Chapitre 41
Quand Hackmon arriva dans la grotte où Homeostasis lui avait donné rendez-vous, la nuit avait déjà envahi le monde digital. Cependant, cette nuit avait quelque chose d'anormal. L'air lourd asphyxiait la nature et les digimons. Même lui, Hackmon, se sentait mal à l'aise. La boule d'énergie se matérialisa soudain devant lui et la voix d'Homeostasis résonna dans la grotte :
– L'heure est grave. Les Enfants Élus ont échoué.
– C'est de ta faute, Seigneur ! s'écria Hackmon. Je t'avais dit que tu aurais dû aller leur parler ! Tu as placé une foi aveugle en eux, tu les as crus capables de tout. Et voilà le résultat ! Ce ne sont que des adolescents !
– Leurs prédécesseurs, pourtant, avaient réussi.
– Avec ton aide ! Comment veux-tu qu'ils te fassent confiance maintenant ? Nous ne sommes intervenus qu'en cas de situation critique, et toujours de manière agressive. Ils nous voient comme des ennemis !
– Je n'ai pas été créé ni pour être leur ennemi, ni leur ami. J'existe pour maintenir l'équilibre.
– Mais nous savons tous les deux que cela implique de prendre parti ! Ces enfants sont notre unique espérance.
– Un miracle peut encore se produire. Mais si nous y étions forcés, il reste une solution.
– La solution extrême ? Non ! Nous ne pouvons pas nous faire une seconde fois les arbitres de leur monde. Nous l'avons déjà fait une fois, et cela n'a pas empêché Yggdrasil de recouvrir sa puissance. Veux-tu de nouveau attendre douze mille ans ? C'est maintenant qu'il faut agir ! Tu ne peux abandonner les Élus.
– Sans l'historique du monde digital, ils ne pourront pas comprendre l'ampleur de la tâche qui leur est dévolue.
– Alors, fais quelque chose ! Envoie-moi à ta place si tu veux, mais je me refuse à ce que le passé se répète !
– Tu sais que ma puissance ne vaut que si elle est insufflée à un être vivant, humain ou digimon. Je ne suis pas responsable des choix des humains ou des digimons. S'ils abdiquent, je ne pourrai rien pour eux. S'ils gardent espoir, ma force les aidera.
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Un hurlement déchira la pagode d'Yggdrasil et fit vibrer la surface de l'Océan des Ténèbres. Dans les profondeurs de ses eaux, toutes les créatures informes et même Dagomon tremblèrent. Au-dessus de la grande salle, dans la pièce qui leur était attribuée, les Sept Seigneurs démoniaques et Piedmon sentirent leurs os se geler. Dans un couloir de la pagode, Maki Himekawa, assise contre un mur, leva la tête. Ce cri glaçant, qui semblait porter en lui toute la rage et la souffrance du monde, avait été poussé par Yggdrasil. La jeune femme se redressa, le cœur battant, l'esprit en alerte. Que s'était-il passé ? Qu'avait lu Yggdrasil qui le mette dans un tel état de fureur ? Sur la pointe des pieds, elle redescendit au rez-de-chaussée et s'approcha de la porte de la grande salle. Elle tendit l'oreille, mais aucun bruit ne lui parvint. À cet instant, la voix d'Yggdrasil tonna à travers tous les murs de la pagode :
– Piedmon ! Daemon ! Venez tous ici !
Mlle Himekawa s'écarta aussitôt de la porte et alla se cacher au coin d'un couloir. Bientôt, les Sept Seigneurs démoniaques et Piedmon apparurent au bas des escaliers et se présentèrent devant la porte de la grande salle. Les battants s'ouvrirent brutalement, mais cette fois, la voix d'Yggdrasil ne tempêta plus. Les Sept Seigneurs démoniaques échangèrent un regard, perplexes et inquiets. Malgré la puissance des ténèbres qu'ils contrôlaient, leur peau et leurs poils se hérissèrent sous l'effet de ce sentiment qu'ils ne connaissaient pas : la peur. Piedmon les devança et pénétra dans la grande salle. Les autres démons le suivirent, laissant la porte ouverte. Mlle Himekawa se pencha : Yggdrasil se tenait dans le fond de la pièce, dos à ses serviteurs. Sur l'autel de pierre où il reprenait parfois sa forme liquide était ouvert l'historique du monde digital. Daemon s'inclina et demanda :
– Que pouvons-nous faire pour toi, maître ? Quelque chose t'a déplu dans le livre que nous t'avons rapporté ?
Yggdrasil se retourna et le dévisagea froidement, puis observa les autres démons et Piedmon. Tous reculèrent.
