Dès qu'elle fut hors de vue, les soldats commencèrent à se relever. Malgré les apparences, seuls deux d'entre eux souffraient d'autre chose que d'ecchymoses. L'un d'eux avait un doigt cassé suite à sa tentative de réception et l'autre, le dernier que Garp avait affronté, il avait une cheville foulée par l'emportement du lieutenant. Ryugo jeta un regard étonné à Garp qui lui répondit par un clin d'œil complice.
Quand Garp s'éloigna de la cour, Ryugo le suivit. Il marcha jusqu'au port puis longea la côte vers la forêt. Ils dépassèrent Grey Terminal et s'enfoncèrent dans les bois juste assez pour ne plus sentir la pestilence de la décharge. Dès qu'il fut satisfait de l'endroit, Garp ôta ses vêtements et les plia soigneusement avant de plonger nu à la mer. Ryugo, d'abord surpris, fut ensuite pris d'une certaine crainte. La rumeur parlait d'un monstre marin dans la baie.
Le temps lui paraissait infiniment long. La surface de l'eau était de nouveau mue uniquement par la houle qui lui venait du large. Ryugo se demanda s'il ne devait pas faire quelque chose mais une partie de lui soulignait qu'il était un nageur médiocre et que si ces eaux contenaient le moindre danger capable de venir à bout de Garp alors lui-même n'avait pas l'ombre d'une chance.
Et puis soudain il tomba à l'eau. Ou plus exactement on l'y poussa. Quelqu'un était arrivé derrière lui et lui avait donné une tape sur l'épaule suffisamment forte pour qu'elle lui fasse perdre l'équilibre et l'envoie par le fond. L'eau l'assaillit de toute part. Ses oreilles n'entendaient plus. Il ne pouvait plus respirer. Avant d'arriver à la Marine, il ne savait pas nager. Toutes ses terreurs d'alors lui remontèrent en flèche. Et puis il s'empêtrait dans ses vêtements. Son uniforme. Son uniforme de Marine.
En un battement de cils, il reprit le contrôle. Il était un marine maintenant. Il savait nager. Ryugo battit des mains et des pieds et retrouva rapidement la surface où il put de nouveau respirer. Et voir aussi. Il vit donc Garp assis sur la berge écroulé de rire.
- Bwahaha ! Tu en as mis du temps. Bwahaha ! Si tu tombes d'un navire pirate et que tu mets autant de temps à sortir de l'eau au mieux ils auront pris la fuite, au pire ils t'auront déjà zigouillé. Bwahaha !
Ryugo aimerait le trouver barjo, il aimerait être furieux contre lui mais sa joie était si manifeste et son rire si contagieux qu'il pouffa lui-même. Ce lieutenant était bien singulier. Il vit le temps d'un battement de cœur le regard de Garp changer. Son collègue l'attrapa par le col et le tira de l'eau avec une facilité déconcertante. Une seconde plus tard une murène gigantesque émergeait de l'eau en croquant précisément là où Ryugo s'était trouvé à l'instant. Garp la renvoya à la mer avec un seul coup de poing.
Cela avait été aussi fulgurant que surréaliste. Ryugo avait le souffle complètement coupé par la peur et le soulagement simultané qu'il avait ressenti. Et Garp … riait aux éclats. Ryugo fit alors une remarque qui lui trottait dans la tête depuis longtemps.
- Tu es super balèze en fait.
Cela paraissait l'évidence même mais le dire à un moment où le lieutenant se bidonnait comme une baleine rendait la chose légèrement décalée et totalement absurde.
- J'ai intérêt si je veux devenir amiral un jour !
- A … amiral ? Mais ça veut dire que tu ne resteras pas avec nous alors ?
- Dès que j'aurais fini cette mission, je rentrerais sur Grand Line.
- Ah …
- Tu voudrais venir avec moi ?
- Non, ma femme habite sur l'île. On va bientôt avoir notre deuxième enfant.
- Hé bien félicitations !
- Toi, tu as de la famille ?
- Ma seule famille ce sont Sengoku et Tsuru, mes deux meilleurs amis. Je veux devenir le soldat le plus fort de la Marine moi, pas un grand-père gâteux.
- Tu ne sais pas ce que tu manques.
- Bwahaha ! T'es drôle en fait toi.
- Je ne sais pas comment je dois le prendre …
Garp continuait de rire alors que Ryugo essayait de déterminer s'il y avait plus de chance que Garp ne puisse pas dire quelque chose de vexant gratuitement ou qu'il ne mente pas du tout.
Le jour suivant Garp était encore levé avec le soleil. Après avoir petit-déjeuner à cette heure indue grâce à la complicité de Lycia, il faisait le guet assis sur le toit du phare qui surplombait le port. La mer était calme, il n'y avait donc aucune raison pour que le bateau ait le moindre retard. Il avait cependant entendu dire que les Dragons Célestes avaient une propension à ne pas respecter les horaires, un moyen puéril d'indiquer au reste du monde qu'ils étaient au dessus de ces bassesses.
Ce jour-là ils arrivèrent 3 heures avant l'horaire prévu. La ville était encore endormie et les quais du port vides. Garp descendit de son perchoir pour aller attendre directement sur le ponton. Patientant droit comme un I, il était le seul présent. Le brouillard matinal avait dissimulé l'arrivée du navire assez longtemps pour que, même si les vigies passaient le message dès qu'elles voyaient le bateau, les autres officiers seraient forcément en retard s'ils ne tenaient pas à apparaître en pyjama.
