Bonsoir à tous ! Après deux semaines d'attente, voici le nouveau chapitre ! Je tiens à remercier tous ceux qui suivent cette histoire et ceux qui m'ont laissé une petite review, voir que cette histoire est lue et appréciée me fait très plaisir.
Je tenais à vous dire que j'ai décidé de publier deux chapitres fusionnés en un seul à chaque update, afin de vous offrir des chapitres plus longs avec plus d'aventures :) Mais du coup mon rythme de publication risque d'être un peu plus espacé, je vais essayer de ne pas dépasser quinze jours entre chaque publication.
Je vous laisse avec ce nouveau chapitre, j'espère qu'il vous plaira !
Chapitre 37
Meiko avait cherché Sakae pendant près de vingt minutes, sans succès. Elle avait parcouru toute l'Agence, suscitant des regards étonnés de la part des employés peu habitués à voir une adolescente sur leur lieu de travail. Elle alla voir dans le patio, aux machines à café, aux toilettes. Rien. Sakae aurait-elle réussi à sortir de l'Agence ? Son père leur avait pourtant dit que les agents avaient ordre de les maintenir à l'intérieur. Cependant, Sakae était une vraie casse-cou et cela n'aurait pas étonné Meiko qu'elle ait réussi à échapper à leur vigilance … Elle arriva alors au pied d'un escalier qui montait encore d'un niveau. Curieux, elle pensait être au dernier étage. Elle le gravit et en haut des marches, elle tomba sur une lourde porte. Elle la poussa et se retrouva à l'air libre : elle était sur le toit. Comme le toit du lycée, celui-ci formait une longue terrasse encerclée de grillages destinés à prévenir une chute mortelle. Sakae était assise sur le sol, recroquevillée sur elle-même, tout au bout de cette terrasse. Elle avait enfoui sa tête dans ses genoux qu'elle entourait de ses bras. L'écho de ses sanglots étouffés parvint jusqu'à Meiko. La jeune fille s'avança vers sa sœur et s'accroupit doucement près d'elle :
– Sakae … c'est moi, Meiko.
Sakae tressaillit et sortit la tête de ses genoux. Ses yeux et ses pommettes étaient rougi par les larmes. Elle la dévisagea et demanda abruptement :
– Qu'est-ce que tu veux ?
– Juste parler avec toi.
– Moi, je n'en ai pas envie.
– Je peux au moins m'asseoir ?
Sa sœur ne répondit pas et cacha de nouveau sa tête dans ses genoux. Meiko se mit en tailleur à côté d'elle. Comme Sakae gardait le silence, Meiko finit par souffler :
– Je suis vraiment désolée. Je ne savais pas que ton père était vivant. Je comprends que tu sois triste.
– Triste ? répéta Sakae en ressortant de nouveau vivement la tête. Je ne suis pas triste, je suis en colère ! Mon propre père s'est caché de moi pendant quinze ans ! Il a préféré cette Agence à sa fille ! Il a préféré travailler dans l'ombre plutôt que de s'occuper de moi ! Qu'ai-je donc fait pour mériter ça ?
Meiko regarda droit devant elle. Son front se plissa et elle murmura :
– Tu n'as rien fait. Tu ne dois pas te sentir coupable des choix de ton père.
– Mais si je n'ai rien fait de mal, pourquoi m'a-t-il abandonnée ?
Meiko pinça les lèvres et dévia le regard. Sakae s'exclama, pleine de rancœur :
– Et dire que M. Mochizuki connaissait mon vrai père depuis le début … Je comprends mieux maintenant pourquoi nos relations ont toujours été difficiles. Je ne suis pas sa fille et il le savait. Pire, il savait qu'il n'avait pas le droit de m'élever légitimement parce que mon vrai père vivait encore !
– Peut-être notre père l'a-t-il fait pour te protéger …
– M. Mochizuki n'est pas mon père !
– Même si tu n'en as pas eu l'impression, papa t'a toujours considérée comme sa fille, répliqua Meiko. Il tient à toi. Toutes les fois où tu avais l'impression qu'il t'interdisait des choses, qu'il s'opposait à ce que tu fasses certaines activités, c'est parce qu'il s'inquiétait pour toi …
– Comment peux-tu être sûre d'une chose pareille ?
– Parce que quand tu étais à l'internat, il parlait souvent de toi à table … il se demandait ce que tu pouvais étudier, si tu allais bien … lorsque tu n'étais pas là, c'était évident que c'est pour toi qu'il se préoccupait le plus.
Sakae cilla, surprise de cette confession de sa sœur. Cependant, la colère revint à la charge dans son cœur.
– Forcément qu'il s'inquiétait, il devait rendre des comptes à mon vrai père !
– Ce n'est pas seulement une question de rendre compte ! dit Meiko. Je t'assure que papa t'aime ! Et moi aussi, Sakae, je t'aime comme ma sœur !
Sakae la dévisagea longuement. Un rictus d'amertume se creusa à la commissure de ses lèvres et elle secoua la tête.
– Nous ne sommes pas sœurs, Meiko.
– Ça ne change rien ! Je te considèrerai toujours ainsi.
– Ça ne sert à rien de faire comme si c'était vrai ! explosa Sakae. Je suis fatiguée des mensonges !
Meiko ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. D'une voix sourde, elle murmura :
– Sakae, je … je veux seulement t'aider. Comme tu m'as aidée lorsque j'en avais besoin dans le monde digital.
Sakae la fixa, les yeux remplis de peine.
– Cette fois, tu ne peux pas m'aider, Meiko. Laisse-moi, s'il te plaît.
Elle replongea de nouveau sa tête entre ses genoux. Meiko sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle les essuya, se releva et fit demi-tour vers l'escalier.
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Koushiro sélectionna la boisson sur la machine à café : thé oloong. C'était le cinquième gobelet qu'il avalait en une heure. Il n'était pas retourné dans la salle des sofas avec ses amis. Il avait besoin d'être seul, pour de digérer ce qu'il venait de découvrir. Et dire qu'il avait soupçonné le directeur de l'Agence d'avoir tué son père et celui de Sakae … jamais il ne lui était venu à l'esprit que cet homme pouvait être le père de Sakae lui-même. Trop d'émotions l'assaillaient sans qu'il ne trouve le moyen de les rationnaliser, de les maîtriser, de les canaliser. Il n'avait pas eu de si grand choc depuis qu'il avait découvert qu'il était un enfant adopté.
