LA BRAISE SOUS LA CENDRE
Disclaimer : voir prologue.
Chapitre 20 : Le Pub MacMillan
En ce début de soirée, le pub gothique MacMillan à Canterbury était un endroit fréquenté par une assemblée nombreuse des plus hétéroclite et plutôt mal famée, comme le constata Hermione quand ses yeux se furent accoutumés à la faible lumière ambiante. Cette dernière venait principalement d'un feu de bois flamboyant car les lanternes qui pendaient aux vieilles poutres centenaires étaient ternes et à demi voilées par la fumée. Le fonds musical typiquement écossais et le brouhaha de voix et de rires qui régnait dans le caveau en pierre, empêchaient toutes indiscrétions. Comme bon nombre de convives cachés sous de longues robes noires à la capuche relevée, Severus Rogue et Hermione Granger s'étaient attablés dans un coin reculé et observaient silencieusement les gens qui allaient et venaient dans le pub.
Un groupe de marins étrangers attirait immédiatement l'attention car ils parlaient et riaient tous bruyamment près du bar où s'affairaient des serveuses pressées. Autour des tables bondées, des sorciers de diverses conditions conversaient eux aussi de manière animée et échangeaient des plaisanteries en gesticulant. Un peu plus loin, des hommes jouaient aux dés ou aux cartes animées en buvant des grandes pintes de bières brunes ou du whisky de feu. Il y avait aussi ceux qui n'arrêtaient pas de circuler entre les tables et les silhouettes difficiles à distinguer assises sur des bancs dans les ombres et les recoins derrière les piliers en pierre.
Cela faisait maintenant une bonne heure qu'Hermione Granger et Severus Rogue attendaient, et toujours pas de Lucius Malefoy en vue. Ce n'est sûrement pas le genre de lieu populaire que fréquente assidûment l'élégant Mangemort, pensa la jeune femme en glissant un nouveau regard vers son compagnon taciturne, dont le visage restait dans l'ombre et dont les yeux vifs brillaient d'un feu étrange.
Hermione se prit à repenser à la soirée de la veille qui l'avait laissée tellement bouleversée au point qu'elle avait été incapable de trouver le sommeil. Pendant des heures, dans le silence de son appartement, elle avait ressassé les propos de Rogue et s'était repassé mentalement le film des événements extraordinaires de ces dernières quarante huit heures, depuis l'instant où elle avait retrouvé le sorcier.
Indéniablement, Hermione voyait à présent Severus Rogue sous un jour nouveau. Comment, elle, une Gryffondor émotive, sentimentale, n'aurait-elle pas pu être interpellée par cette vie de souffrance ? Ballotté au gré des infortunes, Rogue avait vécu des épreuves pénibles et douloureuses. La violence d'un père alcoolique ; le désespoir d'une mère dont il avait été contraint de se séparer, alors qu'il voulait la protéger de manière naïve du haut de ses dix ans ; le meurtre de ce père honni ; les moqueries de ses camarades à l'école ; des mauvais choix à un âge où il aurait eu besoin des conseils d'un parent, d'un mentor ou d'un ami. Et puis la solitude… une solitude terrible, pesante qui s'attachait à lui, qui l'empêchait de s'épanouir et d'être en harmonie avec lui-même, encore maintenant… Hermione comprenait son hostilité, son amertume et ses doutes, surtout quand tous ces sentiments faisaient bizarrement échos aux siens et l'obligeait à ne plus se mentir à elle-même. A cet instant, elle dut faire un effort pour refouler cette dernière pensée par trop dérangeante et se concentrer à nouveau sur Rogue.
Serpentard par nécessité, Gryffondor de cœur… Car de courage, le sorcier n'en manquait pas. Rogue avait toujours fait face à ses responsabilités et à ses actes, et les avait assumés, peut-être aidé en cela par un sens de l'honneur, une loyauté rarement égalée, dont Albus Dumbledore avait su tirer parti. Et Hermione n'en doutait pas, Rogue n'avait pas trahi la confiance du vieil homme, ni l'Ordre du Phénix. La jeune sorcière ignorait encore ce qui s'était produit quand il avait été capturé et conduit devant Voldemort, mais elle redoutait à présent le récit qu'il lui avait promis de lui faire. Peut-être avait-il raison et valait-il mieux qu'elle n'entende pas son histoire ?
Agacé par l'attention insistante que lui portait la jeune femme à ses côtés, Rogue planta soudain ses yeux perçants dans ceux d'Hermione en lui intimant l'ordre silencieux d'être plus attentive. La sorcière détourna la tête en rougissant et fit un effort pour se ressaisir.
Satisfait, Rogue reporta son regard sur les nouveaux arrivants. Dès le retour de la jeune femme à l'appartement après son absence du matin, ils ne s'étaient pas beaucoup adressés la parole. Après sa lamentable soirée de confession – l'alcool ne lui avait jamais réussi - le sorcier avait éprouvé le besoin de prendre de la distance avec Hermione Granger, en regrettant amèrement - bien évidemment - tout ce qu'il lui avait révélé sur son passé. Cela avait été une erreur de sa part de lui parler à cœur ouvert. Froidement, il avait alors déjoué toutes les tentatives de bavardages de la jeune femme et n'avait répondu à ses questions que lorsqu'elles concernaient la mission au pub dans la soirée. Déçue, et peut-être blessée, Hermione Granger avait finalement renoncé à le harceler et l'avait laissé seul à ruminer ses sombres pensées.
Maintenant, elle devait sans doute le voir comme un chevalier noir, maudit, dont l'armure implacable, indestructible, cachait des blessures profondes et un cœur qui voulait continuer à battre malgré les épreuves. Quelle ironie ! Il ne voulait pas de sa pitié, et c'était sans doute tout ce qu'il avait réussi à faire naître en elle en lui dévoilant combien le destin s'était joué de lui depuis le jour de sa naissance. Même si elle n'en disait rien, il était clair qu'elle ne voulait l'aider que parce qu'il lui inspirait ce sentiment…
Du coin de l'œil, Hermione Granger vit soudain Rogue se raidir. Machinalement, elle tourna la tête vers l'individu qu'il fixait et vit un homme qui s'avançait en cherchant une table libre des yeux. Il était grand, large d'épaules et vêtu à la dernière mode Moldue, en jean et chemise de marque. Un autre type qui mâchait du chewing-gum le suivait en jetant à l'assistance des regards provocateurs, comme s'il cherchait la bagarre au moindre prétexte.