– Ce livre contenait des informations capitales pour reprendre la place qui nous est due dans le digimonde, déclara Yggdrasil du bout des lèvres, comme s'il cherchait à contenir une émotion prête à exploser. Cependant …
Le ton du Seigneur de l'Océan des Ténèbres s'était chargé de rancœur. Il reporta son attention sur l'historique du monde digital, ses yeux devinrent très pâles, presque blancs. Son corps s'illumina et il reprit l'avatar destructeur qu'il pouvait adopter depuis qu'il avait absorbé la spore noire de Gennai. Il tendit ses bras qui se terminaient en bouche de canon vers l'historique du monde digital. Le livre s'éleva dans les airs et les deux bras d'Yggdrasil firent feu. Le cœur de Mlle Himekawa bondit dans sa poitrine. Horrifiée, elle vit les flammes d'Yggdrasil assaillir l'historique, le dévorer, le consumer avec fureur. Non … ce n'était pas possible … le seul livre qui contenait la vérité … Les Sept Seigneurs démoniaques et Piedmon fixaient l'historique qui ardait avec un mélange de fascination et de terreur devant le pouvoir de leur maître. Yggdrasil reprit alors son avatar de glace et tendit ses mains vers la boule de feu. Celle-ci se gela immédiatement. Mlle Himekawa étouffa un cri. Cependant, Yggdrasil avait l'ouïe fine. Il releva la tête et aperçut sa silhouette à demi-cachée dans l'ombre. Il leva de nouveau une main. Mlle Himekawa sentit brusquement une force irrépressible l'attirer jusqu'au Seigneur de l'Océan Ténèbres. Là, la pression s'évanouit et elle toucha de nouveau le sol. Yggdrasil posa alors son regard sur elle, et Mlle Himekawa sentit son sang se glacer : jamais un être vivant ne l'avait dévisagée avec autant de mépris et de haine.
– Toi …
Yggdrasil la saisit par le col et la souleva. Mlle Himekawa, tremblante, se débattit, mais elle sentit son corps se refroidir, sa gorge lui piquer, ses membres s'engourdir.
– Toi, répéta Yggdrasil en la dévisageant. Sale humaine … sales humains … je vous hais … tout est de votre faute …
Les Sept Seigneurs démoniaques regardaient Mlle Himekawa s'affaiblir sans esquisser le moindre geste. Au contraire, cela semblait même leur plaire, surtout à Laylamon, qui ne supportait pas cette humaine qui lui faisait concurrence devant le maître. Piedmon, cependant, prit prudemment la parole :
– Maître … même si vous ne pouvez pas supporter les humains – sentiment que je partage, je vous assure – vous ne devriez peut-être pas tuer celle-ci tout de suite … elle pourrait peut-être encore nous être utile.
Les yeux d'Yggdrasil se réduisirent à deux fentes, il approcha son visage à quelques centimètres de celui de Mlle Himekawa. Celle-ci commençait à perdre conscience. Il ouvrit la main et la lâcha comme un vulgaire tas de chiffon. Elle s'effondra sur les dalles de pierre et reprit brusquement haleine la goulée d'air qu'elle avala lui brûla la gorge et les poumons.
– Piedmon a raison, acquiesça Yggdrasil. Toute humaine que tu es, tu m'as bien servi jusqu'à présent, Maki. Et comme tu me l'as rappelé, je ne suis pas Homeostasis. Même si l'espèce humaine a trahi les digimons, tu as su voir que j'agissais pour le bien. Je te laisse donc la vie. Cependant, sache une chose : si l'historique contenait des informations qui vont nous être utiles, il regorgeait surtout de mensonges. Cela vaut mieux que tu ne l'aies pas lu. D'ailleurs, il ne mérite même pas de continuer à exister, si nous voulons rétablir la paix.
Yggdrasil se retourna alors vers la boule cristallisée qui emprisonnait les restes de l'historique. Il leva deux doigts et fit réapparaître une fenêtre sur un mur de la grande salle. Puis, avec un geste rempli de haine, il projeta la boule carbonisée et congelée vers l'Océan des Ténèbres … où elle s'abîma. Mlle Himekawa, désespérée, demeura figée, le regard rivé sur les vagues d'encre de la mer sombre.
Yggdrasil se tourna alors vers le Sept Seigneurs démoniaques et déclara :
– Plus personne ne lira cet ouvrage qui nous insultent, nous les digimons. J'en ai tiré ce qui méritait de l'être, le reste n'est plus que cendres. Demain, j'utiliserai la spore noire du jeune humain et je pourrai sortir de l'Océan des Ténèbres. Mais je ne veux pas perdre de temps. Après la défaite que vous avez infligée aux Enfants Élus, ils doivent se précipiter comme de vulgaires insectes vers la prison de Xuanwumon pour la libérer. Je ne veux pas qu'ils y parviennent. Les Bêtes Sacrées sont inférieures à votre pouvoir et au mien, mais je ne souhaite pas prendre de risques. Aussi, vous partez tous les sept pour les arrêter. Cette fois, je n'admettrai pas d'échec.
– Oui, maître, acquiesça Daemon en s'inclinant.
Ils se retirèrent à reculons de la salle. Yggdrasil posa alors son regard sur Piedmon.
– Toi, tu restes ici. Tu m'amèneras l'enfant demain.
– Bien, maître.
Yggdrasil remarqua alors que Mlle Himekawa se trouvait toujours à genoux devant lui, prostrée.
– Maki, je n'ai pas de mission à te confier pour le moment non plus. Tu peux sortir.
Elle se releva, chancelante.
– Bien, Seigneur, acquiesça-t-elle, plus morte que vive.
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Les Enfants Élus avaient quitté le plateau venteux pour descendre dans la forêt qui s'étendait au pied de la falaise. Ils devaient la franchir pour parvenir à la mer du nord. Là, il leur faudrait trouver un moyen de traverser jusqu'à l'île où Xuanwumon était emprisonnée. Ils marchèrent pendant deux bonnes heures, dans une atmosphère de plus en plus sombre. L'ample feuillage des arbres de la forêt accentuait leur sensation d'obscurité grandissante. Leurs digimons, épuisés par les combats qu'ils avaient menés dans le labyrinthe, tombaient de fatigue. Quand ils commencèrent à avoir du mal à distinguer le chemin devant eux, ils décidèrent donc de s'arrêter pour dormir et manger. Tous avaient emmené des vivres du monde réel, qu'ils distribuèrent en priorité aux digimons. Puis, frugalement, ils se partagèrent ce qu'il restait. Tout en mangeant, ils se racontèrent les épreuves qu'ils avaient affrontées dans le labyrinthe.
