Ruptures d'un processus linéaire

Disclaimer… Victor Hugo ? Donna Tartt ?? Cervantès ???

Merci à tous les lecteurs toujours plus nombreux de cette toute petite fic,
dont la trame compte moins que les personnages pour moi.
Mais pour vous aussi apparemment… tant mieux.

Merci à ceux qui me croient quand je dis que je doute
et qui essaient de m'encourager. Je doute pas tant que ça quand même…
Disons que je doute avec confiance, si vous voyez ce que je veux dire….

Merci à Alixe qui est toujours étonnement là…
Merci à Louise et Cécile qui la laissent lire…

Six - Fleur de France

D'abord il faillit ne pas la reconnaître.

Bien sûr, il se souvenait qu'à l'âge où ses camarades se débattaient encore dans les affres de l'adolescence, elle avait déjà une grâce et une présence hors du commun. Peut-être était-ce le fait du sang de Vélane qui coulait dans ses veines. Malgré ses souvenirs, il avait quand même dû employer les méthodes d'observation toutes nouvellement apprises à l'Académie des Aurors pour déjouer les camouflages les plus méticuleux pour s'en convaincre. Cette svelte jeune femme, qui alliait une élégance altière et une apparente redoutable efficacité professionnelle, était Fleur Delacour. La même dont les cheveux blonds lumineux avaient été roussis par le souffle du dragon…

Si ses propres déductions n'avaient pas suffi - elles avaient finalement fourni une occupation assez agréable pendant le temps incroyablement long qu'il avait récemment dû passer à surveiller des couloirs vides ou à soupçonner toutes personnes s'approchant de Fudge d'être un provocateur, un journaliste hardi ou un déséquilibré -, il avait fini par en avoir la confirmation par un collègue français qui, vertement tancé par la jeune assistante du Ministre français de la coopération magique pour avoir laissé s'approcher de trop près un photographe non accrédité, avait commenté à son profit en anglais quand elle avait tourné le dos : « J'aimerais pas être le pauvre gars qui subit Delacour dans son lit…. » Harry avait exprimé, d'un regard entendu, toute sa solidarité masculine et corporatiste.

Fleur… L'avait-elle reconnu, elle aussi ? Il avait essayé de la sonder par quelques regards insistants qu'elle n'avait pas semblé remarquer. À chaque fois que ses yeux bleus se portaient vers lui, ils semblaient lui accorder le même intérêt qu'aux coûteux vases chinois et aux miroirs dorés qui encombraient les pièces de réceptions du Ministère français.

Ce ne fut que le cinquième jour, alors que l'équipe de Tonks venait d'être relevée de sa faction auprès du Ministre, qu'elle laissa tomber son masque d'impassibilité. Harry avait huit heures de repos devant lui et il comptait bien en passer une partie à visiter un peu la capitale française - même si Tonks venait de lui rappeler qu'il n'était pas là pour faire du tourisme et qu'elle n'accepterait pas qu'il passe la soirée à bâiller. Il se dirigeait donc d'un pas plutôt détendu vers la sortie du Ministère.

« « Alors Harry, enfin libre ? »

La voix était douce et musicale, et l'accent français léger. Il s'était retourné d'un seul coup et avait reconnu sans rougir :

« Je ne pensais pas que tu m'avais reconnu. »

« Allons… Harry… J'avais vu ton nom sur la liste… et puis une telle cicatrice et de tels yeux verts… » Elle s'était avancée vers lui en parlant. « Est-ce que ça s'oublie ? »

Une étrange boule se forma dans la gorge de Harry. Il inspira et essaya de garder l'air le plus détaché dont il disposait.

« Sans doute pas », répondit-il avec un calme feint.

Ils se dévisagèrent avec curiosité l'un l'autre, mais Fleur reprit la première.

« Nous ne sommes pas sensés fraterniser… j'imagine… Ta chef n'a pas l'air très commode… malgré ses étranges couleurs de cheveux... Hum… Si on allait manger quelque part tous les deux ? »

Il ne s'était pas posé la question en ces termes, mais elle avait sans doute raison : s'ils avaient eu l'air de se connaître depuis longtemps, ils auraient attiré des questions. Et, Harry n'avait pas besoin de plus d'attentions qu'il en recevait déjà d'habitude. Il opina prudemment de la tête.

