Le lendemain, à l'aube, Garp attendait assis à côté de la porte du capitaine. Il était là depuis que le soleil était levé. La tenue que Lycia, la cuisinière, lui avait donné était légèrement trop grande pour lui. C'était celle de son frère, un véritable gorille selon ses dires. Qu'importe la taille, Garp devait se présenter propre. Avec ceux de garde, elle avait été la seule déjà réveillée ce matin.
Alors que le temps passait, Garp restait toujours aussi immobile, les yeux fermés. Il repensait à ce que leur avait dit un jour une vice-amirale qui était passée à l'Académie à propos d'une technique de haut niveau : le fluide. Il avait tenté de lui poser des questions après son intervention mais elle s'était contentée de dire qu'il en apprendrait plus le moment venu. Le fluide combatif et le fluide perceptif. Avec ce dernier il pourrait prédire les attaques de ses adversaires, voir des choses qui lui étaient jusqu'alors inaccessible.
Depuis ce jour dès qu'il devait poiroter quelque part, il essayait de s'entraîner pour éveiller ce fluide perceptif. Il ne savait absolument pas comment s'y prendre alors il se contentait de se concentrer sur tout ce qui l'entourait, ou sur rien. Pour l'instant ça n'avait jamais donné de résultat. Il lui arrivait d'essayer aussi pendant les combats mais ces balourds de pirates faisaient toujours un boucan de tous les diables. Il était même arrivé qu'en le voyant ainsi fermer les yeux, les criminels de bas étage se gaussent si fort qu'ils ôtaient tout intérêt à l'exercice.
- Vous êtes là ?
Le capitaine semblait presque surpris. Garp jeta un coup d'œil par la fenêtre. Le soleil avait chassé du ciel toute trace de l'aurore. Il avait attendu au moins une heure et demi mais n'en dit rien. Il se mit debout et salua son supérieur.
- Bonjour Dabrice.
- Je vois que vos collègues vous ont partagé quelques renseignements mais quand vous vous adressez à moi c'est capitaine Dabrice. Entrez.
Garp le suivit et ferma la porte derrière lui. Le bureau était spacieux, presque un peu trop. Sur un mur il y avait des avis de recherche, rien de surprenant à cela mais Garp reconnut soudain l'un des visages. Ce pirate avait été arrêté il en était sûr. Ces affiches n'étaient donc pas destinés à l'information mais étaient un tableau de chasse. Le mur d'en face était occupé par une foultitude de médailles et de diplômes insignifiants.
Le bureau en lui-même était une table bien trop massive pour un meuble qui ne supportait que quelques pièces de mobilier fines et dorées. C'est là qu'il vit un petit écriteau : « Capitaine Clifford Dabrice ». Tout s'expliquait. Le royaume de Goa comptait un certain nombre de familles nobles. Garp ne s'y était jamais intéressé mais même face à cette apathie totale, les « grands » de Goa faisaient en sorte de faire rentrer leurs noms dans la tête de tous. Ainsi même Garp se souvenait de quelques patronymes dont « Clifford ». Ce « capitaine » était un arriviste. Garp soupira.
- Vous avez quelque chose à dire ?
- Non rien.
- Bien. Si je vous ai fait venir ici, vous une talentueuse recrue de notre bon royaume c'est que …
Garp comprit alors que ce n'était pas ses propres états de service qui lui avaient valu cette affectation. Dabrice avait spécialement choisi quelqu'un de Goa en espérant que son nom seul suffirait à se faire mousser. Il avait voulu un larbin bénit oui-oui mais malheureusement pour lui, il s'était trompé sur Garp.
Bien entendu le lieutenant allait accomplir sa mission. Il l'accomplirait même mieux que quiconque et une fois que tout serait terminé, il quitterait bien vite cette caserne gangrenée. Si les effectifs étaient à l'image du groupuscule qu'il avait croisé hier soir alors la moitié des gars était déjà pourrie.
- … vous avez bien tout compris. Vous vous taisez et vous obéissez à la moindre demande de Sainte Anya.