– Vous auriez vu le digimon qu'a dessiné Sakae ! s'exclama Takeru. Incroyable !
– Et après, renchérit Yamato, son symbole a brillé.
– C'est vrai ? s'exclama Meiko en se tournant vers sa sœur. Tu as activé ton symbole ?
– Oui, acquiesça-t-elle en rougissant légèrement.
– Alors … Ryudamon a atteint son niveau ultime ? demanda Koushiro.
– Oui ! Pas vrai, Ryudamon ?
– Absolument ! J'étais Ginryumon, quand tout à coup, je me suis senti envahi d'une énergie puissante ! Sakae, en me protégeant avec le digimon qu'elle avait créé, avait activé son symbole de la créativité. J'ai alors pu me digivolver en Hisyaryumon !
– J'aurais bien aimé voir à quoi tu ressembles, à ton niveau ultime, déclara Tentomon.
– Il était magnifique, affirma Patamon. Un dragon noir profond et rouge vif, avec des boules d'énergie dans chaque patte !
– Ça devait être impressionnant, admit Mimi.
– Oh, oui ! confirma Gabumon.
Sora remarqua alors seulement le mouchoir en tissu qui enveloppait le bras de Yamato :
– Yamato ! Tu es blessé ? s'exclama-t-elle, effrayée. Tu t'es fait ça pendant la bataille contre Sanzomon ?
– Non, pendant notre chute dans le labyrinthe. On a fait un pansement de fortune en attendant, mais je voulais le montrer à Joe.
– Fais-moi voir, répondit son ami en se levant.
Joe retira le bandage provisoire et sortit de l'antiseptique de son sac à dos. Il secoua la petite bouteille et en vaporisa sur la plaie pour la désinfecter. Sora vint s'agenouiller près de Yamato et observa la longue taillade qui courait sur son bras, inquiète. Sous l'emprise de Dianamon, elle avait vu le jeune homme en danger de mort. Même si elle savait à présent que n'était qu'une illusion, la crainte qu'elle avait ressentie dans le labyrinthe se réveilla à la vue du sang sur le bras de Yamato. Elle ne voulait pas le perdre. Joe surprit son regard et la rassura :
– Ce n'est qu'une entaille superficielle. Yamato, tu peux bouger tous tes doigts ?
– Oui, sans problème. Ça tiraille juste un peu.
– Alors, ce n'est pas grave.
– Tu en es sûr ? insista Sora.
– Certain. C'est juste que comme la plaie près du poignet, ça a pas mal saigné. Je vais bien serrer le pansement pour éviter que ça ne se rouvre.
– D'accord, merci Joe.
L'adolescent acheva de bander soigneusement le bras de son ami. Celui-ci releva la tête et vit que Sora le dévisageait toujours, préoccupée. Il lui adressa un sourire rassurant :
– Ne t'en fais pas, je vais bien.
Elle se força à sourire, mais la ride qui creusait son front ne disparut pas pour autant. Yamato sentait que quelque chose de plus grave la tracassait, sans parvenir à deviner quoi. Sora n'était pas du genre à lui faire part de ses soucis facilement. Elle absorbait tout, laissait croire que cela ne l'affectait pas. Mais il savait que ce n'était pas vrai. La jeune fille prit une grande inspiration, comme pour chasser les peurs qui l'assaillaient, puis reporta son attention sur tout le groupe :
– Je crois que nous ferions bien de dormir quelques heures, déclara-t-elle. Nous en avons tous besoin.
– Oui, acquiesça Taichi. Nous devons être prêts à affronter les pièges qui emprisonnent Xuanwumon demain.
– Je vais prendre le premier tour de garde, déclara M. Nishijima.
Alors que Meiko, Mimi, Joe et Sakae déployaient des couvertures pour tout le monde, Hikari demeura debout. Elle fixait M. Nishijima qui s'était assis face au foyer, dos à eux. Takeru lança alors à la jeune fille, tout en s'asseyant sur un édredon :
– Hé, Hikari ! Tu devrais venir te reposer.
Mais son amie ne bougea pas. Takeru fronça les sourcils, se redressa et s'approcha d'elle. Il remarqua alors son regard grave et peiné. Il lui dit doucement :
– Quelque chose ne va pas, Hikari ?
Elle ne répondit pas immédiatement. Ses sourcils se froncèrent gravement.
– Dans le labyrinthe, souffla-t-elle, Sora et M. Nishijima ont été trompés par une illusion que Dianamon a créée avec le pouvoir de la lune. Sora se croyait face à Yggdrasil et ses démons, mais M. Nishijima … il a cru revoir ses amis qui sont morts il y a dix ans. Quand je suis allée lui parler, il m'a prise pour Mlle Himekawa.
Takeru écarquilla les yeux. Hikari pinça les lèvres et ajouta :
– Je sais que ce n'est qu'une coïncidence, que tout cela était l'œuvre de Dianamon, mais le fait qu'il m'ait prise pour elle me trouble. Tu sais, je ne pas peux m'empêcher de remarquer certaines similitudes entre elle et moi. Le fait que nous puissions toutes les deux entrer dans l'Océan des Ténèbres à notre guise … que nous ayons été possédées toutes les deux par Homeostasis … cela me fait peur, Takeru. Est-ce que tu crois … tu crois que j'aurais pu devenir comme elle ?
