Sans attendre elle prit la direction de la porte, le lieutenant dans son sillage. Ils traversèrent la cour dans le sens inverse à celui qu'ils venaient d'emprunter, puis le préau. Garp saisit, aux regards légèrement incrédules des gardes autant qu'à leur passivité, que bien que ce comportement sorte de l'ordinaire, cela ne devait pas être un cas isolé pour elle.
Dehors la délégation de marines n'avait pas bougé. Garp reconnut celui qui lui avait tenu tête à l'entraînement maintenant dos à la porte. Dabrice était déconfis. Quand ils virent Sainte Anya sortir ils se prosternèrent tous, face contre terre en la couvrant de salutations et de bénédictions. Garp trouvait cela proprement ridicule. Ils dut cependant rapidement se faire à l'idée car partout où ils allaient les habitants tombaient comme des mouches.
Sainte Anya marchait dans les rues en ignorant complètement la présence de Garp. Ce dernier étant donné la proximité que générait la rue, s'était rapproché. Il lui semblait pourtant qu'elle ne craignait rien puisque pas une seule personne ne restait debout sur son passage. Elle ne semblait pas s'en soucier le moins du monde et s'engageait dans les différentes rues comme si elle avait toujours habité là. Cependant Garp la voyait discrètement chercher quelque chose du regard. Quand ils empruntèrent pour la 3e fois la même intersection, Garp ne dit rien.
Ils finirent par atterrir au bas des murailles de la ville. Sainte Anya semble les jauger un long moment, tournant la tête à droite et à gauche, finalement elle longea l'enceinte par la gauche et s'engouffra dans la première tour qu'ils rencontrèrent. Les soldats en faction là eurent un moment d'hésitation mais quand Garp leur fit un léger signe de tête, ils s'aplatirent eux aussi. La Dragon Céleste ne s'arrêta pas un instant et chercha les escaliers. Ils montèrent sans prêter attention à aucun des étages intermédiaires. Garp le déplora lorsqu'ils dépassèrent celui des cuisines.
Elle sortit sans aucune hésitation au dernier étage. Garp ne manqua pas de noter qu'elle n'était que très peu essoufflée alors que certains des autres membres de sa famille avait soufflé comme des bœufs le matin même quand il leur avait fallu se rendre du bateau au château. De même il avait été de son devoir de remarquer l'état d'usure incomparable des chaussures de Sainte Anya avec celles des autres. Les siennes étaient propres et en très bon état. Les autres portaient des souliers flambants neufs, dégoulinant d cirage et presque trop astiqués pour ne pas refléter le moindre rayon de soleil.
Garp n'était jamais monté jusqu'ici. Ils étaient sur le mur d'enceinte intérieur. Des maisons ils ne voyaient que le toit et la mer apparaissait par delà, lointaine. Bien que n'ayant pas posé les pieds ici, il avait déjà vu le royaume de plus haut. Les hauteurs du Mont Corvo surplombaient cette enceinte-ci mais Sainte Anya se dirigea sans attendre vers la ville haute. Là encore ce serait une grande première pour le marine qui la suivait comme son ombre. Elle ne s'arrêta qu'une fois avoir atteint la tour de garde qui faisait le lien entre la muraille sur laquelle ils étaient et celle de la ville haute.
Le manège de la première fois se répéta sauf que cette fois-ci, une fois arrivée au sommet Sainte Anya s'arrêta beaucoup plus longtemps. Elle scrutait la ville et Garp percevait ses marmonnements sans en comprendre le sens car comme les lieux étaient presque déserts, il s'était reculé pour lui laisser le plus d'espace possible. Elle semblait mémoriser la vue, les grands bâtiments, les principaux axes de circulation. Garp ne savait pas vraiment pourquoi elle faisait cela alors qu'il lui aurait suffi de lui demander. Bon, il y avait certes de grandes chances pour qu'il ne puisse pas l'aider mais ça elle n'était pas censée le savoir avant d'avoir essayé.
Aussi vite qu'elle était montée, elle redescendit. Pour la suivre alors qu'elle descendait les marches quatre à quatre. Garp décida de prendre marche après marche. Ce n'est pas parce qu'il était en service qu'il devait lésiner sur l'entraînement. Il descendait si vite qu'il avait l'impression de surfer sur l'escalier jusqu'au moment où il glissa. Dès qu'il perdit l'équilibre, il dégringola dans la descente et alors une seule chose comptait, il fallait qu'il évite Sainte Anya à tout prix. Comment faire alors qu'il avait lui-même du mal à situer le haut du bas tant il tournait en se faisant rouer de coups par les pierres dures.