Garp acquiesça et quand Dabrice lui donna l'autorisation de partir, il la salua non sans « omettre » de se mettre au garde à vous. Il y avait quelques paragraphes du code de la Marine qui s'étaient sournoisement accrochés à sa mémoire. Celui-là en particulier. N'étaient obligés de se mettre au garde à vous que les marines du rang d'officiers ou moins et les gradés seulement si l'écart était d'au moins 3 grades, or entre lieutenant et capitaine il n'y avait que 2 grades. Pour les mêmes raisons il n'était pas tenu de s'adresser à lui en utilisant son titre .
Le jeune lieutenant entendit presque son supérieur grincer des dents alors que son ombre d'insubordination ne passait pas inaperçue. Bien vite Garp rejoignit le dehors. Alors comme ça finalement il ne serait pas chargé de la sécurité d'une délégation mais plutôt garde du corps personnel d'une Dragon Céleste. Sainte Anya. Garp espérait qu'elle aime manger. Il avait entendu dire que certains Dragons Célestes passaient leur journée attablés. Quel pied se serait si cette Sainte Anya était l'une d'entre eux.
Ryugo l'arrêta soudain alors qu'il se baladait dans une cour. C'est lui qui, avec Lydia la veille, lui avait expliqué comment les choses fonctionnaient ici.
- Hey Garp ! Tu viens t'entraîner avec nous ?
- Vous faites quoi ?
- Des simulations de combat. En un contre un, ou à plusieurs. C'est pas ce qu'il y a de moins douloureux mais au moins on s'amuse.
S'il était question de combats, Garp en était. Il suivit Ryugo jusque sur une aire de terre battue. Là une trentaine de soldats était installé en cercle.
- Tu as une minute de retard Ryugo, déclara la seule à être debout.
- Veuillez m'excuser.
- C'est ma faute, il me montrait le chemin, dit Garp.
La femme le jaugea de haut en bas. Elle avait les cheveux coupés courts et la peau couverte de cicatrices. C'était elle la cheffe, c'était évident. Soudain un escargophone sonna. Elle sortit un spécimen noir de sa poche et répondit.
- Moshi ? Moshi ? Oui … je le vois … bien sûr … comme il vous plaira.
Bien qu'elle ait voulu faire attention, Garp avait remarqué son coup d'œil au bâtiment derrière eux. Il n'eut pas besoin de regarder pour savoir que Dabrice était à la fenêtre.
- Bien aujourd'hui nous allons faire un exercice un peu spécial. Vous serez tous dans la même équipe … contre le nouveau.
- Quoi ! Mais commodore …, tenta Ryugo.
- C'est un ordre. Tu ne voudrais pas confier la sécurité de la Sainte Famille à un incapable ?
- Non …
Garp aurait voulu lui faire un signe pour qu'il sache que tout irait bien mais de toute façon, il le verrait bien assez tôt. Tout autour de lui, les soldats se préparaient. Ryugo rejoint leurs rangs à contre cœur. Garp ne put s'empêcher de sourire, trop content de ce nouveau entraînement. Il ferma les yeux au moment où la commodore appela à l'attaque.
Les premiers à charger n'étaient pas les plus discrets. Garp les étala avec une facilité déconcertante. La moitié des effectifs y passa avant que leur supérieure les appelle à moins de précipitation. Après ça Garp n'entendit plus rien. Soudain on lui mit un coup de poing dans la mâchoire, malheureusement pour son assaillant, il lui aurait fallu 10 fois cette force pour l'estourbir. Garp lui saisit le bras et l'envoya voler par dessus son épaule. De par le bruit qu'il fit en s'écrasant, Garp sut qu'il avait fait d'une pierre deux coups et puis comme ça les deux marines qu'il avait dégommé au passage avaient amorti sa chute.
Le prochain voulut l'attraper par le haut, Garp sut exactement sa position à cause du souffle léger qu'il avait expulsé en sautant. Il évalua le timing puis se décala juste à temps pour accueillir l'acrobate avec un coup de pied. Cette fois encore la chute fut stoppée par un autre soldat cependant tout portait à croire que c'était volontaire. Garp sut que c'était Ryugo. Il le voyait se mettre en place pour réceptionner son collègue avant de l'emmener plus loin.