Takeru dévisagea profondément la jeune fille et déclara fermement :
– Non, Hikari, tu n'aurais pas pu devenir comme elle. Parce que je ne l'aurais pas permis.
Elle releva la tête vers lui et rencontra ses yeux bleus : dans ses pupilles brillait une volonté de la protéger qui la toucha profondément. Elle rougit et détourna le regard. Pendant quelques minutes, elle garda le silence. Finalement, elle reprit :
– Tu as sans doute raison. Mais pourtant, il y a trois ans, quand je suis entrée dans l'Océan des Ténèbres, j'aurais pu y rester à tout jamais.
– C'est vrai, mais finalement ce n'est pas ce qu'il s'est passé, parce que tu m'as permis de te venir en aide. Je crois que nous pouvons tous basculer du côté des ténèbres, mais ce qui compte, c'est à quel côté nous choisissons finalement de donner notre préférence. Et je sais que tu crois au côté lumineux, Hikari.
La jeune fille dévisagea intensément Takeru, dont l'expression était confiante. Elle lui sourit avec reconnaissance.
– De plus, ajouta-t-il, tu n'es pas la seule à avoir fait face aux ténèbres. Ken aussi y a cédé, puis les a repoussées. Meiko a également beaucoup souffert ces dernières semaines, mais comme toi, elle a choisi de rendre la lumière en elle plus forte que l'obscurité.
– C'est vrai ... depuis une semaine, Sora aussi craint les ténèbres. C'est sans doute pour cela que Dianamon a réussi à l'influencer pour forcer Piyomon à réaliser une digivolution sombre.
– Piyomon a réalisé une digivolution sombre ? répéta Takeru en ouvrant des yeux ronds. Comme Greymon quand il s'est transformé en Skullgreymon, il y a six ans ?
– Oui. Sora n'en a parlé à personne pendant le dîner. Je crois qu'elle en a honte.
– C'est possible … et je comprends ce qu'elle peut ressentir.
– Elle devrait au moins en parler à Taichi. Lui comprendrait.
– Ce n'est pas faux …
Hikari se tourna de nouveau vers M. Nishijima et le contempla avec tristesse.
– Il y avait tellement d'espoir dans ces yeux, quand il était sous l'influence de Dianamon. J'aurais tant voulu qu'il garde cette lumière dans son regard. Mais je ne pouvais pas le laisser vivre dans une illusion. C'était si dur de briser ses espoirs …
– Tu as fait ce qui était juste. Tu ne peux pas t'en vouloir.
– Je crois que la perte de ses amis lui a causé une souffrance beaucoup plus grande que ce qu'il ne laisse transparaître.
– C'est très possible.
– Tu imagines ? C'est comme si trois d'entre nous mourraient pour sauver le monde digital …
Les deux adolescents se retournèrent vers leurs amis, endormis. Ils portèrent leur regard successivement sur leur visage, en essayant d'imaginer la douleur que leur causerait leur perte. Hikari sentit son cœur se serrer plus fort quand ses yeux revinrent se poser sur Takeru. Celui-ci s'aperçut de son trouble et posa une main sur son épaule :
– Ça n'arrivera pas.
La jeune fille frissonna au contact de la main de l'adolescent. Ils se sourirent, puis allèrent dormir à leur tour.
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Maki Himekawa sortit en silence de la pagode d'Yggdrasil. À présent que les Sept Seigneurs démoniaques étaient partis, un silence absolu hantait ce monde. Elle prit le chemin de la falaise, qu'elle entreprit de descendre en s'agrippant aux rochers. Plusieurs fois, des saillies égratignèrent ses mains, ses genoux. Cela n'avait plus d'importance. Plus rien ne lui importait. L'historique du monde digital, le seul livre qui eut pu faire cesser ses tourments, avait été détruit. Plus aucune lumière ne viendrait raviver son cœur. Quand elle ne fut plus qu'à deux mètres de hauteur de la plage, elle se laissa glisser depuis le rocher sur lequel elle se trouvait. Des griffures strièrent ses jambes, le sang perla sur sa peau. Elle atterrit sur le sable anthracite et se releva. Devant elle, l'Océan des Ténèbres, immense et terrible, s'étendait à perte de vue : le roulement de sa houle grondait comme les sourdes lamentations d'êtres damnés. Lentement, elle s'approcha du rivage. Cet océan pouvait engloutir le monde, engloutir les âmes. Maki Himekawa le savait. Elle retira ses chaussures et s'approcha de l'eau, déterminée. Ses pieds s'enfoncèrent dans le néant. Les vagues sombres commencèrent à monter sur ses chevilles …
… quand soudain son regard fut attiré par un objet sur le sable humide. Ses yeux s'écarquillèrent, elle se figea, le cœur battant.
Balloté par le reflux, l'historique du monde digital flottait à demi dans la mer obscure. Intact.
Mlle Himekawa, stupéfaite, se dirigea vers le livre. Elle le ramassa, puis passa sa main sur la couverture. Comment était-ce possible ? Elle avait vu Yggdrasil le calciner puis le congeler, pour ensuite le jeter à la mer … l'historique ne portait aucune marque de brûlure. Elle revint sur le sable, remit ses chaussures. Puis, elle observa les alentours afin de s'assurer que personne ne l'épiait. Mais seul un vent de désolation soufflait sur l'Océan des Ténèbres.
