LA BRAISE SOUS LA CENDRE
Disclaimer : voir prologue.
Chapitre 24 : Graham Fisher et le Nécronomicon
Ma très chère Quincey,
Mon courrier risque de te surprendre après autant de mois de silence, mais tu en comprendras l'urgence et la gravité lorsque je t'aurais expliqué les circonstances qui entourent ma mystérieuse disparition et le pétrin dans lequel je me suis – encore une fois de plus, hélas ! – fourré. Puisses-tu me pardonner quand tu sauras la vérité.
Il y a quelques mois, j'ai fait une terrible erreur que je regrette amèrement. Aujourd'hui, j'ai la conscience lourde et je me trouve dans une impasse. Je suis terrorisé par ce qui menace de m'engloutir, et tu es la seule personne à qui je puisse me confier sans que cela me soit préjudiciable. A mon grand désespoir, je suis allé trop loin maintenant pour pouvoir faire marche arrière. Je dois fuir et disparaître, mais pas sans t'avoir raconté mon histoire.
Tu connais mon goût des vieux textes grecs, hébreux et arabes, ainsi que mon plaisir à fouiner dans de vieux manuscrits rongés par le temps ? Et bien le vieux rat de bibliothèque que je suis, a succombé une fois de trop à l'attrait de ses chers volumes poussiéreux. Tout a commencé il y a environ dix mois lorsqu'un homme dont j'ignorais tout, est venu me proposer la traduction d'un vieux grimoire dont il venait de faire – soit disant – l'acquisition dans le bazar d'une ville perdue au fin fond du désert jordanien.
Je n'ai d'abord pas cru à son histoire, mais il m'a tout de même convaincu de jeter un oeil sur son grimoire... Oh, comme je maudis ce jour à présent ! Quelle n'a pas été ma stupéfaction en reconnaissant, d'après la lecture des premières pages et d'après les nombreuses illustrations, le célèbre Nécronomicon ! Oui, tu as bien lu... Le Nécronomicon ! Un nom qui fait frémir les sages et les érudits de notre monde, et qui résonne comme un défi à l'ordre ancestral établi par le Conseil d'Avallon... Un grimoire qui avait disparu depuis le 14ème siècle !
Peut-être n'es tu pas familière avec cet antique traité ésotérique et démoniaque que tout le monde croyait n'être qu'une légende ? Rédigé par la plume d´un poète arabe devenu fou, Abdul Alhzared, à Damas en 730 après J.C, connu aussi sous le nom de 'Kitab Al-Azif', « Le livre de l'arabe dément », le grimoire révèlerait l'existence d'entités non humaines qui auraient peuplé la planète bien avant l'arrivée de l'homme sur Terre. Ces entités seraient toujours accessibles, car elles se seraient retirées sur d'autres plans de notre réalité. De plus, Alhzared était convaincu que ces êtres qu'il appelait « Les Anciens », attendaient patiemment l'heure de leur retour pour réclamer à nouveau la possession de la Terre…
Quincey, c'est effrayant, car tout ce que j'ai lu dans ce manuscrit, s'avère exact ! Vois-tu, on m'a confié la traduction complexe de ce volume, en flattant ma vanité de chercheur... et aussi, mon maigre compte en banque, je dois te l'avouer... Le sorcier qui a manigancé toute cette affaire, est extrêmement riche et puissant. Il a consacré des années et des années de recherche pour retrouver ces textes car il poursuit un but abominable : asservir les Moldus pour en faire les esclaves des Anciens et préparer leur retour ! Après des mois d'attente, j'ai enfin fini par le rencontrer et j'ai su à qui j'avais vendu mon âme : à Lucius Malefoy en personne...
Depuis qu'il m'a engagé, il m'a fait surveiller nuit et jour par ses sbires. Il craint par dessus tout que je m'approprie le grimoire et que je devienne celui qui invoquera Nyarlathotep, le messager des Anciens... Mais jamais je ne ferai cela après toutes les horreurs que j'ai découvertes ! Mon intérêt envers ce livre interdit n'était que purement académique et le restera, tellement je suis effrayé par les conséquences catastrophiques qui pourraient résulter de son utilisation irréfléchie !... Pour ma sauvegarde et celle du monde, j'ai pris la seule décision possible : m'enfuir en emportant le Nécronomicon et la traduction que j'en ai faite, pour que jamais cette abomination ne retombe entre des mains malintentionnées.
