Bonsoir à tous ! Me revoici avec la suite, et pour une fois je ne suis pas trop en retard dans ma publication xD Après la grande bataille de Tokyo, les Enfants Élus doivent assumer les conséquences de leur échec face à Yggdrasil. Le chapitre d'aujourd'hui sera donc plus réflexif, j'espère que ça vous plaira :)

Je tiens à remercier tous les lecteurs qui suivent cette histoire, quand je vois le nombre de visites dans mes stats je suis toute contente. J'espère que l'intrigue vous tiendra en haleine jusqu'au bout !

Bonne lecture :)


Chapitre 58

À la foudre succéda une pluie torrentielle : les nuages se crevèrent et déversèrent sur Tokyo des trombes d'eau en grondant. Du bitume s'éleva une vapeur encore brûlante des batailles. Aux quatre coins de la ville, les Enfants Élus fixaient désespérément le ciel où Yggdrasil, les Sept Seigneurs Démoniaques et les Bêtes Sacrées avaient disparu, ce ciel qui ne se rouvrirait plus jamais pour leur permettre de changer de monde. La qualcorite avait été détruite et avec elle la connexion avec le digimonde avait été perdue. Malgré l'orage d'été qui alourdissait l'atmosphère d'une tiédeur étouffante, l'eau qui s'infiltra sous leurs vêtements leur sembla glacée. À leurs côtés, leurs digimons regardaient eux aussi la distorsion qui venait de disparaître, leur fermant pour toujours la porte du monde où ils étaient nés, et qui allait maintenant être dominé par Yggdrasil. Au loin, ils entendirent le gémissement des sirènes de polices et de pompiers qui se pressaient sur les lieux dévastés.

Près de Koushiro et Sakae, le corps de Spinomon s'illumina et la fusion de l'ADN se brisa : leurs partenaires régressèrent au stade de Motimon et Kyokyomon. Koushiro serra les dents, rempli de colère et de tristesse. Il sentit ses jambes fléchir et il s'agenouilla au sol : avec rage, il frappa le trottoir détrempé de son poings.

– Non ! Ce n'est pas possible !

Sakae le contempla, meurtrie, puis elle s'agenouilla à ses côtés et entoura ses épaules de ses bras. À cet instant, le bruit de pas mouillés leurs parvinrent : ils relevèrent la tête et virent leurs amis apparaître sous la pluie battante. Tous tenaient leurs digimons dans leurs bras sur chacun de leur visage, Koushiro lut la défaite. Certains pleuraient, d'autres serraient les dents de colère, d'autres encore fixaient le néant, d'un regard vide de tout espoir. Le jeune informaticien aperçut alors Taichi : au désespoir de son ami se mêlait un sentiment de culpabilité indescriptible celui de n'avoir pas été à la hauteur, de n'avoir pas su protéger le digimonde. C'est cette expression qui fit le plus mal à Koushiro, car il ressentait exactement la même chose. Il se releva et Taichi s'avança vers lui, pour poser une main sur son épaule. Il ne dit rien, se contenta de le fixer, mais Koushiro devina les mots qu'il ne prononça pas : « Tu n'y es pour rien. Nous n'aurions rien pu faire de plus. »

D'une Agence au toit éventré émergèrent alors M. Tagaya, M. Mochizuki et Chisako, qui se précipita dans les bras de Joe, soulagée. Sakae croisa le regard de son père et baissa les yeux ils n'avaient pas pu empêcher ce désastre, leurs digimons ne pouvaient pas vaincre Yggdrasil. Le directeur s'approcha de sa fille et la prit dans ses bras. Elle tressaillit, puis serra à son tour son père contre elle et laissa ses larmes couler. M. Mochizuki contempla les Enfants Élus, en silence.

– Rentrez à l'intérieur. Vous devez vous sécher et soigner vos blessures.

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Le cœur lourd, les Enfants Élus nettoyèrent leurs plaies, s'enroulèrent dans des couvertures et grignotèrent sans réelle faim. Puis, ils appelèrent leurs parents et les rassurèrent, tout en leur disant qu'ils ne rentreraient pas tout de suite à la maison ils avaient besoin de temps. Ils exécutèrent toutes ces tâches mécaniquement, comme s'ils n'avaient pas vraiment conscience de ce qu'ils faisaient, comme s'ils étaient spectateurs de leur propre existence. Ils avaient la sensation de n'être plus qu'une coquille vide, détachés de tout sentiment, incapables d'éprouver la moindre émotion. Pourtant, leur cœur brûlait, leur cœur pleurait, le feu ardent de la colère et de l'eau glacée de la peine les torturaient. Beaucoup finirent par s'endormir dans un bâtiment de l'Agence qui n'avait pas été touchée par les dégâts. Ils se répartirent dans plusieurs salles qui disposaient de canapés et ils sombrèrent dans un sommeil sans rêves, échappant ainsi à la pensée et à la souffrance.

Le lendemain, Taichi se réveilla le premier. Il jeta un œil par la fenêtre : le ciel demeurait blanc et il pleuvait toujours autant, l'empêchant de savoir quelle heure il pouvait être exactement. Il se leva et se sentit courbatu de toutes parts. Il se rendit alors compte qu'il avait faim, très faim, même. Il sortit de la salle de réunion et se mit en quête d'une machine à café encore en état de marche. Il en trouva une qui ne distribuait, hélas, plus la boisson qu'il désirait, il se rabattit donc sur un thé. La pluie battait contre les vitres de l'Agence et le silence régnait dans les couloirs.

À cet instant, il entendit des pas derrière lui. Il se retourna et découvrit Meiko, qui revenait visiblement de l'extérieur : elle portait un parapluie trempé et deux sacs cabas de courses.

– Bonjour, Taichi.

Le jeune homme ne répondit pas immédiatement, surpris par la douceur de son ton. Les yeux de la jeune fille étaient tristes, certes, mais ils dégageaient aussi une étrange paix, et son expression était moins ravagée par la douleur que celle de ses amis. Était-ce parce qu'elle avait déjà beaucoup souffert lorsqu'elle avait perdu Meicoomon ? Parce qu'elle avait conscience qu'ils n'auraient rien pu faire de plus ? Parce que malgré leur défaite, elle avait été soulagée qu'aucun d'eux ne soit blessé ? Meiko connaissait le prix inestimable de la vie et même s'ils avaient perdu, aucun de ses amis n'avaient péri. Surtout pas Taichi, et à ses yeux, c'était le plus important. Le jeune homme la salua à son tour.

– Bonjour. Tu n'es pas avec Meicoomon ?

– Elle se repose, je n'ai pas voulu la réveiller.

La jeune fille s'approcha de lui et ouvrit l'un des cabas. Il était rempli de tupperwares qui contenaient tous des aliments. Taichi pensait qu'elle était allée faire des courses, mais il lui apparaissait maintenant que toute la nourriture qu'elle rapportait avait été préparée maison.

