Il était arrivé.
Il sentit ses cheveux se virtualiser, bientôt retenus par un mince bandeau jaune qui s'enroula autour de la maquette bientôt achevée de son front.
La virtualisation s'étendit jusqu'au bout de ses doigts, et il se retrouva en l'air, bras en croix, à retomber brutalement sur le sol de sable brûlant et doré.
Lorsqu'il se releva il entendit deux bruits étouffés derrière lui : Yumi et Aelita se réceptionnaient à quatre patte sur la terre meuble.
La voix de Jérémie retentit, semblant venir de nul part.
« Tour à trois heures, Ulrich, sur ta droite. »
Pivotant la tête, il aperçut un mince pilier blanc, dont l'aura rouge le baignait d'une lueur sanguine.
« J'ai le visuel » confirma Ulrich, désignant de la tête la tour aux filles.
Ils allaient pour marcher vers la construction quand Jérémie les avertit.
« Euh vous précipitez pas… Oulà… Et encore, et encore… Combien ils sont…
- Ca t'ennuierait de nous dire de quoi tu parles ? s'impatienta l'adolescent.
- Tu vois les reliefs aux abords de la tour ?
- Moui…
- Tu vas pas tarder à voir ce qu'il y a derrière ! »
En effet, une dizaine de Kankrelats sortirent de derrière les rochers.
« C'est tout ? s'étonna Yumi.
- Eh bien… Absolument pas…
- Jérémie, combien sont-ils ? s'inquiéta Aelita.
- Disons que Yumi avait raison quand elle disait qu'il fallait s'attendre à tout avec la nouvelle force de XANA… »
Sans donner plus de précisions, Jérémie les laissa observer l'arrivée de six Blocks, ainsi que, en guise de cerise sur le gâteau, trois Tarentules menaçantes.
D'un geste commun, Ulrich et Yumi tirèrent leur arme.
Cela avait dû provoquer l'enclenchement de la confrontation sur l'écran de Jérémie, car il gémit :
« Vous êtes fous ! Vous n'allez pas les attaquer de front ! Ils sont une vingtaine ! »
Les deux combattants virtuels échangèrent un coup d'œil amusé devant la panique de leur ami.
« On sait ce qu'on fait, ne t'inquiète pas. » assura Ulrich.
Il jeta un rapide regard à Yumi qui semblait penser à la même chose que lui.
Le silence se fit sur le champ de bataille, ponctué par les pas d'Aelita qui courait s'abriter sur conseil de Yumi.
Autour des yeux des Kankrelats, une folle lueur orange se mit à danser.
Les Blocks se collèrent entre eux pour former un vrai mur vrombissant.
Les Tarentules dressèrent leurs pattes antérieures d'où pointaient deux orifices rouges.
Avec un même mouvement, les tirs fusèrent.
Ulrich et son amie foncèrent dans le tas, l'arme au poing, le cri à la lèvre.
L'épée du garçon crépita d'un bleu pâle à chaque impact paré, tandis qu'à l'opposé, l'éventail déplié de Yumi s'embrasait d'un éclat vif incandescent.
Il sauta sur le mur de Blocks, ignorant les tirs qui fusaient autour de lui, et hurla «Impact !» alors qu'il plongeait son épée sur le quatrième œil du monstrueux cube.
Qui trembla un moment, mais au moment de l'explosion, il y eut deux bouffées de chaleur : Sans la voir, Ulrich savait que Yumi copiait ses gestes, tout comme il copiait les gestes de Yumi sans les voir.
Ils s'agitèrent alors dans une danse frénétique, courbant l'échine, pivotant, tournoyant, puis brandissant leur arme pour la plonger dans un monstre qui laissait derrière lui une boule de gaz incandescente.
L'épée tranchait, vibrait, brillait d'azur tandis qu'une lumière rouge s'allumait simultanément à côté de lui, et dans l'agitation ils en vinrent à oublier totalement l'entourage : le soleil de plomb virtuel, le quadrillage qui trahissait la fragilité de l'environnement à chaque laser touchant le sol.
Il n'y avait plus qu'eux, leurs ennemis, et leur partenaire.