« En sortant, à droite, il y a une ruelle, au bout un café… Attends-moi en terrasse, j'en ai pas pour plus d'une demi-heure » Fleur n'attendit pas sa réponse.

Harry eut le loisir de se demander si les demi-heures françaises comptaient autant de minutes et de secondes que leurs sœurs britanniques. Peut-être que ces mordus du système décimal avaient adopté des heures de cent minutes - ce qui aurait expliquer expliqué que les demi-heures en compte cinquante… et que son estomac ait raison de gargouiller comme il le faisait. Il en était à son troisième café pour tromper l'ennui, et ceci n'arrangeait rien à son sentiment de mal-être digestif.

Tu n'es qu'un crétin, Potter, s'admonesta-t-il. Pourquoi restes-tu là à l'attendre ? Tu vois pas que cette fille ne s'intéresse pas à toi mais au Survivant ? Oui sans doute mais pourquoi ? - objecta-t-il. Un autographe ? Fleur ? Non, c'était risible…Et puis avec tout ce café, tu vas jamais arriver à te reposer avant ce soir, et Tonks va te sonner les cloches… Tu as vraiment le chic pour te mettre dans des situations pourries…. C'est Malefoy qui rirait bien en te voyant…

Comme toujours le seul nom de Malefoy suffit à lui fouetter le sang, et il fut sur le point de rentrer directement à son hôtel. À ce point de son énervement, Fleur arriva, la démarche légère - ni plus ni moins rapide que si elle avait été à l'heure - et se posa avec la grâce d'un papillon sur la chaise à côté de lui.

« Tu sais ce que c'est dans ces machins-là… Dès que tu dis que tu pars, tout le monde a besoin de toi » - commenta-t-elle avec ce sourire qui hantait sans doute encore les nuits de Ron.

Harry se força à grimacer quelque chose de neutre, mais elle ne sembla pas se soucier une seconde de la sincérité de son sourire.

« Tu es gentil… », asséna-t-elle. « On va manger ? Je meurs littéralement de faim ! »

Elle s'était déjà levée comme si elle avait anticipé sa réponse, le forçant à se précipiter au comptoir pour régler ses consommations et à ânonner des chiffres hésitants. Dès qu'il sortit, elle se pendit résolument à son bras et l'entraîna dans le dédale de ruelles animées du Quartier Magique.

« La communauté magique française s'est séparée de la communauté moldue en 1418 sous la pression de Nicolas Flamel. Il a montré l'exemple en faisant semblant de mourir et en quittant ses charges à l'Université de la Sorbonne pour créer, dans le Quartier magique, la contre-université de Pentahermétisme grâce au soutien financier des Gobelins normands», expliqua-t-elle au cours de leur déambulation. « Ceci explique que le Quartier magique soit si proche du Quartier Latin des Moldus et qu'il soit aussi si étendu… Il n'y avait que des champs ici à ce moment là. »

Harry ne trouva pas de questions à poser alors il se tût. Il vit dans une vitrine une horloge annoncer qu'il était plus de deux heures de l'après l'après-midi. Dans six heures, il reprendrait son service et il n'aurait sans doute pas dormi. À la place, il aurait eu un cours sur l'histoire médiévale de la communauté française, des lèvres d'une très jolie professeur certes, mais… Harry se demanda un instant comment elle réagirait s'il essayait de l'embrasser.

« Je t'épargne la sempiternelle visite de la maison Flamel », ajouta-t-elle en lui pressant le bras pour l'entraîner à droite dans une ruelle encore plus étroite et tortueuse que la première. « J'ai très envie que nous soyons tranquilles pour nos retrouvailles ».