– C'est … c'est toi qui a cuisiné tout ça ?

– Oui. Je n'arrivais pas à dormir, alors je suis passée chez moi. Je me suis dit qu'en vous préparant un petit-déjeuner, j'arriverais peut-être à me vider la tête. Tu en veux ?

– Euh … eh bien, oui, avec plaisir.

Ils allèrent s'asseoir sur l'escalier le plus proche. Meiko sortit un long tupperware rectangulaire de son sac : il contenait du riz et de l'omelette. Elle tendit des baguettes à Taichi, qui la remercia et mangea avec appétit. Meiko sourit. Taichi se sentit soudain malpoli.

– Et … et toi, tu ne manges rien ?

– J'ai déjà pris un petit-déjeuner chez moi, ne t'en fais pas.

– Ah bon …

Taichi reposa ses baguettes sur la boîte en plastique et avala une gorgée de thé tiède. Puis, il glissa un regard à Meiko :

– Daisuke m'a dit que pendant la bataille, toi et Meicoomon êtes sorties de l'Agence …

Meiko tressaillit : allait-il lui faire un reproche ? Allait-il lui dire qu'elle s'était mise inutilement en danger ?

– … et que Meicoomon s'était digivolvée pour la première fois. C'est vrai ?

À ces mots, Meiko sentit tout le poids sur son cœur s'alléger. Elle se détendit et sourit.

– Oui, c'est vrai. Quand Voltobautamon s'en est pris à nos amis, j'ai ressenti une véritable … rage. Je voulais qu'il paie pour sa cruauté, et c'est à ce moment-là que mon symbole a brillé.

– Le justice, fit Taichi, songeur. Il est vraiment fait pour toi, Mei.

La jeune fille cilla, troublée que Taichi l'ait appelée par son diminutif.

– Meicoomon est devenue Meicrackmon et a pu se battre, expliqua-t-elle, les joues rouges. Mais ensuite, ce sont les digimons de Daisuke, Miyako, Iori et Ken qui ont pu accéder au stade ultime. C'était impressionnant.

Taichi se demanda comment les digimons de Daisuke et des autres avaient pu réussir une telle prouesse. S'il en avait le courage, il poserait la question à Koushiro quand il se réveillerait. Meiko, une flamme dans les yeux, continua :

– Nos cinq digimons se sont unis et ensemble, ils ont réussi à vaincre Voltobautamon.

– Hein ? s'exclama Taichi, ébahi. Vous avez détruit Voltobautamon ?

– Oui, Daisuke ne te l'a pas dit ?

– Non, ça, il a oublié … il devait encore être sous le choc de la défaite.

– Voltobautamon n'a pas cessé de rire jusqu'à sa mort, mais … je sais maintenant qu'il ne reviendra plus jamais nous hanter.

Taichi dévisagea Meiko intensément. Dans le regard de la jeune fille, il lut une confiance, une foi en l'avenir qui le dérouta. Comment pouvait-elle garder espoir malgré la situation dramatique dans laquelle ils se trouvaient ? D'où tirait-elle cette force ? Comment pouvait-elle continuer à sourire ? La réponse lui vint presque immédiatement : parce que Meicoomon lui avait redonné espoir. En permettant à sa partenaire de se digivolver, Meiko avait changé. Elle semblait plus mûre qu'auparavant, moins angoissée, aussi, et ce nouveau visage la rendait plus belle encore. Meiko souffla alors :

– Je suis heureuse qu'il te soit rien arrivé sur cette île, Taichi. J'ai … j'ai eu peur pour toi, tu sais.

Le jeune homme cilla. Elle lui prononcé ces deux phrases avec une sincérité et une spontanéité qui auraient paru insurmontables à l'ancienne Meiko. C'était la première fois qu'elle lui avouait qu'elle s'était inquiétée pour lui, et en prenant conscience, Taichi sentit son cœur s'accélérer brusquement.

– Mei …

La jeune fille le fixait intensément, et dans son regard brillait du soulagement … mais aussi de la tendresse. Taichi cilla, puis posa le tupperware sur les marches à côté de lui et se tourna vers elle. Ils se dévisagèrent intensément, en silence, le cœur battant. Ils avaient brusquement la sensation que des ondes magnétiques avaient enveloppé leur corps et s'attiraient mutuellement. Taichi hésita quelques secondes, puis posa doucement ses mains sur les bras de la jeune fille. Il sentit Meiko frissonner à son contact et il lui sourit, avec tendresse. Il lut exactement la même émotion dans les yeux améthyste de la jeune fille. Leur courage avaient été mis à l'épreuve, lui en tant que chef, elle en tant qu'Enfant Élue sans partenaire. À présent, ils ressentaient la fierté d'avoir tous deux dépassés leurs faiblesses, d'avoir cru en leurs amis et en l'avenir, et ce, même s'ils avaient été vaincus. Taichi hésita encore quelques instants, puis, lentement, se pencha vers Meiko … et posa ses lèvres sur les siennes. Il entendit son cœur cogner à toute vitesse contre sa poitrine et eut l'impression que quelque chose venait d'être court-cuité dans son esprit. Une sensation grisante l'envahit, qui se décupla quand il sentit que Meiko répondait à son baiser. Taichi sentit une chaleur étourdissante s'emparer de son corps et il attira la jeune fille tout contre lui. La douceur de ses lèvres, ses bras frémissants sous ses mains, il pensait plus à rien que ce moment si intense qui les unissait. Et étrangement, il savait que Meiko ressentait la même chose, comme si les ondes magnétiques qui les enveloppaient ne faisaient soudain plus qu'un.

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Quand Sora se réveilla dans la salle où elle s'était installée avec Yamato, Joe, Chisako et Mimi, tous leurs digimons dormaient encore tous, à l'exception de Piyomon. Assise devant une fenêtre, sa partenaire contemplait la ville accablée par la pluie. L'eau tombait d'un ciel morne qui semblait pleurer la séparation du monde digital et de la Terre.

– Piyomon ? souffla Sora à voix basse.

Elle se redressa et se rendit alors compte que les yeux de sa partenaire étaient remplis de larmes. Sora sentit son cœur se déchirer.

– Oh, Piyomon …

Elle se leva et alla s'agenouiller près de son digimon, puis, elle la prit dans ses bras. L'oiseau rose frémit sous son étreinte et balbutia, d'une voix étranglée :

– Sora … je n'arrive toujours pas à croire que je n'y retournerai plus jamais.

– Je sais … Je suis tellement désolée, Piyomon.

Sora serra plus fort sa partenaire contre elle et sentit des larmes couler à son tour sur ses joues. À cet instant, elle sentit quelqu'un d'autre l'entourer de ses bras. Elle rouvrit les yeux et découvrit Gabumon, qui pressait contre elle sa douce fourrure pour la réconforter. Près de lui se tenait Yamato, qui venait de se réveiller. Il lui sourit doucement à la jeune, puis s'accroupit près d'elle et essuya ses larmes. Ensemble, ils se tournèrent vers la fenêtre et écoutèrent la pluie tomber.