C'est ainsi qu'ils décochèrent des séries de coups virtuels, touchant des cibles virtuelles, qui dégageaient une sphère explosive virtuelle, et repartaient au combat virtuel dans une parfaite symbiose virtuelle.
Guidés par un amour ô combien réel.
De partout autour de lui, des photorécepteurs brillèrent d'un sournois éclat tourbillonnant.
ooOOoo
Maintenant !
Odd sauta du plus haut qu'il put, puis se laissa retomber comme une pierre alors que fusaient au dessus de lui des traits mortels d'énergie.
Se rattrapant accroupi, il décocha un balayage circulaire qui faucha tous les robots.
Il passa en force au dessus d'eux et rejoignit le réfectoire en courant.
Il en ouvrit la porte et observa l'assemblée qui levait les yeux avec espoir.
« Où est Jim ? » demanda-t-il tout haut alors qu'il n'apercevait pas le professeur.
Les réponses confuses jaillirent et il comprit qu'il avait mené la percée et les avait acculé vers le recoin du Bâtiment Administratif.
Entendant les cliquetis se reproduire dans son dos, il referma la porte sans plus de cérémonie et cavala jusqu'à l'endroit indiqué où il trouvaJim et une bande de troisième en train d'étriper la dernière créature du secteur.
« Monsieur MoralAAARGH ! »
Un tir, mieux ajusté ou plus traître que les autres, atteignit l'enfant feu follet.
On vit Odd chanceler, puis il s'effondra.
ooOOoo
Jérémie n'en croyait pas ses yeux.
Pourtant, ce n'était pas les écrans qui manquaient : il voyait le combat se dérouler sur deuxfenêtres à la fois.
Tout d'abord, la map quadrillée où ses amis étaient représentés par de petits triangles verts, et leurs ennemis par divers polygones rouges avec au centre le tristement célèbre œil de XANA.
Et là, c'était le délire total.
Les triangles se situaient en plein centre de la zone de points rouge, collés de si près par leurs opposants qu'on aurait dit deux chenilles dans un champ de tomates.
Et les triangles pivotaient, offrant leur sommet principal (celui qui montrait le point de vue du combattant) à n'importe quel ennemi, sans choix particulier, mais curieusement les triangles étaient strictement symétriquement opposés.
Bref, ça n'arrangeait pas sa vision des choses.
Enfin, la fenêtre qui représentait sous forme de cartes de jeu les guerriers virtuels, affichant d'habitude pendant une longue minute les deux mêmes cartes dont la barre de vie verte diminuait petit à petit jusqu'à ce qu'en général, celle du monstre passe totalement au rouge et soit remplacée par une autre carte.
Et là, c'était plus délirant encore.
Tout d'abord, les cartes des deux monstres (un au dessus de l'autre, celui du haut s'opposant à Ulrich et celui du bas à Yumi) changeaient constamment, si bien que Jérémie commençait à avoir mal aux yeux en voyant clignoter le symbole «VS» qui témoignait ainsi d'un nouveau combat.
Ensuite, il arrivait que le côté gauche (monstre) ne compte qu'une carte, auquel cas celles de ses amis se chevauchaient pour l'affronter en même temps.
A moins que ce ne fût parce que Jérémie louchait en voyant toutes ses données défiler.
De son côté, Aelita était émerveillée.
La chorégraphie formée par les deux combattants brillait d'une efficacité sans faille, et elle pensa qu'ils avaient dû s'entraîner très longtemps pour être si bien en harmonie sans même se regarder.
Il ne restait plus que quatre Kankrelats et les trois Tarentules.
Malgré toute l'ardeur déployée par ses amis, Aelita voyait bien qu'ils peinaient devant les Tarentules qui en venaient maintenant à fouetter furieusement l'air de leurs pattes avant filiformes.
Frustrée de ne pas pouvoir les aider, Aelita décida de tenter quelque chose.
Elle s'agenouilla, et croisa les mains sur ses jambes. Elle pencha la tête en arrière et, dans cette position de prière, elle invoqua silencieusement son pouvoir.
Lorsqu'elle se redressa, elle put constater que c'était du bon boulot.
Telle une demeure en terre cuite, des murs de sable entourèrent deux tarentules puis recouvrirent le quadrillage blanc du toit.