Ils arrivèrent devant une de lourdes portes ornées de fiers coqs en argent, et Fleur sortit sa baguette. Les portes s'ouvrirent sur une sorte de sas dans lequel on voyait par une glace sans teint une rue moldue très calme et très grise. D'un autre coup de baguette, Fleur transforma leurs robes en imperméables très amples. Harry s'agaça l'espace d'une seconde qu'elle l'estime incapable de transformer lui-même ses vêtements. Mais elle lui prenait la main :

« Allons », dit-elle en ouvrant résolument la porte. « Il y a tout près d'ici un bouchon lyonnais… une sorte de restaurant moldu… J'aime bien… Et puis là-bas personne ne te reconnaîtra … »

L'intention était louable et finit d'empêcher Harry de formuler une éventuelle objection. Déjà, ils arrivaient devant un petit restaurant à la devanture crème. Visiblement, Fleur y était plus que connue : elle y avait sa table et ses habitudes. Le garçon n'apporta qu'un seul menu, mais Fleur décida pour Harry : « Il prendra comme moi. »

Le garçon leur apporta alors deux verres de vin blanc qui vint douloureusement s'ajouter à la caféine dans l'estomac de Harry. Après s'être délicatement humectée les lèvres de son verre, Fleur se pencha vers lui et souffla :

« Alors Harry ? »

« Alors quoi ? » - répondit Harry sur un ton bourru.

« Eh bien… Poudlard, Voldie, être un Auror, tes amours… La vie, quoi ! »

Harry se contenta d'un regard soupçonneux.

« OK, je commence », enchaîna la belle sans aucune gêne. « J'ai fini Major de Beaux-Bâtons - un peu comme vos préfets en chef… Je suis entrée directement au Ministère… J'ai été envoyée dans plusieurs ambassades dans des pays anglophones… T'as vu, hein, ça s'entend, non ? J'ai d'ailleurs failli épouser un Australien, mais bon… les kangourous, c'est pas mal qu'un moment…. Je suis revenue, au grand soulagement de mes parents, je ne te le cache pas… Quoi d'autres…. Ah oui, je suis fiancée à un jeune journaliste au Monde Magique. Il s'appelle Vivien. Il vient d'une longue lignée de sorciers qui remonte à Mélusine. »

Son excitation à la perspective d'engendrer bientôt des descendants de la célèbre sorcière était visible. Harry se rappelait vaguement que la dénommée Mélusine avait épousé un Moldu et que ça avait pas bien fini, mais bon… C'était trop vague pour qu'il se lance dans une quelconque conversation sur le sujet.

« Gabrielle… tu te souviens de ma petite sœur ? - fait un doctorat d'Hermétisme… Bref, tout va bien », conclut-elle.

Elle planta son sourire comme un point final, et Harry, lui, ne sut par où commencer.

« Hum… moi, tu sais… j'ai… comment dire ?… » Il essaya la dérision : « Voldemort a à la fois beaucoup entravé et beaucoup fait pour ma scolarité. En bref, je n'étais pas vraiment ce qu'on appelle un bon élève, mais on a toujours été plutôt indulgent avec moi… »

Il avala sa salive. Il n'avait aucune idée de ce que Fleur voulait entendre et avoua presque :

« Après… après…comment dire, Fleur, je m'occupe beaucoup à avoir une vie normale… tu sais, étudiant, pas trop mauvais cette fois… des copains… le Quidditch… »

« Des copines ? »

« Des copines aussi », répondit Harry choisissant d'en rire.

« Beaucoup ? »

« Fleur… » - protesta faiblement Harry.

« Allez, Harry ! Célèbre comme tu es…. » - se moqua Fleur.

Célèbre ?

La petite voix de Dudley s'imposa alors : « Pourquoi t'as l'air célèbre Harry ? » Et avec cette question revinrent ses efforts méritoires pour donner une version la moins passionnelle possible de son affrontement avec Voldemort. Avec un succès partiel, vu les yeux brillants et les montagnes de questions posées par son cousin. Seul son ordre de mission lui avait permis de couper court aux « Alors comme ça, t'as doublement vengé tes parents ? » « Il était puissant comment ce type, Harry ? » « Et t'as eu une médaille ? »….