Ils ne sortirent de leur torpeur que lorsque Joe se leva à son tour. Le jeune homme contempla Sora, Piyomon, Gabumon et Yamato, enlacés, et sourit faiblement. Puis, il se pencha vers Chisako, qui s'était endormie sur le même sofa que lui, et déposa un baiser délicat sur sa joue. La jeune fille ouvrit lentement les yeux et ils se sourirent.

– Tu veux aller boire quelque chose ? lui demanda-t-il.

Elle acquiesça. Ils se levèrent et sortirent sans bruit, main dans la main. Alors qu'ils refermaient la porte, une patte blanche se coinça dans l'embrasure et la tête de Gomamon apparut.

– Je peux venir avec vous ?

– Bien-sûr, acquiesça Joe.

Ils trouvèrent une machine en état de marche, différente de celle sur laquelle Taichi s'était rabattue : celle-là servait encore du café. Ils en prirent un grand gobelet chacun et le burent en silence. Finalement, Chisako souffla :

– Joe …

– Oui ?

– Je voulais te dire … toi et tes amis pouvez être fiers de vous et de la résistance que vous avez opposée à Yggdrasil, même si vous avez perdu. En tout cas, moi, je suis fière de toi.

Un sourire triste étira les lèvres du jeune homme.

– Merci. Malheureusement, comme tu l'as dit, nous avons perdu. Nous ne pouvons plus protéger le monde digital et Yggdrasil peut désormais y agir comme bon lui semble. Les seuls êtres encore capables de s'opposer à lui sont les quatre Bêtes Sacrées, et nous savons qu'elles ne peuvent pas venir à bout des Sept Seigneurs Démoniaques. J'ignore ce qu'il va advenir du monde digital, à présent.

Le regard de Joe se posa alors sur Gomamon et il regretta aussitôt ses paroles.

– Je … je suis désolé, Gomamon. Je ne voulais pas …

– Ne t'inquiète pas. Même si cela me fait de la peine de l'entendre, je sais que c'est la vérité.

Dans les yeux de Gomamon brillait de la tristesse, mais Joe n'y lut aucun reproche. Son digimon baissa la tête vers le sol et murmura :

– Tu sais, Joe … j'ai beaucoup réfléchi, cette nuit. S'il existait encore la moindre petite chance que nous puissions à nouveau nous dresser contre Yggdrasil, je la saisirais sans hésiter. Je me sens vraiment coupable de n'avoir rien pu faire de plus pour aider tous les digimons qui vivent encore dans le digimonde. Mais si, comme je le crois, tout est fini, alors … je m'habituerai à vivre sur Terre avec toi. J'aimerais beaucoup continuer à habiter dans ton appartement, si tu es d'accord. Et si un jour tu décidais de te marier avec Chisako … j'aimerais bien que vous acceptiez que je vive avec vous … enfin, si ça ne vous dérange pas, bien-sûr.

Joe cligna des yeux, désarçonné et ému. Il ne s'attendait pas à ce que son partenaire ait réfléchi aussi loin à l'avenir, alors qu'il était lui-même incapable de s'imaginer à quoi ressemblerait le jour suivant. Il glissa un regard vers Chisako, dont les joues s'étaient empourprées.

– Nous … nous marier ? répéta-t-elle, virant au cramoisi.

– Vous n'en avez pas envie ? fit Gomamon.

– Euh, comment dire, eh bien … balbutia Joe, pris au dépourvu. C'est que nous n'avions encore jamais abordé le sujet … et c'est juste que … enfin, si cela devait arriver, tu … tu serais évidemment le bienvenu chez nous, Gomamon.

– Absolument, confirma Chisako en lui souriant.

– Et attendant, ajouta Joe, il n'y a aucun problème pour que tu continues à vivre chez moi.

Le petit digimon sourit et son regard s'illumina soudain d'un espoir qui réchauffa le cœur de Joe. Il sauta vers les deux adolescents et entoura leur cou à chacun d'une patte.

– Merci. Merci à tous les deux, vraiment. Maintenant, quoiqu'il arrive, je n'ai plus peur de l'avenir.

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Quand M. Nishijima avait vu Yggdrasil et les Seigneurs Démoniaques disparaître, il avait compris que tout était perdu. Depuis, l'affreuse impression de vivre à côté de son corps, comme si son âme flottait dans une dimension parallèle, le plongeait dans un univers de cauchemars. Il n'avait pas réussi à dormir dans l'Agence, il étouffait. Il avait fini par ressortir sous la pluie battante et s'était assis sur un banc, dans la cour intérieure. Il y était demeuré totalement immobile, totalement indifférent au monde extérieur. La pluie avait d'abord mouillé ses cheveux, son visage, sa veste, sa chemise, et à présent, il était trempé jusqu'aux os, mais il s'en moquait.

Le visage d'Hime le poursuivait, à chaque instant, lorsqu'il fermait les yeux et lorsqu'il les ouvrait, aussi. Il la voyait partout, et le souvenir de ses traits lacérait son cœur d'une douleur insoutenable. La jeune femme était demeurée dans l'Océan des Ténèbres pour tromper Yggdrasil, pour les informer, pour lui transmettre des informations qui leur avaient permis de ressusciter Meicoomon. Elle avait mis sa vie en danger en demeurant dans ce maudit océan et à présent, elle n'en sortirait plus jamais. Elle resterait prisonnière d'Yggdrasil pour le restant de ses jours, à moins que celui-ci ne décide de la tuer. M. Nishijima serra les poings de rage : il n'avait pas réussi à la sauver, comme il n'avait pas su sauver Bakumon, le partenaire d'Hime, comme il n'avait pas pu sauver ses amis, Eiichiro, Ibuki et Shigeru, dix ans auparavant. Il avait vécu bien des défaites, face aux Maîtres de l'Ombre, à Apocalymon et aux Seigneurs Démoniaques, cependant, il avait cru en ces nouveaux Enfants Élus et en leurs digimons. Il avait placé tous ses espoirs et son désir de justice en eux, mais Yggdrasil était trop puissant. Désormais, ils ne pouvaient plus lutter.

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Daisuke, Miyako, Iori, Ken, Takeru et Hikari s'étaient endormis dans une salle à part du reste de leurs amis. Quand Takeru s'éveilla, il se rendit immédiatement compte qu'Hikari avait quitté la pièce. Il s'assit et frotta énergiquement ses bras : il se sentait gelé. Il tourna la tête vers un fauteuil et sourit en contemplant Patamon et Tailmon qui dormaient profondément. Il laissa son partenaire se reposer et sortit sans bruit de la salle.