Les deux individus allèrent se planter devant une table à quelques pas de notre couple. Immédiatement, les actuels occupants de ladite table se levèrent sans poser de questions et déguerpirent comme s'il y avait le feu. Une serveuse s'activa vers les deux hommes, nettoya la table et prit la commande sans tarder.
Hermione qui n'avait pas perdu une miette du spectacle, se pencha discrètement vers Rogue et demanda en murmurant :
« Vous le connaissez ? Qui est-ce ? »
« Le bras droit de Lucius… Jeremy Bentham… La pire des canailles que la Terre ait porté. »
« Malefoy ne viendra pas, n'est-ce pas ? »
« Non. »
Et il se tut en se renfonçant dans l'ombre. Hermione suivit son exemple et observa discrètement les deux hommes qui jetaient sur l'assemblée des regards plus que méprisants.
Une heure passa encore, jusqu'à ce qu'un inconnu entre et s'approche de la table de Bentham et de son acolyte pour leur glisser quelques mots. Une conversation agitée s'engagea avec le nouveau venu pendant de longues minutes, puis l'individu fut prié de se retirer.
Hermione jeta un regard interrogatif vers son compagnon, lui demandant clairement ce qu'il comptait faire à présent. Rogue se pencha vers elle et lui glissa froidement :
« L'échec de notre tentative d'assassinat et notre disparition soudaine soulèvent beaucoup d'interrogations chez nos deux amis… Ils sont décidés à nous retrouver pour nous faire subir le même sort qu'aux quatre incapables venus nous abattre… »
Hermione frissonna en comprenant ce qu'impliquaient les propos chuchotés par le sorcier, puis regarda Rogue avec étonnement.
« Comment savez-vous tout cela ? Il est impossible que vous ayez entendu leurs paroles avec tout ce bruit. »
« Je l'ai lu sur leurs lèvres... »
La jeune femme le dévisagea avec surprise pendant de longues secondes. « Vous êtes un homme qui ne manque pas de ressources… »
Les lèvres fines du sorcier s'étirèrent brièvement en ce qui pouvait être interprété comme un léger sourire mais il ne fit aucun commentaire.
« De quoi ont-ils encore parlé ? » reprit Hermione.
« Je vous le dirai tout à l'heure » répondit simplement Rogue. « Le petit teigneux jette de fréquents regards dans notre direction… »
« Vous croyez qu'ils nous ont reconnus ? » s'inquiéta Hermione.
« Non, mais ils savent qu'ils ont attiré l'attention… Il vaudrait mieux qu'on sorte d'ici avant eux… »
Joignant le geste à la parole, Rogue se leva et jeta quelques pièces sur la table. Hermione l'imita et le suivit sans un mot vers la sortie en ayant l'impression que deux paires d'yeux lui transperçaient littéralement le dos. Dans la ruelle sombre, Rogue tourna la tête et entraîna rapidement la jeune femme vers un renfoncement sous un porche. Il était temps. Les deux hommes surgirent du pub et tournèrent la tête à droite et à gauche, en les cherchant visiblement.
« Bon sang… » murmura Rogue en observant leurs mouvements avant de se tourner vers la sorcière. « Est-ce que vous connaissez un endroit sûr où vous pourriez vous cacher pendant quelques temps ? »
Hermione réfléchit un instant. « Oui, je crois savoir où aller… Mais pas sans vous. »
« Miss Granger, nous avons déjà eu cette discussion… »
« Et je vous ai dis ce que j'en pensais !... » s'anima Hermione en s'efforçant de ne pas hausser la voix. « … Qu'est-ce que vous croyez ? Que je vais vous laisser seul, avec ces deux brigands ? »
« Tête de mule… » murmura Rogue entre ses dents et en la fusillant du regard. « Je vous aurais prévenu… »
Les deux bandits s'avancèrent lentement dans leur direction et ils surent que toute retraite discrète leur était coupée. Hermione serrait sa baguette dans sa main, prête à intervenir en cas d'attaque. Heureusement, au même instant, le groupe de marins sortit du pub avec fracas. Tout en riant, ils commencèrent à chanter et à faire un raffut de tous les diables. Immédiatement, des figures solitaires et légèrement vêtues sortirent de l'ombre comme par miracle : c'étaient des prostituées en quête de clients avinés, prêts à dépenser des Gallions pour quelques instants de plaisir. Bentham et son comparse se regardèrent un moment, surpris de cette soudaine affluence féminine dans la ruelle sombre.
Des briquets s'allumèrent dans tous les recoins, y compris celui où Rogue et Hermione se cachaient. Une jeune femme rousse sortit près d'eux après avoir lancé une oeillade marquée au sorcier. Sa tenue donna soudain une idée à Hermione qui laissa tomber rapidement sa robe noire au sol et releva sa jupe. Rogue la regarda avec surprise.
« Qu'est-ce que vous faites ?… »
« Embrassez-moi ! »
« Je vous demande pardon ? »
« Embrassez-moi, je vous dis, et mettez-y de l'entrain ! »
Avec urgence, la sorcière attrapa la nuque de Rogue avant que ce dernier ne proteste et l'attira à elle sans cérémonie. En même temps, elle dévoila une cuisse au galbé superbe qu'elle souleva et passa autour de la taille du sorcier.
Surpris, Rogue sentit des lèvres fraîches chercher les siennes et un corps menu se blottir contre le sien. Pris au dépourvu, il n'eut pas le temps de réfléchir et répondit tant bien que mal à la requête de la jeune femme impulsive.
Hermione commença à se tortiller contre lui en émettant de petits gémissements alors que ses mains s'activaient dans le dos du sorcier. Le cerveau en tumulte, et commençant à peine à comprendre où la jeune sorcière voulait en venir, Rogue agrippa la cuisse d'Hermione et commença à mimer un acte vieux comme le monde en émettant des grognements sourds afin de donner le change... A un moment, il rompit le baiser de la jeune femme pour jeter habilement un bref coup d'œil dans la ruelle et savoir si les deux hommes approchaient. C'était le cas. Il replongea alors le nez dans le cou d'Hermione et inhala presque honteusement l'odeur délicieuse de sa peau.
