Bonsoir à tous ! Me revoilà pour la suite des révélations ! Le monde digital n'aura bientôt plus de secrets pour vous :)

Encore merci à tous les lecteurs qui suivent cette histoire, ça me fait très plaisir de voir le nombre de visiteurs à chaque nouveau update. J'espère que ce chapitre vous plaira !


Chapitre 45

Le cœur des Enfants Élus se mit à battre plus fort. M. Nishijima cilla : ainsi, Yggdrasil ne leur avait pas menti. Il avait bien été créé avant Homeostasis, il avait bien été le premier dieu du digimonde. Qu'avait-il pu se passer pour qu'il en devienne l'ennemi ? Avant qu'il n'ait eu le loisir de développer sa pensée, les cubes de données s'agitèrent de nouveau autour d'eux. Ils noyèrent l'atmosphère sous un rideau de couleurs qui ne se leva que pour leur dévoiler un autre épisode du passé.

Encore une fois, ils se trouvaient dans le laboratoire. Gennai et Hayato étaient toujours présents et leur visage n'avait guère changé : cette scène devait s'être produite peu de temps après la précédente. Ils manifestaient tous deux des signes d'excitation visibles.

– Yggdrasil est impressionnant ! s'exclama Gennai. Cela ne fait que sept jours que nous l'avons conçu, mais il a déjà donné vie à tout le digimonde !

– Il a interprété les programmes de nos ordinateurs pour faire du monde digital une copie presque parfaite de la Terre, confirma Hayato. Les continents Serveur, Folder et WWW ainsi que les îles des Fichiers Binaires et de la Mer du Nord sont saisissants de vérité …

– Même si nous savons que ce ne sont que des reproductions virtuelles, c'est impressionnant. Mais … es-tu certain que nous avons pris la bonne décision ?

– À propos de quoi ?

– À propos d'Yggdrasil. Pour qu'il gouverne mieux le monde digital, tu as insisté pour qu'il ne sache pas qu'il est un programme informatique, pour qu'il ignore qu'il a été créé par les hommes …

– Je veux que le monde digital soit autonome, décréta fermement Hayato. Si Yggdrasil pense être le seul dieu du monde digital, je suis persuadé qu'il le dirigera mieux. Je veux qu'il croie que son monde est le seul qui soit, pour qu'il le rende le plus beau possible.

Gennai paraissait dubitatif, mais il n'insista pas. Hayato ajouta, enthousiaste :

– Quant à la virtualisation des âmes, ça y est, je crois détenir la clé du programme.

– C'est vrai ? s'exclama Gennai.

– Oui. La qualcorite nous donne la puissance suffisante pour réaliser l'opération. Mais avant d'envoyer des êtres humains dans le monde digital, je voudrais vérifier que la vie soit bien possible dans le monde qu'a créé Yggdrasil.

– Comment comptes-tu faire ça ?

– Eh bien, si je réussis à virtualiser une seule âme, je pourrais m'en servir comme base pour créer des variantes de séquences informatiques. Je mettrai ces âmes transformées en code binaire à disposition d'Yggdrasil, qui pourra alors les insuffler à des êtres vivants …

– Attends … tu veux qu'Yggdrasil crée des êtres vivants ?

– Oui. Je ne veux pas faire courir de risque à notre peuple. Avant d'envoyer des hommes dans le monde digital, je veux m'assurer que celui-ci réunit toutes les conditions permettant d'y vivre. Si Yggdrasil crée des êtres vivants dotés d'une âme, nous pourrons rapidement évaluer si les conditions du monde digital sont favorables à une occupation humaine.

– Oui, tu as raison …

– Et puis … je t'avoue également être très curieux de voir à quelles créatures Yggdrasil pourrait donner le jour. En se débrouillant bien, il devrait pouvoir créer une infinité d'âmes différentes et ainsi doter chaque être auquel il insufflera la vie d'une identité propre.

– En somme … tu voudrais qu'Yggdrasil crée des … monstres digitaux ?

– Oui.

Gennai dévisagea intensément son collègue.

– Tu as bien réfléchi. Si ces créatures se développent sans problème dans le monde digital, ce sera la preuve que nous pouvons y envoyer des humains. Il faudrait trouver un nom à cette espèce, tu ne crois pas ?

– Tu as une idée ?

– Que dirais-tu de … digimon ?

Les Enfants Élus sursautèrent, bouche bée. Assis à son bureau, Hayato cligna des yeux.

– Digimons, répéta-t-il. Ce seront les premiers êtres vivants du digimonde ...

Les partenaires des adolescents fixaient alternativement Gennai et Hayato, médusés.

– Ils parlent bien de nous, n'est-ce pas …? murmura Agumon.

– C'est Gennai et son ami … commença Patamon, stupéfié.

– … qui nous ont créés ? acheva Piyomon.

– Nous étions une expérience … ? souffla Tailmon.

– … pour tester la vie dans le monde digital ? compléta Tentomon.

– Je n'arrive pas à y croire, déclara Gabumon.

À ce moment, le Gennai du passé dit à Hayato :

– Tu as dit que tu avais besoin de virtualiser un premier être humain pour obtenir une version numérique de son âme qui puisse servir de base au développement des âmes des digimons.

– C'est vrai, acquiesça Hayato. Mais je ne sais pas encore où trouver cette personne.

– Et si … j'accepte d'être le premier que tu enverras dans le digimonde ?

Hayato releva la tête et dévisagea Gennai, surpris et touché.

– Tu … tu accepterais de prendre un tel risque ? D'être le … premier à tester mon processus ?

– C'est notre projet, non ? C'est à nous d'en assumer les risques.

Les deux hommes se dévisagèrent, puis se sourirent. Hayato acquiesça. Il se leva et se dirigea vers l'un des murs de la salle contre lequel était appuyé un immense objet plat et rectangulaire, recouvert par une toile. Hayato tira le drap et un écran gigantesque se dévoila : il couvrait tout le mur du sol au plafond. Un rond métallique doré brillait dans le cadre qui formait son pourtour : les Enfants Élus reconnurent immédiatement la qualcorite. Hayato se tourna vers Gennai et déclara :

– Voici le portail qui a été monté par nos collaborateurs ces dernières semaines. C'est grâce à lui que je devrais pouvoir transférer des êtres vivants dans le digimonde. Il est alimenté par un morceau de qualcorite qui lui fournit l'énergie nécessaire pour la virtualisation de l'âme.