Où pouvait être allée Hikari ? Il fit le tour de l'annexe de l'Agence, tomba sur Joe, Chisako et Gomamon, qui lui affirmèrent n'avoir pas vu la jeune fille. Il poursuivit ses recherches, passa dans le bâtiment principal de l'Agence dont le toit s'était effondré et parcourut les étages un à un, mais il n'eut guère plus de succès. Il redescendit les escaliers et alla jeter un œil à la cour intérieure : il aperçut la silhouette de M. Nishijima, ruisselant sous l'orage. Il était seul et le jeune homme devina qu'il ne souhaitait pas être déranger. Il revint sur ses pas et regagna l'annexe de l'Agence où ils avaient dormi là, il entreprit d'ouvrir toutes les pièces, de tous les étages. Alors qu'il ressortait d'une énième salle de réunion, il entendit soudain un bruit étouffé, à peine perceptible. Il tendit l'oreille et comprit qu'il s'agissait de sanglots. Il tourna la tête en direction du bruit et son regard tomba alors sur le pictogramme des toilettes des filles. Il fronça les sourcils, s'approcha de la porte et y colla son oreille. Quelqu'un pleurait, à l'intérieur. Il se redressa, puis toqua :

– Hikari ? Tu es là ?

Les pleurs s'interrompirent, mais personne ne lui répondit. Takeru pinça les lèvres et poussa la porte. Hikari se tenait assise contre le mur du fond, ses bras entourant ses genoux. Ses yeux étaient rougis de toutes les larmes qu'elle avait versées et dont les sillons brillaient encore sur ses joues. Elle fixait le sol d'un regard éteint, et jamais, jamais Takeru n'avait vu la jeune fille dans un tel état de désespoir, hormis le jour où elle avait cru perdre Taichi. Le jeune homme sentit son cœur se déchirer en avisant la posture recroquevillée de la jeune fille.

– Hikari … pourquoi restes-tu ici toute seule ? Je m'inquiétais terriblement. Cela fait au moins une demi-heure que je te cherche.

Elle ne répondit pas. Takeru vint s'accroupir face à elle et releva lentement son menton. Dans les yeux noisette de la jeune fille ne brillait plus aucune lumière, aucun espoir. Elle le dévisagea longuement et finit par balbutier d'une voix brisée :

– Yggdrasil a … le monde digital … pauvre Tailmon … elle ne pourra jamais y retourner … et les digimons qui sont restés là-bas, ils vont être …

Les larmes affluèrent à nouveau et des hoquets la secouèrent. Takeru serra les dents et la prit contre lui, rempli de colère et de peine. La jeune fille s'agrippa à sa chemise et à travers le mouvement nerveux de ses mains, l'adolescent comprit à quel point l'angoisse qui la rongeait était terrible.

– C'est ma faute, Takeru … la lumière … la lumière en moi n'a pas été assez forte …

– Ce n'est pas ta faute, Hikari. Ce n'est la faute de personne, tu entends ? La lumière en toi est puissante, mais les ténèbres d'Yggdrasil le sont plus encore.

– Il a détruit … le lien entre nos deux mondes. Nous avons perdus …

– Hikari, écoute-moi. Même si c'était vrai, même si nous avions définitivement perdu, tu m'as juré, dans l'Océan des Ténèbres, que la lumière en toi ne s'éteindrait jamais. Tu t'en souviens ?

– Je … oui, je m'en rappelle …

– Alors je ne veux plus que tu restes seule à étouffer ta peine là où personne ne t'entendras. Je suis là pour toi, je veux que tu me parles, et si tu es triste, je veux être là pour te consoler. Tu comprends ?

– Takeru …

Les yeux baignés de larmes de la jeune fille s'illuminèrent d'une faible lueur. Elle sourit tristement et se serra plus fort contre le jeune homme. Il était le seul, lorsque l'obscurité la submergeait totalement, à être capable de prendre sa main pour la hisser du fond du gouffre où elle s'abîmait. Takeru répondit à son étreinte et déposa un baiser sur son front. Tandis que la pluie battait toujours contre les fenêtres de l'Agence, les pleurs de la jeune fille s'apaisèrent.

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Quand Meiko et Taichi se détachèrent l'un de l'autre, ils se sourirent avec tendresse, le cœur inondé d'une émotion nouvelle. Meiko hésita un instant, puis passa sa main sur la joue de Taichi : il émanait de lui une force qui l'avait toujours impressionnée, et rassurée, aussi, dans les moments les plus difficiles. Le jeune homme savait prendre des décisions et continuer d'avancer, quelle que soit la situation. Il lui avait donné le courage de se battre et de s'accepter telle qu'elle était, même si à certains instants, elle s'était méprisée. À ses yeux, il était demeuré pendant longtemps le chef des Enfants Élus … jusqu'à ce qu'un autre sentiment naisse dans son cœur et qu'elle se surprenne, en portant le regard sur lui, à éprouver de l'attraction. À présent, elle le regardait comme un homme, sans que la timidité ne l'entrave. Elle sourit, et Taichi lui rendit son sourire.

– Ça te dit qu'on rejoigne les autres ? dit-il. On ne va quand même pas les priver de toute la bonne nourriture que tu as préparée.

Meiko acquiesça, et son visage rayonnant remplit le jeune homme d'une infinie joie. Main dans la main, ils remontèrent à l'étage où leurs amis avaient dormis. Tous s'étaient réveillés, leurs digimons aussi. Meiko leur offrit les tupperwares qu'elle avait cuisinés à leur intention : ils la remercièrent chaleureusement et mangèrent avec plus d'appétit que la veille. Néanmoins, leur regard demeurait terne, lointain. Joe, Chisako et Gomamon apparurent bientôt et Meiko nota qu'ils semblaient tous les trois moins en proie à la tristesse que ses autres amis. Étaient-ce parce qu'ils étaient ensemble ?

Takeru surgit d'un couloir perpendiculaire, tenant Hikari par les épaules dans un geste de réconfort. La jeune fille avait les yeux rougis par les pleurs qu'elle avait versés et en voyant l'état de sa sœur, Taichi sentit l'inquiétude l'envahir. Hikari s'assit près de ses amis et accepta avec gratitude le tupperware que Miyako lui tendait, tandis Tailmon sautait sur ses genoux pour la consoler. Takeru s'approcha de Taichi et lui souffla :

– Ne t'inquiète pas, je lui ai parlé. Elle est encore sous le choc, mais ça va passer.

– Je vois … merci, Takeru, d'être restée avec elle. Je ne supporte pas de la voir souffrir.

– Moi non plus, c'est bien pour cela que je lui ai dit que je voulais plus qu'elle s'isole quand elle est dans cet état.

– Tu as eu raison.

Taichi observa un à un ses compagnons, dont le visage traduisait un profond accablement malgré la longue nuit de sommeil qu'ils venaient de passer. Il remarqua soudain qu'une personne manquait à l'appel.

– Takeru, je ne vois pas M. Nishijima … est-ce que tu l'aurais croisé, ce matin ?