Ils continuèrent ainsi pendant de longues secondes à se livrer à cette pantomime grotesque pendant que Bentham et son compagnon les observaient en hésitant. Finalement, les deux individus s'éloignèrent du couple en pensant que leurs véritables proies devaient être loin à présent. Bentham émit un juron sonore et tourna le coin de la ruelle en maudissant tous les marins et toutes les femmes de petite vertu du monde en des termes assez colorés...
Severus Rogue avait imaginé mille scenarii avec Hermione Granger, mais celui-là ne faisait pas parti du lot. Il commençait à peine à apprécier la situation lorsque la jeune sorcière le repoussa doucement et se racla la gorge, gênée. Un bref échange de regards chargés de tension, un sourire embarrassé et la jeune femme se recomposa une expression, pendant que Rogue redescendait brutalement sur terre.
« Ils sont partis… » Hermione remit sa baguette magique dans la robe noire et enfila cette dernière. « Désolée… Mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour les éloigner… »
« Très efficace… » Rogue bénit l'obscurité relative de la ruelle qui masquait la rougeur soudaine de son visage et le trouble qu'avait fait naître son commentaire à double sens face aux effets de cette brève étreinte sur une partie très précise de son anatomie. « … Et très impressionnant. Vous êtes une excellente comédienne, Miss Granger » ajouta t'il pour masquer son embarras.
« Merci, mais il faut être deux pour jouer à ce jeu… » répliqua doucement la jeune femme avec un petit sourire.
Rogue la dévisagea de manière incertaine. Flirtait-elle avec lui ou se jouait-elle de lui ? Le sorcier doutait qu'elle eut apprécié cet échange improvisé, maladroit et surtout involontaire. Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet car Hermione s'engageait dans la ruelle.
« Vous venez ? » demanda t'elle en se retournant impatiemment vers lui. « On les suit ! »
« Auriez-vous perdu l'esprit ? » s'exclama Rogue. « Ils cherchent à nous tuer ! »
« Raison de plus pour retrouver Malefoy ! » et elle le laissa planter sous le porche en continuant son chemin.
Rogue courut vers elle et l'arrêta. « Espèce de petite écervelée ! Vous n'allez tout de même pas vous jeter dans la gueule du loup ? »
Le regard qu'Hermione lui renvoya n'exprimait aucune frayeur, rien qu'une force tranquille, une certitude implacable.
« Et pourquoi pas ? Si Malefoy ne vient pas à nous, c'est nous qui irons à lui… »
« Par Merlin, pourquoi vous obstinez vous à aller au devant des problèmes sans réfléchir ? » s'écria le sorcier avec véhémence.
« Parce que je veux anticiper les mouvements de Malefoy pour ne pas me faire surprendre la prochaine fois qu'il enverra ses tueurs… »
« Lucius est quelqu'un d'excessivement prévoyant et patient, Miss Granger » dit-il en tentant de garder son calme. « Ce n'est pas en agissant de manière impulsive et irréfléchie que vous réussirez à déjouer ses plans. »
« Que proposez-vous alors ? De laisser filer la seule chance que nous ayons de le retrouver ? Ces deux hommes vont nous conduire à lui. Profitons-en pendant que nous avons l'avantage de la surprise ! »
Rogue savait qu'elle avait raison. Pourtant, il hésitait à agir de manière inconsidérée car il y avait trop d'inconnues en jeu. Finalement, il secoua la tête.
« C'était une erreur de venir au pub. Nous avons eu tort de croire que Lucius viendrait ce soir. Il vient de reprendre sa liberté et doit soigneusement se cacher, loin des curieux. Si ces deux hommes transplanent pour le rejoindre, je ne pourrai pas vous accompagner. »
« Me laisser y aller seule, c'est ça qui vous inquiète ? »
« Miss Granger, vous pourriez aller au diable que cela ne me ferait ni chaud, ni froid » répliqua Rogue avec son habituel sarcasme et son rictus dédaigneux.
Leurs regards s'affrontèrent quelques instants comme au bon vieux temps. Bien sûr, le sorcier n'aurait jamais admis à voix haute l'éventualité qu'il s'inquiétait pour elle. Seulement Hermione n'était pas dupe maintenant qu'elle le connaissait mieux. Son sens de la chevalerie et de l'honneur prenait toujours le pas sur des considérations rationnelles. Il ne me laissera pas tomber, paria Hermione. Elle hocha simplement la tête et reprit sa marche, déterminée à poursuivre la mission, avec ou sans lui.
« Pourquoi ai-je l'impression de nager dans les problèmes depuis que vous m'avez retrouvé, Miss Granger ? »
Rogue marchait à nouveau à ses côtés, visiblement à contrecoeur. Hermione eut un petit sourire devant son commentaire fataliste. La jeune femme était paradoxalement fière de sa mince victoire sur lui et s'en voulait de lui avoir forcé la main de cette façon. Elle voyait bien à son maintien rigide qu'il ne lui pardonnerait pas facilement cet incident.
Tous deux cheminèrent en silence pendant de longues minutes sur les traces des deux hommes qu'ils apercevaient devant eux par intermittence. A un moment, Rogue la tira par le bras derrière un mur lorsque les deux bandits arrivèrent devant un grand Portail Magique qui scintillait faiblement dans la nuit. Aux yeux des Moldus, ce dernier était invisible et ressemblait à une banale porte cochère. Ils s'engagèrent dessous après avoir jeté un dernier regard en arrière et disparurent, transportés instantanément en un endroit inconnu. Faisant taire sa nervosité, Hermione s'apprêta à les suivre lorsque Rogue la retint à nouveau.
« Attendez, c'est beaucoup trop dangereux… Vous ne savez pas ce qui vous attend de l'autre côté. »
« De quoi avez-vous peur, Severus Rogue ? » demanda t'elle, tendue, en ne le quittant pas des yeux.
Le sorcier eut un mouvement de recul comme si la jeune femme venait de le gifler. Il se mit à pâlir en serrant la mâchoire, puis redressa le torse en serrant les poings :
« Miss Granger, il ne s'agit pas d'un jeu d'enfants où l'on teste le courage et les limites de chacun » gronda Rogue en retenant sa colère. « A deux, nous aurions une chance. Mais seule, vous êtes vulnérable. De plus, vous n'avez aucune expérience de l'infiltration et vous ne connaissez pas Lucius comme je le connais… Croyez-moi, je sais de quoi il est capable, surtout quand il est prêt à tout pour parvenir à ses fins… »
« Et vous ignorez de quoi je suis capable pour parvenir aux miennes… » répliqua la jeune femme à son tour, agacée par les réticences du sorcier.
