Chapitre 38
Quand Takeru reprit connaissance, il était étendu sur un sol dur et froid. Il se redressa, un peu étourdi, et passa une main derrière sa tête : il allait avoir une sacrée bosse. Puis, il leva les yeux : il se trouvait dans un couloir entièrement constitué de dalles de pierre encastrées. Curieusement, il ne faisait pas noir, bien qu'aucune lampe ne soit accrochée au plafond. Takeru s'aperçut alors que les pierres elles-mêmes émettaient une lumière pâle, bleuâtre et diffuse, comme si elles étaient douées de vie.
– Takeru ! s'exclama soudain une ombre en volant vers lui.
– Patamon ! s'exclama le jeune homme en reconnaissant son digimon. Tu vas bien ?
– La chute m'a un peu secoué, mais ça va. Et toi, Takeru, tu n'as rien ?
– Juste une petite bosse. Où sont les autres ?
– Takeru ! appela alors une voix féminine.
Le jeune homme se retourna et distingua quatre silhouettes à quelques mètres de lui. En s'approchant, il reconnut Yamato, Gabumon, Sakae et Ryudamon. Il s'aperçut alors qu'une tâche sombre maculait le bras gauche de son frère.
– Yamato ! s'exclama-t-il. Tu es blessé ?
– J'ai dû me faire ça en tombant, marmonna-t-il.
– Ça n'a pas l'air très profond, dit Sakae qui avait sorti un mouchoir de son pantalon pour éponger la plaie. L'ennui, c'est que la blessure est près du poignet et que ça saigne beaucoup. Si Joe était là, il saurait nous dire si c'est grave.
– En attendant, il faut faire un garrot pour éviter le sang de couler, dit Takeru en sortant à son tour un mouchoir de sa poche pour le tendre à Sakae. Tiens, essaye avec ça.
La jeune fille le saisit et en entoura l'avant-bras blessé de Yamato, puis elle serra. Quand elle eut terminé cette opération, elle releva la tête vers lui :
– Tu as mal ?
– Ça lance un peu, mais ça va aller. Où sont les autres ?
– Je ne sais pas, répondit Takeru. On dirait que nous avons été séparés d'eux en tombant.
– Que s'est-il passé exactement ? demanda Sakae. Tout est allé si vite.
– Il semblerait que le sol ait cédé pour nous avaler, dit Yamato. Et maintenant, nous sommes dans ce souterrain.
– Ce n'est pas juste un souterrain, intervint Patamon. C'est un labyrinthe.
– Quoi ? s'exclama Takeru.
– Quand je me suis réveillé, poursuivit le petit digimon, j'ai dû voler quelques minutes pour retrouver Takeru. Nous sommes cernés de couloirs presque identiques à celui-ci.
Yamato fronça les sourcils :
– Ce sol n'a pas cédé par hasard. Quelqu'un nous a conduits dans ce labyrinthe.
– Tu crois ? fit Gabumon.
– Oui. Et pour une bonne raison.
– L'historique du monde digital doit être au centre de ce dédale, devina Sakae.
– Exact, acquiesça Yamato, et je serais prêt à parier que celui qui nous a fait atterrir ici a pris soin de nous séparer des autres à dessein.
– Mais pourquoi nous séparer ? s'interrogea Takeru.
– Pour nous tester, supposa Yamato. Je crois que l'entité qui protège cette bulle parallèle au monde digital veut nous mettre au défi de retrouver notre chemin et de récupérer l'historique.
– Yamato a raison, acquiesça Sakae. Mais rappelez vous : Mlle Himekawa était avec nous quand le sol s'était ouvert. Elle doit donc être elle aussi dans ce labyrinthe à l'heure.
– Cela veut dire que nous devons trouver l'historique avant elle, comprit Takeru.
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Le labyrinthe qui reposait sous la base de la pyramide avait une forme rectangulaire. Tandis que Yamato, Takeru et Sakae avaient été projetés dans l'un de ses coins, les autres Enfants Élus, divisés en deux autres groupes, avaient été envoyés à deux autres points du labyrinthe. Mlle Himekawa, elle, avait atterri dans le dernier coin du rectangle.