– Il est dehors, dans le patio.

– Sous la pluie ?

– Oui.

Taichi s'approcha des fenêtres et coula un regard vers la cour intérieure : leur professeur s'y trouvait bien, exactement dans la même position que lorsque Takeru l'y avait aperçu, une demi-heure plus tôt. Taichi fronça les sourcils : ce n'était pas le moment de le déranger. Il soupira et tira une chaise de la table de réunion pour s'y asseoir à califourchon, près des canapés où mangeaient ses amis. Il coula un regard vers Daisuke : l'adolescent, normalement si dynamique, remuait mollement de la sauce soja dans son riz. Taichi sourit et glissa :

– Hé, Daisuke … je ne te savais pas si modeste. Tu m'avais caché qu'avec Miyako, Iori, Ken et Meiko, vous aviez vaincu Voltobautamon, cette nuit.

À ces mots, tous les autres Enfants Élus sursautèrent et tournèrent la tête en direction du groupe concerné.

– Vous … vous avez détruit Voltobautamon ? répéta Sora, incrédule.

– Oui, acquiesça Daisuke avec un détachement qui ne lui était pas coutumier.

– Mais pourquoi vous ne l'avez pas dit plus tôt ? s'exclama Mimi.

– À quoi bon ? dit Iori en haussant les épaules. Cela n'a pas empêché Yggdrasil de gagner la bataille …

– Malgré tout, c'est une bonne nouvelle, dit Yamato. Même si ça ne répare pas notre défaite, Voltobautamon était un adversaire redoutable.

– Taichi, comment es-tu au courant ? lui demanda Joe.

– C'est Meiko qui me l'a dit. Elle a aidé Daisuke et les autres cette nuit, et Meicoomon aussi.

– Meicoomon aussi ? répéta Patamon.

– Oui, confirma Meiko. Meicoomon s'est digivolvée pour la première fois.

Les yeux des Enfants Élus s'agrandirent.

– C'est vrai ? souffla Sakae, incrédule. Ah, Meiko, je suis tellement heureuse pour vous deux !

La jeune fille sauta au cou de sa sœur, qui rougit, intimidée. Pendant ce temps, les digimons avaient fait cercle autour de la partenaire de la jeune fille.

– Meicoomon, c'est trop génial ! s'exclama Palmon.

– C'est vrai, Mei, tu as pu enfin évoluer sans mauvaises données ! renchérit Agumon.

– Vous savez, je n'ai pas fait grand-chose … c'est le désir de justice de Meiko qui m'a permis de devenir Meicrackmon, balbutia l'intéressée en rougissant. Et puis, je ne suis pas la seule à m'être digivolvée : X-Vmon, Stingmon, Aquilamon et Ankylomon ont évolué, eux-aussi.

– Quoi ? fit Takeru, stupéfait.

Pour la première fois depuis le début du petit-déjeuner, une lumière d'intérêt se ralluma dans les yeux de Koushiro, qui avait gardé le silence. Le jeune informaticien releva la tête vers Daisuke et ses compagnons et demanda, surpris :

– Vos digimons … sont passés au stade ultime ?

– Oui, répondit Ken. Cependant, comme ça ne nous a pas permis de vaincre Yggdrasil, nous n'avons pas eu le cœur à vous le dire cette nuit.

– Vos digimons n'avaient jamais atteint un tel niveau d'évolution auparavant. Comment cela s'est-il produit ?

– Eh bien, se rappela Miyako, c'est arrivé juste après que Meicoomon s'est transformée en Meicrackmon …

– Oui, un étrange phénomène a eu lieu, renchérit Iori. Les digi-sphères qui entourent le corps des Bêtes Sacrées se sont soudain mises à briller …

– … et les deux symboles de nos digi-œufs sont apparus sur l'écran de nos digivices, compléta Daisuke. Puis, ils se sont entremêlés, pour ne former plus qu'un seul symbole …

– Sauf pour moi, puisque je ne possède qu'un symbole, dit Ken.

– Ensuite, continua Iori, des faisceaux de lumière ont jailli des digi-sphères de Bêtes Sacrées et se sont posés sur nos partenaires. C'est à ce moment-là qu'ils ont pu se digivolver.

Les yeux de Koushiro s'écarquillèrent, et pendant quelques secondes, il sembla à ses amis qu'il avait cessé de respirer. Il se redressa et demanda, le souffle court :

– Pouvez-vous me dire quelle Bête Sacrée a donné son énergie à chacun de vos partenaires ?

– Pour moi, dit Miyako, c'était Zhuqiaomon.

– Pour, poursuivit Iori, c'était à la fois Zhuqiaomon et Xuanwumon.

– En ce qui me concerne, continua Ken, c'était Azulongmon.

– Et moi, termina Daisuke, je n'ai pas vu la Bête Sacrée qui a donné son énergie à X-Vmon, car la lumière a traversé tout Tokyo, mais j'en déduis qu'il s'agit de Baihumon.

Les yeux de Koushiro se mit à briller, son cerveau se réactiva.

– Bien-sûr, c'est évident …

– Tu penses que le pouvoir des Bêtes Sacrées a permis à nos partenaires de se digivolver ? devina Ken.

– Exactement, mais il n'y a pas que ça. Quand vos symboles sont apparus sur l'écran de vos digivices, ils ont fusionné, pour ne former qu'un symbole qui permettrait à vos digimons d'accéder au stade ultime. Auparavant, vos symboles étaient séparés et rattachés à un digi-œuf, qui ne permettait pas d'accéder à un tel niveau d'évolution. Vos symboles ont donc été convertis pour rendre vos partenaires plus forts, et cette transformation n'a été possible que grâce aux Bêtes Sacrées. D'ailleurs, celles qui ont donné leur énergie à vos digimons sont directement associées à vos symboles : Daisuke, tu possèdes les symboles du courage et de l'amitié, et Baihumon incarne également le pouvoir de ces deux emblèmes c'est lui qui a permis à X-Vmon de se digivolver. Zhuqiaomon, lui, représente les symboles de la responsabilité et la sincérité, il est donc logique qu'il ait octroyé une partie de son pouvoir à Miyako et une autre partie à Iori. Cependant, Iori, une autre Bête Sacrée incarne l'un des deux symboles que tu portes : c'est Xuanwumon, qui matérialise le symbole de la connaissance. Il est donc normal qu'il ait aussi donné son énergie à Ankylomon.

– Pourtant, intervint Ken, aucune des Bêtes Sacrées n'incarne le symbole que je porte, à ce que je sache.

– C'est aussi ce que je croyais, concéda Koushiro. Mais tu m'as dit que le rayon qui a touché Stingmon provenait des sphères d'Azulongmon : j'en déduis donc qu'en plus d'incarner l'espoir et la lumière, cette Bête Sacrée contrôle aussi le symbole de la gentillesse, dont tu es le porteur.

