose. »
« Hermione… »
« Je sais… »
Avec un sourire rassurant, McGonagall promit de faire son possible pour obtenir des informations rapidement. La sorcière vit bien que la jeune femme avait besoin de temps et de réflexion. Avant qu'Hermione ne parte, elle lui glissa encore :
« Hermione, Severus est un écorché permanent. Il est déprimé. Quand il rentrera, il est à peu près certain qu'il niera avoir écrit ces mots en toute lucidité et vous vous serez inquiétée pour rien. »
La jeune femme essaya de faire bonne figure et s'en alla, à peine plus rassurée que quand elle était arrivée. Après son départ, un masque de vive inquiétude altéra les traits de la directrice de Gryffondor. Il fallait qu'elle parle à Albus Dumbledore de toute urgence.
A suivre…
Note :
(1) Qui monet, quasi adjuvat : Conseiller, c'est presque aider. (Plaute)
