Sacré Odd… Il a eu chaud sur ce coup là. Heureusement pour lui qu'Aelita le connaît depuis peu. Il aurait essayé de m'attraper avec sa tête larmoyante, il aurait très vite déchanté !

A présent, Ulrich était officiellement en train d'écouter Jérémie exposer toutes les facettes du problème, ignorant les bâillements volontairement sonores d'Odd et ponctuant son récit de mots interrogatifs pour tenir l'attention de ses auditeurs.

Officiellement.

Car officieusement,Yumiet luijouaient au chat et à la souris.

Lançant des coups d'œil discrets pour vérifier qu'elle écoutait bel et bien Jérémie, Ulrich l'observait alors à la dérobée, reportant prestement son attention sur l'orateur dès qu'elle croisait son regard.

Il leva les yeux : elle le regardait encore.

Il essaya la seconde d'après : la voie était libre.

Prétextant une vérification de ses ongles, elle recommença.

Et lui détourna son regard.

Le jeu dura cinq minutes, jusqu'à ce que, fatalement, ils pivotèrent en même temps l'un vers l'autre.

Aucun des deux ne cilla.

Après une dizaine de secondes, il tenta un sourire ; Elle le lui rendit.

Et ils passèrent un temps incroyablement long à s'observer mutuellement, scrutant le moindre détail de leur visage respectif, comme s'ils voulaient imprimer leur image dans leur mémoire afin de ne jamais l'oublier.

« … penses-tu, Ulrich ? »

La voix de son ami lui parut lointaine, très lointaine, comme on rappellerait un enfant qui s'était égaré du sentier pour suivre un papillon.

« Hein ? » parvint-il à prononcer, ramenant aussi vite que possible son attention sur le sujet actuel.

Il se dépêcha de trouver de quoi le sauver.

« Répète un peu, c'est quoi l'idée en gros ?

- Aelita nous propose de retourner à l'Ermitage, tu sais, la vieille maison abandonnée… »

Comment pourrais-je l'oublier, pensa-t-il en sentant le regard insistant de Yumi le scanner aux Rayons X.

« Mais c'est quoi le rapport avec XANA » demanda-t-il, un peu perplexe.

Jérémie échangea un œil désespéré avec Odd et Aelita, puis reprit.

« Quand on est allé là-bas, Aelita a eu des… flashs, des visions, en quelque sorte.

- Plutôt comme des souvenirs… rectifia la jeune fille. Oui c'est ça… En fait je n'ai pas de souvenirs de ma vie avant de débarquer sur Lyoko… Aussi loin que me porte ma mémoire, j'y ai toujours été.

- Et… ? fit Ulrich, qui commençait à faire le lien.

- Peut être que si d'autres souvenirs se présentaient… commença Aelita d'une voix hésitante. Peut être qu'ils nous en apprendraient plus sur XANA…

- Comment peut-on être sûrs que ces visions ne sont pas des pièges qu'il t'aurait implantés avec le virus ? demanda Yumi sur le ton de la méfiance.

- Vous pouvez y faire confiance, ils sont vrais de vrais ! affirma vivement Odd. C'est grâce à elle qu'on a découvert le passage vers les égouts !

- Ca ne me suffit pas… persista Yumi.

- C'est notre seule option, à part attendre bêtement que XANA ne se manifeste, au risque de perdre des vies, objecta Ulrich, sachant pertinemment que son amie ne laisserait pas des vies en danger.

- Vu comme ça… accorda-t-elle.

- Et… Quand pensons-nous y aller ? » s'interrogea l'adolescent.

Jérémie jeta un coup d'œil à sa montre.

« Hé bien… Partant du principe que le plus tôt sera le mieux…

- En avant toute ! lança joyeusement Odd.

- Bon, je vais prévenir mes parents qu'on part se promener, ironisa Yumi qui sortait de la chambre.

On arrive. » assura Jérémie.

