Auteur : Tanuki
Source : Bishoujo Senshi Sailor Moon.
Genre :
One-shot, yuri.
Disclaimer : les personnages sont la
propriété de Naoko Takeuchi, mais cette version de
l'histoire m'appartient.
Rating : R
Résumé
: Une version de la naissance d'une relation particulière
entre deux jeunes filles. Haruka et Michiru se découvrent une
attirance réciproque et décident de la vivre.
All the things she said
Une main apparut
depuis la porte de la douche individuelle et fouilla désespérément
le vide. Michiru ne put s'empêcher un sourire. Même si
elles étaient amies de longues dates, l'athlète
rechignait toujours à présenter sa nudité.
«
Nous sommes entre filles, voyons... » avait tenté de
rassurer la belle artiste à plusieurs reprises. Mais rien n'y
faisait. Haruka avait beau prendre des allures nonchalantes, elle
n'en demeurait pas moins une jeune fille incroyablement réservée.
Magnanime, Michiru tendit le bras et présenta aux doigts
fureteurs un peignoir. Un remerciement étouffé lui
parvint, suivi d'un bruissement de tissu. C'était un geste
brusque...
– Tu rougis ? taquina la violoniste.
La
réponse se résuma à un grognement embarrassé
et, quelques secondes plus tard, Haruka déverrouilla la porte
et sortit de la douche des vestiaires, la peau encore fumante après
le passage d'une eau brûlante. Elle était la dernière
de tous les coursiers et seule Michiru l'attendait, lui tendant une
serviette pour sécher sa chevelure rebelle.
–
Félicitations. Tu as encore battu tes adversaires à
plate couture...
Haruka lui sourit et rangea sa
combinaison de pilote dans un sac de sport avant de se rhabiller. Une
fois la mission accomplie sans avoir dévoilé un
centimètre carré de son corps aux yeux de Michiru, elle
s'assit pour déguster pleinement sa victoire. L'artiste se
plaça derrière elle et posa la serviette sur ses
cheveux blonds, lui offrant un massage tout en séchant les
pointes de ses mèches. Bien que surprise au premier abord,
l'athlète afficha immédiatement une mine réjouie.
– Mmh... Tu as des doigts de fée...
Michiru
gloussa et continua pendant quelques minutes l'action de ses mains.
Une fois les cheveux secs, elle joua avec la serviette et banda les
yeux de son amie.
– Hé hé, ça devient
intéressant, murmura celle-ci d'une voix chaude.
–
Imbécile ! s'exclama la jeune fille en riant coquettement.
Les préférences de l'athlète
n'étaient plus un secret pour la violoniste. En revanche,
elle était certaine que malgré les phrases ambiguës
d'Haruka, cette dernière ne lui envisageait absolument pas
une éventuelle attirance homosexuelle. Après tout,
Michiru avait toujours affiché de façon très
claire son intérêt pour les hommes. Ainsi, le garçon
manqué se laissait prendre à ce petit jeu dès la
moindre provocation sans aucune arrière-pensée. Après
tout, sa camarade plutôt coquine n'avait jamais eu l'air
d'en être incommodée.
Pourtant, elles
n'avaient fait réellement connaissance que depuis peu.
Quelques semaines plus tôt, Haruka s'était vue tenir
dans ses bras une Sailor Neptune blessée qui lui avait dévoilé
sa destinée. Même si cette réalité avait
été dure à accepter, elle avait décidé
de suivre la voie qui lui était tracée et devenir à
son tour une guerrière. Ce jour-là, elle avait saisi
son item de transformation sans hésiter.
Elle se
leva et proposa :
– Et si nous faisions une grande balade le
long de la côte ?
Michiru sourit, acceptant avec
joie cette invitation. Haruka porta son sac sur l'épaule et,
à la sortie des vestiaires, toutes deux se dirigèrent
vers la décapotable jaune.
– Dis-moi, ce n'est pas la
voiture de ton père ? Es-tu sûre qu'il n'en aura pas
besoin, ce soir ? interrogea l'artiste, visiblement inquiète.
– Aucun souci. Cette voiture a été payée
grâce à mes victoires, elle est à moi.
Elle
glissa un clin d'œil à l'artiste pour la rassurer, puis
elles prirent place et Haruka démarra.
§§§
L'athlète
connaissait quelques difficultés à porter sa vigilance
essentiellement sur la route. Malgré elle, ce besoin
insatiable de jeter des coups d'œil vers Michiru l'envahissait.
Déjà, une boule naissait au fond de sa gorge.
Envoûtée
par le paysage marin qui défilait sous ses yeux alors qu'elles
longeaient la route côtière, la violoniste ne pouvait
s'empêcher d'observer avidement les vagues. Elle ne disait
rien, de peur de trahir son désir de fouler le sable de ses
pieds nus. Ce caprice risquerait peut-être de mettre son amie
dans l'embarras... Cependant, Haruka commençait à
bien la connaître et la comprendre. Après des heures et
des heures d'observation au cours de ces premières semaines
passées ensembles, elle savait interpréter la moindre
expression. Silencieuse, elle rétrograda et se gara sur le
bas-côté. Lorsque Michiru lui adressa un regard
intrigué, elle y répondit avec un sourire amusé
:
– Tu en mourais d'envie, non ?