Ryugo s'était donc éloigné pour l'instant. Il restait alors 9 soldats. Garp perçut alors que des froissements de tissus qu'il ne savait pas identifier et des bruits de lèvres sans qu'elles ne forment un mot. Ils préparaient un assaut groupé. Garp tendit un peu plus l'oreille, c'est alors que deux soldats se mirent à chanter. Ils n'étaient plus que 7 pour l'attaquer. Face à un ennemi trop fort il n'y avait que deux solutions : la fuite ou l'immobilisation. Pour un marine il n'y avait qu'une seule solution : la deuxième.
Les pirates en sentant venir le danger détalaient comme des lapereaux. Ils ne pensaient à rien d'autre que leur pathétique vie alors qu'un marine se devait de faire front, toujours, pour la simple et bonne raison qu'un marine avait sur les épaules la sécurité de tous les civils.
Garp fit un grand pas en arrière en diagonale. Il tapa dans l'un des soldats qu'il saisit immédiatement. Il commença alors à le faire tourner autour de lui à la fois comme une arme et comme un bouclier. Rapidement il faucha un, deux et trois soldats, certainement ceux chargés de l'immobiliser. Il balança alors sa pauvre victime dans les airs pour aller cueillir l'un des chanteurs. Dans un mouvement fluide, il ramassa l'un des autres soldats le jeta et le deuxième chanteur se tut aussi, il avait emporté avec lui l'un des 3 assaillants restant. Ryugo étant revenu il ne restait plus que 5 marines debout en se comptant lui-même et la commodore.
Ryugo tenta un crochet du droit. Garp l'évita et ce faisant effleura un autre soldat qu'il étala derechef avec le revers du coude. Plus que 2. Ryugo était derrière lui. Son assurance et sa position laissaient à penser qu'il se croyait en bonne position. Garp en déduit qu'il était pris en sandwich mais aussi que ce dernier soldat était le plus fort. De tout l'exercice, il n'était pas émis le moindre son.
Garp sauta les pieds en premier et frappa en pleine poitrine et alors que ce dernier chutait, il répondit par un coup de pied puissant sur la tempe. Loin d'assomer le lieutenant, ce premier « vrai » coup qu'il recevait lui envoya une décharge d'adrénaline et avant même qu'aucun d'eux n'aient touché le sol, Garp avait saisit le pied et le balança, sans le lâcher, vers le haut. Il utilisa ce faisant l'élan donné à son adversaire pour se redresser et mis à profit cette nouvelle position stable pour envoyer violemment son adversaire au tapis.
Ryugo avait glapi mais Garp n'avait pas besoin de l'entendre pour savoir exactement où il était. C'était comme s'il le voyait … sans le voir. Tous les assauts qu'il essaya ensuite, aussi savants furent-ils, ne firent aucun effet à Garp qui les percevait comme au ralenti. Il ne lui aurait fallu qu'une petite seconde pour l'étaler mais il n'en avait pas envie. Alors que Ryugo essaya de lui mettre une gauche, Garp se glissa sous son bras et effectua en un battement de cils, une prise d'immobilisation.
Il rouvrit les yeux. Ryugo paraissait déconfit et la commodore le fixait avec un regard étrange.
- Et tu es lieutenant, tu as dit.
- Oui.
- De mon temps avec des capacités comme les tiennes on n'était pas lieutenant.
- On était commodore ?, demanda innocemment Garp.
- Fais attention petit parce que ça fait peut-être quelques années que je n'ai pas fait d'exploits valant une promotion mais je n'ai arrêté l'entraînement.
L'attitude était froide, le ton menaçant, les sourcils froncés mais Garp ne le manqua pas. Un léger sourire au coin de ses lèvres.
- Prenez-en de la graine. L'entraînement est terminé, ajouta-t-elle avant de partir.