Et ils l'accompagnèrent jusqu'au salon où son père et sa mère vaquaient paisiblement à leurs occupations.

Ils n'opposèrent aucune suggestion, manifestement contents que la bande ne restâtpas enfermée dans la chambre tout l'après-midi.

Au devant du petit groupe marchaient Jérémie et Aelita, qui discutaient anxieusement de ce à quoi la prochaine attaque pourrait bien ressembler.

Au centre sifflotait Odd, les bras croisés derrière la tête, regardant distraitement les nuages et la forme qu'il pourrait bien y attribuer.

Et enfin, à l'arrière, Ulrich et Yumi fermaient la marche, silencieusement.

Les idées se bousculaient dans la tête d'Ulrich pour engager la conversation, mais toutes lui semblaient un peu trop directes, un peu trop bêtes, un peu trop ceci, pas assez cela… Si bien qu'ils parvinrent devant la grille recouverte de mousse de l'Ermitage sans avoir décollé les lèvres de tout le voyage.

Alors qu'ils allaient tous entrer dans la masure, Ulrich s'immobilisa net et déclara :

« Au cas où ce serait un traquenard… Je reste à l'entrée. »

Odd fut le seul à ne pas hocher la tête en silence.

« Bah et ça va nous servir à quoi ? Autant laisser Aelita, y a qu'elle qui peut désactiver les tours…

- Mais il n'y a qu'elle qui aura cesfichues visions, le reprit Yumi avec impatience. Ce qui, je te le rappelle, est le but de cette «promenade» !

- D'accord, mais si c'est vraiment un piège, on s'ra pas plus avancé ! raisonna le garçon.

- Je voulais dire que je resterais là pour surveiller qu'un piège ne vienne pas de l'extérieur, précisa Ulrich. De toute façon, on a toujours eu de la chance jusqu'à présent, conclut-il, sachant bien que c'était extrêmement audacieux.

Ils semblèrent plus ou moins d'accord, et se résignèrent à entrer dans la demeure délabrée.

Tel est Ulrich Stern.

Un roc solide.

Une pierre dure et stable.

Quiconque tenterait de le briser se casserait assurément les dents sur la surface de l'adolescent.

Mais il n'est pas hostile pour un rien.

Comme les rochers millénaires des montagnes, il reste immobile et impassible face aux quolibets, aux moqueries, aussi bien que face aux flatteries intéressées ou autres vaines tentatives de communication.

Mais si quelqu'un a le malheur de le frapper, emporté par le dépit de ses tentatives…

Alors la pierre se met à rouler, à écraser sous son poids l'impudent.

Mais ça ne va pas plus loin.

Personne aux yeux d'Ulrich ne mérite que ça aille plus loin.

Par contre, quiconque devient son ami acquiert automatiquement sa loyauté, ainsi qu'un soutien et une assistance zélée.

Personne ne peut toucher à ses amis.

Mais ses amis peuvent à tout moment s'appuyer sur sa roche solide pour y trouver conseil et refuge.

Une seule chose a jamais pénétré dans le bloc introverti d'Ulrich.

Une chenille qui a creusé son chemin dans le gravier et y a établi domicile, en plein cœur de la pierre.

Mais sa présence ne laisse aucun vide, aucun froid dans son âme.

Au contraire, elle y apporte chaleur et paix, et en aucun cas il laisserait un individu tenter de déloger ce petit être qui le fascine tant.

Et puis un jour, la chenille est devenue papillon.

C'est là que tout c'est confirmé dans le cœur du garçon.

Il sait à présent qu'il protègera le papillon au prix de sa propre vie, que partout où cette merveilleuse créature irait, il serait là pour veiller à ce que rien ne lui arrive.

C'est tout ce qu'il a à offrir à Yumi Ishiyama en témoignage de son amour : une protection sans faille pour qu'elle puisse vivre sans crainte, sans angoisse.

Car un jour il lui ferait la promesse de toujours être à ses côtés.