Séduite
par ce souci de la contenter, l'artiste ne répondit rien.
Elle se contenta de lui rendre son sourire et de descendre de la
voiture.
Le soleil doré déclinait dans un
ciel rougeoyant, prêt à mourir au cœur de l'océan.
Un vent salé s'éleva, rejetant les chevelures légères
des deux amies sur le chemin côtier. Ce tableau au climat
romantique ne tarda pas à éveiller les sens d'Haruka.
Alors qu'elle contemplait sa partenaire du coin de l'œil pour
s'assurer que rien n'avait changé entre elles, son cœur
bondit dans sa poitrine. Troublée par la révélation
intime de ses sentiments, elle redirigea un regard confus vers le
paysage.
Un soir d'été, sur une plage, aux
côtés de Michiru... cette situation ne se réitérerait
pas avant longtemps. Elle n'aurait pu rêver mieux.
– Tu
sais, Michiru...
Les mots s'étaient échappés,
incontrôlables... La jeune fille à la longue chevelure
bleue l'observait à présent, attentive, plus belle
que jamais. Son visage respirait la sérénité.
Seuls ses yeux éclairés par la curiosité
laissaient entendre qu'elle attendait la fin de la phrase.
Gênée,
Haruka promena son attention sur l'horizon. Le simple fait de
penser à sa compagne générait en elle une
chaleur particulière au creux de son ventre et sur ses
joues...
Accablée de devoir taire au monde entier
sa destinée, éreintée par ces combats acharnés
contre les forces du mal qu'il fallait garder secrets, elle ne se
sentait plus capable de supporter un autre poids sur ses épaules.
Cette vie de guerrière était une vocation, mais aussi
un fardeau colossal. Elle ne pourrait en endurer davantage, encore
moins dans un domaine aussi délicat que l'amour. Ses
expériences se résumaient à des amourettes et
des histoires peu sérieuses. Cette fois-ci, Michiru provoquait
en elle une véritable révolution sentimentale.
Pourquoi ? Elle l'ignorait. Est-ce que leur vie
antérieure sous forme de guerrières influait leurs
sentiments présents ? Uranus avait-elle éprouvé
de l'amour pour Neptune autrefois ? Haruka était-elle menée
à éprouver ce même sentiment pour la
réincarnation de la guerrière des mers ?
La
seule chose dont elle était certaine, c'était que
jamais plus elle ne saurait vivre sans Michiru. Dès leur
première rencontre, l'artiste l'avait troublée. Dès
son premier combat aux côtés de Sailor Neptune, chacune
avait été surprise par cette symbiose immédiate
qui s'était naturellement établie. Le garçon
manqué était persuadé que cette synchronisation
parfaite n'était due qu'à un sentiment partagé.
L'heure des aveux était venue. Cette idée
horripilait prodigieusement Haruka dont le point faible était
justement la capacité d'exprimer ses sentiments profonds,
mais la confession se ferait ce soir et pas un autre jour.
–
Qu'y a-t-il ? demanda Michiru, incitant l'athlète à
répondre plus vite.
– Je repensais à ma vie avant
de te connaître.
L'artiste baissa la tête.
Si Haruka ne l'avait pas rencontrée, elle serait libre
aujourd'hui d'exaucer son rêve et devenir pilote
professionnel. Mais en tant que guerrière, c'était à
présent impossible, inaccessible.
– Je réalise
simplement que j'ai toujours été égoïste...
du moins, avant d'accepter mon destin. Si tu n'avais pas été
là, je serais passée à côté de ce
sentiment que tu m'as fait découvrir.
Michiru se
figea et leurs regards se croisèrent.
– Je ne
m'attendais pas à ce qu'un jour, quelqu'un m'ouvre les
yeux de cette façon.
Haruka fixait le ciel
crépusculaire, laissant place à un petit silence pour
que son amie assimile chacune de ses paroles.
– Cela fait des
jours que j'essaie de te chasser de mes pensées. Je ferme
les yeux et pourtant, je n'arrive pas à t'oublier. C'est
une émotion nouvelle... personne n'a su déclencher ce
sentiment avant toi. Chaque fois que j'éprouvais quelque
chose pour quelqu'un, je fuyais pour me persuader que je ne
ressentais rien. Et cela ne me touchait pas. Si c'était le
cas inverse, je repoussais la personne qui m'admirait. Je faisais
tout ce qui était en mon pouvoir pour qu'elle me déteste.
Un nouveau silence s'installa. Michiru ne savait que
répondre à une telle déclaration. Son mutisme
traduisait sa confusion croissante. L'athlète inspira
profondément et en profita pour conclure :
– Mais toi...
dès que j'essayais de te repousser, je ressentais un profond
mépris envers moi-même. Je m'en voulais de te blesser.
Inconsciemment, ma plus grande peur était sans doute celle de
te perdre.
Elle se redressa et plongea son regard franc
dans celui de Michiru. Elles se dévisagèrent longuement
et une douce brise les caressa. La jeune fille s'approcha alors du
garçon manqué et lui prit la main. Manifestement émue,
elle baissa la tête. Cette attitude avait une signification que
seule sa compagne savait interpréter.