Ainsi enfermées, les bestioles laisseraient un peu de répit à Ulrich et Yumi.
Qui reprirent immédiatement la situation à leur avantage.
Pourfendant les derniers Kankrelats, ils s'attaquèrent à la Tarentule et fouettèrent son corps blindé de leurs armes.
Ramenant son épée derrière lui sur la droite, au dessus de la tête, il concentra ses forces pendant que Yumi, ayant replié son éventail, en faisant ainsi un mince bâton tranchant, l'imitait en tout point.
Et c'est ensemble qu'ils abattirent leur arme sur le monstre qui s'enflamma.
Au même moment, les deux Tarentules piégées ne le furent plus.
Effectuant un salto arrière gracieux, les combattants lancèrent leur épée à l'unisson vers les ennemis.
Le sabre d'Ulrich fit un vol légèrement courbé pour atterrir pointe la première sur la carapace blindée de la créature, à l'endroit où était affiché l'œil de XANA.
Se servant de ses dons télékinétiques, Yumi maintint la rotation de son éventail sur le front de la bête, créant une brèche qui s'approfondissait petit à petit.
Les deux araignées virtuelles grésillèrent, prises de tremblements convulsifs, lâchèrent une gerbe d'étincelle et partir en fumée.
Sa lame revint dans la main d'Ulrich, qui l'attrapa au vol.
Et son éventail revint à Yumi qui le saisit dans un geste similaire.
Ensemble, ils rengainèrent.
Ensemble ils soupirèrent.
Ensemble ils se regardèrent.
Et ensemble ils se sourirent.
Laissant retomber entre eux l'exaltation du combat, Aelita se dirige vers la tour.
A terre, Odd tenait son épaule gauche carbonisée, se recroquevillant d'une manière qui lui rappela immédiatement Kiwi.
Et alors qu'il pensait à son chien, Odd commença à se souvenir…
Sa mémoire défilait, ressassant tout de sa vie, lui montrant tous les actes qu'il avait effectués.
Il n'entendait plus le cliquetis agaçant des Kankrelats qui lui marchaient dessus sans se soucier de son état.
Il n'entendait plus les exclamations apeurées du groupe qu'il avait tenté de rejoindre.
Il n'entendait qu'un sifflement constant, envahissant, qui lui crevait les tympans…
Elle sentit son corps pénétrer dans la tour.
Elle s'avança sur la plate-forme alors que les cercles concentriquesdessinés dessuss'allumaient, pour illuminer enfin un unique point en leur centre.
Elle tourna la tête vers les hauteurs, parmi les milliers de donner gravitant sur la surface bleue marine de l'édifice.
Il s'affolait pour Kiwi... Il quittait ses amis pour aller sauver le collège...
Il faisait diversion auprès des robots de XANA... Il bataillait furieusement pour enfoncer le cercle des machines...
Il rejoignait Jim... Il s'effondrait...
Il souffrait...
Il souriait... Il se redressait.
Il se laissait tomber sur un Kankrelat qui s'aplatit sous son poids.
Il observait les yeux pervers de ses compagnons qui constataient sa survie.
Il aperçut la lueur circulaire des lasers en surchauffe.
Son corps se soulevait, aussi léger que pouvait l'être une plume virtuelle.
Un écran translucide apparaissait devant elle.
Elle y posa sa main.
Son nom clignota plusieurs fois.
Des caractères s'affichèrent pour laisser place à un mot :
CODE
Alors elle entra :
LYOKO
Et tous les fichiers autour d'elle tombèrent dans les profondeurs de la tour, comme autant de grains de poussière nettoyés.
Le tourbillon s'arrêta, et le photorécepteur perdit sa lueur.
Les données perdues se compactèrent en une vague blanche qui engloba l'ensemble de la tour.
Les Kankrelats s'immobilisèrent définitivement, certains s'effondrant par terre…
Devant son écran, il prononça d'une voix neutre, monocorde et sans appel :
« Retour vers le passé. »
Et la vague recouvrit la Terre.
Et la vague recouvrit les yeux fatigués de Odd, puis l'œil mortel du Kankrelat, puis le collège entier.