Elle remonta sur la plage et trouva ce qu'elle cherchait : sous la falaise, un renfoncement créait une grotte où elle pourrait s'abriter. Elle entra dans la caverne et s'assit sur le sol dur et froid. Elle fixa de nouveau la couverture de l'historique du monde digital, aussi brillante que lorsqu'elle s'en était emparée dans le labyrinthe. Elle prit alors une grande inspiration et l'ouvrit.
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Vers une heure du matin, Yamato vint relayer M. Nishijima. Gabumon l'aida à raviver le feu, car cette contrée du digimonde possédait un climat vraiment rigoureux. Heureusement, les arbres de la forêt créaient un paravent naturel qui les protégeait un peu de la bourrasque du nord. Puis, Yamato s'assit face aux flammes en se frictionnant les bras pour s'empêcher de somnoler. Il demeura ainsi une bonne demi-heure, dans le silence. Gabumon s'était blotti près de lui pour le réchauffer. Soudain, Yamato entendit un bruissement derrière lui. Il se retourna vivement et découvrit Sora, debout. Elle avait les traits inquiets et le regard tourmenté.
– J'ai fait un cauchemar, et je n'arrive plus à me rendormir, murmura-t-elle. Est-ce que je peux rester avec toi, Yamato ?
Il la dévisagea intensément.
– Bien-sûr. Viens.
Il déplia la couverture qu'il avait rabattue sur ses genoux afin que Sora puisse s'asseoir à côté de lui. Il la fixa, préoccupé. La peur qu'il avait lue dans son regard avant qu'ils n'aillent dormir la hantait encore. Il voulait tellement l'aider à se sentir mieux. Mais comment l'amener à ce qu'elle se confie à lui ?
– Sora, ça va ?
Elle pinça les lèvres ses doigts se crispèrent sur sa jupe tandis qu'elle fixait le vide.
– Est-ce que … est-ce que Joe ou Hikari t'ont dit ce qui nous était arrivés dans le labyrinthe ? l'interrogea-t-elle, tendue.
– Non. Tu … tu veux m'en parler ?
Une ride se creusa sur le front de la jeune fille, oscillante. Elle rentra la tête dans les épaules, comme si le seul souvenir de son envoûtement par Dianamon la terrorisait. Elle hésita longuement.
– Tu sais que tu me parler sans appréhension, lui assura Yamato.
Elle releva la tête vers lui, indécise. Dans ses pupilles brillait la crainte d'être jugée. Elle garda le silence encore quelques instant. Puis, finalement, elle se lança :
– Nous avons affrontés une gardienne qui contrôlait le pouvoir de la lune. Elle nous a plongés, M. Nishijima, Piyomon et moi dans une illusion. Nous voyions chacun des choses différentes. Moi, à la place de Joe, de notre professeur et de nos digimons, j'ai cru que j'étais cernée par Yggdrasil, Daemon et Laylamon. Et puis … tu es apparu.
– Moi ? s'étonna Yamato.
– Oui … enfin, c'est ce que Dianamon a voulu me faire croire. Tu étais sans Gabumon, et j'ai cru que Daemon t'attaquait. J'ai eu … tellement peur pour toi, lâcha-t-elle, le souffle court.
Yamato cilla.
– Ma peur était si forte, qu'elle a commencé à se transformer en colère. Je n'avais jamais éprouvé une telle rage, je t'assure. L'idée qu'il puisse t'arriver quelque chose, à toi ou à Piyomon … je ne me contrôlais plus. J'ai voulu que Piyomon se digivolve à tout prix, et … j'ai fait quelque chose d'horrible.
– D'horrible ? Comment ça ?
Sora se mordit la lèvre, mal à l'aise.
– J'ai … j'ai forcé Piyomon à réaliser une évolution sombre.
Yamato écarquilla les yeux. Sora se tordit les mains, ses épaules tressautèrent.
– Depuis que j'ai commencé à me poser des questions sur Homeostasis, sur Yggdrasil … je suis constamment hantée par une crainte indéfinissable. Malgré tous nos efforts, j'ai l'impression que nous ne sommes rien face aux forces qui gouvernent ce monde. Nous n'avons pas su récupérer l'historique du monde digital. On ne sait même pas ce qu'Yggdrasil va faire à présent, et on n'a plus aucune nouvelle d'Homeostasis. Cette après-midi, quand tout le monde s'est levé pour suivre Taichi, quand tout le monde a refusé de s'avouer vaincu … je vous ai suivis, mais je ne croyais absolument pas à ce que je faisais.
Dans l'expression de Sora, Yamato lut un découragement mêlé à une crainte profonde. Son cœur se serra. Sora, les yeux humides, ferma les poings et poursuivit avec véhémence :
– Tous les jours, j'essaye d'être forte, d'oublier ces peurs qui me poursuivent, de ne rien laisser transparaître … mais je n'y arrive pas. Je voudrais faire plus, faire mieux, me contenir, parce que je sais que nous sommes déjà tous suffisamment inquiets … mais plus je m'oblige à étouffer mes sentiments, moins je les contrôle. J'ai l'impression qu'ils vont me briser, me ravager si je les laisse s'exprimer …
Des sanglots la secouèrent et des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Le jeune homme la fixait, bouleversé. Il ne l'avait jamais vue dans cet état-là. À ce point épuisée. Il ne voulait pas qu'elle pleure, il ne voulait pas la laisser seule face à la peur. Il se redressa sur ses talons, la prit contre lui et la serra très fort. D'une voix qu'il voulait rassurante, il murmura :
– Tu as bien fait de me dire tout ça. Tu ne dois pas garder des choses aussi terribles en toi. Tu sais, je comprends ce que tu ressens. Même si les autres ne le savent pas, moi aussi, j'ai peur.