A Malefoy, j'ai laissé une traduction incomplète et truffée d'erreurs. Il ne sera pas dupe longtemps, mais cela me permettra de gagner du temps. Je connais un endroit. Je m'y cacherai tant que je le pourrais et je chercherai un moyen pour détruire ce livre de malheur. J'ai déjà essayé, mais ni le feu, ni les sortilèges de destruction que je connais, n'ont eu l'effet désiré. Il faut que je trouve autre chose... Si le Nécronomicon m'en laisse le temps... Je me suis rendu compte que ce grimoire était protégé par son propre pouvoir occulte...
Il émane de lui comme une force obscure et malfaisante. Je dois m'en méfier comme de la peste. Je peux le sentir instiller en moi son venin et me corrompre insidieusement. Presque toutes les nuits maintenant, mon sommeil est peuplé de cauchemars où je vois des créatures étranges danser une sarabande frénétique autour d'un être hideux et monstrueux. Je ne connais pas leurs noms. La majorité d'entre elles sont d'ailleurs aveugles et stupides... Mais je sais qui est l'Ancien au centre du cercle : il s'agit d'Azathoth, le sultan des démons à l'appétit insatiable et le souverain de tout ce qui existe dans l'espace et le temps, celui dont on ne doit pas prononcer le nom par trois fois à voix haute...
Ces êtres tourbillonnent tous follement sur les accents d'une flûte démoniaque et de roulements assourdissants de tambours, au centre même de l'univers. C'est Yog-Sothoth, le second d'Azathoth, qui joue en permanence. C'est un Gardien Sacré. Alhzared le décrit ainsi dans le grimoire :
« Yog-Sothoth connaît la porte. Yog-Sothoth est la porte. Yog-Sothoth est la clé et le gardien de la porte. Le passé, le présent, le futur, tous sont un en Yog-Sothoth. »
En réalité, Yog-Sothoth sous sa forme "normale" est une accumulation de globes irisés qui parviennent à suggérer une formidable malignité. Il demeure dans les interstices de l'espace et du temps et peut se déplacer en tous lieux, toutes dimensions et époques à volonté. C'est lui qui accorde parfois des pouvoirs aux sorcières et aux magiciens qui l'invoquent, notamment celui de voyager dans le temps et dans l'espace. Il paraît être parfaitement malfaisant, mais ses objectifs sont si éloignés de la pensée, de la morale et des concepts des hommes, que "malfaisant" ne s'applique à lui que de notre point de vue. Mais c'est déjà bien suffisant pour se sentir totalement terroriser en sa présence...
Lorsque des troubles apparaissent, Azathoth envoie Nyarlathotep aux nouvelles. A chacun, Nyarlathotep se présente sous l'aspect qu'il désire. Sur son passage, la paix et la tranquillité disparaissent et l'aube est déchirée de hurlements de cauchemar. Ce démon messager arpente la terre et les contrées des Rêves quasiment à sa guise sous la forme d'un de ses nombreux avatars. Il semble en permanence manigancer plusieurs complots à la fois, qu'ils soient personnels ou inspirés par ses maîtres. Outre le retour des Anciens et la destruction de la planète, il semble particulièrement intéressé par sa descendance et il a plusieurs fois tenté – et parfois réussi – à se doter d'un héritier...
Toutes les nuits à présent, j'entends cette flûte et ces tambours infernaux dans mon sommeil et je finis par me réveiller en hurlant et en frissonnant de peur, en entendant réellement cette musique diabolique. Je crois qu'elle va finir par me rendre fou, comme elle a rendu fou Abdul Alhzared... Pour faire taire temporairement cette cacophonie, je suis obligé de m'abrutir d'alcools et de potions... Je n'ai pas encore trouvé d'autres moyens et je connais déjà le prix à payer pour ces moments fugitifs de paix... La question est de savoir combien de temps je vais encore tenir le coup...