Cette main
prise ; « Je t'aime, Haruka. »
Cette
tête baissée ; « Comment te le dire ? »
L'athlète serra la main à son tour et un
visage heureux se leva vers elle.
– Faisons une promenade sur
le sable, s'il te plaît... requit Michiru avec simplicité.
Surprise, Haruka pencha la tête sur le côté.
L'explication ne tarda pas à venir :
– J'aimerais
pouvoir allier le plaisir du bord de mer avec celui de ta présence...
La guerrière du vent offrit alors à sa
compagne le plus beau sourire au monde ; un sourire joyeux, pur,
presque enfantin. Elle acquiesça doucement et lui serra la
main pour l'attirer vers la plage.
Foulant le sable fin,
aucune des deux n'osait prendre l'autre dans ses bras. La
réciprocité de leur attirance les troublait encore.
Cette vérité que Haruka avait eu la force d'avouer
avait grisé son amie, lui donnant l'effet d'un millier de
papillons voletant dans son estomac. Même le ciel parsemé
des premières étoiles semblait protéger le
couple sous son arche dorée.
Haruka s'arrêta
soudain, s'attirant un regard interrogateur de sa partenaire. Cette
dernière se sentit déséquilibrée et
attirée contre le corps élancé de son amie. Elle
se cramponna craintivement à ses épaules, croisant
timidement un regard brûlant.
– Michiru, murmura
l'athlète d'une voix grave.
Elle se pencha
doucement et déposa sans crier gare un baiser au coin des
lèvres de sa belle. Michiru ne put retenir un sursaut et
recula d'un pas, le visage cramoisi. Elle ne s'était pas
attendue à un tel geste. Mais que pouvait-on prévoir
d'un vent imprévisible ? Rien et tout. Et c'était
justement cette excentricité qui charmait le public entier
d'Haruka.
Reprenant confiance, la violoniste se
rapprocha et tendit le visage, quémandant presque des baisers.
Sa demande fut comblée et une bouche délicieusement
suave se posa sur la sienne. Elle répondit timidement à
cette invitation, entrouvrant les lèvres et soupirant de
contentement alors qu'une vague de bien-être les submergeait.
La raison et la pudeur se firent plus fortes que leur
amour naissant et les deux jeunes filles se séparèrent,
les joues écarlates après cet instant de folie
passagère. Ne cherchant même plus à se tenir par
la main, elles continuaient leur promenade en silence, chacune
plongée dans le même état de confusion que
l'autre. Finalement, Haruka ne supporta plus cette situation et
chuchota d'un ton soucieux :
– Michiru... N'as-tu pas cette
impression... que nous nous connaissons depuis longtemps ? Bien avant
qu'Elsa nous présente ?
Elle recouvre la
mémoire... pensait Michiru, non sans un sentiment de joie
noyant son cœur.
– Un Prince vivant sur la planète
Uranus fut invité à une fête organisée par
la Princesse Serenity. Il était en réalité une
Princesse aux allures garçonnières, mais cette vérité
n'altéra point les sentiments de la Princesse Neptune qu'il
rencontra durant ce bal. Cependant, la guerre contre la Lune Noire
éclata et elles furent mortellement blessées. Chacune
reprit vie sur Terre grâce au pouvoir de la Reine Serenity,
tant pour mener une mission que pour se retrouver... expliqua-t-elle
en un murmure.
Les images à la fois douces et
cruelles d'une vie antérieure revinrent en mémoire et
la pilote de course afficha un visage troublé. Oublier un tel
passé alors que Michiru s'en était toujours souvenu
la gênait terriblement. Une main blanche repoussa ses cheveux
blonds qui masquaient ses yeux :
– Tu n'as pas changé,
Uranus. À l'époque déjà, tu faisais
tout pour oublier les souvenirs qui te déplaisaient et tu
modifiais la réalité jusqu'à te convaincre que
rien ne s'était passé... chuchota l'artiste avec
tendresse.
– Je ne veux plus jamais que l'on soit séparées...
coupa son amie, trop honteuse pour oser la croiser du regard.
Michiru se hissa sur la pointe des pieds et lui embrassa
le front pour la consoler, caressant ensuite les mèches
blondes pour masquer son hésitation et sa nervosité.
–
Il n'y a plus de raison que l'on nous sépare... fit-elle
remarquer.
Ses lèvres se courbèrent en un
sourire tendre, puis elle virevolta et s'éloigna. Répondant
à cet appel muet, Haruka la suivit, obéissante mais
néanmoins intriguée. Michiru ne put s'empêcher
de rire et elle trottina vers la mer, se tournant finalement pour
couvrir son amie d'un regard langoureux. L'athlète pencha
la tête sur le côté, ne saisissant pas
immédiatement le cinéma de la jeune fille. Elle la vit
reculer toujours plus loin dans les vagues et comprit finalement que
Michiru avait l'intention de l'entraîner avec elle dans
l'eau. Elle n'hésita pas une seconde et s'y enfonça
à son tour, ignorant la mer qui trempait ses vêtements.
Leurs tailles étaient déjà submergées
quand Haruka entoura d'une main possessive les hanches de sa belle.
