Ce matin encore le jeune loup entend résonner dans la forêt le grondement d'une bête inconnue. À chacune de ses manifestations les bois retiennent leur souffle. Le loup est étonné qu'après autant de jours, le roi des lieux ne soit pas allé à sa rencontre. Son ventre gargouille. Pour sûr, s'il était aussi grand et puissant que le tigre géant, il n'aurait jamais faim. Pour l'heure il n'était qu'un loup pas plus haut qu'un homme. Il sortit de sa tanière en trottinant, seul. Les loups du royaume de Goa étaient une espèce solitaire.

L'odeur de sang lui envahit la truffe dès qu'il a dépassé le premier arbre. Du sang nouveau et du sang ancien, et surtout une irrésistible odeur de mort. La chance lui sourit. Il va enfin pouvoir manger. Le loup veut y être au plus vite mais la loi est telle, sur les flancs du Mont Corvo, que la précipitation est synonyme de mort. Furtivement, il s'approche. Au fur et à mesure il remarque, perchés sur les branches au dessus de lui, des oiseaux charognards. À y regarder plus attentivement ce n'est même pas deux ou trois oiseaux mais tous les nécrophages de la région qui se sont amassés là.

Pour le loup c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne c'est qu'il doit y avoir un festin là où sa truffe le mène. La mauvaise c'est qu'il y a sûrement déjà quelqu'un pour s'en repaître. Bientôt il l'aperçoit, une petite clairière pas si loin de l'orée de la forêt. De plus près, le loup sent maintenant le sel, le feu, les larmes et la poudre. C'est un humain qui est venu mourir ici. Il se lèche les babines. La viande humaine est délicieuse. Soudain il le voit. Un homme seul, allongé au sol, couvert de sang de la tête aux pieds et pas un seul animal à l'horizon. La salive lui dégouline entre les crocs.

C'est au moment précis où il va pénétrer dans la clairière que le grondement se fait une fois de plus, entendre. Le loup se fige, son appétit soudain évaporé. Le grondement provient de l'homme. Effectivement à mieux y regarder, il n'est pas mort mais ça ne saurait tarder. C'est alors que le loup perçoit une nouvelle odeur, reconnaissable entre mille pour qui souhaiterait survivre en ces lieux, une odeur de tigre, et pas n'importe lequel. Il est parfaitement face à lui, par delà le cadavre encore vivant et la première rangée d'arbres. Sa silhouette seule le fait frissonner mais quelque chose l'inquiète encore plus. Une odeur de peur.

Le roi de la forêt a peur. Peur de cet humain-là, dont seules les meilleures oreilles peuvent percevoir la respiration. Dans les branches, il en va de même pour les vautours les plus immenses de la forêt. Ils tremblent sous leurs plumes. Vaincus, le loup fait demi-tour. De toute façon il n'aurait certainement que la moelle à se mettre sous la dent avec ce sac d'os. Un malaise lui parcourt l'échine quand il repense à tous ces cadors de la forêt qui frissonnaient comme des feuilles à la simple vue de cette carcasse. Qui donc avait-il pu être ?

- Colonel ! Colonel ! Nous sommes encerclés par 3 navires pirates !

La vigie du navire de la Marine s'époumonait du haut du mât. Bien que le colonel en question fut dans sa cabine à ce moment, un officier accourut pour transmettre le message à leur supérieur. Le colonel se précipita presque aussitôt sur le pont.

- Comment est-ce qu'ils ont fait ces raclures ?

- C'est la flotte de Davy ! D'après nos informations ils stationnaient dernièrement à l'entrée de la route de tous les périls. Ils ont dû avancer un peu !

- Colonel, ils se sont fait un nom en envoyant par le fond tous les navires qu'ils rencontraient.

Les informations, toujours plus affolantes, continuent d'affluer. Alors que la plupart de ses hommes cèdent complètement à la panique le colonel tente de garder son calme.

- Où sont les lieutenants ?

- À la proue, colonel.

Effectivement les trois jeunes recrues se tiennent face à l'océan. Elles ne paraissent nullement touchées par l'agitation du reste de l'équipage. Le colonel court presque vers eux mais quand il essaye de leur parler, ils l'ignorent complètement.

- Bon moi je prends celui-là et si vous arrivez pas à finir les vôtres, je viendrais.

- Comme si ça allait arriver !

- Tu n'es pas le mieux placer pour parler, Sengoku.