Non, ça n'avait pas été un moment facile pour sa modestie et pour son désir de se fondre dorénavant dans la masse. Mais en même temps, ça avait été une revanche - même s'il détestait le mot - sur les années pendant lesquels tous les Dursley sans exception l'avaient considéré comme un moins que rien. La terre portait maintenant un Dursley qui le regardait comme quelqu'un d'intéressant. Tant pis si la vision de Dudley était sans doute un peu trop rose pour Harry. Comment expliquer les pertes, les désillusions, les blessures profondes, les choses irrémédiables ? Comment expliquer que certaines victoires sont tellement amères qu'on a dû mal à s'en enorgueillir ?

« …et mignon en plus, ça doit vraiment pas être difficile ! »

Mignon ?

Harry secoua la tête. S'il devait maintenant avouer à cette jeune femme splendide que Parvati était la première fille avec laquelle il sortait officiellement depuis Poudlard…

« Tu sais… je ne suis pas trop un homme à femme », essaya-t-il timidement.

« C'est vrai que tu as toujours eu de drôle de goût », commenta Fleur apparemment enchantée du tour que prenait la conversation. « Comment s'appelait ta copine déjà, celle dont Krum s'était entichée ? »

« Hermione ? Hermione n'a jamais été ma petite amie… »

« La petite indienne au bal était mieux », continua Fleur.

Ah ? songea Harry. Il garda résolument le silence.

« Tu es avec quelqu'un, hein ? »

« Oui. »

« Jolie ? »

« Oui. »

« Depuis longtemps ? »

Il hésita trop pour mentir.

« Non. »

« Fiancé ? »

« Non, mais Fleur, vraiment ! » protesta-t-il ayant épuisé ses réserves de self-control.

« Ok, OK…. » La jeune femme leva les mains en signes de défaite, à moins que ce ne soit pour laisser le garçon placer les hors-d'œuvre à sa place. Elle n'attendit même pas que ce dernier ce soit éloigné pour reprendre « Et alors, Auror, ça t'amuse ? »

« J'ai toujours voulu faire ça. »

Harry n'aima pas s'entendre être si sur ses gardes.

« Oui, tous les petits garçons veulent être Auror, Harry, mais ils grandissent ensuite ! » répondit Fleur avec une patience affectée. « Ils se rendent compte que la vie est plus compliquée que cela, que les gentils et les méchants ne sont pas toujours là où on les attend… »

Après l'histoire, la morale ! Je suis avec une femme superbe et tout ce qu'elle veut c'est me donner des leçons ! Un petit garçon…Je ne suis donc toujours pour elle qu'un petit garçon ? Harry se réfugia de nouveau dans le rire.

« Je crois que tu as une idée assez fausse de moi et de mes soi-disant grands pouvoirs, Fleur… La vraie vie, comme tu dis, est plus difficile que la Coupe des trois sorciers. » Et pourtant, Merlin sait ce que cette coupe m'aura coûté !

« Ta, ta, ta ! » - le coupa-t-elle. « Moi je sais ce que tu vaux, Harry… Mais tu finiras par te lasser de laisser les autres décider… et ton histoire le montre bien… Tu devrais être un exemple de ce qu'on peut accomplir contre l'adversité, sans le soutien d'aucune institution, d'aucune famille. »

« Tu exagères… »

« Non, Harry, non. C'est toi qui ne te rends pas compte… Et tu devrais utiliser ta célébrité si chèrement acquise pour encourager le monde sorcier à plus d'audace et de volontarisme ! »

« Fleur, je ne suis pas fait pour la politique… »

« Ce n'est pas de la politique, c'est un acte de salubrité publique tout comme lorsque tu nous as débarrassé de ce vieux Fourchelang… »

Harry se raidit presque à son insu. Il demanda sans doute trop sèchement.

« Qu'est-ce que tu veux, Fleur ? »

La jeune femme le regarda fixement et chuchota.

« Une interview exclusive pour Vivien. »

§§§§§

L'interview – ou plutôt la conférence de presse vu l'ampleur que prit l'événement, eut lieu l'après-midi avant le départ de la délégation anglaise. Fleur aurait dû s'intéresser à Percy, songea amèrement Harry en pénétrant dans la salle bondée de journalistes de tout le continent et aussi de quelques Britanniques qu'il reconnut de loin. En fait non, ils sont assez dangereux séparément comme ça…

Fleur l'accueillit sur l'estrade de la salle de presse avec un sourire triomphant auquel il ne répondit pas. Bien sûr, elle n'avait pas eu son exclusivité pour Vivien descendant de Mélusine. Harry s'était poliment mais fermement retranché derrière le devoir de réserve des Aurors.