Ils accostèrent sans bruit et la première personne à descendre fut un garde tout en armure. Garp se souvint des conseils de Tsuru et resta stoïque et silencieux. Le garde vint à sa rencontre.
- Vous êtes ?
- Lieutenant Garp.
Bien que s'attendant sûrement à des salutations, la sobriété de la réponse ne déplut pas au garde qui, apparemment savait ce que Garp faisait là.
- Vous savez où ses Saintetés seront amenées à séjourner ?
- Bien sûr.
- Vous nous y conduirez.
Sans prendre la peine de répondre Garp hocha la tête et attendit. Quelques minutes plus tard c'était une délégation tout militaire qui sortait du bateau. Parmi tous les hommes, les Dragons Célestes étaient reconnaissables entre tous par les bulles qui leur entouraient la tête. Ils étaient relativement nombreux. Garp savait de ce que lui avait dit Dabrice qu'il n'y avait qu'une famille et d'après leurs âges, il devait y avoir le patriarche, son épouse et une flopée d'enfants. Deux rangs de soldats protégeaient leurs flancs dans les rues désertes.
Garp avait pris la tête de ce cortège en marchant côte à côte avec le garde avec qui il avait échangé plus tôt et qui s'avérait être le chef de la garde. Le château qui les accueillait était à la fois en centre-ville mais aussi avec un accès rapide au port. Ils l'eurent atteint avant qu'aucun autre marine ne parvienne jusqu'à eux.
Ils entrèrent au château sans plus prêter attention à lui alors Garp s'installa à côté de la porte et attendit. C'est alors qu'apparut, au coin de la rue, Dabrice et une délégation de soldats tous pomponnés. Le voyant déjà là, Dabrice lui jeta un regard assassin dont Garp ne fut absolument pas ému. Et dès que le capitaine voulut entrer dans le château, le lieutenant l'arrêta en s'interposant.
- Comment osez-vous … ?
- Nous n'avons pas reçu l'autorisation d'entrée.
- Auriez-vous oublié qui je suis ?
- Vous seriez le roi de Goa que je ne vous laisserais pas passer.
- QUOI ! Quelle insolence, je vais vous …
C'est à ce moment-là que le chef de la garde ouvrit la porte. Dabrice était cramoisi. Il posa une main sur l'épaule de Garp et l'invita à rentrer puis s'adressa à la cohorte.
- Que le meilleur d'entre vous prenne la place du lieutenant. Personne ne rentre pour l'instant.
- Excusez-moi , je suis Clifford Da…
Le garde ferma la porte derrière lui sans accorder le moindre regard au capitaine. Garp était rentré mais n'avait pas fait un pas de plus. La porte menait dans un préau largement ouvert sur une cour. L'espace abrité était tout en long et à ses extrémités se trouvaient deux postes de garde qu'ils dépassèrent sans y prêter la moindre attention. Ils traversèrent la cour. Parvenu au milieu, le chef se retourna pour lui envoyer un coup de pied sauté droit dans la face.
Il était rapide, très rapide mais Garp était sur ses gardes. Il aurait pu parer ou même riposter avec facilité mais quelque chose qui avait étrangement la voix de Tsuru, le poussa à esquiver. Le chef parut satisfait et demanda :
- Vous êtes fort ?
- Je deviendrais amiral, répondit Garp sans hésiter.
- Bien. Il ne faut pas moins de ça pour protéger leurs majestés.
Le hall était en tout point fastueux et grandiloquent. Le moindre élément prenait des dimensions démesurés ou bien croulait sous le décor et les dorures. L'escalier qui siégeait au milieu de la pièce était proprement dantesque. Garp ne s'attarda pas plus longtemps sur l'apparence du lieu car déjà le chef de la garde s'éloignait. Ce genre de débauche architecturale devait constituer pour lui un plat quotidien.
Il les fit entrer dans un salon non moins luxueux que le hall mais au moins plus réduit. Cette fois-ci, ils n'étaient pas seuls. Une Dragon Céleste se tenait près de la fenêtre et regardait dehors sans même adresser la moindre attention à leur irruption dans la pièce.
- Lieutenant voici Sainte Anya. Durant tout son séjour ici vous serez chargé de sa sécurité. Partout et tout le temps. De jour comme de nuit. Tous les jours de la semaine. Est-ce bien clair ?
- Oui.
- Vous vous devrez d'obéir à ses ordres sauf si ceux-ci vont à l'encontre de votre première mission. Compris ?
- Oui.
- Bien. Je vous laisse faire connaissance.
Et le garde quitta la pièce. Garp resta là. Il était à ce qui lui semblait être une distance raisonnable pour lui laisser de l'espace tout en restant capable d'agir à tout moment. Malgré les mots de son chef de garde, Sainte Anya n'avait pas jeté un seul coup d'œil à Garp.
- Dans ce tiroir vous trouverez un masque. Mettez-le.
Garp s'exécuta. Bien que la pièce soit finement meublée, et par conséquent qu'elle soit pourvue de plusieurs tiroirs, le marine ne se trompa pas car elle avait fait un geste vague en direction d'une armoire au moment de lui demander de se couvrir. Le tiroir contenait en effet un masque de bois peint. L'objet était finement sculpté et reproduisait le mufle d'un dragon grâce à une avancée d'une dizaine de centimètres. Le reste de la face était couvert d'écailles colorées en rouge. L'ouvrage était bien plus léger qu'il n'y paraissait et s'adapta relativement bien au visage de Garp.
- Maintenant je veux sortir.