Usant de toute sa force que le sport avait développée,
elle se laissa tomber dans l'eau, emportant avec elle sa captive.
Toutes deux ensevelies sous les vagues, elles s'enlacèrent
et Michiru sentit deux lèvres se poser sur les siennes. Ses
yeux bleus s'agrandirent tout d'abord de stupeur, puis une douce
langueur l'enveloppa et la baigna dans un univers de rêves.
La personne qu'elle aimait le plus au monde l'embrassait dans ce
milieu obscur mais familier qu'était la mer... Elle se
délecta de cet instant si particulier et passa une main dans
les courts cheveux blonds pour approfondir ce baiser marin.
Électrisée par ce geste, Haruka sentit son
cœur déborder d'audace. Sa langue s'immisça et
rencontra sa jumelle, l'effleurant, la caressant, l'invitant
galamment à danser cette valse sensuelle.
Elles
tournoyaient dans l'eau sans jamais séparer leurs lèvres,
mais le manque d'oxygène ne tarda pas à les vaincre
et les ramener à la surface. L'air frais s'engouffra dans
leurs poumons et le garçon manqué profita de cet élan
pour immobiliser Michiru contre un rocher. Abandonnant la bouche de
son amie, elle concentra sa langue gourmande sur le sel collé
à la peau douce et laiteuse de Michiru. Elle dériva
ainsi le long des joues de l'artiste, goûtant la gorge
offerte et enlevant un soupir à la sirène charmée.
Un éclat de rire coupa son élan. À
une trentaine de mètres d'elles, une enfant jouait avec son
chien sur la plage. L'animal ne se lassait pas de rapporter les
bâtons que l'enfant lançait au loin. Parfois, il se
dressait sur ses pattes arrières, déséquilibrant
sa petite maîtresse et lui léchant le visage.
Les
adolescentes sourirent tendrement face à la charmante scène
et s'écartèrent l'une de l'autre. Il était
temps pour elles d'apprendre à se retenir. À présent
que leur relation n'était plus limitée à
l'amitié et au devoir de guerrière, à présent
qu'elles étaient rassurées sur leurs sentiments
partagés, elles n'avaient rien à se prouver de plus.
Calmement, Haruka aida Michiru à gravir le rocher
témoin de leur baiser et la rejoignit. La mer commençait
à se retirer mais le soleil ne se limitait plus qu'à
quelques rayons. Sans plus de contact, elles s'étendirent
sur la pierre et fixèrent le ciel moucheté de
constellations pendant que le vent séchait leurs vêtements.
Ce fut un silence mi-angoissant mi-rassurant qui
s'instaura. Cet amour fraîchement révélé
mais voué à être caché au reste du monde
gardait tout de même un côté inquiétant.
Les deux jeunes filles éprouvaient d'ailleurs un certain
malaise. Quel avenir pouvaient-elles espérer à présent
? Deux individus de même sexe qui se fréquentaient
intimement seraient difficilement intégrés la société.
Étaient-elles prêtes à accepter tous les
sacrifices qui découleraient de leur amour interdit ? Haruka
n'avait aucune crainte à son sujet. Ayant reconnu ses
attirances pour le sexe féminin depuis des années, elle
avait eu tout le temps pour y réfléchir et se faire à
cette idée. Mieux encore, n'ayant jamais éprouvé
de désir pour un homme, elle ne s'était guère
posée de questions existentielles comme celle de se marier et
de fonder une famille...
Mais comment Michiru
appréhenderait-elle la situation, elle qui s'était
toujours tournée vers les hommes ?
– Nous le tairons...
murmura Haruka avec sérieux.
Elle devina le regard
de son amie glisser sur elle mais ne broncha point. L'artiste
baissa les yeux et détourna la tête. À l'opposé
de la pilote, elle ignorait ce qui les attendait. Seraient-elles
considérées comme un couple à part ou
seraient-elles au contraire adoptées par la société
? Devaient-elles s'attendre à des difficultés
administratives pour vivre sous le même toit et à des
humiliations publiques ?
Mais fallait-il vraiment prendre
tout ceci en compte ? Est-ce que l'amour n'était pas
suffisant pour braver les barrières et les chaînes qui
maintenaient prisonnière la mentalité d'un pays ? Une
mentalité limitée à un couloir de tolérance
un peu trop étroit ?
– Je saurai en assumer les
conséquences, répondit finalement Michiru.
Puisque
la société japonaise restait pudique envers les
manifestations amoureuses d'un couple quel qu'il soit, les deux
filles n'éprouveraient pas plus de frustration en public
qu'un homme accompagné de sa femme. Pour ce qui était
du reste, personne n'avait à s'intéresser à
leur vie privée...
Le temps défilait, plus
rapide qu'une armada d'étoiles filantes sous un ciel
d'été. Les heures succédèrent aux
minutes et les vêtements des deux amies étaient déjà
parfaitement secs.
– Quelle heure est-il ? demanda Michiru en
s'asseyant.
– Je l'ignore. Dix heures et demie, onze heures
?
Haruka prit appui sur un coude et se massa le front.
–
Peu m'importe à vrai dire...
Michiru lui adressa
un sourire amusé et reporta son regard vers la voûte
céleste.