Severus Rogue éprouva une impression de déjà-vu, alors qu'un signal d'alarme résonnait dans sa tête. Quelque chose n'allait pas. Jamais la jeune femme ne s'était autant montrée vindicative qu'en cet instant.
« Que voulez-vous dire par là ? » demanda Rogue en fronçant les sourcils.
« Ecoutez, je sais que je suis capable de l'affronter... Je le sais, c'est tout, et ne me demandez pas comment… » ajouta t'elle avec détermination en voyant qu'il doutait de ses paroles. Au durcissement du regard de Rogue, elle vit immédiatement qu'elle venait de commettre une erreur stratégique. « … Laissez-moi y aller… » ajouta t'elle en se radoucissant pour essayer de l'amadouer.
« Certainement pas ! » gronda Rogue. Le sorcier tordit le bras de la jeune femme qui essayait de lui échapper en gémissant. « … Vous n'irez nulle part tant que vous ne m'aurez pas donné des explications ! »
« Lâchez-moi, vous me faites mal ! »
« … Donnez-moi les vraies raisons qui vous poussent à agir ainsi… » dit-il en ignorant sa plainte de manière impitoyable.
Une multitude d'expressions apparurent sur le visage de la jeune sorcière qui secoua la tête, soudain aux prises avec sa conscience. Peut-être qu'un jour prochain, elle lui dirait ce qu'elle avait vécu, comment elle s'était consumée de haine dans une lutte contre elle-même et ses instincts, mais pour l'instant, le temps comptait. Il fallait qu'elle retrouve les deux hommes au plus vite.
« Non… Je ne peux pas… pas maintenant… plus tard, peut-être… » dit-elle d'un ton implorant. « Je vous en prie, laissez-moi vous montrer ce que je vaux !… »
Elle semblait si vulnérable en cet instant que Rogue hésita une seconde. S'agissait-il seulement pour elle d'une volonté de faire ses preuves à tous prix ? Il en doutait car il pressentait qu'elle était obsédée par quelque chose qui la rongeait, un sentiment qui lui était familier et auquel il redoutait de donner un nom. Le sorcier la considéra en silence quelques instants.
« Vous avez changé. » dit-il simplement avec une pointe de déception dans la voix.
Hermione ne chercha plus à se débattre et attendit avec appréhension la décision du sorcier. Rogue la regarda intensément, le visage grave. Il n'obtiendrait rien d'elle maintenant en l'intimidant ou en la malmenant.
« Je vais vous laisser y aller puisque vous tenez tant à les suivre… » A ces mots, le visage de la jeune femme s'éclaircit. « … Mais vous allez d'abord me promettre de me révéler pourquoi vous agissez ainsi – dans le moindre détail, j'entends… »
« Mais… »
« … Pas de 'mais' quand je pose mes conditions… » l'interrompit-il d'une voix si glaciale qu'elle ôta à Hermione toute envie de protester à nouveau. Pour la première fois depuis leurs retrouvailles, la jeune femme sentit tout le poids de la présence intimidante de son ancien professeur et une peur familière surgir à nouveau au creux de son estomac alors qu'il continuait : « … Ne commettez pas d'imprudences et au moindre danger, vous revenez ici... Localisez seulement Malefoy et ne vous approchez pas de lui… Je ne veux pas vous voir accomplir de ces actes héroïques et irréfléchis dont seuls les Gryffondors sont les spécialistes… » ajouta t'il avec un dédain non dissimulé. « … Nous sommes bien d'accord sur tous ces points ? »
« D'accord… » répondit-elle d'une voix qui sonna faiblement à ses oreilles.
« Promis ? » insista t'il encore.
« Promis… » souffla t'elle, incapable de regarder le sorcier en face.
« Je ne manquerai pas de vous rappeler votre serment. »
Sans se départir de sa froideur, Rogue lâcha enfin le bras d'Hermione. La jeune femme resta indécise quelques secondes comme si elle voulait ajouter quelque chose, consciente d'avoir déçu le sorcier et fragilisé leur confiance balbutiante. Mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Elle avait forcé sa chance et cela s'était retourné contre elle. Finalement, elle fit quelques pas, puis se retourna :
« A tout à l'heure… »
Rogue hocha simplement la tête et croisa les bras sur sa poitrine en une attitude distante et hautaine. Hermione Granger s'éloigna, chagrinée par sa réaction. Mentalement, le sorcier lui souhaita bonne chance et la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle ait disparu à travers le Portail Magique.
Hermione fit son apparition dans un long corridor silencieux et sombre, éclairé faiblement par quelques candélabres en bronze. Elle était seule, un bon point pour elle, qui avait pris le soin de cacher ses cheveux châtains clairs sous la capuche de sa robe noire. Elle embrassa le décor et remarqua immédiatement les boiseries qui tapissaient les murs et sur lesquelles quelques portraits dormaient. Ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : ici aussi, c'était la nuit. Elle n'avait donc pas changé de continent, ni d'heure et devait toujours se trouver en Angleterre, d'après le style victorien des lieux.
Tout était silencieux, hormis les craquements habituels que seules les vieilles demeures savent produire. Tous les sens en alerte et sa baguette à la main, Hermione avança silencieusement sur l'épais tapis de laine qui recouvrait le vieux parquet du couloir, encombré ça et là de quelques meubles anciens, d'armures et de tapisseries qui représentaient des scènes mythologiques et fantastiques. Vu les hauteurs sous plafond et les vieilles poutres en chêne ancestrales, elle ne pouvait que se trouver dans un château.
Ce n'était pas vraiment une surprise. Les propriétés et les comptes à Gringotts de la famille Malefoy avaient été saisis à la chute de Voldemort, mais une grosse partie de la fortune de Lucius avait échappé aux agents du Ministère de la Magie, surtout les investissements avec des prête-noms dans l'économie Moldue. Malefoy avait toujours eu un don pour les affaires. Du fonds de sa cellule, le Mangemort devait avoir géré ses fonds et les avoir réinvestis discrètement dans diverses affaires juteuses.