Quand Joe reprit connaissance, sa tête lui semblait très lourde. Il serra fort les paupières pour dissiper sa migraine. Quand il les rouvrit, il vit Sora qui était penchée vers lui, le visage inquiet :
– Joe ! Joe, ça va ?
– Ça devrait aller, dit-il en se redressant.
Il se rendit alors compte qu'Hikari et M. Nishijima avaient atterri à ses côtés. Piyomon, Gomamon et Tailmon s'étaient déjà réveillés. Voyant que Joe allait bien, Sora se leva et alla s'accroupir près d'Hikari qu'elle secoua doucement par l'épaule. Tailmon fixait sa partenaire, inquiète.
– Hikari, tu m'entends ? Tu vas bien ? demanda Sora.
La jeune fille remua et revint à elle. Quand elle s'assit, Tailmon s'approcha d'elle :
– Hikari, tu n'as rien de cassé ?
– Non, ça va. Et toi Tailmon, tu n'as rien ?
– Non, ne t'en fais pas.
Pendant ce temps, Joe était allé s'agenouiller près de M. Nishijima.
– Professeur ? Vous m'entendez ?
M. Nishijima acquiesça lentement, puis ouvrit les yeux et s'assit. À cet instant, il grimaça de douleur.
– Vous vous êtes fait mal ? demanda Sora, préoccupée.
– Je crois que ce sont mes côtes cassées … la chute n'a pas dû leur faire du bien.
– Laissez-moi regarder, dit Joe en s'approchant.
Tandis que Joe examinait leur professeur, Hikari et Sora observèrent le dédale qui les entourait. Elles comprirent rapidement qu'elles se trouvaient sous la pyramide.
– Vous ne saignez pas, même s'il faudrait une radio pour savoir si vous vous êtes cassé quelque chose, dit finalement Joe à M. Nishijima. Mais je ne crois pas. Je pense que vos côtes sont seulement sensibles parce que les os ne sont pas encore complètement reconstitués. Cependant, je ne peux rien faire de plus.
– Je comprends.
– Vous vous sentez capable de marcher ?
– Oui, ne t'en fais pas. Où sommes-nous ?
– Dans un labyrinthe, il semblerait, déclara Sora.
Rapidement, ils comprirent à leur tour que leur chute n'avait rien d'accidentel et que celui ou celle qui les avait conduit ici les avait séparés intentionnellement du reste de leur groupe. Ils allaient devoir se débrouiller pour s'orienter.
– Hime doit être ici, elle aussi, dit M. Nishijima. Il faut l'empêcher d'atteindre l'historique.
– On va tout faire pour le trouver avant elle, dit Joe fermement.
Pendant ce temps, Taichi, Meiko, Mimi et Koushiro avaient repris connaissance à un autre coin du labyrinthe.
– Tout le monde va bien ? demanda Taichi.
– Oui … acquiesça Meiko.
– Non, j'ai des bleus partout ! protesta Mimi.
– Où sommes-nous ? demanda Koushiro.
Tentomon arriva alors en volant et expliqua qu'il avait exploré les couloirs alentours pour finalement arriver à la même conclusion que les autres groupes d'Enfants Élus : ils avaient atterri dans un labyrinthe, au centre duquel se trouvait vraisemblablement l'historique du monde digital. Mlle Himekawa devait également être à sa recherche, aussi, ils devaient se dépêcher.
Chacun à une extrémité du labyrinthe, les trois groupes d'Enfants Élus se mirent donc en marche, suivant les couloirs luminescents du sanctuaire de l'historique du monde digital.
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Yamato, Takeru et Sakae progressaient lentement. Ils avaient décidé de tourner toujours à gauche, car, selon Takeru, c'était le meilleur moyen de sortir d'un labyrinthe. Néanmoins, ils avaient la sensation de faire du sur-place.