– J'ai l'impression de vivre un rêve
ou un de ces films que j'accusais de clichés idiots... Un
ciel illuminé par les astres de la nuit, une plage, mon
élément à mes pieds... (Elle se pencha et
caressa de sa main une tempe et une chevelure fauve :) Une muse
insaisissable à mes côtés...
Ces
paroles arrachèrent à l'athlète un long
frémissement. La poésie n'avait jamais été
son point fort, mais les mots sortant de la bouche de Michiru
prenaient un tout autre sens et lui devenaient enfin intelligibles.
– Tu m'embarrasses, déclara-t-elle en roulant sur le
flanc, le dos tourné pour mieux dissimuler ses rougeurs.
Michiru se permit un rire discret et se leva.
– Je
dois rentrer à présent. Il se fait tard et ma mère
pourrait s'inquiéter.
– Je lui dirai que nous avons
célébré ma victoire, promit Haruka avec un
sourire doux qui ne lui était guère familier.
L'artiste hocha simplement la tête et s'étira
gracieusement. Les mains croisées sous sa tête, sa
partenaire s'empourpra joliment à la vue d'une petite
culotte blanche dévoilée par un vent coquin sous le
tissu blanc de la robe. Pudique, elle se redressa précipitamment
et ignora la chaleur naissante dans son ventre.
Bien que
victime de ce malencontreux hasard, un sentiment de culpabilité
la rongeait.
Elle avait lorgné le sous-vêtement...
Silencieuse mais désireuse de se racheter, elle
aida la jeune fille à descendre sans encombre du rocher. La
mer s'était retirée, et toutes deux pouvaient
retourner au cabriolet sans risquer d'être rattrapées
par les vagues.
Les mains dans les poches, Haruka marchait
en tête, noyée dans sa confusion. Michiru la rejoignit
prestement, passa un bras autour du sien et posa sa tête contre
son épaule. La pilote laissa deviner un sourire flatté
sur ses lèvres, mais son esprit était préoccupé
par la plage de plus en plus fréquentée. Une vingtaine
de personnes la sillonnait à présent et la sensation
malsaine que tous les regards se posaient sur elles ne tarda point à
se déclarer.
Ce n'était pas une
impression...
Michiru le comprit quand le bras d'Haruka
se crispa autour du sien. Levant les yeux, elle lut de la colère
sur son visage fermé.
Le vent rapporta des murmures
à l'oreille fine de l'athlète qui se raidit et
s'arrêta. Elle porta un regard noir et hautain à
l'intention d'un groupe d'adolescents à moins de dix
mètres. L'un d'eux retroussa la lèvre en signe de
dégoût et hurla presque :
– Qu'est-ce que t'as
à me mater ? Sale gouinasse !
Michiru s'écarta
immédiatement, honteuse d'avoir dévoilé par
ses gestes ambigus une tendresse manifeste pour son amie. Cette
dernière ignora son mouvement de recul et s'approcha de
l'adolescent à peine plus âgé qu'elle.
–
Tu ferais mieux de ne plus t'adresser à moi de cette façon,
déclara-t-elle d'un ton âpre.
– Et pourquoi ça
? Qu'est-ce que tu comptes me faire, si je continue ?
Souhaitant
rabaisser un peu plus ces deux lesbiennes qui lui donnaient la
nausée, il arbora une mine arrogante et répéta
avec dédain :
– Sale gouinasse !
Il n'eut
pas le temps d'esquiver le coup de poing d'Haruka. En une
fraction de seconde, son groupe le retrouva étendu à
terre, le nez brisé, quelques dents cassées, la bouche
et les narines sanguinolentes.
– Je t'avais prévenu...
Haruka s'en retourna vers Michiru et lui proposa son
bras avec un sourire avenant et protecteur. L'artiste ne marqua
aucune hésitation ; elle était fière d'aimer
cette jeune fille blonde plus courageuse et impétueuse que
n'importe quel homme.
Sans un mot, elles retournèrent
à la voiture et prirent place. Même si cette idée
assombrissait quelque peu leur humeur, elles reconnaissaient qu'il
était grand temps pour chacune de regagner son foyer. Haruka
démarra et prit la direction du centre-ville pour ramener son
amie au pied de l'immeuble où elle logeait. Le retour se fit
dans le même silence que leur promenade nocturne, cependant
leur mutisme n'avait plus l'embarras pour origine mais la
sensation rassurante de ne plus avoir besoin de paroles pour se
comprendre.
À mi-chemin, l'athlète se gara
et porta une main douce dans la chevelure de son amie. Michiru
répondit à cette requête muette et se pencha pour
poser ses lèvres sur les siennes. L'idée d'une nuit
sans possibilité de se voir ou de se téléphoner
n'était pas insoutenable en soi, mais il leur fallait
consolider cette union nouvelle.
Elle entrouvrit les
lèvres pour mieux accueillir la langue d'Haruka, sans plus
se soucier des regards courroucés de certains piétons
outragés. Après tout, ils pouvaient les mépriser,
se choquer de leur manque de pudeur ou de leur amour condamné,
l'artiste n'y accordait plus aucune importance. Parfois, des
passants s'arrêtaient et faisaient les gros yeux, mais
l'amour-propre des deux jeunes filles s'était évanoui
pour ne faire place qu'à l'amour lui-même.