– Dans ce cas, dit Daisuke, nos digimons ne peuvent-ils évoluer au stade ultime qu'en présence des Bêtes Sacrées ?

– Je ne crois pas. Maintenant que vos digimons ont atteint ce niveau d'évolution, ils pourront y accéder de nouveau seuls.

– Enfin bon, à quoi ça sert de débattre de tout ça ? soupira Miyako d'un ton désabusé. Nos digimons n'auront plus de raison d'évoluer, à présent que la liaison entre la Terre et le monde digital est coupée …

Les Enfants Élus baissèrent les yeux, le cœur lourd. À cet instant, la voix de Koushiro résonna dans la salle de réunion :

– Non, ce n'est pas fini.

Ses amis sursautèrent et relevèrent tous la tête vers lui, stupéfaits.

– Pas fini ? Comment ça ? lui demanda Yamato.

– Vous ne comprenez donc pas ? La digivolution des digimons de Daisuke, Miyako, Ken et Iori nous apprend quelque chose de capital.

– Quoi donc ? demanda Mimi.

– Quelqu'un nous a aidés pendant la bataille contre Yggdrasil.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? fit Takeru.

– Ce ne sont pas les Bêtes Sacrées qui ont choisi de donner leur pouvoir aux digimons de Daisuke et des autres. Si les Bêtes Sacrées avaient conscience de cette capacité dès le début, elles auraient transféré leur énergie à nos amis beaucoup plus tôt, vous ne croyez pas ?

– Si, admit Ken.

– Dans ce cas, comprit Taichi, quelqu'un a ordonné le transfert, ou plutôt a permis aux Bêtes Sacrées de l'activer !

– Exactement, confirma Koushiro. Et cette personne, je suis prêt à parier que c'est celle qui a créé les Bêtes Sacrées.

– Tu veux dire … qu'Homeostasis nous a aidés ? lâcha Hikari, bouche bée.

– J'en suis sûr. Vous ne trouvez pas cela curieux que la digivolution des partenaires de Daisuke et des autres survienne juste après que Meicoomon a évolué pour la première fois ? Même si Homeostasis était opposé à la renaissance de Meicoomon, il a été forcé de constater que nous l'avions ressuscitée sans recréer les données d'Apocalymon qui la pervertissaient.

– Il a compris que Meicoomon ne représentait plus une menace, même en se digivolvant ? devina Meiko.

– Oui, et je suis presque certain que c'est ce qui l'a décidé à nous aider en permettant aux Bêtes Sacrées de donner une partie de leur pouvoir aux digimons de nos amis.

– Mais si Homeostasis était vraiment de notre côté, pourquoi n'a-t-il pas envoyé des renforts pour nous aider à nous battre contre Yggdrasil ? objecta Sora. Il aurait pu faire intervenir Jesmon, par exemple.

– Sauf si Jesmon était déjà en train de se battre dans le monde digital, réfléchit Taichi.

– C'est aussi ce que je crois, acquiesça Koushiro. Si Homeostasis nous a aidés, cela ne peut signifier qu'une chose : il est persuadé que nous pouvons nous mesurer à Yggdrasil. Voilà pourquoi je pense que la bataille n'est pas terminée : nous pouvons encore vaincre Yggdrasil.

– Mais comment ? fit Sakae. La connexion entre nos deux mondes est brisée. Yggdrasil est inatteignable, maintenant.

Koushiro fronça les sourcils.

– Je le sais bien, et c'est ce qui m'intrigue le plus. Homeostasis semble attendre de nous que nous agissions, mais tous les portails qui ouvrent sur le monde digital ont été condamnés. Pourtant, je suis sûr qu'il doit exister un moyen de revenir dans le digimonde.

Tous les adolescents et leurs digimons froncèrent les sourcils et se mirent à réfléchir. Où qu'ils se trouvent sur Terre, plus aucun portail ne s'ouvrirait pour leur permettre de se rendre dans le monde digital. Alors, comment faire de nouveau face à leur ennemi ? Un souvenir ressurgit soudain dans la mémoire de Tailmon : trois ans auparavant, alors qu'elle attendait Hikari à la sortie de l'école, la jeune fille était sortie en se sentant mal. Avant que Tailmon n'ait pu la rejoindre, son corps avait grésillé, et soudain Hikari avait disparu. C'était la première fois qu'elle s'était rendue dans l'Océan des Ténèbres, de manière totalement involontaire. Pour la sauver, Tailmon avait dû unir ses forces à celles de Patamon et de Takeru les yeux bleus du digimon chat s'agrandirent.

– Je crois que j'ai une idée.

– Vraiment, qu'est-ce que c'est ? demanda Taichi.

– Hikari, te souviens-tu de la première fois que tu es allée dans l'Océan des Ténèbres, il y a trois ans ?

– Évidemment, acquiesça la jeune fille.

– Où étais-tu avant de t'y transporter ?

– Je sortais de l'école … mais où veux-tu en venir ?

Les yeux de Koushiro se mirent à pétiller.

– Tailmon, tu es géniale !

– Attendez une minute, je suis largué là ! s'exclama Daisuke. Quelqu'un peut m'expliquer ?

Le regard de Ken s'était lui aussi illuminé : il avait compris.

– Mais bien sûr … la première fois que tu t'es rendue dans l'Océan des Ténèbres, Hikari, tu étais sur Terre. Cela signifie donc qu'on peut se rendre dans cet océan … sans passer par le monde digital.

Stupéfaits, les Enfants Élus fixèrent alternativement Tailmon et Hikari. Koushiro sourit, puis ajouta :

– Et comme Yggdrasil a détruit le Mur de Feu, l'Océan des Ténèbres et le monde digital sont désormais reliés. Ce qui signifie que si nous parvenons à entrer dans l'Océan des Ténèbres depuis la Terre …

– … nous pourrons revenir dans le digimonde ! s'exclama Mimi.

– Tout à fait.

Les Enfants Élus échangèrent un regard : dans leurs yeux s'était rallumé l'espoir et la combativité. Ils n'étaient pas encore vaincus. Ils pouvaient encore atteindre Yggdrasil, ils pouvaient encore le battre. Les digimons se redressèrent, l'expression féroce.

– Alors … quand est-ce qu'on repart ? demanda Daisuke en se frottant les mains.

– Il faut bien réfléchir avant d'agir, souligna Yamato. Cette fois, nous n'aurons pas le droit à l'erreur.

– Le mieux serait de se donner la journée pour planifier ce que nous ferons une fois sur place, observa Taichi. De plus, cela permettrait à nos digimons de reprendre les forces dont ils ont besoin.

– Je suis d'accord, acquiesça Joe.

– L'aide des Bêtes Sacrées serait sans doute la bienvenue, remarqua Meiko.

– Dès que nous serons dans le digimonde, nous devrons les appeler, acquiesça Mimi.

– Il ne faut pas oublier que l'Océan des Ténèbres grouille de créatures à la solde d'Yggdrasil, rappela Takeru. Nous devons être capables de les repousser puis de nous occuper d'Yggdrasil et de ses démons.