À cet instant, Meiko apparut au coin d'un couloir. Les adolescents se dévisagèrent, et finalement la jeune fille dit :
– Koushiro … comment ça va ?
– Disons … que j'ai connu des jours meilleurs.
– Je comprends. J'ai vu Sakae.
– Ah bon ? Où est-elle ? Je l'ai cherchée partout.
– Sur le toit de l'Agence. On y accède par un escalier tout au bout de ce couloir. Je pense que tu devrais aller la voir.
– Pourquoi ?
– Parce que pour le moment, elle n'écoutera personne à part toi. Dans cette histoire, si j'ai bien compris, vos deux pères étaient liés, n'est-ce pas ?
– Oui. Ils ont travaillé pour l'Agence il y a quinze ans, puis ils sont morts dans un accident de voiture avec nos mères. Enfin, je croyais qu'ils étaient morts tous les deux. Mais le père de Sakae a survécu, et a continué de travailler pour l'Agence pendant tout ce temps.
– Mon père était au courant …
– Oui.
Meiko baissa les yeux. Koushiro s'arracha alors à ses pensées et se leva.
– Je vais voir Sakae.
Quand Koushiro sortit sur la terrasse de l'Agence, Sakae n'avait pas bougé d'un pouce. Le jeune homme la fixa, bouleversé. Qu'allait-il pouvoir lui dire pour la réconforter ? Il était presque aussi en colère qu'elle. Il prit une grande inspiration et s'approcha. Sans relever la tête, Sakae lança :
– Si c'est encore toi, Meiko, je t'ai dit que je voulais rester seule !
Voyant que personne que personne ne lui répondait, la jeune fille releva la tête : ses yeux s'écarquillèrent quand elle reconnut Koushiro.
– Ah … c'est toi …
– Je sais que tu n'as envie de voir personne. Mais je voulais seulement te dire que je sais ce que tu ressens. Même si cet homme n'est pas mon père, il aurait pu m'adopter, alors … moi aussi, j'éprouve cette sensation de trahison.
Sakae le dévisagea longuement. Puis, elle serra les poings, ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, sa voix étincelait de colère :
– Ce directeur, je croyais que c'était un assassin ! Qu'il avait tué mon père et le tien … et je découvre qu'en fait, c'est mon propre père ! Mon père qui m'a menti pendant tant d'années ! Mon père qui n'a pas voulu de moi ! Pourquoi ? Quelle a été mon erreur ? Comment un homme peut-il ainsi rayer son enfant de sa vie ? En fait, j'aurais peut-être préféré qu'il soit vraiment mort dans cet accident de voiture. Au moins, je ne ressentirai pas cette douleur insupportable. Je le déteste, je déteste M. Mochizuki, je les déteste tous !
Les larmes coulèrent sur ses joues, et elle se courba, comme si les forces lui manquaient pour continuer. Koushiro la fixait, désemparé. Que pouvait-il faire pour arrêter ces larmes ? Il s'agenouilla face à elle, lentement. Il hésita un instant, puis, il posa ses mains sur les siennes. Sakae tressaillit et releva vers lui des yeux humides.
– Ça va mieux, maintenant que tu as dit tout ça ? lui demanda le jeune homme.
Sakae le fixa, et lentement, hocha la tête. Koushiro lui dit doucement :
– Tu sais, ton père, nous ne l'avons même laissé nous parler.
– Rien de ce qu'il pourra dire ne changera ce qu'il a fait !
– Peut-être, mais … si vraiment il ne tenait pas à toi, si vraiment il n'avait pas voulu te protéger, crois-tu qu'il nous aurait fait face aujourd'hui ? Je sais que tu es en colère. Moi aussi je le suis, mais … il a eu le courage de nous rencontrer tout en sachant que nous allions lui en vouloir. Si tu avais vu son visage, quand je lui fais tous ces reproches … nous devrions au moins lui laisser la possibilité d'écouter ce qu'il a à nous dire.
Sakae se redressa sur ses talons et essuya ses joues. Koushiro retira ses mains des siennes.
– Je ne sais pas, Koushiro … vraiment, je n'en sais rien. J'ai besoin de réfléchir.
Le jeune homme acquiesça. Il sentait que Sakae avait encore besoin d'être seule. Il se releva et s'apprêta à reprendre le chemin de l'escalier. Sakae le regarda s'éloigner, puis, d'un seul coup, se releva, courut et l'attrapa par le bras. L'adolescent sursauta et se retourna. Sakae plongea son regard dans le sien et souffla :
– Merci, Koushiro. Je sais que ce n'est pas simple pour toi non plus.
Le jeune homme cilla. D'une voix légèrement tremblante, il murmura :
– Pour être tout à fait honnête, quand j'ai compris que le directeur de l'Agence était ton père, j'ai ressenti beaucoup de chose à la fois. Je sais que c'est idiot, mais, l'espace d'un instant, je me suis dit que si ton père avait survécu à l'accident, peut-être que le mien était lui aussi …
– … vivant ?
– Oui. Mais ton père m'a confirmé qu'il était le seul rescapé. Alors, c'est vrai, j'étais en colère qu'il se soit caché si longtemps, qu'il ne soit pas occupé ni de toi, ni de moi … mais je crois que j'étais aussi en colère qu'il soit en vie et pas mon père.
Sakae fixa Koushiro, frappée par ses paroles. Elle n'avait pensé qu'à elle-même. Elle ne s'était concentrée que sur ses émotions, sans se demander un seul instant ce qu'avait pu éprouver son ami. C'était d'autant plus bouleversant qu'il se dévoilait maintenant à elle avec une confiance absolue. Koushiro cligna des yeux et poursuivit :
– Je comprends que tu en veuilles à ton père. Mais quoi qu'il ait fait, aujourd'hui, il est vivant et il peut te prendre dans ses bras. C'est une chance merveilleuse que je n'aurai jamais. Ne l'oublie pas.
Sakae, immobile, sentit sa main trembler légèrement. Elle tenait toujours Koushiro par le bras. Au lieu de le lâcher, elle s'approcha lentement de lui, passa ses bras autour de sa taille et le serra contre elle. Koushiro tressaillit, sentit son cœur s'accélérer, totalement pris de court. Sakae ferma les yeux et l'étreignit plus fort :
– Même si ton père n'est plus là, tu n'es pas seul, Koushiro.