Parvenue devant une porte massive, elle essaya de savoir si elle entendait des voix de l'autre côté en collant son oreille au vantail. Rien. Le cœur battant, elle tourna la poignée mais la porte était fermée. Elle devrait recourir à la magie si elle désirait entrer dans la pièce. Après réflexion, Hermione se dit que c'était une mauvaise idée et décida de n'utiliser sa baguette qu'en cas de nécessité. Telle une ombre, elle repartit et se glissa jusqu'à une autre porte avec le même le résultat que précédemment.
Devant elle, à quinze pas, le couloir marquait un angle. Elle avança jusqu'au coin et jeta un coup d'œil discret. Ce corridor-ci était également désert mais son extrémité débouchait sur un escalier. Avec précaution, elle s'engagea dans cette nouvelle portion, en veillant à ne pas s'approcher des fenêtres qui donnaient sur la cour intérieure du château. A la clarté de la lune, elle remarqua les allées et les bassins dans le jardin trois étages plus bas. Elle vit aussi et surtout les pièces du château occupées à cet instant, celles où filtrait de la lumière. Momentanément, elle essaya de les situer. C'est alors qu'elle entendit un bruit de conversations et de pas qui s'amplifiaient. On venait vers elle par l'escalier.
Hermione retourna précipitamment sur ses pas, car le présent corridor n'offrait aucune protection. Quelques minutes auparavant, elle avait remarqué une vieille console, dont les pieds étaient cachés par une lourde étoffe en velours. Ce serait une excellente cachette, à moins que ceux qui approchaient ne disposent d'un chien pour la débusquer.
La sorcière se glissa en effet sous le meuble massif et attendit. Un homme et une femme arrivaient en discutant dans une langue que la sorcière ne reconnut pas. Hermione se mit à réfléchir rapidement. Devait-elle prendre le risque d'écarter le tissu pour les identifier ? Elle entendit un cliquetis de clés et le bruit d'une serrure, alors que l'homme devait inviter sa compagne à entrer. La femme eut un petit rire et répondit sur le même ton. N'y pouvant plus, Hermione écarta avec précaution l'étoffe. Elle mémorisa les traits de la femme inconnue et ne vit pas ceux de l'homme aux cheveux de jais qui lui tournait le dos. Le couple disparut et ferma la porte avec un dernier rire sans la remarquer.
Que faire maintenant ? Elle devait se trouver à l'étage des chambres, et à cette heure de la nuit, d'autres personnes monteraient probablement se coucher. Elle ne pourrait pas s'aventurer dans les couloirs sans être aperçue. Elle frissonna soudain, non pas de peur, mais de froid, car elle venait de sentir un courant d'air glacial dans son cou.
« Minima Lumos » chuchota Hermione.
Une faible lueur jaillit de sa baguette et éclaira son abri de fortune. Hermione découvrit alors la source du courant d'air. C'était une large grille d'aération en laiton. Intriguée, la jeune femme l'observa.
Une idée germa alors dans sa tête et elle souleva la grille le plus doucement possible pour éviter qu'elle grince. Le conduit qu'elle protégeait était assez large pour qu'elle puisse s'y glisser. Après avoir changé sa jupe en un pantalon, elle s'introduisit dans la bouche en rampant sur les genoux et les coudes. La poussière de plusieurs siècles et les toiles d'araignées – le cauchemar de son ami Ron ! – collaient déjà à ses membres.
Elle avança ainsi pendant une quinzaine de mètres. Heureusement qu'elle n'était pas claustrophobe ! Devant elle, la gaine croisait un autre conduit. Elle prit à gauche et continua d'avancer jusqu'à ce qu'elle arrive près d'une autre grille d'aération. Après avoir éteint sa baguette, elle s'en approcha et vit que ce conduit donnait sur l'escalier qu'elle avait aperçu plus tôt. Il lui fallait poursuivre.
En se déplaçant, Hermione soulevait de la poussière qui s'immisçait dans sa gorge et elle toussa à plusieurs reprises en priant pour que personne ne l'entende. Elle passa devant d'autres grilles qui donnaient sur des pièces inoccupées et plongées dans les ténèbres, jusqu'à ce qu'elle se glisse dans un conduit un peu plus large. Devant elle, de la lumière filtrait faiblement au travers de ce qui devait être une bouche d'aération et elle entendit des voix étouffées.
Hermione éteignit sa baguette et progressa lentement en veillant à ne pas signaler sa présence. A mesure qu'elle approchait, les voix enflèrent et des paroles intelligibles lui parvinrent :
« … Non, rien de bien neuf. Vous savez, c'est un travail lent qui risque de me prendre encore un certain temps. »
Une bouche d'aération masquée par des moulures en plâtre se trouvait bien là. Lentement, avec des mouvements calculés, Hermione s'agenouilla et risqua un œil dans la pièce qu'elle dominait et qui s'avérait être un bureau. Bingo, pensa la jeune femme, soudain sur ses gardes.
Toujours aussi arrogant, Lucius Malefoy se tenait appuyé de manière désinvolte contre un secrétaire en acajou alors que son mystérieux interlocuteur était debout, près de la cheminée dans laquelle flambait une bûche énorme. Deux dobermans étaient couchés sur le vaste tapis et ne quittaient pas l'intrus des yeux, n'attendant qu'un geste de leur maître pour se jeter sur l'inconnu.
« Peut-être pourrais-je vous aider ? »
« Non, mon cher Lucius, mieux vaut pour l'instant continuer comme nous avons procédé jusqu'à maintenant. On ne s'y retrouverait plus si nous nous mettions à décrypter le grimoire en même temps. »
« Très bien… » répondit Malefoy avec froideur. Il était clair que cette décision lui déplaisait. « … Nous reprendrons cette conversation plus tard. »
Il s'éloigna du secrétaire, signifiant à son invité que l'entrevue était terminée. L'homme le suivit jusqu'à la porte et lui adressa encore quelques mots :
« Je ne manquerai pas de vous faire part prochainement de mes progrès. »
« Je compte sur vous, Graham. »
« Adieu, Lucius. »
Malefoy hocha la tête et ferma la porte derrière l'homme. Aussitôt, les deux chiens se levèrent et prirent formes humaines. Les deux Animagi n'étaient autre que Jeremy Bentham et son acolyte.
« Devons-nous vous débarrasser de lui ? » demanda Bentham en faisant référence à l'homme qui venait de sortir.