« Je ne PEUX pas, Fleur… Je n'ai pas le droit surtout pendant une visite officielle… Il faudrait l'autorisation du chef de délégation en l'occurrence Fudge… franchement, il a d'autres chats à fouetter. »

Mais la jeune femme ne s'était que brièvement rangée à cet argument. Le surlendemain, lors d'une réunion de travail entre les deux cabinets, elle avait abordé la question - entre l'organisation du prochain Tournoi des trois sorciers et celle, plus délicate, du statut des sorciers résidant à Guernesey - de la mauvaise connaissance par le public sorcier français de l'histoire contemporaine de leurs voisins britanniques et proposer, pour y remédier, d'organiser une interview de Harry Potter. Lequel Harry Potter s'était brutalement extirpé du dénombrement des salamandres qui ornaient les caissons du plafond de la salle, amenant quelques sourires condescendants sur les lèvres des fonctionnaires réunis. Avant qu'il n'ait pu s'y opposer, Fudge avait conclu :

« C'est une très bonne idée…Harry va nous faire quelque chose de bien, n'est-ce pas Harry ? »

Ce n'était qu'une demi-victoire pour Fleur et son ami Vivien, mais c'était une défaite totale pour Harry. Pas besoin d'être un grand joueur d'échecs pour le comprendre. Il la regardait donc sombrement se tourner vers la nombreuse assistance et leur souhaiter la bienvenue. Elle leur apprit qu'un charme de Traduction simultanée venait d'être jetée sur la salle pour vingt minutes au terme desquelles l'interview serait terminée. Harry vit des doigts se lever immédiatement pour demander la parole. Fleur se tourna de nouveau vers lui et ajouta alors avec un sourire qui lui parut carnassier :

« M. Potter, que je ne vous ferais pas l'insulte de vous présenter, choisira lui-même les questions auxquelles il souhaitera répondre », et l'abandonna sur son estrade face à une marée de bras tendues, de plumes-papotes surexcitées et de questions lancées dans une dizaine d'idiomes différents. Avec fatalité, il désigna d'un doigt faible une brunette au premier rang.

« M. Potter ! » - pépia la jeune femme visiblement enchantée. « Je suis Malvina Perrotti de la Gazetta de la Sierra, Roma… »

Harry l'encouragea à poursuivre d'un signe de tête.

« Pouvez-vous, maintenant qu'un peu de temps a passé, expliquer comment un sorcier aussi jeune et aussi inexpérimenté que vous a pu par deux fois faire tomber Celui-dont-il-ne-faut-pas-dire-le-nom ? »

Évidemment…

Harry retrouva instantanément le froid qu'il avait ressenti à chaque fois qu'il avait dû faire face à Voldemort l'étreindre. Il revit les yeux rouges et la main décharnée. Il ré-entendit la voix inhumaine. Il vit Cédric, puis Sirius, tomber devant ses yeux impuissants…. Il se revit aussi soumettre Peter Pettigrow, celui-par-qui-tout-cela-était-arrivé, à l'Imperium et le jeter, tel une bombe humaine, contre Celui-dont-la–communauté-magique–ne-semblait-toujours–pas-capable-de-dire-le-nom. Il soupira et répondit ce qu'il répétait depuis près de quatre ans comme un mantra :

« Je n'ai pas choisi d'affronter Voldemort. C'est lui qui m'a désigné comme celui qui le ferait tomber… ou qui mourrait. Je n'avais pas le choix. »

Dans une demi-conscience, il vit les plumes-papote tracer dans plusieurs langues et plusieurs alphabets de longs paragraphes à partir de ses trois simples phrases. Un journaliste au fond de la salle leva brièvement la main :

« Mais vous avez abattu seul, avant même d'avoir fini votre second cycle de magie, le sorcier noir le plus puissant depuis Grindelwald … Comment vous avez pu…? »

Harry l'interrompit presque sèchement :

« C'est aussi lui qui a désigné les moyens de l'abattre… Je n'ai fait qu'utiliser sa force contre lui… Rien de plus »

Non rien de plus. Et c'était déjà suffisamment lourd à porter.