Il m'arrive aussi de voir défiler d'autres images plus horribles les unes que les autres à différents moments de la journée, quand je suis parfaitement dégrisé et éveillé. Au début, je croyais que c'était mon imagination qui me jouait des tours, influencée par les illustrations du grimoire... Mais quand j'ai commencé à voir clairement les sept Terres, les sept Niveaux et les sept Cieux, comme si je les visitais réellement, comme si j'en connaissais chaque pierre, j'ai su que je ne rêvais pas... Une voix sinistre à glacer le sang, me murmure même de manière incompréhensible, l'Incantation des Portes et celle du Veilleur... J'ai fini par les reconnaître en réussissant à identifier la langue dans laquelle elles avaient été prononcées : de l'ancien Babylonien... Quand je pense qu'il me suffirait de les prononcer à voix haute et d'effectuer en même temps le rituel du sacrifice décrit dans le grimoire pour que Nyarlathotep se manifeste... Mais non, cela ne sera jamais. Je suis beaucoup trop effrayé pour faire quoi que ce soit... En revanche, je n'en dirai pas autant de Malefoy. Ce fou veut le pouvoir à tous prix et vendra sans hésitation son âme pour l'obtenir...
Car, vois-tu, le Nécronomicon ne contient pas qu'une description des Anciens et des lieux dans lesquels ils vivent. Il donne aussi les clés pour les invoquer et les soumettre. Ainsi dans ses pages apparaît clairement une incantation que j'ai surnommée « la malédiction de la Création Originelle ». Cette incantation, d'une perversion suprême, permet de maudire l'humanité tout entière, ainsi que toutes les créatures vivantes, afin de les détruire… Elle semble avoir été écrite par Dieu en personne et s'achève sur ces quelques mots :
« Et pourquoi donc ?... Parce que Je me repens d'avoir créé l'humanité… »
Le passage ressemble à l´Apocalypse selon Saint Jean, à l´exception notable de la fin où la Bête triomphe après une guerre titanesque dans laquelle la Terre est presque détruite. Mais, me dirais-tu, comment savoir si ce qu'il évoque, n'est pas pure invention de sa part ? Je me suis aperçu qu'Alhzared s'était largement inspiré de légendes et de croyances anciennes – notamment certains évènements évoqués dans la Genèse ou dans le Livre d'Enoch - pour interpréter les événements à venir selon ses pressentiments et ses délires visionnaires. J'avais des doutes, c'est vrai, jusqu'à ce que moi-même, je commence à avoir toutes ces visions... D'abord, je me suis dit que j'étais influencé par ce que j'avais lu, que ce livre me rendait fou à mon tour... Mais quand j'ai commencé à voir des lieux, des personnages que je ne connaissais pas, des détails si précis que je n'aurais pu les inventer, alors j'ai pris peur... Ce qu'il a vu, est vrai... On a dit qu'il était fou, mais la traduction du terme arabe pour « folie » est incomplète. 'Al-Azif' désigne le bruit que font les insectes nocturnes dans le désert la nuit, et aussi, les hurlements que produisent les 'Djinns », les démons et autres génies de la tradition arabe... Du temps d'Alhzared, les 'muqarribun', les magiciens arabes essayaient d'obtenir des connaissances et du pouvoir en invoquant les Djinns ou en étant possédés par eux. Au moment où il a écrit le grimoire, Alhzared était-il donc en pleine possession de ses moyens ou de ceux d'un démon, Nyarlathotep pour ne citer que lui ?
Impossible à dire. En revanche, les avertissements d'Alhzared sont très clairs. Il est dit dans le grimoire qu'un jour, Sathla sera l'origine et la fin. Avant la venue d'Azathoth ou de Yog-Zothoth, Sathla n'était qu'un marécage gigantesque et fumant de la terre nouvellement née, une masse informe engendrant les hideux prototypes de toutes vies terrestres... Et toute vie sur la terre, est-il écrit, devra retourner, à travers le Grand Orbe du Temps, à Sathla.
L'orbe dont il parle, c'est celui qu'Imladriss le Noir, au 9ème siècle, un puissant sorcier entre les magiciens, avait découvert un jour, guidé par des esprits. C'est une pierre nuageuse, de la forme d'un globe, dans laquelle il pouvait contempler bien des visions du passé terrestre, remontant même jusqu'aux commencements de la Terre, au moment où Sathla, la source non engendrée, gisait immense, énorme et spumescente, dans les boues qui s'évaporaient...
Mais de ce qu'il voyait, Imladriss le Noir n'a rapporté que peu de choses. Et l'on prétend qu'il a disparu après, on ne sait de quelle manière, en emportant avec lui ses découvertes secrètes et l'Orbe du Temps.
