Maintenant qu'elle était là, marchant calmement aux côtés de ses amis, sans aucun soupçon de panique, et qu'elle pouvait observer cet endroit, elle pensa qu'elle le trouvait vraiment horrible.

Ses murs recouverts d'une moisissure verte teintaient la scène de la même couleur que les bois inquiétants de Lyoko, et les quelques fenêtres qui n'étaient pas cachées par des planches sauvagement fixées diffusaient une lumière pâle qui révélait la présence de multiples poussières volantes.

Les escaliers de bois émettaient une plainte particulièrement oppressante chaque fois qu'un des compagnons venaient à poser le pied dessus, et cette musique macabre les accompagna tout le long de la remontée, puis le la redescente.

Elle vit sur sa gauche, toujours au rez-de-chaussée, le salon miteux, avec le piano aux touches grisées par la saleté.

Odd commença à fureter dans une des salles qui s'ouvraient le long du couloir, et Yumi faillit le rappeler à l'ordre, mais se contenta de le suivre.

Ils parvinrent au seuil du salon, laissant sur leur droite le long corridor qui se terminait par la pièce où Yumi et Ulrich s'étaient retrouvés enfermés, XANA faisant progressivement monter la température jusqu'à ce que Odd, Jérémie et ellearrêtassent la tour en marche sur Lyoko.

Ils ne nous ont jamais raconté ce qu'il s'est passé là dedans. Ca a dû être extrêmement pénible, songea-t-elle naïvement.

Elle sonda la salle du regard, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir voir.

Elle s'approcha du piano, et, alors qu'elle effleurait du doigt la poussière des touches, sa vision fut recouverte par un soudain brouillard blanc qui lui arracha un petit hoquet de surprise.

La brume se dissipait au centre de sa vue, continuant à flotter sur les bords, de sorte qu'elle ne voyait que le piano.

Et les deux personnes qui étaient assises devant.

La première, bien qu'elle lui tournait le dos, était celle de l'homme barbu qu'elle avait déjà vu auparavant. Il jouait distraitement, faisant courir ses mains le long des touches.

Et là, assise à côté de lui, le regard mélancolique perdu dans des pensées sombres, …

C'était elle.

Elle se reconnut facilement, bien qu'ayant l'air un peu plus petite, et un visage plus rond.

Les symptômes de la jeunesse, lui avait enseigné Jérémie.

Elle devina donc qu'elle se trouvait face à un souvenir d'elle-même, alors qu'elle n'était encore que petite fille.

L'homme tourna la tête vers elle (enfin, son souvenir d'elle), et lui sourit.

Puis, voyant sa tête peu entraînante, il cessa brutalement de jouer.

Il se redressa.

Elle leva les yeux vers lui, avec ce qui lui semblait être une lueur d'espoir, comme pour dire « Non. Ne fais pas ça. Je t'en prie. » Une plainte muette. Une supplique silencieuse.

L'inconnu bougea la tête de droite à gauche.

Désespérée, elle se résigna à se lever, et se mit à le suivre docilement jusqu'au couloir.

Aelita voulut les suivre.

Tout chavira.

Un mélange de la brume blanche et du noir qu'elle ressentait en dormant.

Puis tout redevint net.

Elle se tenait à côté de lui, dans la cabine d'un ascenseur.

Un ascenseur très familier.

Les portes s'ouvrirent sur unesalla occupée par unesorte de stalactite de fils et de branchages qui se terminait en un siège tourné vers un écran qui affichait une carte holographique.

La carte de Lyoko.

L'homme sortit de la cabine, et hocha la tête à la jeune fille pour lui faire comprendre qu'elle devait rester dedans.

Les portes se refermèrent et la descente s'amorça.

L'appareil se stabilisa et s'ouvrit.

Sur la salle des scanners.

Aelita se vit sortir de l'espace étroit pour se diriger vers le cylindre métallique le plus centré, celui en retrait par rapport aux autres.

A mi-chemin, elle s'immobilisa. Elle tremblait de tout son corps.

Elle jeta un coup d'œil à l'angle du plafond où la braquait une caméra.

Qui rapportait ses faits et gestes à l'homme qui était resté là haut.

Son regard adressait à lui seul un message de détresse au photorécepteur insensible de l'engin, espérant entendre des micros une voix rassurante qui lui aurait soufflé de ne pas continuer, que tout était annulé.

A la place, des échos muets firent vibrer les haut-parleurs et la porte du scanner s'ouvrit.

Aelita ne devinait que trop bien les mots que l'homme avait retransmis, même si ce souvenir silencieux ne lui permettait pas de les entendre.