Sora cligna des yeux, surprise : Yamato, avoir peur ? Elle avait toujours cru qu'il était capable de garder son sang-froid, quelle que soit la situation. Le jeune homme poursuivit, d'une voix grave :
– Moi aussi, j'ai l'impression que nous ne sommes qu'un grain de sable dans le monde digital. Moi aussi, je ne suis pas certain que nous puissions faire quelque chose contre Yggdrasil maintenant qu'il a l'historique du monde digital. Mais je crois en notre force si nous sommes unis, nous et nos digimons. Piyomon tient à toi, et je suis sûr qu'elle t'a déjà pardonnée pour ce qui est arrivé dans le labyrinthe.
Sora sourit, passa une main sur ses joues pour essuyer ses larmes et essaya de sourire, malgré tout.
– Merci, Yamato.
– Je sais que tu prends beaucoup sur toi, en toutes circonstances. C'est une des qualités que j'admire le plus chez toi. Mais je ne veux pas que tu sois malheureuse. Tu n'es pas toute seule à affronter les épreuves je serai toujours là pour toi. Il ne m'arrivera rien. Je veux que tu viennes me voir chaque fois que tu en auras besoin. D'accord ?
Sora se détacha de l'adolescent et le dévisagea intensément.
– Tu … tu me le dis sérieusement ? Ça ne t'embête pas ?
– Non, pas du tout ! Et même, je voudrais que tu le fasses plus souvent. Je veux t'aider Sora, parce que je … parce que je t'aime, termina-t-il à voix basse.
Sora cilla, son cœur s'accéléra brusquement. Elle ne s'attendait pas à une telle déclaration en de pareilles circonstances. Yggdrasil menaçait de sortir de l'Océan des Ténèbres, ils avaient perdu l'historique du monde digital, et pourtant … ces deux mots, qu'elle avait rêvé d'entendre en d'autres occasions, venaient de lui être murmurés par celui qu'elle aimait. Ils se dévisagèrent, longuement. Finalement, Yamato se pencha vers elle et posa doucement ses lèvres sur les siennes. Sora serra plus fort sa main et répondit à son baiser. La peur qui étreignait son cœur s'évanouit alors.
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Dans la grotte où s'était réfugiée Mlle Himekawa, la lumière se tut, ravalée par les pages. Les voix s'éteignirent, recouvrant leur état originel de mots imprimés.
La jeune femme referma lentement l'historique du monde digital et demeura plusieurs minutes interdite, les mains tremblantes, le regard accroché au vide. Elle ne voyait plus ni la caverne, ni le livre. Seuls les mots et les images dansaient devant ses yeux, assourdissaient ses sens. Les cris et le fracas des explosions vibraient dans sa chair dans son esprit résonnait l'écho des ténèbres et de la lumière. Une larme roula sur sa joue et tomba sur son cou, solitaire.
Elle se redressa, chancelante, tout en serrant le livre contre elle. Un frisson la parcourut : pendant tant d'années, elle avait erré. Pendant tant d'années, elle avait vécu hors d'elle-même. À présent, elle savait exactement ce qu'elle devait faire.
Elle sortit de la grotte et observa l'horizon : dans l'Océan des Ténèbres, le jour et la nuit étaient difficile à discerner. Pourtant, elle devinait que l'aube ne tarderait pas à poindre. Elle devait se dépêcher.
Dans les profondeurs de la pagode d'Yggdrasil, Ken somnolait, recroquevillé sur lui-même. Depuis qu'il avait été capturé par le Seigneur de l'Océan des Ténèbres, le froid l'empêchait de vraiment dormir. Un silence de mort régnait dans ce souterrain aux murs suintant d'humidité. Cela faisait cinq jours que Gennai avait été emmené hors de sa cellule et que Ken ne l'avait plus revu. Même s'il tâchait de le cacher à Wormon, son partenaire, et aux digimons de Daisuke, Miyako et Iori qui étaient enfermés avec lui, il avait peur. Il savait qu'Yggdrasil les avait enlevés lui et Gennai pour utiliser leur spore noire. Il connaissait le fonctionnement de ces germes maléfiques : la spore se nourrissait de la force vitale de l'être qu'elle habitait, tout en augmentant ses capacités intellectuelles et physiques. La retirer de son hôte revenait à vider ce dernier de toute énergie, ou pire … Ken serra les paupières. Mieux valait ne pas y penser. Il ne devait pas y penser. Pourtant, il savait qu'il serait le prochain. Quand Yggdrasil viendrait-il le chercher ? Qu'arriverait-il à Wormon et aux autres digimons s'il mourrait ? Une goutte d'eau tomba du plafond et s'écrasa sur le sol. Ken sentit soudain un corps chaud se blottir contre lui. Il ouvrit les yeux et découvrit Wormon.
– Ken … tu as froid, n'est-ce pas ? dit le petit digimon. À deux, nous nous réchaufferons plus vite.
– Merci, Wormon. Viens, dit-il en ouvrant un pan de sa veste pour que son digimon s'y réfugie.