La peau du jeune homme s'était couverte de chair de poule. Il baissa la tête et plongea ses yeux dans ceux de Sakae. Le regard franc de la jeune fille, entier et généreux malgré la peine le bouleversa. Il lui hésita un instant puis, à son tour, il la serra contre lui. Cette chaleur, cette proximité remplit Sakae d'une douceur qui apaisa la tempête déchaînée de son cœur.
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Koushiro redescendit dans l'Agence et tomba sur Sora, Joe, Takeru, Hikari et Mimi qui s'étaient proposés d'aller chercher à manger pour tout le monde à la cantine de l'entreprise. Ils remontaient les escaliers les bras chargés de deux plateaux repas chacun. Koushiro les rejoignit, le front encore soucieux.
Ils prirent la direction de la salle des sofas où ils retrouvèrent les autres pour dîner. Koushiro ouvrit son ordinateur et fit sortir tous les digimons pour qu'ils puissent manger eux aussi. Taichi leur expliqua rapidement la situation. En l'entendant, Ryudamon bondit sur ses pattes :
– Je dois aller auprès de Sakae ! Je ne peux pas la laisser seule dans un moment pareil !
Le petit digimon s'élança vers la porte et quitta la salle de repos. Il parcourut les couloirs en se cachant dans un recoin d'ombre à l'approche d'un agent. Heureusement, il ne restait plus que les vigiles de sécurité. Les employés étaient rentrés chez eux et l'Agence était à présent étrangement silencieuse. Ryudamon trouva bientôt l'escalier qui menait à la terrasse : il sortit à l'air libre et repéra aussitôt Sakae. La jeune fille était allongée au sol et regardait le ciel. Son partenaire s'approcha d'elle et alla se blottir contre son corps.
– Oh, Ryudamon, c'est toi ! s'exclama la jeune fille en s'asseyant. Comme je suis contente de te voir !
Elle le prit dans ses bras et le serra contre elle. Ryudamon releva la tête vers elle :
– Taichi m'a expliqué ce qu'il s'était passé, dit-il à Sakae. Pour ton père, et tout ça … alors je me suis dit que de la compagnie te fera du bien.
– Merci, Ryudamon. Tu sais, je m'en veux : avec toutes ces émotions, j'en suis arrivée à souhaiter, pendant un instant, n'être jamais allée dans le digimonde. C'est parce que j'ai été embarquée dans cette aventure que j'ai rencontré mon vrai père aujourd'hui. Mais ensuite, je me suis reproché une telle pensée : si je ne m'étais pas rendue dans le monde digital, alors nous ne nous serions jamais rencontrés … et je suis si heureuse que tu sois mon partenaire, Ryudamon !
Le digimon se sentit rougir.
– Merci d'avoir pensé à moi malgré la tristesse que tu pouvais ressentir, dit-il. Tu sais, la première fois que j'ai vu les Enfants Élus, dans la forêt du monde digital, il y a six ans, je vivais complètement seul. Et j'étais persuadé que si tu n'étais pas venue avec ces autres enfants, c'est que tu ne voulais pas de moi. Mais il y une semaine, je t'ai rencontrée, et ma vie a changé. Tu m'as expliqué que si tu n'étais pas venue il y a six ans, c'est parce que tu ignorais que tu étais une Enfant Élue et non parce que tu ne voulais pas de moi. Peut-être qu'avec ton père, ça pourrait être la même chose ?
– Comment ça ?
– Je ne crois pas qu'il ait voulu te trahir et je pense qu'il t'aime vraiment de tout son cœur … mais tout comme j'ignorais pourquoi j'avais été seul si longtemps dans le monde digital, tu ignores pourquoi il a agi comme il l'a fait. Si tu lui parles, peut-être que tu comprendras mieux, comme j'ai pu le faire quand nous nous sommes rencontrés.
Sakae dévisagea son digimon, et ses yeux brillèrent.
– Merci, Ryudamon.
– Tu vas dormir sur le toit ?
– Oui, je pense. C'est l'été, la température est douce.
– Je peux rester avec toi ? Comme ça, si le vent se lève, je pourrai te réchauffer avec ma fourrure.
La jeune fille sourit et hocha la tête. Elle se coucha alors à même le sol, son digimon tout contre elle. En quelques minutes, elle s'endormit.
Alors que la nuit était déjà avancée, une ombre apparut sur la terrasse. Elle s'approcha de Sakae et de Ryudamon, s'inclina et déposa délicatement une couverture sur eux. Sakae frémit et ouvrit les yeux au contact du tissu chaud. L'ombre se redressa et se détourna, mais la jeune fille eut le temps d'apercevoir ses traits : après quinze d'absence, le directeur de l'Agence Administrative avait décidé de prendre soin de sa fille.
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L'aube filtra à travers le store californien de la baie vitrée, zébrant les sofas de lignes claires. Les Enfants Élus avaient passé la nuit dans la pièce qui avait été mise à leur disposition, à l'exception de Sakae. Quand un rayon empoussiéré de soleil parvint jusqu'à son visage, Takeru ouvrit les yeux. Il s'assit en frottant ses paupières : ses amis dormaient encore. Près de lui, Patamon était roulé en boule. Takeru sourit et posa une main sur le flanc de son ami : il pouvait sentir sa respiration régulière. Le jeune homme releva la tête et remarqua alors une silhouette qu'il n'avait pas aperçue au premier coup d'œil : Koushiro. Il s'était assis face à la fenêtre et avait écarté quelques lamelles du store pour voir à l'extérieur. Tentomon dormait à ses pieds. Le front du jeune homme était encore soucieux et des cernes assombrissaient son regard. Takeru se redressa et s'approcha de lui :
– Eh, Koushiro …
– Ah, Takeru ! Bonjour.
– Bonjour. Comment tu te sens ?
– Je t'avoue que je n'ai pas beaucoup dormi.
– Je comprends ... Sora m'a dit que tu avais vu Sakae hier soir. Cela a dû lui faire du bien.
– Oui. À moi aussi. Normalement, j'ai dû mal à exprimer mes émotions, mais avec Sakae c'est plus facile.
– Tant mieux … Tu as pensé à ton vrai père ?
– Oui, toute la nuit. Au père de Sakae, aussi.
