Ruptures d'un processus linéaire

Disclaimer : Tiens, c'est vrai ça, et si je gagnais de l'argent avec ? Vous, vous donneriez combien ?

Trois - Un fantôme dans le besoin

Les quinze jours qui suivirent furent à peine moins éprouvants physiquement pour Harry et ses camarades aspirants Auror.

D'abord parce qu'ils enchaînèrent deux stages, un avec leur instructeur habituel, un autre avec des Aurors en service. Dans les deux cas, être le stagiaire, c'était être celui qui fait ce que personne n'a envie de faire : les rondes de nuit, les courses, les filatures sous la pluie, ramasser les indices et autres joyeusetés. Pendant ces stages, Harry vit très peu Ron, Seamus et Parvati et il se sentit assez seul - même s'il pensait que c'était certainement une bonne chose qu'ils n'aient pas pu reparler tout de suite de cette fameuse nuit dans un pub moldu. En tout cas, il était content à la penser de les retrouver le samedi soir, à la fin de son deuxième dernier stage - et de beaucoup dormir aussi !

Il rentrait donc avec plaisir le vendredi soir chez lui, pour s'écrouler de la douche à son lit - avec l'ambition tenace de ne répondre à personne avant le dimanche midi. Il y avait le lendemain après-midi un match de Quidditch, Flaquemare/Canons de Chudley pour lequel lui et Ron avaient pris des places depuis des mois. Ils retrouveraient sans doute les autres après pour se raconter leurs malheurs de stagiaires et descendre un nombre conséquent de Bièraubeurre... Ron n'était pas encore rentré, il lui laissa un message de bienvenu sur sa porte.

Il dormit d'une traite jusqu'au moment où une sonnerie improbable le tira dans son rêve. Il mit un certain temps à comprendre d'où elle pouvait provenir. Puis un neurone plus alerte que les autres livra fièrement l'information : C'est la sonnette de la porte d'entrée.

Harry s'assit pour considérer cette hypothèse. Sonnette ? Seuls les Moldus sonnaient à cette porte ! Jamais Hermione, si l'envie lui avait soudainement pris de revenir réduire en bouillie le malheureux coeur de Ron, n'aurait sonné ! Seamus et Parvati, les jumeaux, Ginny... tous leurs amis connaissaient pareillement les mots de passe qui auraient ouvert la porte. Et Remus Lupin, s'il s'était extrait de sa tanière de loup-garou au fin fond de l'Ecosse, ne venait jamais sans avoir prévenu par avance par hibou... Non, seuls les Moldus sonnaient.

Harry se précipita donc car, après deux années passées en co-location avec son ami dans cet appartement, il était arrivé à la conviction qu'il fallait absolument éviter de laisser Ron discuter avec leur propriétaire, leur voisine, leur facteur, leur laitier et même avec n'importe quel démarcheur qui aurait eu le courage de monter les cinq étages sans ascenseur. Il courut donc jusqu'à la porte en criant « J'arrive, j'arrive ! »

Juste par réflexe, il jeta un coup d'oeil dans le Judas et vit qui sonnait à la porte en ce dimanche de printemps : Le fantôme de Dudley Dursley était revenu !

Harry ferma et rouvrit les yeux plusieurs fois. Mais le fantôme était toujours là. Il entendit Dudley qui soupirait derrière la porte puis appela doucement : « Harry ? »

Evidemment, il l'avait entendu ! C'était un peu tard pour faire le mort !

Harry inspira profondément et ouvrit courageusement la porte. Son cousin lui fit un faible sourire. Il se tenait au milieu d'un incroyable amas de sacs, cartons et de morceaux de ce que Harry pensa être un ou plusieurs ordinateurs. Comment diable a-t-il fait pour monter tout cela jusqu'ici ? - fut la première question qui vint à l'esprit de Harry.

« Bonjour », dit timidement son cousin, se balançant étrangement de gauche à droite. « Je... je te réveille... »

« Hum... Non, heu si », répondit Harry.

« Désolé »

« Comment t'as fait pour amener tout ça ? » demanda Harry après une seconde de silence.

« Oh... je suis venu en taxi... et puis, j'ai fait des voyages... »

« Ah », fut la seule réponse qui vint à Harry.