Ken releva la tête et vit que les digimons de ses amis s'étaient eux aussi réveillés. Tristement, il les contempla. Veemon fixa le sol et murmura :
– Je me demande quand nous allons sortir d'ici …
– Si nous sortons un jour, dit sombrement Hawkmon.
– Iori me manque, ajouta Armadillomon.
– Depuis combien de jours sommes-nous dans cette prison ? On perd la notion du temps ici, marmonna Veemon.
– Vous, cela fait déjà plusieurs mois, répondit Ken. Quant à moi, je crois que ça fait sept jours que j'ai été capturé, même si je n'en suis plus très sûr …
À cet instant, ils entendirent des pas dans les escaliers qui conduisaient aux souterrains. Ken se redressa, le cœur battant. Était-ce Yggdrasil ? Piedmon ? Allait-on l'emmener ?
– Ken, tu trembles, remarqua Wormon en relevant la tête vers son partenaire.
– Ne … ne t'inquiète pas, lui répondit le jeune homme sans toutefois maîtriser ses frémissements.
Une ombre avançait vers eux. À mesure qu'elle s'approchait, ses contours se précisèrent. Soudain, Ken reconnut Maki Himekawa.
– Vous ! dit-il en se levant. Vous venez pour me conduire devant Yggdrasil, c'est ça ?
– On ne vous laissera pas faire ! répliqua Wormon.
Mlle Himekawa ne répondit pas. Elle observait la grille électrifiée qui enfermait Ken dans sa cellule. Elle s'approcha alors du mur de droite, à l'extérieur de la prison, et passa la main sur la paroi. Elle sentit aussitôt un relief : des symboles digimons peints. Elle le savait. Piedmon n'avait pas le pouvoir de créer une grille électrifiée permanente. Cette barrière était maintenue grâce à un programme inscrit sur le mur. Elle ouvrit alors l'historique du monde digital, qui diffusa une lumière claire dans le souterrain. Les yeux de Ken s'écarquillèrent :
– Qu'est-ce que c'est que ça ?
À nouveau, Mlle Himekawa ne lui répondit pas. Elle fixait les idéogrammes du mur, concentrée. Elle reporta son regard sur l'historique du monde digital, puis sur la paroi. Elle sortit un mouchoir en tissu de sa veste, complètement froissé, et le trempa dans la flaque qu'avaient créée les gouttes d'eau du plafond. Elle se releva et commença à frotter la barre de l'un des caractères écrits sur la paroi. Elle frotta, frotta minutieusement … et bientôt, la barre disparut. Elle referma le livre qu'elle tenait et s'approcha de la grille électrifiée. Elle tendit le bras, lentement, vers un point précis … et sa main passa au travers sans être électrocutée. Elle fit un pas en avant et entra complètement dans la cellule. Ken, bouche bée, demanda :
– Comment avez-vous fait ça ?
– Il suffisait de changer le programme, répondit-elle simplement.
Elle s'agenouilla, posa l'historique du monde digital devant elle et le rouvrit. Puis, elle tira un morceau de craie de sa poche. La craie du labyrinthe, avec laquelle elle avait tenté de trouver son chemin. À présent, elle savait précisément quelle route elle devait suivre. Elle commença à tracer des caractères digimons à même le sol, avec soin. Ken, interloqué, finit par dire :
– Mais … mais que faîtes-vous ?
La jeune femme, sans relever la tête, répondit :
– Je te sauve la vie.
Ken ouvrit la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, muet de stupeur. Finalement, il balbutia, décontenancé :
– Mais … vous servez Yggdrasil ! Vous nous aviez tendu un piège, à mes amis et moi ! C'est de votre faute s'ils sont dans le coma aujourd'hui ! C'est de votre faute si les Seigneurs démoniaques ont quitté l'Océan des Ténèbres !
Mlle Himekawa cilla et affronta le regard de l'adolescent :
– C'est vrai. Je suis coupable de tout cela. Pendant longtemps, j'ai cru que ces actions me permettraient d'atteindre mon but. Je le regrette, Ken Ichijouji.
Ken fixa intensément la jeune femme, le cœur battant sourdement. Dans l'expression sévère mais brisée de Mlle Himekawa, il eut l'impression de se voir, trois ans auparavant, quand il avait cessé d'être l'Empereur des digimons. À cette époque, la culpabilité l'avait dévoré, consumé, anéanti. C'était exactement ce qu'il lisait sur le visage de Mlle Himekawa à cet instant. Cette vision le troubla. Il se ressaisit et demanda :
– Vous pouvez me faire sortir d'ici ?
– Oui, mais avant je veux faire autre chose.
Elle continua à tracer des caractères les uns à côtés des autres sur les dalles de pierre. Ken observa ses gestes, et soudain comprit.
– Vous créez un programme, n'est-ce pas ?
– Oui.
– Pourquoi ?
Mlle Himekawa écarta une mèche de son front et s'assit sur ses talons. Ses yeux verts rencontrèrent les yeux bleus de Ken.
– Je vais transférer la spore noire qui vit en toi dans mon corps.
Ken recula d'un pas, comprenant subitement.
– Quoi ? Non ! Si Yggdrasil s'en rend compte, il vous tuera !
– Il ne le saura pas. Et toi, tu seras protégé.
– Si vous pouvez me faire sortir, si vous pouvez m'aider à m'évader, pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? Vous l'avez dit vous-même, vous ne voulez plus servir les ténèbres !
– C'est vrai. Mais quelqu'un doit rester pour tromper Yggdrasil.