Il avait sauvé la vie de Queudever, et donc Queudever lui devait quelque chose. Tout son plan reposait sur cela, et ça avait marché.

Quand Harry avait réussi à maîtriser suffisamment ses rêves pour dénouer le vrai du faux et localiser la cachette de Voldemort, il avait aussi su que s'il embarquait l'Ordre du Phénix dans cette affaire, il y aurait trop de morts. Et Harry ne pouvait pas imaginer perdre une seule autre face familière. Non aucun Weasley. Non, pas Lupin. Dumbledore non plus, même s'il ne lui avait toujours pas pardonné certains silences, ni certaines décisions. Même pas Rogue. Non Pas un fantôme de plus.

Non, seule la ruse… Il avait passé ses nuits à Little Whinging à échafauder son plan. Il avait envoyé de grandes lettres hebdomadaires à Ron, Hermione et Hagrid pour les habituer à un éventuel silence de sa part. Pour faire bonne mesure, il leur avait expliqués qu'il devait éviter de laisser sortir Hedwige trop souvent. Il avait forgé une fausse invitation de Lupin – qu'il savait sur le continent - et avait expliqué à son oncle et sa tante qu'il devait passer la fin de ses vacances avec son ancien professeur pour réviser ses futurs examens.

Les Dursley n'avaient pas été trop soupçonneux. « Tu n'as pas l'air bien plus malin en sorcier qu'en personne normal si tu as besoin de cours supplémentaires », avait lâché son Oncle avec un sourire satisfait sur le chemin de la gare. À King's Cross, il avait simplement pris un autre train. Un qui descendait vers le Sud, vers une demeure isolée au bord d'une falaise, là où Tom Jedusor préparait la prise d'Azkaban.

Dans le village voisin, il s'était caché pendant plusieurs jours, dormant dans les champs et vivant de mûres encore un peu verte et de pommes chapardées. Sirius n'avait –il pas mangé des rats ? Il savait qu'il avait peu de temps, quelques jours tout au plus ; D'une manière ou d'une autre, Dumbledore allait savoir, l'Ordre allait le chercher - et sans doute le trouver… Il ne se faisait aucune illusion sur la question. Il fallait simplement que l'affrontement ait lieu avant.

Il avait fini par trouver une chouette compatissante pour envoyer un message à Pettigrow : les animaux - mammifères, volatiles ou insectes - fuyaient la maison. Puis il avait attendu. C'était un pari, mais il avait eu raison. Peter était venu. Aujourd'hui encore il se demandait pourquoi. Croyait-il avoir facilement le dessus d'un gamin ? Avait-il des remords ? Aurait-il voulu aider Harry, s'en faire pardonner ? Espérait-il la mort ?

Harry n'avait pas voulu savoir et évitait encore d'y réfléchir de manière trop approfondie. Avant que le quatrième Maraudeur n'ouvre la bouche, il l'avait soumis à l'Imperium et envoyé tuer son Maître. Le plus étonnant était la facilité déconcertante avec laquelle son plan avait fonctionné.

« Ne seriez-vous pas un peu trop modeste ? Helfried Graal, Berliner Zeitung », lâcha un gros blond à moustache.

« Ce n'est pas à moi de décider si sauver ma propre vie était un si grand exploit », répondit Harry un peu trop vite sans doute. Quoique tu dises, ne dis rien… lui avait soufflé Tonks quelques minutes plus tôt. Tous ces traque-scoop ne devaient rien savoir de ses fantômes. Mais heureusement, un jeune homme roux s'avança et demanda :

« Tim Holgerson, Dublin Magical Daily. Vous avez choisi une carrière noble mais modeste d'Auror… N'est-ce pas un manque d'ambition de votre part ? »

Harry inspira et répondit calmement.