Un autre écho, celui des battements de son cœur, s'intensifia et prit une allure de plus en plus rapide au fur et à mesure que se refermait la porte du scanner, et que vrombissaient les machines de la salle, la faisant frissonner intérieurement.

Et lorsque que les tremblements atteignirent leur paroxysme, la brume réapparut, et elle se sentit vaciller alors que tout autour d'elle tombait dans une nuit profonde.

« Aelita ! »

« Aelita ! Je t'en prie réveille toi ! »

Une lumière aveuglante déchira violemment les ténèbres alors qu'elle se sentaitbouger de haut en bas et de bas en haut à une allure terrifiante.

Les contours de la pièce se définirent petit à petit et elle s'aperçut que Jérémie la secouait comme un prunier.

Et tout lui revint.

La vieille maison, ses doigts sur le piano…

Et le souvenir.

Elle secoua la tête pour se réveiller et se rendit compte qu'elle était couverte de sueur.

« Aelita ? »

C'était Jérémie.

« Je… Ca va… »

Les bras de son ami la tirèrent doucement en position assise.

Elle leva les yeux vers lui et vit enfin qu'il était proche de la panique.

Ca lui rappela la fois où elle s'était évanouie lors de la tentative de destruction de XANA.

Alors elle demanda, d'une voix involontairement faible, chevrotante :

« Je me suis… évanouie ? »

Jérémie poussa un soupir de soulagement en observant qu'elle avait un minimum de conscience.

« Oui, c'est ça. Au début tu étais toute drôle, tu avais les yeux fixes et tu pâlissais très rapidement…

- Pâlir ?

- Mm. Ca veut dire devenir tout blanc au niveau du visage, à cause du sang qui ne circule plus ou très peu. Et puis tu es tombée par terre d'un coup, sans prévenir. Enfin, tu l'aurais fait si je ne t'avais pas rattraper.

- C'était… articula-t-elle alors que Odd accourait, alarmé par les cris de Jérémie. Moins agréable que ce dont je me souvenais. »

Elle se sentit esquisser un sourire. Le visage de son ami devint radieux en constatant qu'elle reprenait des forces. Sans la lâcher, il tourna la tête et demanda à Odd :

« et Yumi ?

-Partie rejoindre Ulrich. »

Jérémie acquiesça, puis regarda à nouveau Aelita dans les yeux.

Et là, malgré son engourdissement, malgré la sueur qu'elle sentait perler sur son front, elle sut que tout irait bien.

Parce que Jérémie était là.

Telle est Aelita.

Un programme informatique largué sur Terre.

Un logiciel de sécurité à qui on présente la vie humaine.

Ca, c'était il y a quelques jours, alors qu'elle tentait tant bien que mal de s'intégrer à cette existence nouvelle.

Aujourd'hui elle est Aelita Stones, cousine d'Odd Della Robbia, jeune collégienne brillant dans les matières mathématiques et informatiques.

Au fond d'elle, cependant, elle ne sait absolument pas qui elle est vraiment.

Elle avait toujours cru qu'elle était seulement un amas de données destiné à protéger Lyoko des virus et autres dangers virtuels, mais les expériences de ces jours-ci remettent complètement sa vie en cause.

Ces souvenirs glanés entre les quatre murs de la sinistre masure semblent lui affirmer qu'elle a bien été… quelqu'un d'autre, avant.

Il y a longtemps qu'elle se serait effondrée si elle n'avait pas rencontré Jérémie.

Car au travers des leçons de Jérémie, qui lui apprend graduellement les sensations humaines,quelque choses'est débloquéchez elle, depuis la première fois qu'ils se sont vus à travers l'écran de l'ordinateur dugarçon.

Quelque chose qui est profond, et qui pourtant irradie tout son être, et, curieusement, bien qu'ils n'en aient jamais parlé ouvertement, ou du moins pas dans ces longues discussions sur les us et coutumes humains, elle sent que Jérémie ressent la même chose pour elle.

Cette sensation est ce qui lui a permis de s'accrocher, de ne pas abandonner, même quand on lui a apprit que XANA l'avait lié à lui par le biais d'un nouveau virus, de ne jamais flancher devant aucune catastrophe, car dès qu'elle se retrouvait avec son ami, tout allait bien.

Et parce qu'à nouveau, elle est dans les bras de Jérémie, elle sait que, quelque soit la signification de ces souvenirs, elle l'encaisserait sans broncher, sans sourciller.

Parce que Jérémie serait avec elle à ce moment là.