Un déclic sur le palier l'informa que Miss Wilkinson, leur vieille et curieuse voisine, entamait une enquête. Comme Harry avait déjà dû la convaincre récemment que « Non, mon ami Ron ne sait pas voler dans les escaliers » ou que « Non, la dame qui est venue hier soir n'avait pas changé de couleur de cheveux en sortant de chez nous, un quart d'heure après y être entrée », il décida de continuer cette conversation à l'intérieur.

« Entre Dudley... »

« Et mes affaires ? » demanda faiblement son cousin.

« Je vais t'aider », répondit stoïquement Harry.

Ils commencèrent alors un ballet d'allers et venues pour entrer tous les sacs et les cartons de Dudley dans le couloir. Lors de l'un de leurs croisements, ce dernier glissa à Harry :

« Tu... tu n'as pas de moyens plus... rapides ? »

« La voisine », répondit sobrement Harry.

« Oh », commenta Dudley.

Une fois la porte fermée, Harry revint avec sa baguette.

« Pondum leviosa », dit-il négligemment avant d'ajouter « Mobili Reis » et de conduire en une fois tout l'entassement du couloir au salon.

« Waou », fut le seul commentaire de Dudley.

« Oui... j'ai d'abord retiré le poids... pour pouvoir tout bouger d'un coup », expliqua Harry, sans être sûr que ces explications techniques aient le moindre sens pour son cousin.

« Dommage qu'on est pas pu le faire plus tôt ! » commenta ce dernier – ce qui pouvait être autant un compliment qu'un reproche. Mais Harry décida qu'il n'avait pas le temps de s'en inquiéter.

« Hum...Bon alors... Qu'est-ce qui t'amène ? » - demanda-t-il en resserrant contre lui son peignoir de bain attrapé au vol en sortant de sa chambre.

« Oh... heu... hum... J'ai cherché dans l'annuaire téléphonique, mais tu n'y étais pas ... » commença Dudley, en évitant son regard et en se dandinant d'un pied sur l'autre.

« Non, y a bien un appareil mais il ne nous sert à rien... » - reconnut

Harry.

« Alors je ne savais pas comment te prévenir... te demander... écrire aurait été trop long... »

Harry décida qu'il attendrait d'en savoir plus pour répondre.

« Il y a deux jours mon copain... » reprit Dudley après un soupir désolé. « Je t'ai parlé du copain qui m'hébergeait ? Il m'a annoncé qu'il allait vivre avec sa copine... hum... et il avait trouvé quelqu'un qui pouvait reprendre son appartement... Hum... Je t'ai dit que j'avais pas beaucoup d'argent, hein ? »

Harry hocha une nouvelle fois la tête. Il avait déjà compris ce qui allait venir.

« J'avais nulle part où aller, Harry. »

Harry avait conduit Dudley jusqu'à la cuisine quand Ron émergea de sa chambre avec l'air d'avoir été éjecté sans ménagement du réseau de Cheminette.

« J'ai rêvé ou y'a quelqu'un », grommela-t-il en entrant.

« Non... tu n'as pas rêvé », répondit laconiquement Harry en posant devant son cousin du café et des oeufs.

Ron dévisagea le nouveau venu de longues secondes avant de dire.

« Mais, tu es Dudley ! »

« Bonjour », répondit faiblement l'interpellé, visiblement impressionné par l'expression de Ron.

« Qu'est-ce qu'il fait là ? » demanda ce dernier en tournant son regard inquisiteur vers Harry.

« Tu vois, il déjeune », décida de répondre Harry. « T'en veux ? »

Ron s'échoua sur une chaise.

« Oui, merci... Mais Harry... »

« Quoi ? »

« Comment nous a-t-il trouvé ? »

« Il avait l'adresse », répondit Harry en essayant de garder un air dégagé.

« Comment ça ? 'Il avait l'adresse' ! Harry ?! » s'étrangla Ron en ignorant les oeufs que Harry avait diligemment placé devant lui.