« Servir ma communauté est la plus haute ambition à laquelle je puisse prétendre. Il m'a semblé que c'est contre les forces du mal que je serais le plus utile… »

Nul n'avait besoin de savoir qu'il en était venu à douter beaucoup de cette communauté qui continuait de préférer un berger aussi aveugle que Fudge, qui s'était satisfait de Bellatrix Lestrange comme victime expiatoire et qui continuait à penser que la servitude des Elfes était un devoir et que les loups-garous n'étaient pas des hommes. Nul n'avait besoin de savoir à quel point Harry avait été tenté de rejoindre Lupin dans une retraite solitaire et désabusée. S'il n'y avait pas eu Hermione, s'il n'y avait pas eu Ron, s'il n'y avait pas eu Dean, Seamus, Luna, Fred et George… Et si aujourd'hui il n'y avait pas eu la promesse de moments lumineux comme ceux qu'il passait avec Parvati - aurait-il fait autant d'efforts ?

« Pensez-vous justement qu'un danger aussi grand que Voldemort menace aujourd'hui la communauté magique européenne ? » - demanda encore Helfried Graal couvrant de sa voix profonde les questions de ses collègues.

Harry formula plus soigneusement sa réponse.

« Je n'ai pas entendu parlé d'une menace comparable mais… », et toutes les têtes se levèrent avec une intensité nouvelle, « la division, le sentiment de supériorité, le mépris pour tout ou une partie des humains ou des créatures magiques restent à mon avis… des ferments pour la reconstitution d'une telle menace… »

Sa réponse déclencha des houles de nouvelles questions, et Harry se demanda s'il n'avait pas été trop sincère. Ne dis rien… ne dis rien… ceci est un jeu, s'admonesta-t-il. Tout le monde ne jouait-il pas ? Tout le monde se fiche que tu sois sincère ou non… Fleur veut juste de l'avancement pour son fiancé. Fudge veut de gentils articles. Et moi, je veux rentrer chez moi…

« M. Potter, M. Potter », s'imposa alors un jeune homme brun et élégant, « vous êtes très jeune, mais vous avez déjà accompli des choses impressionnantes pour votre communauté… à laquelle, nous l'avons entendu, vous entendez continuer à vous dévouer… Avez-vous des ambitions politiques dans quelques années, M. Potter ? »

Harry imagina la tête que devait faire Fudge en entendant la question. Ne rien dire…

« Comme vous l'avez fait vous même remarquer, Monsieur... ? »

« Vivien de Lusignan, Le Monde Magique » répondit le jeune homme avec une évidente fierté.

Harry ne savait pas si Vivien était un prénom répandu. Mais il avait l'intuition que non. Enchanté Vivien, pensa-t-il. Ainsi c'est toi !

« M. de Lusignan… Je suis aussi jeune que vous apparemment… et je suis désolé que ce que j'ai accompli vous impressionne tant.»

Il y eut quelques rires dans la salle mais Lusignan ne cilla pas.

« Je ne pense pas, de plus, que mon dévouement suffise à justifier que je préside aux destinées de toute ma communauté… J'ai déjà bien assez de travail avec la mienne », conclut-il avec un sourire.

« Est-ce un non, M. Potter », demanda alors innocemment Rita Skeeters.

« Oui, Mme Skeeters », répondit Harry très sobrement. Il fut satisfait de voir la plume papote de sa vieille ennemie ne pas réussir à aligner plus de dix mots sur cette réponse.

« Vous venez de faire allusion à votre vie privée », enchaîna alors très rapidement de Lusignan, prenant ses propres collègues par surprise. « Pouvez-vous nous en parler ? Quels sont vos projets ? Pensez-vous fonder une famille, vous qui avez été orphelin si jeune ? »

Pas besoin de lui demander si son innocente sollicitude est feinte, songea amèrement Harry.

Une famille… Les photos de ses parents, telles qu'elles remplissaient l'album réuni par Hagrid pendant sa première Harry, s'imposèrent sous ses yeux comme s'il en avait tourné les pages ; Sirius lui demandant dans le souterrain de la Cabane Hurlante s'il souhaitait venir vivre avec lui vint jusque derrière… Harry sentit le vertige le gagner, il inspira profondément.