– C'est pour cela que cette fois, décréta Taichi, tous ceux d'entre nous qui peuvent permettre à leurs digimons de réaliser une digivolution de l'ADN devront le faire : Joe et Mimi, Hikari et Takeru, nous comptons sur vous. Yamato et moi feront évidemment apparaître Omegamon.

– Koushiro et moi aussi pouvons vous aider, intervint alors Sakae.

Les Enfants Élus se tournèrent vers les adolescents, étonnés. Sakae échangea un regard complice avec Koushiro, puis expliqua :

– Pendant que nous défendions la véritable qualcorite contre Yggdrasil, nos partenaires ont fusionné pour la première fois et ont donné naissance à Spinomon.

– C'est vrai ? C'est incroyable ! s'exclama Mimi. À quatre digivolutions de l'ADN, nous pourrons écraser Yggdrasil !

Taichi sourit et déclara :

– Cette fois, nous unirons toutes nos forces. Prenez du repos, et retrouvons-nous en fin d'après-midi à dix-huit heures, ici même.

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Tandis que tous ses amis rentraient chez eux, Taichi quitta la salle de réunion et se dirigea vers la porte qui ouvrait sur cour intérieure de l'Agence : M. Nishijima n'avait pas bougé. Assis sous la pluie, son professeur paraissait totalement absent son regard se perdait dans le néant, et ses vêtements, complètement trempés, devaient lui glacer les os, mais il semblait s'en moquer. L'adolescent s'approcha doucement de lui et s'arrêta pile en face du banc.

– Bonjour, monsieur.

M. Nishijima cligna des yeux, brusquement ramené à la réalité par la voix de l'adolescent. Il releva lentement la tête vers lui, les cheveux ruisselants.

– Ah, c'est toi, Taichi. Je suis désolé, mais je n'ai pas le cœur à parler ce matin.

– C'est moi qui suis venu vous parler, monsieur. Tout n'est pas fini, loin de là : il nous reste une dernière bataille à mener.

Taichi vit la surprise se peindre sur le visage de son professeur. D'une voix calme, il lui expliqua le raisonnement qu'avaient suivi ses amis et les conclusions auxquelles ils étaient arrivés. À mesure qu'il parlait, les yeux de M. Nishijima s'agrandirent, ses traits reprirent vie, animé par une brusque et inespérée vague d'espoir. Quand Taichi acheva son résumé, son professeur le dévisagea, abasourdi. Il lui restait peut-être encore une chance de sauver Maki, une chance de rattraper ses erreurs passées, une chance de protéger les deux mondes du mal. Taichi le dévisagea et lui dit d'une voix ferme :

– Nous ne devons pas abandonner, monsieur. C'est vous me l'avez dit dans ce laboratoire, alors que vous étiez sur le point de mourir vous m'avez demandé de continuer à croire en mes rêves, quoiqu'il arrive. Aujourd'hui, c'est à moi de vous demander de continuer à y croire.

M. Nishijima et Taichi se fixèrent intensément, et dans leur regard, chacun lut un respect et une confiance mutuelle. M. Nishijima avait interdit à Taichi d'abandonner tout espoir aujourd'hui, l'adolescent lui rendait la pareille et lui demandait, une fois de plus, de se joindre à lui et ses amis pour se battre. Il hocha la tête et le jeune homme fit de même. Dans cet échange muet, les deux hommes se comprirent.

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Quand Yggdrasil et les Sept Seigneurs Démoniaques avaient regagné le monde digital, celui-ci n'était plus qu'un immense brasier. Alphamon et Jesmon s'étaient affrontés toute la nuit, enflammant les forêts et les villes sur leur passage alors qu'un jour gris se levait, ils continuaient de se battre sans que l'un ne parvienne à prendre l'ascendant sur l'autre. Dès qu'ils se rematérialisèrent dans le digimonde, les Sept Seigneurs Démoniaques s'élancèrent vers Alphamon pour unir leurs forces aux siennes. C'était sans compter les quatre Bêtes Sacrées qui les talonnaient : Baihumon, Zhuqiaomon, Azulongmon et Xuanwumon firent front commun avec Jesmon et attaquèrent les sbires d'Yggdrasil. Une lutte sans merci s'engagea entre les deux camps, ravageant le monde digital sous le feu et la cendre.

À quelques kilomètres se dressait un château à demi en ruine, dans lequel Yggdrasil avait établi son nouveau quartier général, celui depuis lequel il régnerait désormais sur le monde digital. Dans la plus grande salle du monument, près d'une fenêtre, Mlle Himekawa attendait. Les déflagrations provoquées par la lutte entre Alphamon et Jesmon lui parvenaient comme le grondement assourdi d'un monstre infernal. Seule la conviction que les Enfants Élus étaient en train de repousser Yggdrasil lui avait permis de garder son sang-froid pendant toute la nuit ses doigts ne cessaient de se croiser et de se décroiser dans un geste nerveux, l'angoisse comprimait son cœur comme un étau. À l'heure qu'il était, Koushiro avait probablement réussi à ressusciter Meicoomon. De plus, les Enfants Élus avaient dû élaborer un plan pour résister à Yggdrasil. À quinze, ils parviendraient sans doute à le renvoyer dans le monde digital. Mlle Himekawa pinça les lèvres : elle devait y croire, coûte que coûte. Ils étaient la dernière la chance des deux mondes, et sa dernière chance à elle.

Le ciel commença à pâlir à l'horizon. Soudain, des explosions multiples résonnèrent jusqu'aux murs du château. Mlle Himekawa se redressa : que se passait-il ? Les Enfants Élus seraient-ils entrés dans le monde digital ? Pouvait-ce être les Seigneurs Démoniaques ? Les Bêtes Sacrées ?

Au même moment, la porte de la grande salle s'ouvrit avec fracas. Mlle Himekawa fit volte-face, le cœur battant : dans la semi-pénombre de l'aube bleue se découpa la silhouette glacée d'Yggdrasil. Quand l'ancien dieu du monde digital entra dans la lumière, des sueurs froides coulèrent dans le dos de Mlle Himekawa : dans les yeux gris du Seigneur de l'Océan des Ténèbres brillait un éclat de victoire.

Il flotta lentement vers elle, majestueux, effrayant. D'une voix doucereuse, il annonça :

– Réjouis-toi, Maki : nous avons gagné.

Mlle Himekawa cilla, ses jambes vacillèrent, elle eut l'impression que tout le sang de ses membres descendait d'un coup jusqu'à ses pieds pour la vider de toute énergie. La gorge nouée d'appréhension, elle balbutia :

– Vous … vous voulez dire que …

– Oui : j'ai détruit la qualcorite. Les Enfants Élus ne pourront plus jamais s'opposer à moi. À présent, je vais réformer le monde digital comme je l'entends, puis j'infiltrerai le réseau des humains pour plonger la Terre dans le chaos.