Ken cligna des yeux, son cœur cognant contre sa poitrine.
– Et s'il vous démasque ?
– J'en assume le risque.
– Pourquoi faîtes-vous ça ?
Mlle Himekawa pinça les lèvres, demeura d'abord silencieuse. Finalement, elle déclara :
– Pour rétablir cette justice que j'ai tant désirée. Et parce que vous devez savoir la vérité.
Elle désigna le livre posé au sol.
– Ceci est l'historique du monde digital. Il contient toutes les réponses.
– Quelles réponses ?
– Toutes. Tout ce qui concerne le digimonde et les hommes se trouve à l'intérieur. Quand j'aurai absorbé la spore noire qui t'habites, tu prendras cet ouvrage et tu t'évaderas. Tu iras chercher tes amis sur Terre. Tant que la spore vit en toi, Yggdrasil peut les maintenir dans le coma parce que tu éprouves de l'affection pour eux. Une fois que la spore sera dans mon organisme, cette pression ne pourra plus s'exercer, et tes amis se réveilleront. Vous devez retourner dans le monde digital et retrouver les autres Enfants Élus. Donne ce livre à Taichi Yagami et à Daigo Nishijima.
– Daigo Nishijima … vous faisiez tous les deux partie des premiers Enfants Élus, n'est-ce pas ?
– Oui, acquiesça-t-elle tandis que la peine envahissait son regard.
Elle reporta son attention sur l'historique du monde digital et ajouta :
– Vous devez lire cet ouvrage tous ensemble. Tu m'as bien comprise ? Ne l'ouvre pas seul.
– Pourquoi ? demanda Ken, légèrement effrayé.
– Ce qu'il contient est trop grave pour être lu seul.
Ken cilla, inquiet.
– D'accord.
Il la regarda finir de tracer les caractères digimons à même le sol, à l'aide de sa craie.
– Comment avez-vous eu connaissance de ce programme ?
– Grâce au livre, révéla-t-elle. Voilà, j'ai terminé. Agenouille-toi face à moi.
Ken s'exécuta, le cœur battant. Il se plaça face à Mlle Himekawa, le programme entre eux. La jeune femme tendit le bras au-dessus des symboles et dit fermement :
– Donne-moi ta main.
Ken obéit. Dès que leurs doigts s'unirent, le programme se mit à briller. Une poussière lumineuse s'éleva des caractères et enveloppa leurs deux mains. Une étrange fraîcheur envahit alors l'adolescent : il eut l'impression que tout son esprit, tout son cœur, tout son corps s'ouvrait, prenait une brusque inspiration d'air pur. Un fardeau à la fois mental et physique s'évapora lentement de son être. Il se sentit peu à peu plus léger, plus libre. La spore noire s'en allait. Il vivait depuis si longtemps avec elle qu'il ne se rendait même plus compte de la manière dont elle pesait sur lui.
À l'inverse, Mlle Himekawa sentit une pression s'exercer sur sa poitrine, une présence pesante s'emparer de son esprit. Curieusement, elle eut également l'impression que ses capacités intellectuelles se décuplaient. Elle aurait pu, en cet instant, résoudre n'importe quelle énigme ou équation. La spore noire prit lentement possession de son corps. Puis, les caractères digimons cessèrent de briller et s'effacèrent d'eux-mêmes en quelques secondes, ils se furent volatilisés.
Ken releva la tête vers Mlle Himekawa et la dévisagea intensément : ses traits s'étaient creusés, ses cernes s'étaient accentués. Pourtant, dans son regard brûlait un feu inextinguible, une détermination farouche.
– Maintenant, dit-elle en se redressant, il faut sortir d'ici. Tiens, prend l'historique.
Ken se saisit du livre et le serra contre lui. Mlle Himekawa fouilla alors dans sa jupe et en tira quatre objets électroniques :
– Tiens, toi et tes amis aurez aussi besoin de ça.
Elle lui tendait son digivice, et ceux de Daisuke, Miyako et Iori. Ken prit le sien et mit les autres dans ses poches.
– Venez, dit Mlle Himekawa à l'adolescent et aux digimons.
Elle passa de nouveau à travers la grille électrifiée qu'elle avait désamorcée. Ken, Wormon, Veemon, Hawkmon et Armadillomon la suivirent. À pas de loup, ils reprirent l'escalier du souterrain. Parvenus au rez-de-chaussée de la pagode d'Yggdrasil, ils tournèrent sur la gauche. Aucun bruit ne leur parvint. Tous les Seigneurs démoniaques étaient absents, Yggdrasil devait avoir repris sa forme liquide dans la grande salle. Ils sortirent par une porte latérale et arrivèrent sur la falaise qui dominait l'Océan des Ténèbres.
– Tu sais comment sortir de ce monde, n'est-ce pas ? demanda Mlle Himekawa à Ken.
– Oui.
– Alors, ne perds pas de temps.
Ken dévisagea gravement la jeune femme.
– Vous êtes sûre de vouloir rester ici ?
– Certaine. Ne t'inquiète pas pour moi. Va aider tes amis.
Ken acquiesça, Wormon monta sur ses épaules. Puis, il s'éloigna de la pagode et entra dans la forêt de l'Océan des Ténèbres pour que la lumière de son digivice ne soit pas repérée par Yggdrasil. Il sortit l'appareil électronique et le tendit devant lui. Il ferma les yeux, et bientôt, une distorsion lumineuse apparut. Il passa aussitôt au travers, suivi des digimons de ses amis.