Takeru fronça les sourcils, puis s'assit près de Koushiro.
– Je sais que ce n'est pas exactement la même chose, mais mon frère et moi avons beaucoup souffert des décisions de nos parents, et notamment de leur divorce. Je crois que j'ai pu être en colère contre eux comme Sakae ou toi pouvez l'être contre le directeur de l'agence en ce moment. Mais je crois aussi que ce sont nos parents, et quoi qu'il fasse, nous serons toujours liés à eux. Alors … j'espère sincèrement que Sakae va reparler à son père, et que toi aussi, tu vas le faire.
Koushiro baissa le regard et sourit.
– Je pense que je vais le faire, en effet. Je veux savoir ce qu'il a à nous dire.
Koushiro adressa un sourire de gratitude à Takeru. À cet instant, ils entendirent leurs amis se réveiller derrière eux. Taichi, Yamato, Joe, Sora et M. Nishijima allèrent chercher le petit-déjeuner. Alors qu'ils rapportaient des plateaux chargés de d'œufs au plat, de toasts, de nouilles, de céréales et de jus de fruit, Sakae apparut au coin d'un couloir Ryudamon la suivait.
– Sakae, souffla Hikari. Comment vas-tu ?
– Mieux … disons que le premier choc est passé. Est-ce que je peux joindre à vous ?
– Bien-sûr, approuva Yamato.
Quand Sakae entra dans la salle de repos, le visage de ses amis s'éclaira. Tous s'étaient inquiétés. Comment se sentait-elle ? Avait-elle pu se reposer un peu ?
– Est-ce que tu vas aller parler à ton père ? lui demanda finalement Mimi.
– Oui, acquiesça Sakae.
Koushiro releva la tête, surpris.
– Alors … tu n'es plus en colère contre lui ?
– Si, je le suis, mais je le serai toute ma vie si je ne lui parle pas. J'ignore si je parviendrai à lui pardonner de m'avoir abandonnée, mais je veux au moins que nous nous fassions face.
Koushiro sourit, ému par le courage de la jeune fille. Il s'approcha d'elle et déclara :
– Alors, je viendrai avec toi.
Leurs amis hochèrent la tête. Taichi ajouta :
– Nous viendrons tous avec vous.
Une demi-heure plus tard, Meiko alla chercher son père dans son bureau. M. Mochizuki, comme les Enfants Élus, avait dormi sur place. L'entrée de sa fille le tira de son sommeil. Il se redressa sur son fauteuil, étonné.
– Bonjour papa, le salua Meiko.
– Meiko … comment va Sakae ?
– Ça a l'air d'aller mieux ce matin. Elle veut parler à son père, et Koushiro aussi. Nous voudrions tous entendre ce qu'il a à nous dire.
– Vous vous sentez prêts ? Sakae est sûre d'elle ?
– Oui.
– Alors, je vais vous accompagner.
– Les digimons peuvent-ils venir avec nous ?
– Je ne préfèrerais pas. Les employés de l'Agence Administrative sont arrivés et ils risquent de s'affoler s'ils voient des digimons. Demande à ton ami Koushiro de les mettre dans son ordinateur.
– D'accord.
Quelques minutes après, M. Mochizuki emmena de nouveau les Enfants Élus au sous-sol secret. M. Tagaya, le père de Sakae, y avait passé la nuit. Les adolescents devinèrent à ses cernes qu'il n'avait pas dû fermer l'œil. Son premier regard fut pour sa fille, le second pour Koushiro.
– Sakae, Koushiro, murmura le directeur de l'Agence. J'ai cru que vous ne voudriez plus jamais me voir.
– Pour être sincère, répondit Sakae, hier, c'est ce que je pensais aussi. Mais ensuite, on en a discuté avec Koushiro, et nous nous sommes dit que vous méritiez au moins que nous vous laissions vous expliquer. Hier, j'étais en colère. Aujourd'hui, j'ai beaucoup de questions à vous poser, mais il y en a une qui m'importe plus que les autres.
– Demande-moi ce que tu voudras.
– Est-ce que … est-ce que vous ne m'avez pas élevée parce que vous ne m'aimiez pas ?
M. Tagaya fixa sa fille, bouleversé. Il bégaya :
– Non … non, bien-sûr que non ! Je t'aimais Sakae, je t'aime toujours … j'aurais voulu être auprès de toi ! Mais on m'a obligé … et puis, je l'ai aussi fait pour te protéger. Pour vous protéger, ajouta-t-il en regardant Koushiro.
– Est-ce que vous voulez nous expliquer tout cela dans le détail, et … depuis le début ? lui demanda le jeune homme.
Le directeur déglutit, puis acquiesça. Il embrassa du regard tous les autres Enfants Élus qui leur faisaient face, avec M. Nishijima.
– M. Mochizuki et moi-même parlerons sans doute à deux voix, car nous avons mené tous nos projets ensemble, à deux et dans le passé à trois, avec ton père, Koushiro, quand il était encore en vie. Ce que je veux vous dire vous concerne tous. Mais, je vais reprendre depuis le commencement. L'Agence dans laquelle vous vous trouvez en ce moment a été créée par ton vrai père, Koushiro, qui s'appelait M. Omura, par M. Mochizuki et par moi-même.
– Vous … vous êtes les créateurs de l'Agence ? répéta Yamato, bouche bée. N'est-ce pas le gouvernement qui en est à l'origine ?
– Au départ, ce n'était pas le cas, dit M. Mochizuki. Tagaya, Omura et moi-même avions étudié dans la même université lorsque nous étions jeunes, au début des années 1980. Même si les prémices de l'internet avaient été esquissés dans les années 1960 et 1970, le développement d'un réseau informatique mondial n'en était encore qu'à ses balbutiements quand nous sommes devenus étudiants.
– Ce nouveau domaine nous intéressait tous les trois, poursuivit M. Tagaya, même si nous n'avions pas la même spécialité : j'étais physicien, Mochizuki biologiste et Omura mathématicien. La nouvelle technologie de l'internet nous fascinait par les nouvelles possibilités qu'elle pourrait nous offrir. À la fin de notre cursus universitaire, nous sommes tous les trois devenus professeurs à l'université de Tokyo. Nous continuions en parallèle nos recherches personnelles, et c'est ton père, Koushiro, qui a le plus travaillé sur les manières de développer et d'enrichir les réseaux informatiques.