« Ok, je lui ai donné... Là, tu es content ? »

La longue tirade qu'hurla ensuite le dernier garçon des Weasley prouva que non, vraiment, il n'était pas 'content'. Il trouvait même cela irresponsable de donner leur adresse à n'importe quel Moldu - non pas n'importe quel Moldu d'ailleurs, mais un malade mental qui l'avait enfermé dans un placard toute son enfance ! Vint ensuite une seconde tirade à peine moins vibrante, où il regrettait que Harry ne sache toujours pas faire la différence entre ses vrais amis et les autres.

Dudley s'était arrêté de manger et osait à peine respirer. Harry se contenta de soupirer :

« Il n'a nulle part où aller, Ron. »

« Quoi ! Et ses charmants parents ? »

« Fâchés. »

« Et il habitait où ? » continua Ron, visiblement peu enclin à le plaindre de la perte de sa parentèle.

« Chez des amis qui viennent de déménager. »

« Il aurait dû aller avec eux », conclut Ron avec force. Comme pour souligner qu'il estimait avoir eu le dessus dans cette discussion, il s'empara de ses couverts et attaqua l'assiette devant lui. Harry l'observa longuement avaler ses oeufs avant de reprendre :

« Est-ce que tu m'accorderais deux minutes en privé ? »

« Autant que tu veux Harry, il n'a qu'à partir... N'oublie pas le sortilège d'Oubliette en le raccompagnant à la porte ».

Harry ne put s'empêcher de sourire. Dudley semblait pétrifié.

« Allez ! » insista-t-il.

Ron posa sa fourchette et soutint son regard avant de grommeler.

« Je croyais qu'on avait décidé de ne PLUS se compliquer la vie... »

Harry se rappelait bien avoir dit cela, enfin plutôt répété inlassablement cela, quand Hermione avait finalement, après des mois d'atermoiements, décidé de quitter Ron et d'accepter la bourse de magie fondamentale de l'Université de Salem.

« OK. Ron, est-ce qu'il pourrait rester le temps de trouver où aller ? »

« Et si je dis non ? » demanda Ron avec un air de défi.

« On le joue aux échecs ? » proposa Harry.

« Tu sais que je gagne toujours », grommela Ron, radouci. « Mais vraiment, Harry, je ne te comprends pas... »

Moi, non plus, songea l'interpellé. Mais il se contenta de sourire. Il savait que son ami avait bon coeur, peut-être même meilleur coeur que lui – c'était un Weasley après tout. Il ne pourrait pas mettre Dudley dans la rue. D'ailleurs, devant le silence de Harry, Ron avait posé ses couverts et observait Dudley qui avait cessé toute vie animale.

« Toi, tu restes si tu veux mais pas d'histoire, hein... pas de fille, pas de trucs moldus qu'on comprend jamais comment ça marche... pas d'histoire avec les voisins... » Il revint alors brusquement vers Harry : « Il va dormir où, d'abord ?»

« Salon », proposa Harry.

« Faudrait ranger... » remarqua Ron comme pour marquer la fin de l'incident.

« Je m'en occupe », affirma Harry pour confirmer la paix revenue.

« Je t'aide » conclut précipitamment Dudley, en se levant pour suivre Harry jusqu'au salon.

Le salon ne servait que rarement comme la couche de poussière qui couvrait le sol et les meubles l'indiquait. La dernière fois qu'il avait servi, ses occupants avaient bu un certain nombre de bières qui étaient restées en trophée sur le sol et la table basse. Des livres de magie de toutes tailles étaient hâtivement empilés sur les étagères. Deux balais de Quidditch les encadraient. Bref, il n'y avait aucun besoin d'être Sherlock Holmes pour dire que cette pièce accueillait de temps en temps de jeunes sorciers peu soigneux et qu'elle avait besoin d'un bon nettoyage.

« Hum », commenta Harry. « On est pas souvent à la maison... Je vais chercher ma baguette. »

Il revint juste à temps pour empêcher Ron de stupéfixer Dudley parce qu'il avait voulu balayer le sol avec son Nimbus 7000 flambant neuf - un balai bien trop performant pour leur pratique occasionnelle et on ne peut plus amatrice du Quidditch mais Ron avait tant attendu pour avoir SON balai !

« Mais qu'est-ce que tu crois faire avec ça ? » hurlait Ron.

« Heu balayer », couinait Dudley.