Soudain, le couloir qu'ils suivaient s'élargit et ils tombèrent sur une grande salle dallée. De l'autre côté de cette salle, deux couloirs permettaient de ressortir : l'un partait vers la droite, l'autre vers la gauche.
– Bon, nous avons dit toujours à gauche, dit Takeru en faisant un pas en avant.
Mais alors qu'il posait un pied sur le sol, les dalles se mirent brusquement à briller et à vibrer. Des portes de pierre coulissèrent alors devant chaque ouverture qui ouvrait sur un couloir : celui de gauche, celui de droite, et, derrière eux, celui par lequel ils étaient arrivés. En quelques instants, ils se retrouvèrent prisonniers entre les quatre murs de la salle.
– C'est un piège ! s'exclama Yamato.
Dans un halo de lumière blanche, une silhouette se matérialisa alors devant eux. Les adolescents cillèrent : elle avait l'apparence d'une femme vêtue d'une tunique blanche, par-dessus laquelle elle portait une robe dorée sans manche. Une haute couronne d'or coiffait sa tête et un foulard rouge masquait le bas de son visage. Yamato, Takeru et Sakae ne distinguaient que ses pupilles d'un ambre étincelant, qui faisaient écho à la blondeur éclatante de sa chevelure. À sa couronne étaient rattachés de longues bandes de manuscrits, qui se déployaient sur ses épaules comme un manteau. Dans sa main droite, la femme tenait un énorme chapelet. Ses pieds nus flottaient à quelques centimètres du sol.
– Qui êtes-vous ? lui lança Takeru.
– Je m'appelle Sanzomon, répondit le digimon. Je suis l'une des gardiennes de ce labyrinthe.
– Nous devons parvenir au cœur du labyrinthe le plus vite possible ! s'exclama Sakae. Pouvez-vous nous aider ?
– Je ne suis pas ici pour vous aider.
– Ne vous mettez pas sur notre chemin ! s'écria Yamato en saisissant son digivice. Nous n'avons pas de temps à perdre !
– Vous ne passerez pas sans me combattre, répliqua Sanzomon.
Alors que Takeru et Sakae sortaient eux aussi leur digivice, Sanzomon leva son chapelet et le fit tourner dans les airs. Le chapelet s'illumina, s'allongea et se métamorphosa en une flûte de bois de rose. La gardienne du labyrinthe porta l'instrument à ses lèvres. Des notes aigües s'élevèrent soudain dans la salle, stridentes. Aussitôt, Gabumon et Ryudamon se bouchèrent les oreilles, Patamon se posa au sol et couvrit sa tête avec ses ailes en grimaçant de douleur. Sakae fixa son digimon, épouvantée :
– Ryudamon, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
– C'est cette musique … elle m'ôte tous mes forces, Sakae, dit le petit digimon en appuyant ses pattes sur ses oreilles. Je ne peux … rien … faire.
Près de Ryudamon, Gabumon et Patamon subissaient exactement la même douleur.
– Cette mélodie les empêche de se digivolver ! dit Yamato, plein de rage.
Sanzomon continuait à jouer. Elle tenait la flûte d'une main, se contentant de souffler : les notes s'appuyaient d'elle-même sur l'instrument. La gardienne tendit l'autre main vers le mur qui se trouvait sur sa droite. Un grand miroir apparut sur la paroi. Son tain semblait rempli d'encre tant la salle dans laquelle les Enfants Élus se trouvaient était sombre. Sanzomon s'en approcha en flottant, tout en poursuivant sa mélodie paralysante. Elle leva un doigt, le posa sur le miroir, et commença alors à tracer une forme. Quand elle acheva son dessin, les contours de l'esquisse s'illuminèrent, se remplirent de couleurs et le dessin prit vie. Un digimon émergea du miroir, menaçant, et se plaça face aux adolescents.
– C'est un Centarumon ! s'exclama Takeru.
Le digimon ouvrit sa main gauche et une décharge explosive s'y chargea.