– Impressionnant, commenta Gennai. Et concrètement, que va-t-il se passer quand tu l'activeras ?

– Les atomes de ton corps seront scindés et l'énergie de ton âme analysée, pour ensuite être recréés dans le digimonde sous forme de données.

– Et … mon corps physique, qu'adviendra-t-il de lui ?

– Il sera détruit.

– Comment ça, détruit ?!

– Ne t'inquiète pas, ce n'est pas définitif ! Enfin, en principe …

– En principe ?

– Eh bien, lorsque j'enclencherai le processus inverse pour te ramener sur Terre, les données de ton enveloppe numérique seront reconverties en matière pour former des atomes. Ceux-ci fusionneront alors pour que tu retrouves ton corps.

– Donc … je récupérerai tous mes membres ?

– Oui, normalement.

– Comment ça, normalement ?!

– Je n'ai encore jamais testé ce processus, je te dis ! Sachant tout ça, est-ce que … est-ce que tu es toujours partant pour l'essayer ?

Gennai observa longuement l'imposant écran blanc qui lui faisait face, hésitant. Ses sourcils se froncèrent. Il serra les poings, le courage s'alluma dans son regard :

– Allons-y.

– Vrai… vraiment ? bégaya Hayato, admiratif devant le courage de son ami. Dans ce cas, reste simplement devant cet écran et laisse-moi faire le reste.

Hayato retourna s'asseoir à son bureau et commença à mettre en route plusieurs programmes. Gennai, fébrile, fixait l'écran avec un mélange d'appréhension et d'excitation. Hayato appuya sur la touche « entrée ». À cet instant, une intense lumière jaillit de l'écran et enveloppa Gennai. Sous les yeux médusés des Enfants Élus, son corps commença à se dissoudre, comme s'il tombait en poussière. Quand la lumière éclatante s'éteignit, il avait disparu.

Hayato s'approcha de son ordinateur et scruta le programme, nerveux. On lisait une tension extrême sur son visage et un filet de sueur perlait à ses tempes. L'idée d'avoir échoué dans son expérience devait le terroriser, songea Koushiro. À cet instant, le regard d'Hayato brilla et il s'écria :

– J'ai réussi ! Gennai est dans le digimonde ! J'ai … j'ai virtualisé une âme ! Je n'arrive pas à y croire …

Pendant plusieurs minutes, il demeura immobile face à son écran, comme s'il mesurait l'étendue de l'exploit scientifique qu'il venait de réaliser ; son regard s'était échappé vers les rêves et nouveaux projets que lui ouvrait ce premier succès. Puis, il revint brusquement à la réalité et se mit à pianoter rapidement sur son clavier. Il appuya sur la touche « entrée » et l'écran qui avait happé Gennai s'éclaira de nouveau : les contours flous d'une silhouette apparurent lentement dans la clarté, reprenant peu à peu une consistance matérielle.

La lumière s'évanouit alors et Gennai tomba à genoux dans le laboratoire, indemne. Son regard demeura vague quelques instants, il semblait un peu hébété. Enfin, il revint à lui et releva la tête. Son regard croisa celui de Hayato. Ce dernier lut dans les yeux de son ami un émerveillement sans bornes. Gennai murmura gravement :

– Le monde digital est magnifique.

Les deux hommes se dévisagèrent et sourirent. La fierté étirait leurs lèvres.

– Cela ressemble vraiment à la Terre ? demanda Hayato à mi-voix.

– Oui … mais avec des couleurs plus vives, des forêts pastels, une eau pure … vraiment, c'était éblouissant.

– Gennai, j'ai réussi … j'ai réussi à virtualiser ton âme et à isoler ses données lorsque tu te trouvais dans le monde digital.

Les yeux de Gennai s'écarquillèrent.

– C'est vrai ? Alors … tu vas pouvoir en créer des variantes ?

– Oui ! Dès que j'aurai fait cela, je mettrai ces séquences binaires à la disposition d'Yggdrasil.

– Tu veux dire qu'il va bientôt pouvoir …

– Donner vie aux digimons, exactement !

Donner vie aux digimons … la voix d'Hayato se répéta en écho dans le laboratoire alors que les cubes de données submergeaient de nouveau la scène sous une cascade de couleurs. Le monde éclatant de blancheur et de silence réapparut autour des Enfants Élus. Seule la chute aux tintements aquatiques des cubes troublaient l'atmosphère de ce lieu immaculé.

Les adolescents, M. Nishijima, M. Mochizuki et M. Tagaya gardèrent le silence pendant quelques minutes, sidérés parce qu'ils venaient de découvrir ; mais c'était pour les digimons que l'émotion était la plus forte. Ils venaient d'assister à la création de leur espèce : ils savaient maintenant qu'ils possédaient une âme, au même titre que les êtres humains.

– C'est incroyable, lâcha finalement Tailmon. Grâce à votre âme, Gennai, vous en avez créé des milliers d'autres … et ce sont ces âmes qui nous permettent de vivre.

– C'est vrai, acquiesça Veemon. Si vous ne vous étiez pas proposé comme … cobaye, pardonnez-moi le terme, nous n'existerions pas. Merci à vous, Gennai.

– Merci, renchérirent les autres digimons.

Un silence ému suivit leurs paroles, pendant lequel les Enfants Élus repassaient en boucle les scènes extraordinaires auxquelles ils venaient d'assister. Des scènes qui s'étaient déroulées douze mille ans auparavant. C'était à peine croyable. Finalement, Gomamon déclara :

– Moi, ce que je trouve encore plus bizarre, c'est de savoir que les digimons ont été créés par Yggdrasil à partir des programmes que lui ont offerts les hommes.