Finalement, leurs bouches se séparèrent lentement et
chacune dévia sur la joue de l'autre pour la couvrir de
baisers tendres.
– Michiru ! s'écria une voix
furieuse.
L'interpellée sursauta et riva son
regard angoissé vers la femme qui la dévisageait.
–
Mère... ânonna-t-elle, sous le choc.
Haruka
s'était callée dans son siège et détournait
le regard, les joues enflammées par la honte et la colère.
Vu la situation délicate qui s'annonçait, mieux
valait se taire et faire profil bas.
– Michiru, à lui
seul, ton acte vient de déshonorer toute notre famille...
gronda la mère en marchant vers elles.
Sa fille
ouvrit la bouche mais une main autoritaire se leva et lui imposa le
silence.
– Ne me réponds surtout pas ! (Un regard
furieux se posa sur l'athlète bouillonnante :) Quant à
toi, Haruka, je te savais vicieuse et dépravée, mais
pas au point de pervertir ma fille !
Haruka gardait les
yeux baissés, la main crispée sur le volant.
Ferme-la.
Je sais tout ça... tu crois peut-être que je n'avais
pas remarqué ton mépris, chaque fois que ton regard de
vipère se posait sur moi ? Tu crois que je n'avais pas
intercepté tes sourires hypocrites chaque fois que tes lèvres
prononçaient mon prénom ? Je sais ce que tu penses de
moi...
Les deux coupables se turent pendant que la
mère de Michiru prenait son téléphone et
composait un numéro.
Et tu crois que j'ai
perverti ta fille ? Quelle idée... je suis peut-être une
salope ou une traînée à tes yeux, mais tu oublies
que j'ai un cœur. Et je n'y peux rien s'il bat pour ta
fille...
– Tenoh-san ? Je suis la mère de Kaioh
Michiru...
Le cœur du couple humilié manqua un
battement, mais aucune n'osa protester ni échanger le
moindre regard.
– Je souhaiterais vous exposer un léger
problème qu'il nous faut régler au plus vite. Cela
concerne nos deux filles... Très bien, à ce soir,
puisque vous pouvez vous libérer de votre travail.
Une
main ferme arracha littéralement Michiru de la voiture sous
les yeux absents de la pilote de course. La portière claqua
violemment et un doigt furieux la pointa indignement :
– Je te
conseille de retourner immédiatement chez toi !
Déjà,
la mère et la fille s'éloignaient. La mort dans
l'âme, Haruka les observait jusqu'à ne plus pouvoir
les distinguer parmi la foule qui déambulait sur le pavé.
Une pulsion soudaine s'empara d'elle et, rageusement, elle frappa
le volant de toute la force de son poing.
– Vieille conne...
grinça-t-elle entre ses dents.
La jeune fille
démarra sèchement et imposa sa marche arrière à
un automobiliste, ignorant les insultes de ce dernier. Sa conduite
nerveuse, presque imprudente, la fit parvenir au pied de son immeuble
quelques minutes plus tard. Là, elle se gara, prit son sac
dans une main, les clefs dans l'autre et quitta le parking. Tous
ces évènements l'assommaient. Désabusée,
elle s'enferma dans l'ascenseur et s'adossa à la
cloison.
À peine entrée dans l'appartement,
elle comprit que son père n'était pas là. Sans
doute était-il déjà chez Michiru, à
discuter avec la mère. Un soupir découragé lui
échappa et Haruka se calfeutra dans sa chambre et se laissa
tomber sur le lit. Elle ferma les yeux, cherchant le sommeil pour
s'évader de ses sombres pensées.
§§§
Tenoh avait
écouté le discours de la mère de Michiru avec
calme et attention. Pourtant, intérieurement, il brûlait
de colère. La sexualité d'Haruka avait toujours été
un sujet de discorde entre elle et lui, mais ce soir, ce travers fort
gênant avait pris une tournure beaucoup plus déplaisante
encore. Cet incident avec la fille de Kaioh-san le couvrait de honte.
– Tenoh-san, comprenez que je ne peux pardonner le geste
d'Haruka. J'ai cru que sa forte personnalité serait une
bonne influence pour Michiru qui était un peu trop réservée...
mais de là à... à pervertir mon enfant...
–
Je comprends votre désarroi, Kaioh-san, déclara l'homme
tranquillement. J'ai manifestement négligé
l'éducation de ma fille au profit de mon entreprise et je
reconnais mon erreur. Cependant j'avais placé toute ma
confiance en elle ; son acte est une trahison. Il est temps que je
discute sérieusement avec elle.
Kaioh hocha la
tête, la mine grave.
– Il vaut mieux espacer les
rencontres entre Haruka et Michiru...
– Voire les annuler,
coupa la mère de l'artiste.
Tenoh acquiesça
et se leva. La femme le raccompagna jusqu'à la porte
d'entrée et lui serra poliment la main. Une fois la serrure
verrouillée après le départ de l'homme, elle
se tourna vers sa fille restée impassible jusque là.
–
Ne me regarde pas ainsi, Michiru. Je sais que tu m'en veux, mais tu
es trop jeune pour comprendre que j'agis uniquement pour ton bien.