« Non, il peut encore nous être utile. En revanche, une fois que notre affaire en cours sera réglée... » Il désigna les fauteuils aux deux hommes. « … Messieurs, avez-vous de bonnes nouvelles à m'annoncer ? »
« Pas vraiment, Votre Grâce… Il y a eu quelques complications… »
Malefoy se redressa avec raideur et jeta un regard acéré vers les deux hommes, mais resta calme extérieurement.
« Expliquez-moi » dit-il d'un ton froid.
« Tout d'abord, les Moldus ne se sont pas présentés ce soir au rendez-vous. L'homme qui les surveillait est venu m'expliquer que trois d'entre eux avaient subi un sort d'Oubliettes et que le dernier restait introuvable. Quand mon homme est allé à l'herboristerie, Rogue avait pris la poudre d'escampette… »
« Mais votre dernier rapport indiquait qu'il était mourant ! »
« Il l'était, jusqu'à ce qu'une jeune femme lui sauve la vie. »
« Voilà qui nous complique singulièrement la tâche. Qui est-elle ? »
« Nous ignorons son identité. Mais Flavius va la découvrir. » répondit Bentham en adressant un signe vers son compagnon.
Malefoy se leva et commença à arpenter son bureau en s'agitant. Hermione se fit singulièrement plus petite dans son conduit et recula, comme si elle craignait que Lucius la découvre tout à coup.
« Ah oui ? Savez-vous combien de temps et d'argent j'ai consacré à la recherche de ce renégat ? Plus de deux ans... » Malefoy se tourna avec colère vers l'associé de Bentham. « ... Et un homme dont j'ignore tout va le retrouver comme ça... » Il produisit un claquement sec avec ses doigts.
« Vous pouvez faire confiance à Flavius. Pour la traque, je ne connais pas de meilleur limier que lui... » assura Bentham.
« Je ne vous décevrai pas, Votre Grâce... » intervint Flavius. « Je vous amènerai la tête de ce Rogue sur un plateau d'argent... »
A cette évocation sinistre, Hermione se mordilla la lèvre, soudain inquiète de la tournure que prenaient les événements. Malefoy eut un rire mauvais.
« Ah oui ? Jeremy vous a dit qu'il ne fallait pas sous-estimer Severus Rogue ? Il ne s'agit pas d'un quelconque sorcier. Cet homme m'a habilement trompé pendant des années, ainsi que Lord Voldemort. Ses actions souterraines ont causé la perte de notre noble cause. Pire, il a utilisé mon fils contre moi, puis l'a tué. Il est intelligent, brillant, et coriace. »
« Rassurez-vous, j'ai mis Flavius en garde. Il connaît mieux Rogue que sa propre ombre. Il réussira... »
« ... D'autant que je le frapperai quand il s'y attendra le moins... »
Il y eut un silence. Malefoy les regarda avec des yeux dénués de chaleur.
« J'espère pour vous parce qu'il vous en coûtera à tous les deux si vous ne le retrouvez pas rapidement » ajouta Lucius d'une voix chargée de sous-entendus. « Je vous préviens que je ne tolèrerai aucun échec... »
Les deux hommes hochèrent la tête, signifiant par là même que le message était reçu cinq sur cinq.
« Doit-on aussi s'occuper de la femme ? » demanda Bentham.
Il parlait d'elle. Hermione se contracta et réprima un frisson en attendant le verdict de Lucius.
« Oui. Cela lui apprendra à se mêler de ce qui ne la regarde pas. »
« Il sera fait selon vos ordres, votre Grâce » dit Flavius. « Me donnez-vous carte blanche ? »
« Je ne veux rien savoir de vos méthodes. Seul le résultat importe... »
Flavius se leva en souriant, prêt à passer à l'action.
« Je vais lancer mes recherches immédiatement, pendant que la piste est encore chaude. Vous serez informé rapidement de mes avancées. »
Malefoy hocha la tête, signifiant la fin de l'entretien et Flavius quitta la pièce.
« Vous lui faites confiance ? » demanda Malefoy en servant un verre de whisky à Bentham.
« Je l'ai vu à l'oeuvre, Lucius » répondit le complice. « Nous nous sommes rendus mutuellement des services pendant la guerre et je sais que je peux compter sur lui. En outre, j'ai choisi Flavius parce que Rogue ne le connaît pas. Et c'est un Animagus non enregistré. Tous les atouts sont de notre côté. »
Malefoy se versa un verre à son tour et se réinstalla derrière le secrétaire.
« Restez en contact avec lui. Je me méfie de Rogue. »
« Bien, Lucius. »
« Maintenant, passons à notre autre affaire. Où en êtes-vous ? »
« Tout marche à merveille. Nos deux complices sont introduits dans la place. Ils tromperont aisément la vigilance des gardiens et pourront s'approcher suffisamment près de la cible pour l'éliminer au moment opportun. »
« Ils auront le temps de s'enfuir discrètement ? »
« Oui, le sortilège n'agira que cinq minutes après son incantation. Tout le monde croira d'abord à un malaise, avant de se rendre compte que c'est en fait un sortilège. Alors l'assassinat sera revendiqué et votre nom sera sur toutes les lèvres comme vous le souhaitez… »
« Parfait » dit Malefoy avec un sourire mauvais. « Ce maudit Arthur Weasley apprendra à ses dépens qu'on ne se moque pas impunément de Lucius Malefoy... »
Hermione étouffa un cri de surprise et d'horreur. Malefoy projetait de faire assassiner Arthur Weasley, le Ministre de la Magie depuis la fin de la guerre, l'homme qui avait su réunifier la communauté des sorciers, alors dans la tourmente ! Qui aurait cru quatre ans plus tôt, que le placide Arthur, avec ses idées parfois farfelues et son penchant pour les Moldus, aurait été l'homme de la situation ? Dumbledore avait encore une fois vu juste en suggérant un homme pragmatique à la tête du Ministère, un sorcier simple, honnête et travailleur dont la patience et la diplomatie faisaient merveille et qui savaient s'entourer de collaborateurs compétents. Cet attentat risquait de faire basculer dans le chaos une société qui avait déjà du mal à se remettre de la guerre contre les forces du mal.