– Baissez-vous ! s'écria Takeru.
La puissance de feu passa au-dessus de leur tête et alla s'écraser contre le mur de la salle avec une détonation qui fit trembler tout le labyrinthe. Sakae se redressa et tourna la tête vers Ryudamon : son digimon et celui de ses amis étaient toujours paralysés, incapables de les défendre.
– À ce rythme-là, on va se faire pulvériser ! s'exclama Takeru.
– Montrez-moi ce que vous valez sans vos digimons, dit tranquillement Sanzomon. Utilisez votre esprit.
– Qu'est-ce qu'elle raconte ? s'exclama Yamato.
Centarumon lâcha une nouvelle salve sur les Enfants Élus. Ils coururent de l'autre côté de la grande salle pour éviter ses tirs meurtriers. Sakae, le souffle court, balaya la salle du regard. Sanzomon n'attaquait pas par elle-même. D'ailleurs, elle ne portait pas d'arme. Mais le Centarumon qu'elle avait fait apparaître pouvait suffire à les éliminer si leurs digimons demeuraient pétrifiés … La panique envahit la jeune fille : si seulement Koushiro était à ses côtés ! Il avait toujours une idée pour les tirer d'affaire. Son symbole de la connaissance leur avait toujours été d'un grand secours, tandis qu'elle avait l'impression de ne jamais pouvoir venir en aide à ses amis avec son symbole de la créativité … À présent, elle se trouvait acculée dans cette pièce sans issue avec Yamato et Takeru. Il fallait absolument qu'ils trouvent comment résister à Sanzomon.
– Si seulement on pouvait arrêter cette musique ! ragea Takeru. Patamon et les autres pourraient se digivolver !
Sakae, poings serrés, réfléchissait à toute vitesse … la musique … ils n'atteindraient jamais Sanzomon sans se faire blesser par Centarumon. Comment, dans ce cas, contrer sa mélodie infernale ? « Montrez-moi ce que vous valez sans vos digimons », avait dit Sanzomon. Sakae releva la tête vers le miroir duquel avait jailli Centarumon. Sanzomon n'avait pas d'arme, elle avait fait apparaître le digimon centaure d'un simple tracé du doigt …
– Yamato, Takeru ! Je crois que j'ai une idée ! Nous devons battre Sanzomon sur son propre terrain !
– Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Takeru.
– Puisque nous ne pouvons pas lui arracher sa flûte ou battre Centarumon sans nos partenaires, il faut utiliser les mêmes armes qu'elle : jouer une musique qui contrera sa mélodie, et faire apparaître un digimon à notre profit !
– Comment tu comptes faire ça ? demanda Yamato. Nous n'avons pas ses pouvoirs !
– Si, nous les avons ! répliqua la jeune fille. Toi, Yamato, tu vas jouer de l'harmonica pour couvrir le son de la flûte de Sanzomon. Pendant ce temps, je vais essayer de m'approcher du miroir à travers lequel Centarumon est apparu pour essayer de dessiner un digimon qui puisse lui faire face !
– Inventer un digimon ? répéta Yamato. C'est de la folie !
– Et si le miroir n'obéit qu'à Sanzomon ? ajouta Takeru.
– C'est possible, mais il faut tenter le coup, déclara Sakae. Nous n'avons pas d'autre moyen de nous défendre.
Yamato et Takeru tournèrent la tête vers Centarumon, qui avançait de nouveau vers eux, menaçant. De l'autre côté de la salle, Gabumon, Patamon et Ryudamon étaient toujours immobilisés. Sanzomon, imperturbable, continuait de jouer de sa flûte maléfique. Yamato serra les dents, puis se tourna vers Sakae :
– Bon, d'accord. On va suivre ton plan. Mais mon bras gauche blessé va m'empêcher de jouer à un rythme normal.
– Fais de ton mieux, l'encouragea la jeune fille. Je sais que tu peux y arriver.