– Yggdrasil était le véritable dieu du monde digital, acquiesça Yamato. On a du mal à se l'imaginer …

Agumon, de coutume si enclin à plaisanter, paraissait à cet instant grave. Le souvenir de Black Wargreymon, un de leurs anciens ennemis, venait de ressurgir dans son esprit. Black Wargreymon avait été créé par Arukenimon, un mauvais digimon contre laquelle les Enfants Élus avaient dû se battre trois ans auparavant. Bras droit d'Arukenimon, il devait la soutenir dans son entreprise pour faire renaître le mal. Toutefois, il avait échappé au contrôle de sa créatrice et s'était enfui. Ne trouvant pas de sens à son existence, il avait alors laissé libre cours à une folie destructrice qui avait terrorisé tous les habitants du digimon. Le plus grand des hasards avait conduit Agumon à rencontrer ce géant sombre et torturé. Agumon avait écouté ses questions, et pour l'un des rares fois de sa vie, il avait eu une discussion sérieuse avec lui, presque philosophique. Il avait essayé de faire comprendre à Black Wargreymon que s'il était né, il devait nécessairement posséder ce souffle de vie qui caractérise tous les êtres vivants. Il avait employé le terme de cœur, mais il savait désormais qu'il s'agissait de leur âme. Black Wargreymon, comme tous les digimons, avait vécu grâce à cette âme qui faisait d'eux bien plus que de simples programmes informatiques.

– Gennai, dit alors Sora en levant la tête. Vous vouliez faire du monde digital une planète idéale pour sauver votre peuple de la montée des mers, c'est bien cela ?

– Au départ, tel était notre projet, en effet.

– C'était un but louable, reconnut M. Nishijima.

– Mais aujourd'hui, plus aucun homme ne vit dans le digimonde, souligna Taichi. Que s'est-il passé ?

– Et comment Yggdrasil a-t-il pu devenir le seigneur des ténèbres que nous connaissons ? ajouta Ken.

Ils devinèrent que Gennai émettait un long soupir. Puis, il prit une grande inspiration et déclara :

– Après avoir virtualisé mon âme, mon collègue l'a transformée en séquence binaire dont il a créé des variantes qu'il a mises à la disposition d'Yggdrasil. Celui-ci, sans savoir de quoi il s'agissait réellement, les utilisées et démultipliées, en changeant à chaque fois une infime partie de leur code pour que chaque âme soit unique. Puis, il a donné vie aux digimons grâce à elles. Les premiers d'entre eux sont nés et ont vécu sans problème dans le monde digital. Pour maintenir la paix dans son monde, Yggdrasil a également créé treize digimons plus puissants qu'il a nommés les chevaliers royaux : parmi eux se trouvaient Alphamon et Jesmon.

– Alphamon ? répéta Miyako. Alors, il existe depuis tout ce temps ?

– Oui.

– Et Jesmon, la forme la plus évoluée d'Hackmon, a aussi été créée à cette époque ? dit Joe. Pourtant, Jesmon ne sert-il pas Homeostasis ?

– Aujourd'hui si, mais à l'époque Homeostasis n'existait pas encore. En tout cas, les premiers digimons et les chevaliers royaux nous ont démontré que la vie était possible dans le monde digital. Nous avons donc commencé à y envoyer les premières familles Jomon qui se sont portées volontaires. Peu à peu, une population dense s'est développée dans le digimonde. Elle a bâti des villes et des industries.

Les yeux de Koushiro s'écarquillèrent.

– Vous voulez dire que … que tous les lieux qui ressemblaient à des aménagements humains que nous avons pu traverser dans le monde digital … ont vraiment été construits par des hommes ?

– Oui.

– Alors, toutes les usines, les palais, la ligne de chemin de fer … commença Mimi.

– … tout ça, ce sont des restes de l'occupation humaine du digimonde ? comprit Takeru.

– Oui, confirma Gennai. Quant à ce que vous appelez « alphabet digimon », il s'agit en fait de l'ancienne écriture de la civilisation Jomon.

– Et les premiers digimons ? demanda alors Ryudamon. Ont-ils rencontré les Jomons ?

– Oui, assez vite. D'abord, ils sont demeurés assez méfiants les uns envers les autres, d'autant que les digimons avaient été la première faune du monde digital. Ils ne savaient rien des humains qui débarquaient sur leur planète. Cependant, ils ont su peu à peu s'apprivoiser mutuellement. Les hommes les respectaient et les digimons ont commencé à les aider, à tisser des liens avec eux. Et puis … quelques temps après l'arrivée des premiers humains dans le monde digital, une chose incroyable s'est produite, une chose que nous n'avions pas prévue avec Hayato …

– Laquelle ? demanda Veemon.

– Les lois physiques qui régissent le digimonde sont sensiblement les mêmes que sur la Terre, expliqua Gennai. Il existe cependant quelques différences : si un être humain meurt dans le digimonde, les données qui forment son corps numériques sont désintégrées, et son âme également. Le processus vital est différent pour les digimons : lorsque ceux-ci meurent, vous savez qu'ils renaissent sous forme de digi-œufs.

– Oui, c'est ce qui est arrivé à Patamon, acquiesça Takeru.

– Et à Wormon, renchérit Ken.

– En effet, les digimons ne disparaissent jamais vraiment, confirma Gennai.

– À l'exception des mauvais digimons que nous avons vaincus par le passé, souligna Koushiro. Pourquoi ne suivent-ils pas le même processus vital que les autres digimons ? L'aviez-vous prévu ainsi, vous et votre collègue ?

– Au départ, il ne devait pas y avoir de mauvais digimons, dit sombrement la voix de Gennai. Par la suite, les choses se sont passées d'une autre manière, mais ce n'est pas encore le moment de vous expliquer cela. Je dois d'abord vous parler de cet évènement qui a bouleversé la relation des humains et des digimons, peu de temps après les premiers peuplements. Je vous ai parlé du processus de vie normale d'un digimon tel que nous l'avions conçu mon collègue et moi, et tel qu'Yggdrasil l'a concrétisé. Dans ce cycle de vie, les digimons n'étaient censé connaître que trois formes d'évolution : un stade bébé, un stade intermédiaire, et enfin un stade entraînement, qui est celui auquel se trouve vos digimons en ce moment. Cela correspondait à trois étapes de leur vie. Cependant, quand les êtres humains ont commencé à habiter le monde digital et qu'ils se sont liés d'amitié avec les digimons, quelque chose que nous n'avions pas imaginée est survenue. Regardez.