Hermione se força à respirer profondément pour calmer le rythme des battements de son coeur. Elle devait en savoir plus à tout prix. Les questions s'entrechoquaient dans sa tête. Pourquoi Malefoy voulait-il faire disparaître Arthur Weasley ? Où, quand, comment, le Mangemort comptait-il s'y prendre ? Mais dans les minutes qui suivirent, elle en fut pour ses frais. Pas une seule allusion ne fut faite ou un seul indice prononcé en vue de l'orienter. La conversation entre les deux hommes s'éloigna du sujet qui intéressait la sorcière et partit sur d'autres considérations mineures.
A un moment, Malefoy tira sa montre gousset et consulta l'heure. Il se faisait tard. Bentham comprit le message et salua le Mangemort. Les deux hommes se séparèrent. Lucius rangea quelques papiers alors qu'Hermione ne le quittait pas des yeux en se morfondant, puis il quitta le bureau quelques minutes plus tard en éteignant le feu dans la cheminée et les bougies, avec visiblement l'intention de ne pas revenir travailler.
Restée seule, Hermione attendit encore un instant avant de pousser la grille d'aération. A quatre mètres sous le conduit se trouvait un canapé. Elle sauta et sa chute fut amortie par les coussins. Méticuleusement, la jeune sorcière entreprit de fouiller le secrétaire de Malefoy, là où il lui avait semblé que Lucius avait caché les documents. En vain, car sa quête de papiers compromettants ne donna rien.
Quelque part dans le bureau devait se trouver un coffre-fort soigneusement dissimulé et protégé par de puissants charmes de protection. Si elle se fiait à la personnalité paranoïaque de Malefoy, il devait être dangereux, voire mortel, de tenter de l'ouvrir. Malgré cela, elle chercha à le localiser... et le trouva derrière la bibliothèque en éprouvant un fort sentiment d'attraction. Elle ne connaissait que trop bien cette sensation et s'en méfiait comme de la peste depuis qu'elle avait failli y succomber : de la Magie Noire.
L'Oeil de Vénus réagit violemment, comme à chaque fois qu'un danger se présentait sous la forme d'un sortilège détourné. Hermione n'insista pas et opta pour la prudence. Il ne fallait pas qu'elle se fasse prendre avant d'avoir transmis l'information capitale qu'elle venait d'apprendre. Avec regret tout de même, elle jeta un dernier regard en arrière et se dirigea vers la cheminée.
La poudre de cheminette l'emmena directement dans un centre de transplanage à proximité de l'endroit où elle avait laissé Rogue. Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre la rue où il devait se trouver.
Rogue l'attendait dans la même posture distante et froide que lorsqu'elle l'avait quitté. Le sorcier ne trahit aucune émotion quand il la vit arriver, même s'il remarqua immédiatement son agitation.
« Il faut que nous parlions. J'ai vu et entendu des choses qui… »
« Pas ici » dit-il brièvement en la tirant par le bras. « Marchons. »
Rogue l'entraîna en silence au travers d'un dédale de rues. Hermione perdit rapidement pied et ne chercha plus à s'orienter. Où le sorcier l'emmenait-elle ?
Arrivés devant une maison anonyme où ne perçait aucune lumière, ils s'immobilisèrent. A la lumière de l'éclairage public, Hermione constata l'état délabré des lieux extérieurs avec la peinture écaillée de la façade et le jardin où poussaient des herbes folles et des ronces. La maison semblait être à l'abandon. Rogue s'approcha de la porte et sans hésitation, donna un violent coup d'épaule contre le chambranle, qui ne résista pas. Il n'eut plus qu'à pousser le battant.
« J'ai oublié le mot de passe... » dit-il simplement en lui faisant signe d'entrer rapidement.
Hermione le regarda avec stupéfaction, mais ne fit aucun commentaire. A l'intérieur, cela sentait l'humidité et le renfermé. Elle n'y voyait rien et entendit Rogue s'affairer dans son dos. Le sorcier craqua une allumette et alluma une vieille bougie à demi consumée.
« Venez. »
« C'est à vous ? »
« Non, à un vieil ami, mais il n'en a plus l'usage » se contenta de répondre Rogue.
Intriguée, Hermione le suivit à l'intérieur de la maison qui était en aussi mauvais état que l'extérieur. Ils traversèrent deux pièces vides de tous meubles, avant d'entrer dans ce qui semblait être le salon. Dans cette petite pièce, il n'y avait aucune fenêtre. Rogue s'agenouilla immédiatement devant la cheminée et entreprit d'allumer un feu en plaçant de petites branches et une bûche au centre de l'âtre. Il finit par jurer à voix basse quand le bois humide refusa de s'enflammer. Hermione l'arrêta en posant une main sur son épaule.
« Laissez-moi faire... » dit doucement la sorcière. « ... Incendiare. »
Immédiatement, le bois s'embrasa et commença à réchauffer l'âtre froid. Hermione tourna la tête vers Rogue et l'observa, alors que les flammes dansaient sur son profil d'aigle. Le visage du sorcier ne trahissait aucune émotion mais elle sentait qu'il était désoeuvré et amer. Tous les gestes Moldus qu'il produisait à la place du moindre sort – surtout ceux d'une simplicité enfantine - lui rappelaient en permanence ses propres limites. C'était sans doute la raison première pour laquelle il avait quitté le monde des sorciers, mais certainement pas la seule.
Hermione choisit de ne pas lui poser de questions. Elle fit le tour du salon avec ses yeux. Une petite table couverte de poussières et des chaises en piteux état se trouvaient à sa droite. Devant elle, il y avait un vieux canapé en cuir sur lequel un plaid usé jusqu'à la corde avait été jeté à la hâte, et un fauteuil dont le crin dépassait du coussin en velours fané. Un buffet immense trônait contre le mur à sa gauche. Elle s'en approcha. Des tas d'objets hétéroclites s'y trouvaient, eux aussi sous une pellicule de poussière. Elle prit un cadre qui contenait une photo jaunie. Les personnages s'animèrent et lui sourirent comme s'ils n'attendaient que cela. Elle ne reconnut personne de sa connaissance. Son regard s'attarda ensuite sur un vieux cendrier contenant encore des cendres de tabac, des pots de diverses formes, des chandelles éteintes depuis longtemps, un vieux numéro de la Gazette du Sorcier... Hermione fronça soudain les sourcils en reconnaissant un objet familier appuyé contre le mur.