Et soudain, il sut. c'était comme si le temps s'était arrêté. Sainte Anya était juste devant lui, elle n'avait pas eu le temps de comprendre encore ce qui arrivait. Garp poussa simultanément sur ses bras et ses jambes et décolla. Il passa à une vitesse vertigineuse juste au dessus de la Dragon Céleste avant de s'écraser durement plus bas. Sa course avait été stoppé par la porte. Le lieutenant se releva en essayant de paraître le plus normal possible, il espérait que son masque de dragon l'aide dans sa démarche et alors que Sainte Anya approcha, il lui ouvrit la porte. Cette dernière ne lui accorda qu'un regard surpris avant de poursuivre sa route.
Dès qu'elle fut dans la rue, il ne resta rien de sa surprise. Elle avait repris sa démarche assurée et tous se prosternèrent devant elle. Sainte Anya fila vers l'avenue centrale qu'elle remonta ensuite sans une hésitation. Garp n'était jamais venu jusqu'ici. Tous les gens qu'ils croisaient étaient richement vêtus. Ils portaient des hauts-de-formes et des chapeaux-melons comme on portait le béret et le bonnet dans la banlieue. Étrangement pourtant avec son masque sur le visage il se sentait à sa place ici ou pourtant rien ne lui était familier. Il n'était plus le petit sauvage du Mont Corvo, né à Fushia mais le gardien personnel d'un Dragon Céleste.
Bientôt ils furent arrivés au palais. On ne l'avait pas donné aux Dragons Célestes car malgré sa plus petite taille, le château dans la ville médiane était la véritable demeure historique de la royauté de Goa. Ils en avaient changé pour se recentrer quand la ville avait grandi et maintenant l'ancienne demeure était devenue le lieu de résidence des Dragons Célestes quand ceux-ci visitaient Goa. Là-bas dès que l'on vit Sainte Anya approcher, on dépêcha une unité entière pour le recevoir. On lui proposa une chaise à porteurs qu'elle refusa mais n'ignora cependant pas autant les gardes du palais qu'elle l'ignorait lui. C'en était presque vexant.
- Votre Sainteté Anya, bienvenue dans notre humble château. c'est toujours un honneur pour nous que d'accueillir votre famille.
La reine en personne attendait sur le pas de la porte. Tous s'inclinèrent devant elle, si bien qu'elle fixa Garp lorsqu'il ne le fit pas. Ce dernier gardait les yeux rivés sur Sainte Anya, tant qu'elle ne dirait rien, il ne ferait rien. On l'avait engagé pour protéger un Dragon Céleste pas pour cirer les pompes à tout le royaume. Bien qu'il fut évident qu'elle l'avait vu, elle agit comme s'il n'existait pas et répondit directement aux salutations de la reine qui fut bien obligée de lâcher l'affaire pour ne pas déconvenir à la diplomatie.
- Majesté votre château est très beau. Ne connaîtriez-vous pas quelque historien pour me le faire découvrir ?
- Bien sûr, tout de suite votre Sainteté.
Avant même que la reine n'ait répondu, deux soldats s'étaient éloignés au petit trot. Pour patienter la reine lui proposa avec une courtoisie dégoulinante de prendre un thé. Ce à quoi Sainte Anya répondit sur un ton tout aussi mielleux et mesuré qu'elle préférait qu'on lui montre le plus haut point du palais.
- C'est diablement haut votre Sainteté. Les escaliers de la tour sont interminables.
- Il vaudrait donc mieux que je commence le plus rapidement possible alors.
La reine se força alors à sourire et leur indiqua le colimaçon assez large pour que 5 hommes y avancent de front pour Sainte Anya seule il paraissait démesuré. Malgré cela elle s'y engagea sans un regard en arrière. Garp ne voulut pas se retourner lui non plus mais se demandait bien à quoi pouvait ressembler la mine déconfite d'une reine. Les autres gardes, eux, restaient toujours le nez au sol.