Les cubes de données qui flottaient en apesanteur s'agitèrent soudain. Un feu d'artifice de couleurs en jaillit et tapissa toutes les parois claires du monde blanc, pour ensuite dévoiler une nouvelle scène aux Enfants Élus. Ils se retrouvèrent en bord de mer ; si la nature environnante ressemblait à celle de la Terre, ils reconnurent le monde digital aux couleurs pastel de la végétation. Un couple avait déplié une grande nappe sur la plage pour y pique-niquer. Au bord de l'eau, deux petits garçons en maillot de bain, leurs fils probablement, sautaient dans les vagues. Avec surprise, les adolescents se rendirent compte qu'un digimon jouait avec eux.

– Ça alors, c'est un Gomamon ! s'exclama Joe.

C'était vrai. Le Gomamon bondit hors de l'eau et cria à l'un des garçons :

– Hako, je paris que tu ne peux pas rester sous l'eau en retenant ta respiration au passage de la vague !

– Ah, vraiment, tu crois ça ? C'est ce qu'on va voir ! répliqua l'enfant.

Il s'accroupit dans l'eau, attendant la prochaine vague sous laquelle il s'immergerait. Bientôt, un gros rouleau se forma à une centaine de mètres de la rive et avança en grondant. L'enfant se pinça le nez, prêt à plonger … et disparut sous les flots.

– Wouah, il l'a fait ! s'exclama le Gomamon du passé, impressionné.

Cependant, alors que la vague refluait vers le large, l'enfant ne refit pas surface. Sur le sable, sa mère s'était levée, inquiète.

– Gomamon, où est Hako ? demanda-t-elle.

– Je … je ne sais pas, bafouilla le digimon, dont l'expression devenait de plus en plus angoissée. On jouait, et puis il a plongé, et …

À ce moment, un cri aigu leur parvint :

– Papa ! Maman !

Tous tournèrent la tête et virent le petit garçon à plusieurs dizaines de mètres du rivage, balloté par le courant qui l'emportait vers le large.

– Hako ! s'écria sa mère, terrifiée.

La mer, à mesure que l'on s'éloignait de la terre, devenait plus mouvementée. L'enfant peinait à maintenir sa tête hors de l'eau et un rouleau progressait vers lui, sous les yeux horrifiés de ses parents, de son frère et de Gomamon. La vague l'avala brusquement et il fut submergé.

– Hako ! s'écria alors Gomamon en s'élançant dans l'eau.

Au même moment, le corps du digimon s'illumina. Les yeux des Enfants Élus et de leur partenaire s'écarquillèrent, comprenant ce qui était en train de se produire. Quand Gomamon creva la surface, il s'était métamorphosé en Ikkakumon. Il plongea de nouveau et quand il resurgit, l'enfant qui avait été emporté par le reflux se trouvait sur son dos. Il le ramena sur la rive où ses parents se précipitèrent pour le prendre dans ses bras.

– Mon chéri, ça va, tu n'as rien ? demanda sa mère en le serrant contre elle.

– Tu nous as fait peur ! renchérit son père.

Une lueur claire enveloppa alors le corps d'Ikkakumon et il régressa en Gomamon. Les parents, Hako et son frère se retournèrent et fixèrent le digimon, stupéfaits. Le Gomamon lui-même ne semblait pas en revenir de ce qui lui était arrivé.

À l'arrière de cette scène, les Enfants Élus et leurs partenaires clignèrent des yeux, bouche bée.

– C'était … la première digivolution, n'est-ce pas ? souffla M. Nishijima.

– Tout à fait, acquiesça la voix de Gennai. Ce digimon, en raison de l'amitié qui le liait à cet enfant, a pu évoluer pour lui porter secours. Quand nous avons appris cet incident, mon collègue et moi avons étudié ce phénomène de près, car nous ne saisissions pas comment il était possible.

– Et vous avez trouvé ? demanda Daisuke.

– Oui. En fait, cela était très logique : les digimons avaient accédé à la vie grâce aux âmes qu'Yggdrasil avait créées sous forme numérique. L'existence des digimons était donc liée à la nôtre, et s'ils développaient une relation forte avec un être humain, ils pouvaient devenir plus forts pour les protéger en cas de danger, comme nos forces sont capables de se décupler pour protéger quelqu'un que nous aimons. À partir de ce moment-là, d'autres digimons ont pu se digivolver grâce aux humains. Une relation harmonieuse s'est développée entre eux et les hommes ont commencé à avoir ce que vous appelleriez aujourd'hui des « partenaires ».

Meiko se rappela alors de la photo qu'ils avaient trouvée dans les ruines de la bulle virtuelle.

– La famille, sur cette photo … les digimons qui posaient avec eux étaient leurs partenaires, n'est-ce pas ?

– Oui, acquiesça Gennai.

– Un monde digital où les hommes et les digimons vivaient ensemble, en harmonie, souffla Hikari. Ce devait être merveilleux … pourquoi tout cela s'est arrêté ?

La voix de Gennai ne répondit pas immédiatement. Quand à nouveau elle résonna, la tristesse étouffait ses mots :

– À cause d'Yggdrasil.

Les cubes de données s'agitèrent de nouveau autour des Enfants Élus en s'entrecroisant comme les danseurs d'un ballet. La plage disparut pour céder le pas à des arbres vigoureux, des fleurs parfumées et un soleil chaud qui réveillèrent tous les sens des adolescents. Derrière eux s'éleva la lisière d'une forêt ; devant eux se déroula une longue prairie verdoyante. Sur l'herbe, de nombreux digimons jouaient avec des enfants ; d'autres aidaient les parents à porter un petit-frère ou une petite sœur, poussaient une poussette, donnaient un biberon ...

– Incroyable ! s'exclama Miyako. Des humains et des digimons, partout !

– C'est vrai, c'est extraordinaire, acquiesça Yamato.