– Takeru, couvre Sakae pour qu'elle atteigne le miroir, dit Yamato en sortant l'harmonica de sa poche.
Le jeune homme porta l'instrument de musique à sa bouche. Sa main gauche tremblait, la douleur irradiait de son poignet jusqu'à son coude. Néanmoins, il ne lâcha pas l'instrument et se concentra. Les notes s'élevèrent alors et résonnèrent contre les murs de pierre de la salle, d'abord faiblement, puis avec de plus en plus d'intensité. Pendant ce temps, Takeru s'avança au-devant de Centarumon pour faire diversion. Le centaure se précipita vers lui, libérant le passage jusqu'au miroir. Sakae en profita et courut. La mélodie de Yamato commençait à couvrir celle de Sanzomon. La jeune fille atteignit enfin le miroir magique. « Maintenant, au travail », songea-t-elle. Elle n'avait pas de crayon ou de pinceau sur elle, mais Sanzomon avait fait apparaître Centarumon d'un seul doigt. Elle leva la main droite, index tendu. Elle décida de suivre les contours de son propre corps dont le miroir lui renvoyait le reflet, pour aller plus vite. Ensuite, elle devrait faire de son esquisse un digimon capable de se battre. Tandis qu'elle s'appliquait, Yamato avait pris l'ascendant sur la mélodie de Sanzomon. Gabumon, Patamon et Ryudamon reprenaient peu à peu le contrôle de leur corps. Bientôt, Patamon put décoller, Gabumon et Ryudamon se redresser. À cet instant, les digivices de Yamato, Takeru et Sakae brillèrent et le corps de leur partenaire s'illumina : Gabumon se digivolva en Garurumon, Patamon en Angemon et Ryudamon en Ginryumon. Le loup bleu, l'ange et le dragon fusèrent vers Centarumon et décochèrent leurs attaques :
– Hurlement tonnerre ! lança Garurumon.
– Main du destin ! frappa Angemon.
– Lame perforante ! visa Ginruymon tandis qu'une lance jaillissait de sa gueule.
Centarumon fut projeté contre l'un des murs de la salle où il s'écrasa. Sanzomon eut un rictus. Elle avait cessé de jouer sa mélodie entêtante et observait d'un air contrarié les trois digimons qui avaient atteint leur stade champion. Elle fit tournoyer sa flûte dans les airs : celle-ci reprit sa forme de rosaire. Les perles qui le composaient se détachèrent soudain les unes des autres, pour fuser vers les partenaires des Enfants Élus. Elles les agressèrent de toutes parts, aussi dures que des balles de plomb. Garurumon, Angemon et Ginryumon répliquèrent. Sanzomon tendit alors la main vers Centarumon et dessina quelque chose dans les airs.
Le Centarumon se divisa tout-à-coup en quatre digimons identiques. Ils se dressèrent devant Garurumon, Angemon et Ginryumon tel un mur infranchissable. Quatre adversaires au lieu d'un. Cette fois, la résistance serait plus difficile. Au même instant, Sakae s'écarta du miroir et s'écria :
– Ça y est, j'ai fini !
Les contours du dessin qu'elle venait de tracer s'illuminèrent brusquement, et son esquisse prit corps. Une silhouette féminine à la peau blanche mais à la vêture indienne, aux cheveux blonds couverts d'un turban rouge se détacha du miroir. Des ailes dorées se déployèrent dans son dos elle leva le sceptre et l'épée qu'elle tenait dans chacune de ses mains.
Takeru et Yamato, ébahis, fixèrent l'apparition angélique qui venait de naître du miroir magique.
– C'est toi qui as dessiné ça ? s'exclama Yamato, impressionné.
– Incroyable, souffla Takeru.
– Je l'ai appelée Darcmon, déclara Sakae. Darcmon, aide-nous et sauve nos partenaires, je t'en prie !