Harry ne savait pas ce qui était le plus hallucinant - la conversation entre son ami et son cousin ou le fait même que son cousin ait pris l'initiative de nettoyer quoi que ce soit. Il intervint néanmoins.

« Ron, il ne sait pas... »

« Il ne sait pas... Il a grandi avec le meilleur attrapeur de tous les temps et il ne SAIT pas ? »

« Non. » affirma Harry, ignorant superbement la flagornerie de Ron.

« Je ne sais pas quoi... ? » - trouva le courage d'articuler Dudley.

« C'est un balai magique », expliqua patiemment Harry, « un très bon balai magique. »

« Tu veux dire qu'il balaye tout seul ? » demanda Dudley dans un souffle.

« Quoi ? » hurla Ron.

« Non, non, Dudley... tu sais... un balai volant », essaya encore Harry.

« C'est une blague ça, non ? Un truc de... de Moldu comme vous dites »

Ron traversa la pièce en trois enjambées et attrapa un exemplaire usagé du Quidditch au travers des âges.

« Et là, hein... et là, et là, et là... ils balayent ? » demanda-t-il avec fureur à un Dudley partagé entre la curiosité et la frayeur, en lui désignant plusieurs photos animées de matchs mythiques de Quidditch.

« Les balais servent peu à se déplacer de nos jours... Il y a d'autres moyens comme tu l'as vu l'autre jour... mais ils servent encore pour jouer à un jeu... un sport... ça s'appelle le Quidditch », expliqua Harry en essayant de ne pas trop rire.

« Oh », répondit Dudley, fasciné par les images animées.

« Bon », dit son cousin, décidant que le mieux était de passer à autre chose. « Limpio »

Sous la baguette de Harry, la poussière se réunit en un tas net que Ron poussa avec une balayette dans un sac poubelle. Les vitres se mirent à étinceler, les meubles à briller.

« Ordino » annonça-t-il ensuite.

Les livres se redressèrent et se classèrent par ordre alphabétique. Les veilles chaussettes se réunirent en tas et les bouteilles se jetèrent l'une après l'autre dans le sac poubelle.

« Bon, c'est déjà mieux », décida Harry. « Désolé, je suis nul pour des sorts qui cireraient les meubles. »

Dudley n'arrivait pas à refermer la bouche. Quant il y parvint, il murmura.

« Ma mère aurait adoré. »

« Pas sûr », répondit sèchement Harry.

Le silence qui suivit n'eut rien de léger. Et Ron sentit qu'il devait intervenir :

« Hum... va te falloir un lit... » Il leva sa propre baguette vers un fauteuil qui s'aplatit, s'allongea et forma bientôt une couche qui reçut draps et couvertures d'un autre mouvement de baguette. « Et tout ça ? » demanda-t-il en désignant les cartons de Dudley « Tu veux en faire quoi ? »

« Oh... ça peut rester comme ça... je ferais un tas... il me faut juste un bureau pour mes ordinateurs... »

« Tes quoi ? »

« Dudley travaille sur les ordinateurs... Rappelle-toi le cours sur les moldus... Ils, ils font tout avec des ordinateurs... » - intervint Harry qui avait surmonté sa mauvaise humeur. Il désigna la table basse de sa baguette et en fit pousser les pieds.

« Hum », dit Dudley un peu hésitant. « C'est pas possible de... de 'faire' quelque chose de plus large ? »

Harry soupira et obtempéra d'un geste négligent.

« Ca va ? »

« Oui », répondit Dudley avec difficulté. Déjà, il n'affiche pas l'air terrorisé qu'il prenait quand j'étais à Poudlard et que quelqu'un parlait de magie, remarqua Harry. Il le surprit néanmoins en train de se pincer discrètement la cuisse gauche et ne put s'empêcher de rire.

« Hum, on va te laisser t'installer, hein Ron... Ah si », dit-il en s'arrêtant. Il abaissa une fois de plus sa baguette. « Pondum donata... j'ai remis le poids... sinon j'ai peur que ton ordinateur ne marche pas ».

Dudley ne sut qu'hocher la tête.

Qui a dit que les fantômes sont bavards ?


Ensuite ? Hum...

On va dire que Dudley va avoir de nouvelles idées...