L'artiste ne put retenir un reniflement méprisant
et croisa les bras.
– Tu mérites un homme, un vrai,
continuait sa mère. Pas cette espèce de libertine qui
nourrit un complexe malsain sur sa féminité !
Ces
paroles rudes blessèrent la fierté de Michiru. En
s'attaquant à Haruka, on s'attaquait à elle. Haruka
et Sailor Uranus étaient son passé, son présent
et son avenir. Tremblante de rage, elle répliqua d'une voix
blanche :
– C'est Haruka que j'aime.
Sa mère
tressaillit, comme sous l'effet d'un choc électrique.
–
Que me racontes-tu là, Michiru ? Allons, ressaisis-toi...
–
Mère ! coupa la jeune fille avec impatience.
– Je ne
l'accepterai pas ! s'écriait Kaioh, à présent
furieuse. Haruka ne t'aime pas et tu ne l'aimes pas non plus. Tu
es simplement aveuglée par ton premier baiser et par son
physique ambigu...
Michiru soupira, reprenant sur son beau
visage le masque impassible qui avait tant inquiété ses
parents, autrefois. Tenue de garder secret sa destinée et de
sa réelle identité, elle savait qu'il lui serait
impossible de faire entendre à sa mère terrienne que
depuis sa première vie sur Neptune, elle était vouée
à n'aimer qu'un seul être ; une femme androgyne,
mince et élégante, dont le passé et les origines
étaient la planète Uranus.
– Il est inutile de
discuter, murmura-t-elle. Vous ne m'écouterez pas. Ce que je
puis assurer, c'est la sincérité d'Haruka. Je
n'hésiterai plus à lui offrir mon amour, mon cœur,
mon corps, ma vie entière... et enfin obéir au Destin
qui a maintes fois tenté de nous réunir, elle et moi...
Sa mère ne cacha point sa terreur et la saisit par
les épaules, la secouant violemment pour la sortir de ce
délire insensé.
– Michiru... dis-moi que tu as
perdu la tête ? Tu es complètement folle !
La
jeune fille se mit à rire nerveusement, une main lasse posée
sur son front. Que pouvait-elle répondre à cela ?
–
Oui... je suis complètement folle... folle de cette fille que
j'aime, folle parce que je veux l'aimer jusqu'à la fin
de mes jours...
– Je te l'interdis ! hurla Kaioh en
frisant l'hystérie.
Michiru garda le sourire et
ferma les yeux. Sans un mot, elle quitta le couloir et s'enferma
dans la salle de bain. Cette journée avait eu sa série
d'événements aussi éprouvants qu'impromptus,
et se faire couler un bain chaud pour se détendre semblait
être une bonne idée. Elle déboutonna sa robe et
la laissa glisser le long de son corps. Le toucher du tissu léger
sur sa peau lui enleva un frisson. Elle retira les derniers
sous-vêtements et s'étendit gracieusement dans la
baignoire remplie d'eau. Déjà, l'élément
commençait son massage délicieux sur ses muscles...
Un
soupir lui échappa. La communication était rompue.
Elle et sa mère n'avaient plus rien à se
dire.
§§§
Haruka entendit
la porte s'ouvrir puis se refermer sans aucune délicatesse.
L'angoisse refit aussitôt surface et son estomac se noua. Son
père était revenu... et les prochaines minutes allaient
être les plus cauchemardesques pour l'athlète.
Sans
même frapper, son père entra furieusement dans la
chambre et la fusilla du regard. Haruka s'était levée
pour lui faire face, mais une gifle lui fit payer son arrogance.
–
Bon sang, qu'est-ce qui t'a pris ? vociféra l'homme.
As-tu imaginé une seconde que ton geste humilierait tous les
membres de ta famille ?
Le coup et les cris avaient ravivé
la colère latente du garçon manqué. Repoussant
son père de ses mains, elle l'affronta du regard, fière
et insolente. L'injustice était une des nombreuses réalités
de la vie qui la révulsaient ; jamais on ne la condamnerait
pour un crime qu'elle n'avait pas commis.
– Ah ? C'est
déshonorant d'aimer quelqu'un ?
– D'aimer
quelqu'un du même sexe, oui ! (À présent, Tenoh
faisait les cent pas :) J'aurais dû me douter qu'un jour,
tu déraillerais ! Toi et tes envies de te masculiniser !
Chaque jour, tu te couvres de ridicule... Ce genre que tu te donnes
est grotesque !
Ces paroles vexèrent Haruka. Déjà,
sa nature impulsive la poussait à s'emporter et se déchaîner
contre son père. Elle se crispa en le voyant s'approcher
d'elle et tendre une main pour caresser ses cheveux pâles.
–
Tu as les cheveux de ta mère... et son visage fin. Tu deviens
une jeune femme, Haruka, et tu es très belle. Un jour, un
homme tombera amoureux de toi. Tes sentiments répondront aux
siens et vous fonderez une famille. N'est-ce pas le rêve de
toute femme ?
– Cette idée me répugne, susurra
Haruka, le regard éclairé par la démence qui la
transportait.