– À côté de cela, dit M. Mochizuki, j'avais l'intuition qu'il pouvait exister d'autres mondes que celui qui était visible à nos yeux. Et toi, Tagaya, tu as tendu à me donner raison en poursuivant tes recherches en physique quantique.
– Nous partagions souvent nos points de vue tous les trois, acquiesça le directeur de l'Agence. J'étais particulièrement proche de ton père, Koushiro. C'était mon meilleur ami. Un jour, en poussant un peu plus loin une recherche sur les capacités d'internet qu'Omura avait entamée, j'ai découvert un sous-réseau immense. Les connections qu'il générait donnaient vie à tout un monde : c'était le monde digital.
– Vous … vous avez découvert le digimonde ? souffla Taichi, sans voix.
– Oui, acquiesça M. Mochizuki.
– Alors … vous ne l'avez pas créé ? demanda Koushiro. Un moment, c'est ce que j'ai cru.
– Non, ce n'est pas nous, dit M. Tagaya. Ceci dit, ton père aurait peut-être été capable de le faire.
– Au départ, ajouta M. Mochizuki, nous pensions d'ailleurs qu'il s'agissait d'un programme informatique créé par les hommes.
– Et … ce n'était pas le cas ? lâcha Takeru.
– En se penchant sur ce monde gigantesque, expliqua le directeur, Omura a vite réfuté cette hypothèse. Le monde digital était trop complexe, trop riche pour l'internet débutant des années 1980 : il ne pouvait pas être une création de l'homme.
Les Enfants Élus dévisagèrent le directeur de l'Agence, interdits. Le monde digital, pas une création humaine ? Koushiro secoua la tête :
– Mais enfin, le monde digital n'a pas pu naître tout seul …
– Pas tout seul, en effet, admit M. Tagaya. Mais il est fort possible que le monde digital existe depuis longtemps à côté de notre monde, bien plus longtemps que n'existent les technologies informatiques.
Les Enfants Élus ouvrirent des yeux ronds. Le monde digital, antérieur à l'internet ?
– Mais alors, les digimons, le monde digital, Yggdrasil, Homeostasis … tout ça serait né avant les ordinateurs ? fit Mimi, perplexe.
– Cela me paraît impossible, dit Koushiro. Si l'on admettait cette hypothèse, cela voudrait dire que le monde digital existe hors du réseau mondial.
– Tu as bien compris, acquiesça M. Mochizuki.
– Mais dans ce cas, pourquoi les programmes informatiques que nous lançons ont-ils un impact sur ce monde ? Le monde digital appartient forcément au réseau, sinon nous ne pourrions pas le gouverner par nos applications.
Hikari baissa les yeux et murmura :
– Tailmon m'a dit une chose, après que j'ai été possédée par Homeostasis pour la première fois. En parlant à travers moi, Homeostasis aurait affirmé que le réseau informatique mondial forme comme une immense mer quantique qui contient toute l'information d'internet. En parallèle à ces créations humaines, le monde digital aurait surgi de lui-même dans cette mer pour s'entrelacer avec le web.
– Il peut avoir surgi, reconnut M. Tagaya. Ou bien, peut-être existait-il déjà auparavant, et alors il aurait plutôt resurgi. L'hypothèse d'Omura était que si le monde digital ne s'est pas auto-créé, tout du moins n'a-t-il pas été créé par des hommes.
– Par qui, alors ? fit Joe. Nous sommes les créatures à l'intelligence la plus développée de la Terre.
– Précisément.
– Vous voulez dire, souffla Sora, que le monde digital a été créé hors de cette planète ?
– C'est possible.
– Mais nous n'avons jamais trouvé aucune trace de vie sur une autre planète, répliqua Meiko.
– Non, dit M. Mochizuki, mais notre connaissance de l'univers est encore limitée.
Les Enfants Élus échangèrent un regard, dubitatifs.
– Si je comprends bien, résuma Taichi, vous pensez que le monde digital a été créé par des extraterrestres et qu'internet permet de se relier à lui ?
– En gros … c'est à peu près ça, acquiesça le directeur.
– Ça ne vous paraît pas un peu tiré par les cheveux, comme théorie ? fit Yamato, sceptique.
Tous les Enfants Élus hochèrent la tête en écho aux propos de leur ami. L'histoire de M. Tagaya et de M. Mochizuki leur paraissait invraisemblable, pour ne pas dire farfelue.
– Bien-sûr, dit M. Tagaya, cela nous a paru fou à nous aussi quand nous l'avons découvert. Mais un point a tendu à renforcer notre théorie : dans ce monde que nous avions découvert vivaient des créatures douées d'intelligence.
– Les digimons, souffla M. Nishijima.
– Oui, acquiesça M. Tagaya. Imaginez notre surprise ! L'intelligence artificielle existait à peine dans les années 1980, il était donc impensable de suggérer que les digimons, qui avaient une conscience propre aussi développée, soient une création humaine. C'est cette constatation qui nous a poussés à formuler l'hypothèse d'un monde parallèle auquel l'internet nous reliait. Le monde digital fascinait ton père, Koushiro, et il s'est mis à l'étudier avec fébrilité. Il voulait décortiquer son histoire, savoir comment il s'était formé, pourquoi et comment internet nous permettait de communiquer avec lui, et qui étaient ces créatures douées de vie qui l'habitaient. Il a commencé à rédiger un journal de toutes ses recherches.
– D'autre part, continua M. Mochizuki, nous avons commencé à nous poser beaucoup de questions : si le monde digital préexistait à l'internet, cela remettait en en cause toutes les conceptions scientifiques que les hommes avaient établies. Nous n'étions pas certains de ce que nous trouverions dans le digimonde et nous avons jugé plus prudent de n'en parler à personne dans un premier temps.
– Néanmoins, souligna le directeur, Omura prévoyait qu'avec le développement d'internet, il était de plus en plus probable qu'un passage entre les deux mondes se crée et qu'un jour d'autres êtres humains découvrent l'existence du digimonde. Conscients que cela pouvait être dangereux, nous avons demandé à rencontrer un représentant de l'Agence de Défense du Japon. Celui-ci nous a intimé de garder pour nous cette découverte qui relevait, selon lui, du secret d'État. Nous avons donc formé tous les trois un laboratoire dans l'université où nous travaillions pour poursuivre nos recherches. Les digimons, en tant que forme de vie intelligente autonome, nous émerveillaient. Ton père, Koushiro, rêvait d'aller un jour dans le monde digital pour les rencontrer. S'il avait su qu'un jour son fils accomplirait ce rêve …
Koushiro sourit et essaya d'imaginer son véritable père en train d'étudier le monde digital avec exaltation. Ils se seraient sans doute bien entendus.