Il fallait au moins reconnaître une chose à la reine c'est qu'elle n'avait pas menti à propos de cet escalier. Cela faisait une demi-heure au bas mot qu'ils gravissaient les marches les unes après les autres, ces dernières étant trop massives pour être abordées à la volée. L'escalier ne montait aucun signe de rétrécissement mais depuis peu la tour était percée de fenêtre ce qui montrait qu'ils avaient dépassé le corps du bâtiment mais qui montrait aussi à quel point ils étaient hauts. Cependant Sainte Anya ne jeta même pas un regard à ces ouvertures.
Quand ils arrivèrent tout en haut, tous deux respiraient forts mais récupérèrent bien vite leur souffle face à la vue qui s'offrait à eux. Depuis la tour, le palais lui-même paraissait à la fois minuscule et gigantesque. La ville entière s'étendait sous leurs pieds mais ils l'avaient déjà vu du haut de la muraille alors Garp ne la regardait même plus. Son regard s'était perdu bien plus loin, au-delà même de Grey Terminal qui était étrangement propre et vide. Habituellement la fumée qui s'en élevait lui aurait bouché la vue mais aujourd'hui il pouvait voir toute la splendeur du Mont Corvo et de ses bois.
Sainte Anya quant à elle était tournée vers la mer. Garp se rendit compte avec un temps de retard qu'elle n'avait plus sa bulle autour de la tête. Ses cheveux roux flottaient dans le vent. Elle avait les yeus fermés et ses lèvres s'étaient figées en un sourire. Garp la comprenait. Il était probable qu'il affichait un visage similaire en deux occasions : premièrement quand il se baladait librement dans le Mont Corvo, et deuxièmement quand il reprenait le bateau après un long moment coincé à terre. Ils restèrent là, sans bouger, un temps indéterminé.
Peut-être n'auraient-ils d'ailleurs pas bougé avant encore un très long moment s'ils n'avaient pas entendu des pas, nombreux et balourds dans l'escalier. Bientôt ils furent donc rejoint par 6 personnes habillées d'une toge blanche similaire même s'ils ne se ressemblaient pas en d'autres points. Ils saluèrent Sainte Anya dont la bulle était revenue en place et se présentèrent comme les historiens. La Dragon Céleste les observa très longuement avant de déclarer en montrant la plus jeune du lot :
- Toi. Tu me feras visiter le château. Les autres vous pouvez partir.
- Comme il plaira à votre Sainteté.
Les savants s'éclipsèrent à l'exception de l'historienne choisie. Garp croyait avoir compris pourquoi elle l'avait voulu elle et pas les autres. C'était la première à avoir repris son souffle. Garp n'eut aucun mal à s'imaginer que Sainte Anya ne voulait pas se traîner derrière un vieillard d'un autre âge. Ne sachant que faire, la jeune historienne chercha son soutien auprès de Garp mais avec un masque pareil, difficile de communiquer. Le marine tenta tout de même un signe de tête. Apparemment la savante y comprit quelque chose et s'avança vers Sainte Anya.
- Au début de son histoire, le royaume de Goa n'était que …
Elle commençait son exposé. Garp n'en écouta pas les deux premières phrases alors que Sainte Anya semblait boire les paroles de la jeune femme. La visite complète dura presque jusqu'au coucher du soleil. Pendant des heures et des heures Garp avait dû les suivre sans parvenir s'intéresser à un broc de ce qui était dit. Il fut heureux de quitter enfin le palais pour retourner au château.
Pour la première fois de la journée elle eut une démarche traînante. Elle montait les escaliers d'un pas lourd et entra dans la chambre tout au fond de l'aile droite. Garp la suivit.
- Votre chambre est là. Bonne nuit.
Elle avait désigné une petite porte cachée derrière un rideau qui ouvrait sur un cagibi meublé d'un lit et d'une petite table mais possédant une autre porte qui menait à l'extérieur. Garp s'assit en tailleur et concentra toute son attention sur ce qui se passait de l'autre côté de la porte. Au début il n'entendit que quelques sons étouffés puis plus rien pendant longtemps, très longtemps jusqu'à ce qu'il entende une respiration. C'est comme si elle était au creux de son oreille alors que c'était un souffle à peine perceptible. Et puis il perçut Sainte Anya. Il savait qu'elle était couchée, en boule. Il sentait les mouvements de sa poitrine qui s'abaissait et se relevait avec sa respiration. Il sentait ses cheveux sur son visage et le mouvement de ses yeux sous ses paupières. Il entendait les battements de son cœur. Alors qu'il écoutait tout cela, Garp s'endormit.