Tenoh frémit de rage. De qui sa fille
tenait-elle pour faire preuve d'un tel entêtement ? Il se
détourna d'elle, songeur, le coin des lèvres rongé
par un tic nerveux.
– Sois un peu réaliste, tu ne peux
pas faire ta vie avec une femme. C'est indécent et malsain.
– Selon toi, l'amour doit se borner à des idéaux
politiques et religieux que des gens se croyant bien-pensants ont
dictés ? Belle mentalité. Je n'ai pas envie de rater
ma vie pour satisfaire un père aussi peu compréhensif !
Ses paroles avaient été plus venimeuses que
les crochets d'un serpent. L'homme tressaillit à ce ton
acerbe et lui assena une seconde gifle, entraîné par la
colère.
– Tu dépasses les limites, Haruka ! Je
t'interdis de revoir cette fille, c'est compris ?
Ces
deux dernières phrases furent de trop.
– Et en quoi j'ai
dépassé les limites ? Parce que je ne suis pas tes
principes d'employé modèle et hypocrite ? Que fais-tu
de mes droits, de mon intimité, de ma liberté ?
–
Ce n'est pas aujourd'hui qu'une lesbienne vivra sous mon toit,
répliqua Tenoh.
Sa fille le saisit par le col et le
plaqua contre un mur, le poing levé prêt à
s'abattre sur son visage surpris.
– La dernière fois
qu'un homme m'a parlé ainsi, je lui ai cassé le nez
et les dents... Ta vision de l'amour est aussi arriérée
que celle des partisans contre les mariages entre « races »
ou entre classes sociales opposées. Pour moi, l'amour ne se
plie à aucune règle. Si tu refuses de l'entendre, il
est préférable que nous ne nous parlions plus.
Tenoh
la considérait avec peur et colère à la fois.
Hébété, il la contempla à enfourner ses
quelques vêtements dans son large sac de sport et ses papiers.
Craignant comprendre ce que cela signifiait, il la méprisa du
regard et siffla :
– Que vas-tu faire, hein ? Tu veux partir ?
Ma pauvre fille, tu reviendras en pleurant d'ici trois jours en me
suppliant de te pardonner...
Un reniflement amusé
lui répondit. Manifestement, Haruka ne le croyait pas une
seule seconde... Froissé, il s'emporta dans ses phrases et
ses gestes, clamant haut et fort que sa fille faisait le mauvais
choix, qu'en choisissant cette voie, elle signait un contrat qui
détruirait sa vie entière. Tout ceci par pur caprice,
pour contrer stupidement l'autorité parentale. Parce qu'il
ne l'avait pas assez bien éduquée. Parce qu'elle
avait décidé de jouer un rôle qui n'était
pas le sien.
Sans prendre la peine de l'écouter,
l'athlète sortit de la chambre et s'empara de son
trousseau de clés.
– Ce sont mes clés ! geignit
le père en la poursuivant.
Sa fille se figea et le
fixa longuement, un sourire suffisant éclairant son visage
moqueur. Faisant habilement tourner les clés autour de ses
doigts, elle murmura d'un ton doucereux.
– Cette voiture est
à mon nom. Elle a été payée avec mon
argent, grâce à mes victoires en compétition, et
j'ai toujours payé les frais de réparations et
l'assurance. Elle m'appartient.
Elle bouscula son père
sans ménagement et ferma la porte derrière elle, son
sac sur l'épaule. Grisée par la sensation de ne plus
être entravée et de voir apparaître sous ses yeux
le chemin de la liberté, elle descendit les escaliers sans
jamais se retourner.
§§§
La décapotable
jaune était garée sur la digue d'un phare. Accoudée
sur le pare-brise de la décapotable, Haruka fixait le soleil
qui pointait timidement ses premiers rayons depuis l'Est, embrasant
le ciel et s'élevant majestueusement comme s'il sortait
d'un bain d'or. Une brise marine rapporta quelques gouttes salées
sur son visage fermé. De l'écume de mer... les vagues
se brisaient contre les rochers, se pliant à la caresse du
vent. Sensuels éléments, éternels danseurs,
harmonie parfaite...
Plongée dans ses pensées,
elle murmura pour elle-même :
– Je ne pensais pas que ça
irait aussi loin... mais je ne regrette rien.
– Le plus
important, c'est que nous soyons ensemble... souffla doucement
Michiru en posant une main réconfortante sur la cuisse de son
athlète.
Son regard tendre fixait le profil racé
d'Haruka. Celle-ci tourna la tête vers elle et répliqua
:
– Tu dois m'en vouloir... tu es séparée de ta
famille, à présent.
L'artiste secoua
doucement la tête, passant une main légère dans
ses cheveux bleus. Comment pouvait-elle lui en vouloir ?
– Nous
ne sommes pas terriennes. Ce ne sont que des familles d'accueil à
mes yeux. Je ne suis pas attachée à elles, mais à
toi. Emmène-moi où tu voudras, Haruka, au paradis, en
enfer... Je préfère me damner plutôt que te
perdre une nouvelle fois. Promets-le moi...
– Tu as ma parole,
Michiru, jura la jeune pilote.
Elles se quittèrent
du regard et bravèrent calmement les premiers rayons d'un
jour nouveau.
Fin.