Et bien, figures-toi qu'après bien des investigations, j'ai retrouvé la trace de cette pierre. Depuis des siècles, elle est au Département des Mystères, au Ministère de la Magie, perdue dans un coin poussiéreux, à attendre son heure. Je suis sûr que ces imbéciles de foncsorciers ne savent même pas de quoi il s'agit et ignore l'étendue de la puissance de cet objet. Malefoy, s'il a vent de son existence, tentera de la récupérer à son profit. Car c'est grâce à cet Orbe du Temps qu'il pourra soumettre Yog-Sothoth ou Azathoth à sa volonté et obtenir ce qu'il désire le plus au monde, l'immortalité aux côtés des Anciens, en échange de l'asservissement des Moldus.
L'Orbe est une arme à double tranchant. Ce qu'il offre d'un côté, il le reprend de l'autre. Dans sa soif de pouvoir et de folie, Malefoy ignore l'existence de l'avertissement d'Alhzared et cette menace de fin du monde... S'il venait à s'emparer du grimoire et de l'Orbe, et qu'il prononçait l'incantation pour appeler les Démons en faisant un sacrifice, alors c'en serait fini de nous...
J'ai mis en garde un ami du Ministère contre les agissements de Malefoy, mais il ne m'a pas cru. Il me prend pour un fou ou alors il préfère ne pas voir la vérité en face. Celle-ci surtout, car elle fait peur. De plus, il pêche par excès de confiance, car il est persuadé que, depuis la dernière attaque au Département des Mystères, les sortilèges de protection sont infranchissables et ne peuvent être rompus. Je n'en serai pas si sûr, sachant qu'ils ont été mis en place à l'époque où Fudge était encore Ministre et au service de Qui-tu-sais...
Je veux garder tout de même espoir... Tant que l'Orbe est gardé au secret, tant que je détiens le manuscrit original et sa traduction et que je me cache, alors le risque est minime. Mais le danger existe.
Surtout ne cherche pas à me retrouver, Quincey, c'est moi qui reprendrai contact avec toi dès que je le pourrai. Et surtout n'informe pas tes amis de l'Ordre dans l'immédiat. Moins j'attirerai l'attention sur moi, moins il y a de chance qu'il y ait de fuites. Je ne suis pas paranoïaque, mais Malefoy a des espions insoupçonnés partout...
En attendant, j'espère que ton troisième oeil te montrera un avenir serein, plutôt que le sombre tableau que je t'ai dépeint. Puissions-nous un jour nous retrouver à nouveau à Delphes, en ce lieu étonnant qu'est le Temple. Ce voyage à tes côtés, il y a des années, fut l'un des moments les plus merveilleux de mon existence et je ne l'oublierai jamais...
Prends bien soin de toi.
Avec toutes mes amitiés.
Graham
A suivre...
Me croirez-vous si je vous dis que ça fait trois longues semaines que je me démène avec un syndrome de pages blanches pour écrire ces quelques lignes ? J'en suis arrivé au point où je ne peux plus voir en peinture cette partie du récit, d'où sont absents Severus et Hermione (c'est fou ce qu'ils sont attachants ces deux-là !) mais qui est malheureusement incontournable parce qu'elle pose les futurs jalons de l'histoire ! D'où un soupir de soulagement au moment où je publie !
A présent, les participants sont tous en place, prêts à assumer leurs rôles. Les enjeux sont clairement définis. Il ne reste plus qu'à lancer les dés...
Certain(e)s reconnaîtront ici l'emprunt fait à Lovecraft au travers du Mythe de Cthulhu. Vérité reprise ou légende inventée de toutes pièces par Lovecraft ? Personne ne sait de nos jours ce qu'il en est de cet étrange livre interdit qu'est le Nécronomicon. Pour ma part, j'ai décidé de m'en inspirer pour en faire le grand méchant grimoire de cette histoire. Certains éléments sont empruntés à l'oeuvre d'Alhzared ou de Lovecraft, d'autres non, car ils ne servent pas tous mon propos ici. (Je souligne que je ne suis pas une adepte de Magie Noire, je suis juste influencée par les trucs tordus créés par Hollywood...)
Severus et Hermione feront leur retour au prochain chapitre. Promis. Les événements à venir leur permettront d'apprendre encore à mieux se connaître et à gérer leur attirance...
Encore une fois, un grand merci collectif pour tous vos commentaires passés et à venir. Un seul mot d'ordre : soyez patient(e)s !
Je vous embrasse. Nad.