– Vous feriez cependant mieux de regarder derrière vous, leur indiqua la voix de Gennai.

Obéissant à l'injonction, ils se retournèrent vers la forêt. D'abord, ils ne virent rien. Puis, en observant attentivement, ils distinguèrent soudain un majestueux digimon dissimulé derrière un grand pin.

Son corps ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'arbre derrière lequel il se camouflait. Il ne possédait pas de pieds, ni de jambes : un tronc brun les remplaçait, à l'écorce ridée de craquelures qui évoquaient des veines. Des racines gorgées de vitalité flottaient sous ce tronc comme la traîne d'un manteau de cour. À partir de la taille, le digimon arborait une apparence qui mêlait l'homme et la nature : son buste était revêtu d'une écorce qui s'arrêtait au niveau de ses épaules. Des rameaux agités de feuilles enveloppaient ses bras, les habillant de manches de chlorophylle ; une couronne de lys et de pommes de pin ceignait son front blanc ; tous ces végétaux semblaient tirer leur vitalité même du digimon. Son haut front, son nez droit et ses lèvres fines exprimaient une noblesse qui imposait immédiatement le respect. Au milieu de ce visage à la blancheur de neige brillaient des yeux aussi clairs qu'une cascade de montagne. Meiko tressaillit en reconnaissant ce regard si bleu et si pénétrant.

– C'est … Yggdrasil, murmura-t-elle.

– Quoi ? s'exclamèrent les autres.

– Ce digimon, c'est … Yggdrasil.

– Elle a raison, confirma la voix de Gennai.

– Mais … n'est-ce pas un être à l'apparence de glace ? répliqua Sakae.

– Ceci est l'aspect qu'avait Yggdrasil lorsqu'il était encore le dieu bienfaisant du digimonde, répondit Gennai.

Ils reportèrent leur attention sur le digimon. Hikari contempla son visage : elle y décela une immense tristesse, cachée derrière des larmes qui ne coulaient pas. Sous ces flots ravalés miroitait le dépit. Yggdrasil avait le regard rivé sur la plaine où humains et digimons jouaient ensemble ; ses yeux se plissèrent, ses poings se serrèrent. Il murmura pour lui-même, sans que ses lèvres ne bougent :

– Humains … comment êtes-vous apparus ? Je suis le dieu de ce monde, j'ai créé tout ce qu'il s'y trouve. Alors … je vous aurais créés ? Mais je ne m'en souviens pas. Comment puis-je l'avoir oublié ? Je me rappelle pourtant avoir donné vie aux digimons … comment êtes-vous arrivés dans ce monde ? Et pourquoi, humains, pourquoi avez-vous tissé des liens si forts avec les digimons ? Que signifient ces mots d'amitié et d'amour que je vous entends si souvent dire ?

Les Enfants Élus fixaient Yggdrasil, le cœur battant. Ils n'osaient presque plus respirer afin d'entendre chacun de ses chuchotements.

– Comment avez-vous réussi à faire changer de forme mes digimons, à les rendre si puissants ? continua Yggdrasil à mi-voix. Pourquoi seriez-vous capables de cet exploit alors que moi, le dieu du digimonde, je ne puis vous imiter ?

À cet instant, la tristesse qui embuait le regard d'Yggdrasil s'évapora sous l'effet de la colère.

– Pourquoi ? gronda-t-il. Qu'avez-vous de plus que moi ? Pourquoi avez-vous surgi et m'avez-vous volé ma création ? Pourquoi asservissez-vous les digimons ? Vous ne pouvez pas être des dieux ; je suis le seul à l'être dans ce monde. Par conséquent, ce que vous pouvez faire, je dois pouvoir le réaliser moi aussi !

Des frissons parcoururent le dos des Enfants Élus. La scène à laquelle ils assistaient s'évanouit brutalement et le délicat bruit de bulles des cubes de données dans le monde éclatant de blancheur parvint de nouveau à leurs oreilles. Les Enfants Élus, confondus, demeurèrent d'abord quelques minutes sans prononcer un mot. Mimi, bouleversée, souffla finalement :

– En fait, Yggdrasil nous enviait, nous les hommes …

– … de la relation que nous avions établie avec les digimons, ajouta Yamato.

Taichi releva la tête vers la voix de Gennai et dit sombrement

– Tout cela, c'est parce que vous et Hayato lui avez fait croire qu'il était le seul dieu du digimonde, n'est-ce pas ? En le faisant ignorer qu'il avait été créé, il ne comprenait pas d'où les populations humaines venaient …

– … ni pourquoi elles avaient le pouvoir de faire évoluer les digimons, termina Takeru.

– C'est vrai, reconnut gravement Gennai. Mentir à Yggdrasil sur sa véritable origine fut notre plus grave erreur. Nous voulions que le monde digital soit un univers autonome et nous avions maintenu Yggdrasil dans l'ignorance pour cela … de sorte qu'il a cru s'être auto-créé et s'est institué comme le démiurge du monde digital.

– Le démiurge, répéta M. Tagaya.

– Oui, acquiesça Gennai. Il ne pouvait pas imaginer que le monde qu'il avait organisé n'était qu'une copie de la réalité. Mais surtout, en tant qu'intelligence artificielle, il ignorait tout de l'âme, cette âme que partageaient les humains et les digimons qui a rendu possible la digivolution. Yggdrasil ne pouvait pas le comprendre et c'est à partir de ce moment-là qu'il a dégénéré.

Les Enfants Élus frémirent. Iori, tremblant, demanda :

– Qu'a-t-il fait, exactement ?

– Il s'est mis en tête d'éliminer les humains du monde digital. Puisqu'il ne se rappelait pas les avoir créé, il s'est mis à nous considérer comme des parasites qui pervertissaient sa véritable création, les digimons. Nous devions donc disparaître. Mais pour parvenir à ses fins, il devait être capable de rivaliser avec nous.

– Comment ça ? demanda Daisuke.

– Il devait réussir à se faire digivolver des digimons.

Les Enfants Élus déglutirent.

– Et … il a réussi ? demanda Tentomon.