« Mais c'est la canne de Maugrey Fol Oeil ! Qu'est-ce qu'elle fait ici ? » demanda Hermione, avant de comprendre soudain. « Cette maison était la sienne ! »
« Exact. Nous y tenions des réunions secrètes de l'Ordre... autrefois. »
Rogue s'était redressé et balayait la pièce du regard, presque avec nostalgie. Hermione considéra ses paroles et eut une intuition.
« C'est dans cette maison que vous vous êtes caché avant de quitter le monde des sorciers, n'est-ce pas ? Vous étiez sûr que personne ne penserait à venir vous chercher ici... » »
« Bravo... » murmura Rogue. « On ne peut rien vous cacher... »
« Pourquoi nous avez-vous fait croire que vous étiez mort ? Si vous étiez revenu, nous vous aurions aidé... »
Rogue secoua lentement la tête. « Je ne voulais pas qu'on m'aide. Je voulais disparaître et tenter d'oublier... »
Hermione s'approcha de lui. C'était tellement typique de lui, cette volonté de se débrouiller seul quand il avait des ennuis. Il fallait vraiment des circonstances extraordinaires pour qu'il se confie à quelqu'un. Rogue avait baissé la tête et contemplait farouchement le feu. Elle voulut dire quelque chose pour l'assurer de son soutien, mais il releva brusquement la tête et d'un regard tranchant, coupa court à toute discussion.
« Vous vouliez me dire quelque chose d'important ? » demanda t'il d'un ton brutal.
Son soudain changement d'humeur la déstabilisa quelque peu, mais Hermione prit sur elle de ne pas réagir. Il n'était visiblement pas encore prêt à aborder certains sujets sensibles.
« Oui, j'ai appris de la bouche de Lucius Malefoy qu'il projetait d'assassiner Arthur Weasley. »
« Quoi ?... Quand cela ? »
« Je l'ignore. Comme j'ignore l'endroit et la manière dont il compte s'y prendre. »
Hermione lui fit le récit de ce qu'elle avait vu et entendu. A mesure qu'elle dévoilait l'histoire, elle vit Rogue se renfrogner.
« Il faut que nous avertissions le Ministère » conclut-elle. « Cela nous dépasse. »
Le sorcier resta silencieux quelques secondes.
« Vous ne dites rien ? »
« Miss Granger, Arthur est un homme très occupé. Je doute qu'il nous accorde toute son attention si nous n'avons pas plus d'informations à lui fournir. Malefoy et ses complices peuvent frapper n'importe quand, n'importe où. »
« Je sais. » Hermione parut frustrée et impuissante. « Bon sang ! »
« Ne soyez pas désolée. Vous avez fait du bon travail pour une espionne amateur. Nous savons qu'il existe un complot pour tuer Arthur et nous sommes tous les deux fixés sur notre sort. Ce que Lucius ne sait pas, c'est que l'on est au courant. Il ne faut pas qu'on perde cet avantage... »
Le sorcier avait retrouvé toute sa combativité et réfléchissait. Hermione eut une idée.
« Et si j'en parlais à Remus ? »
« Vous seriez amenée à évoquer les circonstances dans lesquelles vous m'avez retrouvé. Cela générerait plus de problèmes que cela n'en résoudrait, vous ne croyez pas ? »
« Vous avez raison... Qu'est-ce qu'on fait alors ? »
« Nous avons malheureusement deux problèmes distincts : Flavius et Arthur... Le premier, j'en fais mon affaire. Quand au second, il faut retourner espionner Malefoy, je le crains... » Il contempla ses mains inutiles et dit rageusement « Ah ! Si seulement... »
« David ! » s'écria Hermione.
« David ? »
« David est le médicomage dont je vous ai parlé et qui peut vous aider. Nous pouvons aller le voir tout de suite. »
« Je ne suis pas sûr qu'il appréciera notre venue à cette heure tardive... »
« David est un bourreau de travail et ne se couche jamais avant deux heures du matin. »
« Vous semblez bien le connaître... »
« C'est mon ex-petit ami. »
Rogue accueillit ces paroles avec stoïcisme, même si son coeur manqua un battement. Voilà un détail auquel il ne s'attendait pas et qui lui rappela combien la vie continuait d'être cruelle avec lui. Il regarda Hermione s'animer devant lui en essayant de le convaincre et eut un faible sourire. C'était l'Hermione Granger dont il se souvenait. Passionnée, enthousiaste, fougueuse... Et à cette Hermione là, il ne pouvait rien refuser...
Il se leva, prêt à la suivre. Elle prit la poudre de cheminette dans le pot sur le manteau de la cheminée et s'apprêta à la lancer dans le feu, lorsque Rogue arrêta son geste.
« Une dernière précision. A dater de ce jour, je m'appelle William d'Arcy. Tâchez de vous en souvenir quand vous me présenterez à votre ami... »
A suivre...
Enfin un nouveau chapitre très long ! Je suis toute contente d'en avoir terminé. Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre si longtemps, chères lectrices et camarades de plume, mais j'ai dû m'y reprendre à trois fois car ce que j'écrivais ne me satisfaisait pas. Ben oui, c'est comme ça parfois !
Quoi de neuf ? Et bien, pour la première fois, je sais assez précisément comment ça va se terminer. Selon toute probabilité, cette histoire devrait comporter pas loin de trente chapitres, et va bien se terminer. Toutefois, il va falloir faire preuve de patience avant d'avoir un 'vrai baiser'... (Je ne vais pas me faire d'amies, je le sens !)
Rien de spécial dans ce chapitre, à part l'histoire des marins et des prostituées, inspirée par une pub de Jean Paul Gauthier pour son parfum 'Le Mâle'. Quand à l'attitude d'Hermione, c'est un vieux truc que j'ai vu dans un film et qui m'a toujours plu... Severus ne devrait pas trop m'en vouloir, vu qu'il en profite tout de même un peu...
Sinon, j'ai failli appeler les deux dobermans, Zeus et Apollon... Lucius Malefoy en Higgins ! Rien que l'idée ! LOL
Le prochain chapitre ne devrait pas être posté avant quelques semaines, j'en ai peur, car il devrait être aussi long que celui-ci... Je vous tiens informée via le groupe de mes progrès. Promis.
Merci d'avance pour tous vos commentaires. J'adore ce genre de pression !
Bises. Nad