Sanzomon dévisagea le digimon qu'avait créé l'humaine avec mécontentement. Avant qu'elle ne puisse réagir, l'ange décolla et dégaina son épée. Elle piqua droit vers les perles de Sanzomon qui assaillaient Garurumon, Angemon et Ginryumon, et sabra l'air : des dizaines de perles tombèrent au sol et se désintégrèrent.
– Génial ! s'écria Takeru.
En quelques minutes, Darcmon avait écarté les perles qui menaçaient les partenaires des adolescents. Sanzomon émit alors un cri de rage et de dépit. Elle s'approcha de nouveau du miroir et dessina quelque chose d'un geste vif et plein de morgue. Un autre digimon en jaillit, qui ressemblait lui aussi à un centaure. Cependant, il portait une cuirasse et était armé d'un arc et de flèches.
– Je vous présente Sagittarimon, déclara Sanzomon avec une expression mauvaise. Voyons maintenant si vous ferez le poids contre lui et mes quatre Centarumon.
Sagittarimon prit le galop et tira une flèche de son carquois. Il visa Darcmon, le digimon créé par Sakae. Au même instant, les quatre Centarumon ouvrirent le feu sur le digimon. Garurumon, Angemon et Ginryumon s'élancèrent de la protéger, mais trop tard. La flèche s'enfonça dans le dos de Darcmon et elle fut frappée par les puissances de feu des Centarumon. Elle s'effondra au sol, le souffle coupé.
– Non ! s'écria Sakae.
Au même moment, Sagittarimon décocha une autre flèche vers Darcmon. L'ange créé par Sakae fut percée par sa pointe. Son corps grésilla, et soudain explosa en milliers de pixels.
– Darcmon ! s'exclamèrent Yamato et Takeru.
Sakae, épouvantée, fixait l'endroit où l'ange venait de disparaître. Le digimon qu'elle avait imaginé pour contrer les attaques de Sanzomon avait été éliminé, balayé. Elle n'était pas assez forte pour lutter contre la gardienne du labyrinthe et ses créations. Ginryumon s'était relevé et fixa sa partenaire. Il percevait son désarroi. Sakae avait mis tout son cœur à créer une créature qui puisse les sauver, lui, Garurumon et Angemon pendant qu'ils étaient paralysés par la musique de Sanzomon. Désespérée, Sakae ne vit pas que Sagittarimon préparait une nouvelle flèche dans sa direction. Ginryumon, lui, le vit. Au même moment, les quatre Centarumon tendaient leur main chargée d'une puissance de feu vers la jeune fille. Ginryumon décolla : à présent que Darcmon n'était plus là, c'était à lui de protéger sa partenaire.
– Sakae ! s'écria-t-il.
Il s'élança et s'interposa entre la flèche de Sagittarimon et son amie. Au même instant, une lumière aveuglante jaillit du digivice de Sakae. Le symbole de la créativité qu'elle portait autour de son cou brilla à son tour et enveloppa Ginryumon d'une lueur digimon sentit son corps se transformer. Quand la lumière se dissipa, un dragon plus grand et plus imposant surgit. Des écailles noires comme l'ébène couvraient son dos, tandis que son ventre rougeoyait d'écailles couleur de sang. Un casque rehaussé d'ornements de métal doré encadrait ses yeux verts et sa mâchoire puissante. Dans chacune de ses deux pattes avant luisait une boule sacrée, l'une verte, l'autre vermillon.
Le dragon s'interposa entre Sakae et la flèche de Sagittarimon : cette dernière ricocha sur ses écailles dures comme une carapace et se retourna contre le centaure cuirassé. Sakae, qui s'était jetée à terre, se redressa lentement et dévisagea son digimon. Ébahie, elle murmura :
– Ginryumon ?
– Sakae, c'est grâce à ton imagination et ta créativité que tu as été capable de nous protéger, Garurumon, Angemon et moi, déclara le dragon. C'est pour cela que ton symbole m'a permis de me digivolver. Je suis Hisyaryumon, à présent.