– Mais dans ce cas, M. Tagaya, intervint Sora, vous et M. Mochizuki n'êtes jamais allés dans le monde digital, n'est-ce pas ?
– Non, pourquoi ? demanda le directeur.
– Yggdrasil nous a dit qu'avant nous, qu'avant M. Nishijima et ses amis, d'autres êtres humains étaient venus dans le monde digital. En entendant votre récit, j'ai cru que c'était vous.
– Non, ce n'était pas nous, infirma M. Tagaya. Mais si ce que dit Yggdrasil est vrai, nous aurions dû nous apercevoir de cette présence humaine …
– À moins que votre théorie d'univers parallèle soit vraie, dit Taichi, et que le monde digital existe à côté du nôtre depuis plus longtemps que les technologies de l'internet. Dans ce cas, des humains auraient peut-être pu entrer dans le digimonde avant que vous ne le découvriez.
– Peut-être, souffla le directeur. Mais tout de même, c'est très étrange …
– Comment se sont déroulées la suite de vos recherches sur le digimonde ? demanda Takeru.
– Quelques années plus tard, poursuivit M. Mochizuki, nous nous sommes tous les trois mariés à peu près au même moment. En 1988, Meiko, tu es née.
– L'année suivante, ajouta M. Tagaya, c'était mon tour et celui d'Omura de devenir père : j'ai eu une petite fille, toi, Sakae, et Omura un petit garçon, qu'il a appelé Koushiro.
Sakae et Koushiro clignèrent des yeux, dévisageant intensément le directeur de l'agence.
– C'est cette même année, continua M. Tagaya, qu'Omura a détecté une forme de vie différente dans le monde digital : il s'agissait d'êtres humains.
M. Nishijima tressaillit. 1989 … il avait onze ans, Hime en avait douze, et le mois d'avril de cette année-là …
– C'est la première fois que nous sommes allés dans le monde digital avec mes amis ! s'exclama-t-il, médusé. Lors de ce voyage, nous avons mené notre premier combat contre les Maîtres de l'Ombre et le digimon d'Hime a été sacrifié !
– Exact, confirma M. Mochizuki. Mais à ce moment-là, nous ignorions l'existence des Maîtres de l'Ombre et de ce que vous aviez vécu. Nous savions seulement que des êtres humains avaient réussi à entrer dans le monde digital et cela nous paraissait extraordinaire. Comment aviez-vous fait ? Qui étiez-vous ? Nous avons fait des recherches pendant trois mois et nous avons fini par vous localiser. Nous avons alors découvert, incrédules, que vous n'étiez que des enfants. Nous vous avons épiés, suivis, écoutés, et nous avons compris que vous aviez dû lutter contre de mauvais digimons. Le monde digital pouvait donc être dangereux, nous avions la preuve. La peur s'est emparée de nous à l'idée que nous avions peut-être découvert un monde qui menacerait l'humanité.
– Parallèlement, ajouta M. Tagaya, nous avions commencé à subir des pressions du gouvernement. L'Agence de Défense savait que nous étudiions le monde digital depuis plusieurs années, et nos recherches avaient suscité leur attention.
– À quelles fins ? demanda Sakae.
– Officiellement, répondit M. Mochizuki, le monde digital les intéressait afin d'estimer la possibilité de la vie hors de la Terre. En réalité, nous étions en pleine Guerre Froide et une cellule secrète de l'armée d'auto-défense souhaitait utiliser nos connaissances pour mettre au point une stratégie qui permette au Japon de se défendre si une nouvelle guerre mondiale se déclarait. Et dans cette stratégie, les digimons représentaient une arme de choix pour se défendre contre un ennemi.
– Ils voulaient transformer les digimons … en armes ? souffla Taichi en écarquillant les yeux.
– Oui, acquiesça M. Mochizuki. Nous avons été l'objet de pressions en ce sens très tôt, mais elles se sont accentuées en 1989. Omura, Tagaya et moi-même avions toujours refusé de partager notre savoir pour aider l'armée à faires des digimons des armes.
– Nous ignorions trop de choses sur le monde digital à ce moment-là pour prendre de tels risques, renchérit le père de Sakae, mais les politiques à qui nous avons tenté de le faire comprendre ne nous ont pas écoutés et ne nous ont pas défendus contre l'armée. Nous avons voulu protéger notre découverte quoiqu'il arrive … et nous avons payé le prix fort pour cela.
M. Tagaya releva la tête vers Sakae et Koushiro. Ceux-ci déglutirent, clignèrent des yeux. D'une voix faible, Sakae souffla :
– Cet accident de voiture … ce n'en était pas un, n'est-ce pas ?
Son père baissa les yeux et hocha la tête.
– Un jour d'août 1989, nous avons reçu une lettre pressante d'un représentant de l'armée qui voulait nous rencontrer. Nous n'y avons pas répondu.
– Quelques jours plus tard, dit M. Mochizuki, je suis parti en vacances avec ma femme et notre fille.
– Quant à moi, continua le directeur, j'avais prévu une sortie avec ma femme, Omura et son épouse pour nous changer un peu les idées, car cette histoire commençait à nous inquiéter. Nous avions fait garder nos enfants par une jeune étudiante, dit M. Tagaya en regardant Sakae et Koushiro. Tous les quatre, nous sommes allés aux sources chaudes, puis au restaurant avec une seule voiture, celle d'Omura. Quand nous sommes rentrés, il faisait déjà nuit. Nous suivions une route mal éclairée, et nous n'avons vu que trop tard le tronc d'arbre qui était tombé sur la chaussée. Nous l'avons percuté de plein fouet. Omura et sa femme, qui étaient à l'avant, sont morts sur le coup. Mon épouse et moi étions grièvement blessés à l'arrivée des secours. On nous a transportés à l'hôpital, où ma femme est décédée de ses blessures. Quant à moi, j'ai été entre la vie et la mort pendant plusieurs jours, mais j'ai survécu.