– Non. Il faut une âme pour parvenir à cela. Néanmoins, Yggdrasil a tenté de forcer le processus. Les digimons sur lesquels il essayé ces terribles expériences n'ont pas survécu : tous ont été désintégrés sans pouvoir renaître sous forme de digi-œufs.

– C'est horrible, murmura Sora.

– Cependant, continua Gennai, les données de ces digimons sacrifiés n'ont pas toutes disparu. Certaines ont commencé à s'agglomérer, lentement, et ont fini par donner naissance à un être monstrueux, déchu, constitué des données des digimons qui avaient péri dans une évolution avortée. Apocalymon était né.

Des sueurs froides coulèrent le long du dos des Enfants Élus et de M. Nishijima. Exceptés Daisuke, Miyako, Iori et Ken, tous avaient affronté le terrible Apocalymon. Connaître les circonstances de sa naissance le rendait plus effrayant encore.

– C'est ainsi que l'harmonie entre le monde digital et la Terre a été rompue pour la première fois, déclara Gennai sombrement.

– Qu'avez-vous fait à ce moment-là ? demanda Taichi.

– La plupart des habitants du monde digital étaient des gens tout à fait normaux, incapables de se battre contre une puissance telle qu'Yggdrasil, épaulée d'Apocalymon de surcroît. De plus, tous les chevaliers royaux qu'Yggdrasil avaient créés pour maintenir l'équilibre du digimonde ont pris parti pour lui. Tous, sauf Jesmon. Yggdrasil avait également réussi à corrompre de nombreux digimons en les persuadant que la présence humaine leur porterait préjudice, afin de se constituer une armée pour anéantir les hommes. Dans l'urgence, nous avons dû faire évacuer le digimonde. Peu de temps après, Yggdrasil a lancé son offensive : la violence des attaques de ses sbires a commencé à créer des distorsions un peu partout dans le monde digital. Celles-ci menaçaient d'ouvrir un passage vers la Terre et nous ne pouvions pas nous permettre qu'Yggdrasil atteigne le monde réel. Les conséquences auraient été dramatiques. Yggdrasil avait acquis une puissance qui nous dépassait, ses forces avaient décuplé, sa conscience s'était aiguisée … tout cela sans âme pour lui servir de boussole.

– Votre création vous a échappé, murmura Ken sombrement, en se rappelant Kimeramon.

– Yggdrasil était devenu incontrôlable, reconnut Gennai. Sa monstrueuse créature, Apocalymon, pouvait détruire la Terre d'un claquement de doigts. Il fallait que nous réussissions à les contenir dans le monde digital, dans une prison dont ils ne pourraient pas sortir … c'est ainsi qu'est née l'idée de l'Océan des Ténèbres.

Les Enfants Élus clignèrent des yeux, stupéfaits.

– L'Océan des Ténèbres ? répéta Hikari, effrayée. C'est vous … c'est vous et Hayato qui l'avez créé ?

– Effectivement. Comme je vous l'ai dit, il ne devait pas y avoir, au départ, de mauvais digimons. Mais après la dégénérescence d'Yggdrasil, d'autres digimons l'ont suivi sur le chemin de la violence et de la folie. Si nous parvenions à détruire ces digimons, ils ne devaient pas pouvoir renaître sous forme de digi-œufs. Nous avons donc inventé l'Océan des Ténèbres pour les y enfermer.

– Si je comprends bien, dit Sora, l'Océan des Ténèbres est une sorte … d'enfer ?

– Oui, on peut le considérer comme ça.

Takeru sortit son digivice de sa poche et fronça les sourcils.

– Quand nous nous sommes rendu dans l'Océan des Ténèbres, Hikari et moi, nous avons été attaqués par des créatures informes qui vivaient dans les profondeurs de la mer … après être revenus dans le monde digital, Koushiro a analysé mon digivice et a dit que ces créatures étaient constituées de données mortes. Il s'agirait donc d'anciens digimons qui ont été propulsés dans l'Océan des Ténèbres après avoir été vaincus ?

– Oui, confirma Gennai. Quand nous avons créé l'Océan des Ténèbres, nous avons modifié le processus vital des digimons. Lorsque ceux-ci meurent, leurs données se volatilisent et sont recueillies par un puissant gardien qui est chargé de juger si le digimon a bien ou mal agi durant son existence.

– Qui est ce juge ? demanda Ken.

– Il s'appelle Anubimon. S'il considère que le digimon a été vertueux au cours de sa vie, il le fera renaître sous forme de digi-œuf. Si au contraire le digimon a été malfaisant, il sera envoyé dans l'Océan des Ténèbres où son corps ne pourra jamais se reformer totalement : il deviendra ainsi l'une des nombreuses créatures damnées que vous avez rencontrées. Elles peuvent temporairement reprendre l'apparence d'un digimon, mais pas pour très longtemps. Leur destin est de rester à l'état d'êtres déchus pour purger leurs erreurs passées.

– Alors, murmura Meiko en serrant ses mains l'une dans l'autre, aucune de ces créatures ne sortira plus jamais de l'Océan des Ténèbres ?

– Non, en effet.

– Mais si les digimons voient leur corps détruit quand ils sont envoyés dans l'Océan des Ténèbres, comment Piedmon a-t-il pu se réincarner ? demanda alors Yamato.

– Grâce aux pouvoirs qu'Yggdrasil recouvrait depuis un certain temps, expliqua Gennai. À vrai dire, il a commencé à se régénérer il y a trois ans déjà, par l'intermédiaire de MaloMyotismon, et … de toi, Ken, lorsque tu étais encore l'Empereur des digimons.

Ken tressaillit.

– Comment ça ?

– Quand tu étais l'Empereur des digimons, tu as installé des tours noires dans le digimonde. Te rappelles-tu d'où t'est venue cette idée ?

Ken, le cœur battant, se mit à fouiller sa mémoire. Comment lui était venue l'idée de recourir aux tours noires ? Il avait beau chercher, rien ne lui revenait … un terrible sentiment d'angoisse l'envahit, la sueur perla à son front.

– Je … je ne m'en souviens pas, balbutia-t-il.