Sakae, bouche bée, fixait son partenaire. Elle avait réussi. Elle avait réussi à protéger son digimon et ses amis grâce à son symbole. Mais elle n'eut pas le temps de réfléchir davantage, car déjà Sagittarimon et les Centarumon revenaient à la charge. Hisyaryumon décolla et ouvrit la gueule : une immense épée en fusa et alla percer la carapace du digimon cuirassé. Sagittarimon se désintégra presque instantanément. Garurumon et Angemon reprirent courage et attaquèrent à leur tour.
– Hurlement tonnerre !
– Main du destin !
Leurs attaques percutèrent les Centarumon qui ployèrent. Hisyaryumon lança alors ses boules d'émeraude et de feu vers les centaures : ils furent projetés contre les parois avec une puissance incroyable. Sanzomon, cette fois, avait pâli. Les boules sacrées revinrent d'elles-mêmes à Hisyaryumon, qui dit à Sakae :
– Il est temps de sortir d'ici.
Il projeta de nouveau les sphères brillantes vers les sorties que Sanzomon avait murées. Les pierres qui obstruaient le passage commencèrent à se dissoudre. Bientôt, le passage fut de nouveau ouvert sur le labyrinthe.
– Allons-y ! s'exclama Yamato.
Il monta sur le dos de Garurumon, Angemon prit Takeru dans ses bras et Sakae grimpa sur le dos d'Hisyaryumon. Les digimons s'élancèrent vers l'ouverture de gauche. Sanzomon décolla à son tour et voulut leur bloquer le passage en se plaçant devant la sortie. Hisyaryumon ouvrit sa mâchoire et une large épée en jaillit, droit vers la gardienne. Celle-ci n'eut d'autre choix que de s'écarter. Les digimons des Enfants Élus franchirent comme des flèches la porte qui les ramenait vers le labyrinthe. Au même instant, Hisyaryumon se retourna et lança ses boules sacrées : elles s'unirent et dégagèrent une énergie qui referma derrière elles les portes de la salle, pour y enfermer définitivement Sanzomon.
Le silence retomba alors sur le labyrinthe.
Hisyaryumon se posa délicatement au sol et laissa sa partenaire descendre de son dos. Son corps s'illumina alors et il régressa en Ryudamon. Sakae se précipita pour le prendre dans ses bras, remplie de joie :
– Ryudamon, merci, merci infiniment ! Ta force m'a tellement impressionnée ! Tu étais magnifique lorsque tu t'es transformé en Hisyaryumon !
Le petit digimon se sentit rougir. Près d'eux, Garurumon et Angemon redevinrent eux-aussi Gabumon et Patamon.
– C'est vrai, tu as été incroyable, Ryudamon, dit Gabumon en posant une patte sur le dos de son ami.
– Juste à temps pour sauver Sakae, ajouta Patamon.
Takeru se tourna alors vers la jeune fille :
– Moi, ce qui m'a impressionné, c'est le digimon que tu as su inventer malgré l'urgence de la situation.
Cette fois, ce fut au tour de Sakae de sentir ses joues s'empourprer.
– Je pensais que les qualités artistiques ne pouvaient pas nous servir dans le monde digital, avoua-t-elle.
– Eh bien, cette bataille nous a prouvé le contraire, déclara Yamato. C'était une excellente idée de me demander de jouer de l'harmonica pour contrer la mélodie de Sanzomon.
L'adolescente se redressa et sourit :
– Merci, les amis.
– Maintenant, déclara Takeru, nous devons atteindre le cœur du labyrinthe.
– En espérant qu'il soit encore temps, dit Yamato.
– Alors, en route ! s'exclama Sakae.