Le directeur passa machinalement une main sur son cou, là où la ceinture de sécurité qui l'avait retenu pendant l'accident en lui laissant de profondes cicatrices. Puis, il dévisagea sa fille et Koushiro.
– Je suis désolé, dit-il. Pour tes parents, Koushiro, et pour ta mère, Sakae.
Les adolescents fixaient M. Tagaya, ébranlés. Sakae sentit des larmes lui monter aux yeux. Koushiro serra les paupières, mais bientôt, les larmes coulèrent à son tour sur ses joues. Il releva la tête et demanda :
– Le tronc sur la route … quelqu'un l'avait coupé ?
– Oui, acquiesça le père de Sakae. Mais je ne l'ai su que plusieurs jours après, lorsque mon état s'est amélioré. Des agents du gouvernement vinrent me voir alors que j'étais encore à l'hôpital. Ils me firent comprendre qu'une partie de l'armée avait passé outre les ordres du Premier Ministre et avait voulu nous éliminer afin de pouvoir utiliser nos découvertes. Cette partie séditieuse de l'armée pensait que si elle réussissait à récupérer les informations dont nous disposions, elle pourrait s'en servir pour faire pression sur le gouvernement afin que celui-ci accepte d'utiliser les digimons comme des armes. Avec de telles armes, ce groupe pensait que le Japon serait mieux protégé en cas de guerre. Cet argument de « protection nationale » le conduisit à vouloir éliminer tous ceux qui s'opposeraient à son projet. Omura, Mochizuki et moi-même les gênions, il décida donc de nous tuer, même si c'était un crime. Il ne pensait pas que je survivrais à l'accident. Devant cette désobéissance d'une partie de l'armée, le gouvernement a pris des mesures et a fait arrêter la plupart des séditieux. Le premier ministre avait compris l'importance de notre découverte et ne souhaitait pas que le monde digital soit utilisé à des fins militaires. Le gouvernement était enfin de notre côté, mais il était trop tard pour Omura, souffla le directeur, la voix brisée.
– Pour préserver le monde digital, continua M. Mochizuki, le gouvernement a créé l'Agence Administrative Établie.
– Les agents officiels qui étaient venus me voir à l'hôpital souhaitaient que j'en devienne le directeur, ajouta le père de Sakae. Cependant, ils m'ont aussi averti que le gouvernement n'avait pas pu arrêter tous les traîtres de l'armée. Ils craignaient que ceux qui étaient encore en liberté ne tentent à nouveau de me tuer. Pour me protéger de leurs représailles, les agents du gouvernement m'ont proposé une solution radicale : me faire déclarer mort par l'hôpital, puis changer de nom. Je deviendrais ainsi un homme invisible, inscrit sur aucun registre, et libre de diriger l'Agence Administrative pour le Japon. Ils savaient qu'hormis ma femme, que je venais de perdre, je n'avais plus aucune famille. J'ai répliqué que j'avais une fille et que je ne voulais pas l'abandonner.
À ces mots, Sakae tressaillit : ainsi, son père avait résisté. Il n'avait jamais voulu la laisser seule. Des larmes d'émotions remplirent à ses yeux.
– Mais les agents du gouvernement ont insisté, dit le directeur, et ont fini par faire pression sur moi : les séditieux de l'armée avaient cherché à me tuer, ils pouvaient tout à fait s'en prendre à ma fille s'ils apprenaient que j'étais toujours en vie. De plus, j'étais le meilleur ami d'Omura et celui qui comprenait le mieux ses recherches. Omura mort, j'étais désormais le dépositaire de son savoir. Cette connaissance faisait de moi une cible idéale pour les traîtres s'ils récidivaient. Les agents du gouvernement m'ont dit que je ne pouvais pas faire courir autant de risques à ma fille en continuant à l'élever malgré cette situation. J'ai fini par les croire. Aujourd'hui, je le regrette. Mais à l'époque, je pensais agir pour ta sécurité, Sakae. Je te le jure. C'est ainsi qu'on m'a déclaré mort à l'hôpital. J'ai changé de nom et je suis devenu le directeur de l'Agence Administrative Établie.
– J'ai moi aussi changé de nom, dit M. Mochizuki. Puis, j'ai accepté de t'adopter, Sakae. J'avais été moins impliqué que Tagaya dans cette affaire, et nous pensions tous les deux que tu serais en sécurité avec moi. Et puis, si je t'adoptais, ton vrai père pouvait avoir fréquemment de tes nouvelles. Je suis désolé de t'avoir menti pendant tant d'années, Sakae.
– Non, balbutia la jeune fille en essuyant ses larmes, je … je comprends.
– Trois mois plus tard, dit M. Tagaya, le Mur de Berlin tombait et la Guerre Froide s'achevait. Plus personne, au sein de l'armée, ne pensa alors à utiliser les digimons comme des armes.
Le directeur de l'Agence se tourna vers Koushiro.
– Ton père avait encore des parents éloignés qui ont accepté de t'adopter. Ni M. Mochizuki ni moi-même ne nous y sommes opposés, car nous nous sommes dit que tu serais plus en sécurité dans une famille qui ne savait rien du monde digital. De fait, les Izumi n'étaient pas au courant des activités secrètes de ton père.
– Je comprends votre décision, dit le jeune homme. Si cela peut vous réconforter, ce sont des gens merveilleux. Je les aime beaucoup.
M. Mochizuki et M. Tagaya échangèrent un regard et se sourirent.
– Depuis cette agence, conclut M. Mochizuki, nous avons continué à étudié le monde digital pendant quinze ans. Nous continuions de surveiller les premiers humains qui s'y étaient rendu, ajouta-t-il à l'attention de M. Nishijima. Nous n'osions pas vous aborder car vous n'étiez encore que des enfants. Six ans après la mort d'Omura, vous êtes retournés dans le digimonde, et cette fois, deux digimons ont surgi dans le monde réel.
– Parrotmon, puis Greymon qui l'a repoussé, se rappela Taichi.
– Oui, nous étions en train de nous battre contre Apocalymon, dit M. Nishijima, sombre.
– En effet, acquiesça M. Tagaya. Mais à l'agence, nous ne le savions pas. C'était la première fois que nous voyions de véritables digimons dans le monde réel. Nous ne pouvions plus douter de leur existence. Après cette bataille, seuls deux des cinq adolescents qui s'étaient rendus dans le digimonde en sont revenus.