« Une famille est évidemment un accomplissement… J'espère que je serais à la hauteur de cette tâche, si un jour un tel bonheur m'ait attribué » - s'entendit-il répondre. Rien. Quoiqu'il dise. Ce n'était pas si difficile.

« Il n'y a donc personne pour l'instant qui ne vous donne la possibilité d'un tel accomplissement ? » - s'étonna ouvertement la journaliste italienne au premier rang.

Personne ? Le corps brun et ferme de Parvati, ses yeux dorés… son rire cristallin… le grain de sa peau… Pouvait-il parler d'elle alors que leur relation se comptait en jours ? C'était sans doute présomptueux. Mais pouvait-il faire comme si elle n'existait pas au risque qu'elle s'en offusque ? Il n'était pas assez naïf pour espérer qu'elle ne lirait aucun compte-rendu de cette conférence de presse. Il n'avait pas envie que Fleur imagine un instant qu'il la cachait.

« Je n'oserai pas m'engager à la place de celle qui pourrait répondre à cette question », finit-il par répondre avec un sourire plus léger que ses sentiments.

« Vous brisez les espoirs secrets de milliers de jeunes filles en Europe à cet instant », commenta encore l'Italienne les yeux brillants, mais Harry pensa qu'il avait le droit de ne pas répondre à cette affirmation.

D'ailleurs, Fleur Delacour entrait alors de nouveau sur l'estrade évitant le regard inquisiteur de Harry et annonça que la conférence était terminée. L'Aspirant Auror ignora les dernières questions qui fusèrent et se retourna vers Tonks, qui fit un petit signe appréciateur de la tête. La conférence ministérielle, pendant laquelle les deux ministres se jurèrent une longue et fructueuse amitié, commença juste après. Et sur cette entente cordiale réaffirmée, la délégation britannique rentra paisiblement dans ses foyers.

« Vous êtes un peu guindé en conférence de presse, Potter », avait commenté plus tard Fudge en lui flattant l'épaule comme s'il avait été un poulain de licorne. « Le manque d'habitude sans doute… Mais sinon, pas mal joué ! ».

Tonks leva les yeux au ciel en entendant cela pour conclure avec une inhabituelle camaraderie, une fois que le ministre s'éloignât dans les méandres de la salle de transplanage internationale du Ministère :

« Hum, il a eu surtout peur que tu te présentes aux prochaines élections ! Rentre donc chez toi, Harry, je ferai le rapport. »

L'Aspirant Auror Harry Potter ne retourna donc pas à la Division et ne sut ainsi pas ce qui était arrivé à Ron. Il ne rentra pas directement pour autant, mais se donna le temps de vagabonder dans le métro, de se faire ballotter par les foules moldues, rien que pour en tendre les sonorités familières de sa langue maternelle, retrouver l'odeur de pluie et les bruits de sa ville. Il repensa à la semaine qui venait de s'écouler et décida qu'il s'en était plutôt bien tiré.

Il se dit qu'il n'aurait pas aimé avoir l'ambition d'une Fleur et prendre autant de temps pour un hypothétique avancement. Il se félicita d'avoir su mettre en pratique les conseils de Tonks. Il se réjouit de sentir que les souvenirs de Sirius, de Cédric et même de Peter ou de Voldemort ne tournaient pas en lui comme des Détraqueurs désireux de lui couper à tout jamais l'envie de rire. Même les évocations de ses parents avaient l'air satisfait de lui.

Il eut soudain très envie de voir Parvati pour qu'elle lui raconte sa semaine, d'entendre Ron se plaindre des dragons écossais, de voir si Lupin avait répondu à sa dernière lettre et, allez, reconnaissons-le, de savoir si Dudley avait avancé dans son jeu vidéo. En sortant du métro, à deux rues de chez lui, il sourit. Il était peut-être des fantômes comme de certaines bêtes sauvages : le temps et la patience finissaient par les apprivoiser….


Pour l'instant la suite s'appelle : « À en être malade…. »… Alléchant, non ?