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Maki Himekawa avançait dans la semi-obscurité du labyrinthe, les yeux plissés pour mieux distinguer les contrastes devant elle. Elle avait eu de la chance : malgré sa chute de plusieurs mètres, elle n'avait relevé que quelques bleus sur ses bras et ses jambes. Avec sang-froid, elle avait rapidement analysé la situation : le labyrinthe se trouvait sous la pyramide, sans doute pour protéger l'objet sacré qui devait y être caché. Si elle avait été la conceptrice de ce dédale, elle aurait placé l'objet en son centre. Elle devait donc trouver le chemin qui l'y conduirait avant les Enfant Élus. Elle mobilisa aussitôt toutes les connaissances qui l'aideraient à atteindre cet objectif. Sa formation en informatique lui apporta rapidement la solution dont elle avait besoin. L'algorithme de Trémaux, qui permettait de modéliser un labyrinthe sur un ordinateur et de s'y orienter pour en trouver la sortie, posait deux principes fondamentaux qu'elle appliqua aussitôt à sa situation : d'abord, ne pas prendre deux fois un couloir dans le même sens ensuite, ne faire demi-tour que lorsqu'on se trouve face à impasse. Elle avait ramassé un morceau de pierre calcaire qui s'était détaché de la paroi lors de sa chute et s'en servit comme d'une craie pour marquer tous les couloirs à chaque fois qu'elle tournait à un carrefour : d'une flèche, elle indiquait le sens par lequel elle était arrivée. De cette manière, elle ne prendrait pas deux fois le même couloir dans le même sens. Elle progressa ainsi avec précaution. Elle ne devait pas perdre de temps elle savait que Koushiro serait tout aussi capable qu'elle de trouver une technique pour orienter ses amis dans le labyrinthe.
Alors qu'elle cheminait depuis un bon quart d'heure, des vapeurs sombres apparurent soudain devant elle. Mlle Himekawa s'immobilisa : à travers les volutes se matérialisa peu à peu un corps. Quand les vapeurs se dissipèrent, un digimon à l'apparence humaine fit face à la jeune femme. Il était vêtu d'une tunique bordeaux qui le couvrait du cou jusqu'aux chevilles un chèche beige enturbannait sa tête et retombait sur ses épaules. Son visage noir semblait vide, à l'exception de deux pupilles jaunes menaçantes. Le digimon lévitait à quelques centimètres au-dessus du sol, et sous ses pieds apparut un livre couvert de symboles digimons. Il déplia des doigts noirs aux ongles griffus : au-dessus de chacune de ses paumes sombres flottait une sphère, l'une rouge, l'autre jaune.
Instinctivement, Maki Himekawa porta la main à son digivice accroché à sa ceinture. Mais Bakumon n'était plus là pour la protéger. Le digimon qui se dressait devant elle émit alors un rire sardonique :
– Que cherches-tu ? ricana-t-il d'une voix d'outre-tombe. Tu sais bien que tu es seule.
– Qui es-tu ? lui lança Mlle Himekawa, sur la défensive.
– Je m'appelle Wisemon. Je suis l'un des gardiens de ce labyrinthe.
Les pupilles dorées du digimons se rétrécirent en observant Mlle Himekawa. D'une voix doucereuse, il murmura :
– Il y a d'autres êtres humains que toi dans ce labyrinthe.
– Sais-tu où ils se trouvent ? Ont-ils déjà atteint le cœur du dédale ?
– Tu aimerais bien que je te le dise, n'est-ce pas ?
– Laisse-moi passer.
– Comment oses-tu me donner un ordre, humaine, alors que tu n'es même pas accompagnée d'un digimon ?
Le cœur de Maki Himekawa se serra et la rage l'envahit.
– Si j'en avais envie, poursuivit Wisemon, je pourrais te détruire d'un claquement de doigts. Néanmoins, toute personne qui pénètre dans ce labyrinthe, même sans digimon, a le droit d'essayer d'atteindre son centre. C'est pourquoi, même si tu es seule, je vais te donner ta chance : réponds à cinq énigmes que je vais te formuler, et je te laisserai passer.
– Cinq énigmes ? C'est tout ? fit Mlle Himekawa, sceptique.
– Ce sont des énigmes difficiles. Seul un orgueilleux pourrait les dédaigner comme tu le fais.
La jeune femme pinça les lèvres et dit :
– Très bien. Pose tes énigmes.