Mlle Himekawa eut la sensation qu'un gouffre béant s'ouvrait sous ses pieds pour l'aspirer dans le néant. Non, ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas y croire. Elle avait tant attendu, tant espéré … mais Daigo, Taichi et les autres n'avaient pas pu vaincre leur ennemi. La qualcorite n'existait plus. Son visage se décomposa alors qu'elle comprenait ce que cela signifiait pour elle : elle était prisonnière d'Yggdrasil, pour toujours. Il lui sembla le monde s'écroulait.

Elle était venue en aide aux Enfants Élus trop tard : la libération de Ken et l'ouverture de son dossier de reboot n'avaient pas pu racheter sa trahison, le mal qu'elle avait commis demeurerait toujours supérieur au bien qu'elle avait voulu restaurer. Un désespoir glaçant envahit ses veines.

– Eh bien, Maki ? fit Yggdrasil d'une voix grinçante. Cette nouvelle ne semble pas te faire plaisir. Il me semblait pourtant que tu partageais mon point de vue.

Elle releva lentement la tête vers lui, hagarde. Les yeux froids et tranchants comme le verre d'Yggdrasil se posèrent sur elle sans aucune aménité.

– Tout du moins, c'est ce que je croyais, reprit-il. En arrivant dans le monde des humains, j'ai découvert que les Enfants Élus détenaient déjà la qualcorite. Comment pouvaient-ils être au courant de son existence, eux qui n'avaient pas jamais eu l'historique du monde digital entre les mains ? C'est ce que je me suis demandé.

Mlle Himekawa retint son souffle, sans détourner son regard de celui d'Yggdrasil. L'expression avec laquelle il la fixait la paralysait, l'empêchait d'esquisser le moindre mouvement.

– Voltobautamon n'a jamais eu confiance en toi, Maki. Il était convaincu que tu avais permis à Ken de s'échapper de ma pagode. Malgré tout, j'ai décidé de t'accorder le bénéfice du doute … car tu sais que je suis magnanime. Cependant, cette nuit, Voltobautamon a été désintégré. Daemon m'a dit que lorsqu'ils se sont approchés de Ken, ils lui ont demandé qui l'avait aidé à s'évader de mes geôles. Cet enfant a hésité un instant avant de répondre qu'il était en sorti seul. Que signifie son hésitation, à ton avis ?

Mlle Himekawa le fixa sans répondre. Les yeux d'Yggdrasil se réduisirent à deux fentes et il approcha son visage du sien.

– Cela signifie qu'il mentait. Cela signifie également qu'il n'y a que toi qui aies pu l'aider à s'enfuir, Maki, tout comme il n'y a que toi qui aies pu informer les Enfants Élus du lieu où se trouvait la qualcorite. Par quel moyen t'y es-tu prise pour lire l'historique alors tu étais constamment sous la surveillance de mes démons ? Je l'ignore. Cependant, une chose m'apparaît maintenant clairement : tu m'as trahi, Maki Himekawa.

La jeune femme demeura immobile, sans ciller, sans nier, sans crier cela ne servait plus à rien. Elle allait mourir, elle le savait. Son corps lui semblait déjà froid, imperméable à toute sensation, à toute émotion, comme si sa conscience pressentait la mort sans que son cerveau ne déclenche en elle la peur qui l'accompagne. Yggdrasil lévita jusqu'à elle et tendit son bras : ses doigts glacés se refermèrent sur son cou et la soulevèrent. Le maître de l'Océan de l'Océan des Ténèbres plongea son regard d'acier dans ses yeux verts et elle sentit ses membres se geler, ses bras se paralyser, sa respiration s'entrecouper … au fond, c'était mieux ainsi. Elle allait mourir et la spore noire qu'elle avait prise à Ken disparaîtrait en même temps qu'elle. Yggdrasil jamais ne l'utiliserait pour renforcer sa puissance c'était une bien maigre consolation, mais en cet instant, cela lui suffisait. Dans un souffle, elle murmura :

– Allez-y … tuez-moi.

Yggdrasil garda son regard fixé sur elle et son front se rida d'un doute. Dans ses pupilles inhumaines, une étincelle de cruauté s'alluma soudain. Il reposa lentement Mlle Himekawa au sol et déclara :

– Non. Je ne vais pas te tuer tu es bien trop disposée à mourir maintenant pour que le trépas te serve de châtiment.

Il tendit la main vers le sol qui disparut instantanément. Mlle Himekawa fit alors une chute de plusieurs mètres jusqu'aux caves du château et s'écrasa sur un sol de pierre dur. Elle se redressa péniblement, endolorie mais stupéfaite de n'avoir aucun membre de cassé, et releva la tête : elle était tombée dans un renfoncement obscur qui avait jadis dû servir de cellier. Les murs suintaient d'humidité et une odeur de légumes pourris empuantissait l'air. Soudain, des barreaux de fer apparurent devant elle et l'emprisonnèrent. Yggdrasil descendit en lévitant depuis la salle principale jusqu'au sous-sol. Il s'immobilisa devant ses barreaux et la dévisagea intensément.

– Au lieu de te tuer, je vais plutôt t'enfermer, dit-il calmement. Ton sort sera le même que celui que les hommes et Homeostasis m'ont infligé. Tu vas connaître ce que j'ai enduré pendant douze mille ans : le froid, la faim, et surtout la solitude. À en devenir fou. En y réfléchissant bien, c'est une peine pire que la mort tu auras le temps de ressasser toute ta honte et ta haine de toi-même, Maki. Toutefois, tes souffrances s'abrégeront plus vite que les miennes, car ta durée de vie est celle d'une vulgaire humaine.

Pétrifiée d'horreur, la jeune femme ne pouvait plus esquisser un geste. Yggdrasil s'éleva de nouveau vers la salle principale du château et le plafond réapparut entre les deux étages. L'obscurité se referma autour de Mlle Himekawa comme un piège sur un insecte, minuscule et misérable. Bientôt, elle n'entendit plus que le souffle de sa respiration et le nuage de buée qu'il produisait dans l'air glacé. Elle s'agrippa aux barreaux de fer à l'odeur de rouille et se laissa lentement tomber à genoux. Elle serra les dents et sentit que des larmes perlaient à ses yeux. Elle avait tant menti, tant manipulé, tant trahi. Sans elle, Yggdrasil n'aurait jamais pu faire sortir les Sept Seigneurs Démoniaques de l'Océan des Ténèbres. Sans elle, il n'aurait pas obtenu l'historique du monde digital, il n'aurait pas fragmenté le Mur de Feu. Il n'aurait jamais envahi le digimonde, ni la Terre, et elle prit conscience que si le monde allait sombrer dans les ténèbres, c'était par sa faute. Après tout, cette condamnation, elle la méritait.

Pour tous ceux qu'elle avait fait souffrir.