– Vraiment ? insista Gennai. Pourtant, tu avais déjà vu ces tours auparavant, ailleurs que dans le digimonde.

Ken ferma les yeux, serra les paupières. S'il voulait se rappeler, il devait descendre en lui-même, exhumer des souvenirs qu'il avait enfoui dans son cœur pour étouffer la culpabilité d'avoir été l'Empereur des digimons. D'effroyables images lui revinrent : sa cruauté envers les digimons, envers Wormon … il ne voulait pas se rappeler de tout cela.

Soudain, un épisode plus ancien encore s'imposa à lui : il avait huit ans, il s'était rendu dans le digimonde seul. Soudain, sans qu'il ne sache comment, il s'était retrouvé dans l'Océan des Ténèbres. Oui, il s'était déjà rendu là-bas quand il était enfant. Son digivice ressemblait alors à celui que Taichi et les autres possédaient. Il l'avait sorti de sa poche et l'avait trempé dans l'océan ; l'appareil électronique avait alors pris la forme d'un D-3, plus puissant. Il s'était redressé et avait remonté la plage de l'Océan des Ténèbres … les yeux de Ken s'écarquillèrent.

– C'est dans l'Océan des Ténèbres, murmura-t-il. C'est là que j'ai vu des tours noires pour la première fois, quand j'étais petit …

– C'est exact, acquiesça Gennai. Les tours noires viennent de ce monde. Elles servent d'antennes à Yggdrasil pour diffuser sa noirceur. C'est lui qui t'a permis d'entrer dans l'Océan des Ténèbres afin que tu voies ces tours par toi-même.

– À cette époque, j'étais animé de rancœur et de haine … cela a dû être facile à Yggdrasil de me manipuler.

– En implantant des tours noires dans le digimonde, tu as relayé sans le savoir le pouvoir d'Yggdrasil hors de l'Océan des Ténèbres. Tu es ensuite retourné dans ce monde alors que tu étais déjà devenu l'Empereur des digimons. T'en rappelles-tu ?

– Je me souviens … avoir rencontré les créatures qui vivent dans l'océan. Je croyais … je croyais qu'il était possible de les emmener avec moi dans le digimonde pour augmenter le nombre de mes serviteurs. Je leur ai posé des spirales maléfiques pour les contrôler.

Les yeux d'Hikari s'agrandirent :

– Il y a trois ans, ces créatures m'ont appelée dans leur monde pour que je les libère de tes spirales. Elles disaient qu'elles servaient déjà le roi de l'Océan des Ténèbres, mais qu'un nouveau roi étaient venus leur demander de lui obéir … alors, c'était … c'était toi, Ken ?

Ken fronça les sourcils et détourna le regard, sentant la culpabilité le ronger comme un poison acide.

– Oui … ça devait être moi.

– Toutes ces actions ont contribué à renforcer Yggdrasil, même si à l'époque tu l'ignorais, déclara Gennai gravement.

Ken enfonça les mains dans ses poches, se mordit la lèvre. Il avait oublié tous ces évènements et s'en souvenir aujourd'hui ravivait toute la honte et la répugnance qu'il éprouvait envers ce qu'il avait été : l'Empereur des digimons, un enfant implacable et cruel. Une main se posa alors sur son épaule : il se retourna et découvrit Meiko, qui lui souriait.

– Nous passons tous par des moments d'obscurité, Ken … Ça ne sert à rien de ressasser le passé.

– Elle a raison, acquiesça Yamato. Même si tu as été l'Empereur des digimons, aujourd'hui, tu es revenu du côté de la lumière. Moi aussi, après tout, j'aurais pu entrer dans l'Océan des Ténèbres il y a six ans.

– Et moi aussi, renchérit Sora.

– Maintenant, tu es un Enfant Élu, déclara Daisuke en levant un poing déterminé.

Ken les dévisagea tour à tour, rempli de reconnaissance et hocha la tête. Hikari, elle, demeurait pensive.

– Je croyais que le roi que servent les créatures de l'Océan des Ténèbres, c'était Yggdrasil. Mais lorsque nous sommes retournés dans là-bas avec Takeru et Meiko, nous avons rencontré un hideux digimon qui vivait dans l'océan.

– Dagomon, le poulpe géant ? se rappela Taichi.

– Oui, acquiesça sa sœur. Qui était ce digimon avant de finir dans l'Océan des Ténèbres ?

– Vous ne le devinez pas ? demanda Gennai.

Hikari pinça les lèvres, échangea un regard avec ses amis. Les yeux de M. Nishijima s'agrandirent alors :

– Serait-ce … Apocalymon ?

– Lui-même, acquiesça Gennai. Dagomon est l'apparence déchue qu'a prise Apocalymon quand il a été désintégré. Étant plus puissant que les autres digimons, il a conservé un corps stable dans l'Océan des Ténèbres, bien que très différent de celui qu'il avait auparavant. Cependant, il ne peut pas plus sortir de ce monde que les créatures informes qui y vivent.

Hikari fronça les sourcils, regard rivé au sol. D'une voix tremblante où l'on devinait la frayeur, elle murmura :

– Les créatures de l'Océan des Ténèbres voulaient m'attirer dans leurs profondeurs … pourquoi ? J'ai l'intuition qu'elle ne voulait pas seulement me tuer. Alors, que désiraient-elles ?

– Ton âme, répondit Gennai. En volant une âme, ces créatures espèrent sortir de l'Océan des Ténèbres.

– Et … est-ce le cas ? Pourraient-elles vraiment sortir ? demanda M. Mochizuki.

– Eh bien … je l'ignore. Aucun programme n'a jamais été conçu dans ce sens.

– Ce serait terrifiant si ces monstres quittaient leur monde, dit Joe.

Hikari baissa les yeux et frissonna en se rappelant le contact visqueux des mains des créatures sur sa cheville.

– Donc, récapitula M. Tagaya en relevant la tête vers la voix de Gennai, vous et Hayato avez créé l'Océan des Ténèbres pour y envoyer les digimons corrompus par Yggdrasil, dans l'espoir d'éviter une invasion de la Terre.

– C'est cela.