Une ride creusa le front de M. Nishijima, et il baissa la tête, les yeux remplis de peine.
– Nous avons mené une enquête, poursuivit M. Mochizuki, et nous avons appris que les trois adolescents disparus avaient été déclarés morts. Mais qu'aucune cérémonie d'incinération n'avait été célébrée.
– Seuls les parents de nos amis sont au courant de la vérité, souffla M. Nishijima.
– Nous avons compris que quelque chose de grave s'était produit dans le monde digital, confirma M. Tagaya. Il n'y avait que deux survivants, il devenait donc urgent pour nous de prendre contact avec eux.
– C'est à ce moment-là qu'Hime a reçu votre proposition de travailler pour l'Agence, se souvint M. Nishijima. Vous saviez depuis le début que nous étions allés dans le monde digital … pourquoi ne pas nous l'avoir dit ?
– Vous n'étiez que des adolescents, dit M. Mochizuki.
– Des adolescents qui avaient vu mourir leurs amis pour sauver nos deux mondes, répliqua sèchement M. Nishijima.
– Nous ne connaissions pas l'étendue de votre savoir et de vos capacités à travailler pour l'Agence, compléta le directeur. D'autant que vous vous êtes montré assez réticent face à notre organisation, agent Nishijima.
– Je n'étais pas prêt à ce moment-là.
– Oui, je comprends, acquiesça M. Mochizuki.
– Mlle Himekawa, elle, est entrée à notre service, dit le directeur. C'était une jeune fille brillante, que j'ai rapidement rencontrée malgré le secret auquel me tenait mon poste. Je lui ai appris beaucoup de choses, mais je ne lui ai jamais révélé que nous étions à l'origine de la découverte du monde digital avec M. Mochizuki. Maintenant qu'elle sert Yggdrasil, je ne regrette pas de m'être montré prudent.
M. Mochizuki dévisagea les Enfants Élus qui leur faisaient face et déclara :
– Nous avions protégé les premiers Enfants Élus encore en vie. Nous ne nous doutions pas que quatre ans plus tard, vous seriez appelé à votre tour dans ce monde. De nouveaux enfants pour de nouveaux défis à relever.
– Notre surprise a été plus grande encore quand nous avons découvert que parmi les huit nouveaux digisauveurs, l'un d'eux était Koushiro, dit le directeur, la voix tremblante. Pourquoi toi ? Je me le suis souvent demandé.
– Quelques mois après votre aventure, ajouta M. Mochizuki, Meiko a rencontré Meicoomon. Cette fois, nous avons vraiment pris peur : nos enfants avaient-ils été choisis parce que nous avions découvert le monde digital ?
– Pourtant, répliqua Yamato, hormis Koushiro, Sakae et Meiko, la plupart d'entre nous ont des parents qui ignoraient tout du monde digital avant que nous n'y fassions notre premier voyage.
– C'est vrai, acquiesça Taichi. Je ne crois pas que Koushiro, Sakae et Meiko soient devenus des Enfants Élus à cause de vos découvertes.
– C'est possible, admit le directeur, mais il y a six ans, nous ne savions pas quoi penser. C'est pourquoi, Sakae, j'ai demandé à M. Mochizuki de t'écarter des digimons. Nous n'avions pas oublié ce qui était arrivé aux premiers Enfants Élus, et je ne voulais qu'il vous arrive la même chose.
Sakae dévisagea son père, bouleversée et remplie de gratitude. M. Tagaya sourit en contemplant sa fille. Puis, il se tourna vers les Enfants Élus.
– Voilà toute notre histoire. Je voulais que vous la sachiez.
– Nous n'aurions jamais deviné tout ça tout seul, c'est certain, dit Joe.
– C'est incroyable de penser que nous croyions détenir le secret de l'existence du digimonde, alors qu'en fait, vous étiez au courant de tout avant notre naissance, souffla Mimi, sidérée.
– Nous vous avons raconté notre histoire, acquiesça M. Mochizuki, mais il y a une chose que nous ne vous avons pas dite. Celle pour laquelle nous vous avons ramenés dans le monde réel.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda Takeru.
– Il y a deux jours, nous avons reçu la visite d'Hackmon, déclara M. Mochizuki.
– Hackmon ? répéta M. Nishijima. Nous n'avons plus de nouvelles de lui depuis longtemps.
– Homeostasis vous a fait parvenir un message ? demanda Sora, dubitative.
– Oui et non, répondit M. Tagaya. Il nous a informés qu'Yggdrasil a envoyé les Sept Seigneurs démoniaques dans le monde digital pour y chercher quelque chose.
– Quelque chose ? Quoi ? demanda Yamato.
– Quelque chose qui pourrait renforcer Yggdrasil en lui apportant des informations dont il ne dispose pas, expliqua M. Mochizuki.
– Est-ce que vous savez de quelle nature sont ces informations ? demanda Koushiro.
– Non, hélas, dit le directeur. Mais Hackmon a bien précisé que vous deviez absolument empêcher les Seigneurs Démoniaques d'atteindre leur but. L'ennui est que l'objet qu'ils cherchent change constamment de place.
– Comment ça ? s'étonna Meiko.
– Il ne reste jamais plus d'un jour au même endroit, précisa M. Mochizuki. Or, Hackmon est persuadé qu'avec les notes que nous a laissées Omura, nous pouvons localiser cet objet.
– Avec … les notes de mon père ? répéta Koushiro.
– Oui, acquiesça le directeur. Ton père était un homme brillant, et il avait étudié le monde digital comme personne ne l'avait fait avant lui. Son journal devrait nous en apprendre plus. Hélas, il y a des pages entières couvertes seulement d'équations mathématiques. Je vous ai ramenés dans le monde réel afin que vous connaissiez notre histoire, mais aussi, Koushiro, pour que tu m'aides à localiser cet objet qu'Yggdrasil cherche grâce aux notes de ton père.
Koushiro dévisagea le directeur. M. Tagaya avait besoin de lui ... pour comprendre le journal de son père. Koushiro se sentit honoré et dit solennellement :
– Je vous aiderai.
– Merci. Quant à vous, dit-il en se tournant vers les autres Enfants Élus, vous pouvez rentrer chez vous ou rester dans la salle que nous avons mise à votre disposition. M. Mochizuki vous fera savoir dès que nous aurons du nouveau.