- Comment ça !

- T'es une enclume. Le temps que tu emmènes ta barque jusqu'à là-bas, Tsuru et moi on aura fait le ménage. Le mieux c'est que tu restes là et que tu regardes faire les grands.

Disant cela, il plongea par dessus bord.

- Garp ! Arrête c'est de la triche ça !

Celui qui se faisait appeler Sengoku continua de pester contre son collègue tout en filant chercher une barque. Tsuru était la dernière sur le pont. Alors qu'elle posa un pied sur la balustrade, son colonel l'arrêta.

- Qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes cinglée.

- Colonel, exposa-t-elle calmement, il y a trois navires. Garp et Sengoku sont déjà partis pour en prendre deux d'assaut, je vais m'occuper du troisième. Pourriez-vous avoir l'obligeance de faire préparer des couvertures chaudes, nous traversons un courant froid.

Sans s'attarder plus longtemps elle sauta et disparut sous la surface. Quelques minutes à peine s'écoulèrent et déjà le grand mât du navire qui les suivait s'effondra. Quelques secondes plus tard, le bateau pirate situé à tribord fut fendu en deux. En apparence le troisième ne semblait avoir subi aucun dégât mais la lieutenante Tsuru revint avec leur gouvernail.

- Bwahaha ! C'était que du menu fretin ces gars-là, s'exclama Garp.

- Bravo Tsuru tu as pensé à tout. On n'a plus qu'à remorquer le dernier bateau pour ramener tous ces pirates directement à la prison la plus proche.

Le colonel approuva tout de suite l'idée du lieutenant Sengoku. Ils utilisèrent donc le navire sans gouvernail pour repêcher tous ces pirates. Aucune ne se fit prier pour quitter les eaux gelées de la route de tous les périls. L'équipage regardait, bouche bée, le nombre de pirates qui avaient été mis hors d'état de nuire par seulement trois lieutenants. Ces derniers étaient d'ailleurs rentrés comme si de rien n'était et discutèrent emmitouflés dans leurs couvertures, un thé fumant à la main.

- Cette histoire tombe à pic, commença Sengoku, la prison la plus proche est sur une île tout près de la Calm Belt menant à East Blue. Garp tu pourras …

- J'ai dit que je ne voulais pas y aller ! Quitter Grand Line pour me retrouver là-bas ? Il n'y a pas de pirates sur East Blue comment veux-tu que je progresse ? Ou alors, c'est ça ! Tu veux me dépasser !

- Garp c'est pas n'importe quoi, en plus ce n'est pas une demande mais un ordre.

- Et puis si tu les satisfais tu pourrais avoir une promotion, ajouta Tsuru.

- De l'avancement ? Pour jouer les baby-sitters à Dragons Célestes ?

- C'est un honneur et puis le royaume de Goa c'est chez toi non ?

Garp soupira profondément. Sengoku comme Tsuru surent qu'ils avaient eu raison de lui.

Alors que tous les autres profitaient d'une grasse matinée à la caserne, Garp se leva aux aurores. Le bateau pour East Blue partait tôt. À peine se fut-il habillé qu'il commença à grogner en demandant où était les cuisines. Il arrêta bien rapidement car aussitôt le fumet de pain grillé vint lui chatouiller les narines. Dans la salle il y avait Tsuru.

- Qu'est-ce que tu fais déjà debout ?, lui demanda Garp.

- Et toi qu'est-ce que tu fais encore là ? Les autres sont déjà partis.

- On quitte le port dans une demi-heure. J'ai encore le temps.

- Moi je voulais simplement souhaiter un bon voyage à mon ami.

- C'est gentil mais ne t'inquiète pas, je serais de retour avant d'avoir pu te manquer.

Garp prit place et commença à dévorer tout ce qui était à sa portée.

- Garp, il faut que je te dise, les Dragons Célestes …

- Je sais, je sais. Ce sont des « dieux ». Il faut faire tout ce qu'ils demandent et la fermer.

- Et tu crois que tu vas y arriver ?

- Bwahaha ! Tsu ! Je serais à la sécurité, normalement ils n'auront rien à me demander.

- Fais quand même attention Garp.

- Quoi tu as peur pour ces « dieux » de mes deux ?

Il se leva en riant, posa sa main sur l'épaule de Tsuru en guise d'au revoir et partit. De nouveau seule dans le réfectoire, la lieutenant termina :

- Non j'ai peur pour toi.