– Mais j'imagine que pour enfermer autant de digimons dans ce monde parallèle, vous avez dû les vaincre, non ? dit Taichi. Comment avez-vous fait ?

– Comme je vous l'ai déjà dit, les hommes qui étaient venus vivre dans le monde digital étaient loin de pouvoir résister à Yggdrasil et à l'armée qu'il s'était constitué avec Apocalymon. Des distorsions pouvaient se créer à tout moment et permettre à Yggdrasil d'accéder au monde réel. Nous avions créé l'Océan des Ténèbres et nous voulions y sceller Yggdrasil, mais encore fallait-il l'y envoyer. C'est alors qu'Hayato et moi avons reçu une visite …

À ces mots, les cubes de données peignirent une nouvelle scène tout autour des Enfants Élus. Encore une fois, ils se retrouvèrent dans le laboratoire où Gennai et Hayato avaient créé le digimonde. Les deux hommes étaient présents, le visage grave. Devant eux se tenaient neuf adultes, cinq hommes et quatre femmes ; un digimon accompagnait chacun d'eux. Le Gennai du passé demanda aux humains :

– Êtes-vous sûrs de vouloir prendre de tels risques ?

L'un des cinq hommes, aux cheveux en bataille et aux bras croisés, acquiesça :

– Nous avons confiance en nos partenaires digimons.

Un autre homme, aux yeux clairs, ajouta :

– De toutes les personnes que nous connaissons qui ont vécu dans le digimonde, nous sommes les seules à être capables de permettre à nos digimons d'évoluer à ce stade.

– Nous serons votre meilleur atout pour affaiblir Yggdrasil afin que vous l'enfermiez dans votre monde parallèle, confirma une femme rousse.

– Êtes-vous sûrs qu'il n'existe aucun autre moyen de contrer Yggdrasil ? demanda alors une femme plus jeune que les autres.

– N'y-a-t-il plus aucun espoir pour lui ? ajouta un homme blond.

– Hélas, je crains que non, dit Hayato en secouant la tête. C'est pourquoi votre aide pourrait nous être précieuse. Mais vous rendez-vous compte des risques que vous encourrez ?

– Nous l'assumons, déclara un homme qui portait des lunettes. Si nous pouvons sauver notre monde de la menace de ce dieu digital, c'est notre devoir de le faire.

– Et puis, nous le faisons aussi pour nos familles et nos amis, compléta une des quatre femmes.

Un homme plus petit que les autres, qui n'avait pas encore parlé, semblait réfléchir, main sur le menton. Il releva la tête vers Gennai et Hayato et leur demanda :

– Même si nous parvenons à faire reculer Yggdrasil, comment ouvrir un passage entre le monde digital et votre Océan des Ténèbres ? Nous n'avons pas la faculté de le faire, et nos digimons non plus.

Gennai et Hayato échangèrent un regard.

– Nous avons imaginé créer une nouvelle entité, presque aussi puissante qu'Yggdrasil, exposa Hayato. À la différence de celui-ci, cette entité possédera une âme. Elle pourra ouvrir un passage vers l'Océan des Ténèbres et y envoyer Yggdrasil et son armée si vous l'y aidez.

Les Enfants Élus sursautèrent. Sora fronça les sourcils : Gennai et Hayato parlaient-ils bien de l'être auquel elle pensait ?

– Nous avons pensé, continuait Gennai, que cette entité pourrait rétablir l'équilibre une fois Yggdrasil vaincu. Ce sera le nouveau dieu du monde digital.

– Si votre nouvelle création est aussi puissante que vous le dîtes, déclara l'homme aux cheveux en bataille, ne peut-elle pas venir à bout d'Yggdrasil toute seule ?

– Non, car cette entité n'aura aucune forme physique, répondit Hayato. Yggdrasil a acquis trop de puissance grâce à son corps. Notre nouvelle création aura les mêmes facultés qu'Yggdrasil, mais aucun corps dont il puisse se servir comme d'une arme. Par contre …

– Par contre ? répéta l'homme avec des lunettes.

– Il possédera un pouvoir qu'Yggdrasil ne détient pas. Si vous et vos digimons parvenez à affaiblir Yggdrasil et son armée, cette nouvelle entité devrait être capable de les enfermer dans l'Océan des Ténèbres. Si vous réussissez ce miracle, Gennai et moi activerons le Mur de Feu qui isolera l'Océan des Ténèbres de tout autre monde.

– Comment votre nouvelle entité va-t-elle s'appeler ? demanda alors la plus jeune femme.

– Homeostasis, répondit le Gennai du passé.

Sora se mordit la lèvre : son intuition ne l'avait pas trompée. Homeostasis avait été créé pour contrer le pouvoir d'Yggdrasil. Devant eux, les neufs adultes dévisagèrent Gennai et Hayato, puis hochèrent la tête : ils étaient d'accord pour les aider. Ils se dirigèrent alors vers la sortie du laboratoire. Au moment où l'un des hommes ouvrait la porte, il tomba nez à nez avec une jeune femme brune à la peau pâle.

– Hatsue ! s'exclama l'homme aux cheveux en bataille en s'approchant d'elle. Qu'est-ce que tu fais ici ?

– Je veux venir avec vous, répondit-elle fermement.

– Quoi ? Mais ton partenaire digimon a disparu dans une attaque d'Yggdrasil, tu le sais bien … tu ne pourras pas nous aider, cette fois-ci …

– Je m'en fiche. Je veux quand même venir avec vous, même si je n'ai plus de partenaire.

Meiko cilla. Une femme qui ne possédait plus de partenaire … cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Qui était-elle, pourquoi insistait-elle pour suivre ses amis ? Elle aurait tant voulu le savoir. Hélas, la scène se troubla à cet instant ; quelques secondes plus tard, elle fut avalée par une obscurité absolue et muette. Les Enfants Élus ne distinguèrent plus le laboratoire, ne sentirent plus aucune chaleur, ni aucune odeur, ne virent plus aucune lumière. Il leur semblait qu'on les avait plongés dans le néant. La voix narratrice de Gennai résonna alors au-dessus d'eux :

– La scène que vous allez maintenant voir est capitale. Gravez-la dans votre mémoire.