Garp était confus quand à ce qui se passait. Ils étaient de retour au château, dans une grande salle seulement occupée par lui-même et Sainte Anya, et alors même que les murs entre lesquels ils se trouvaient auraient dû signifier la sécurité, Sainte Anya tremblait de la tête aux pieds. Ce tremblement s'arrêta au moment où la porte s'ouvrit mais fut remplacé par un sentiment plus profond encore de peur et d'insécurité. Garp regarda qui venait d'entrer et fut surpris de constater qu'il s'agissait du père de celle qu'il devait protéger, accompagné de deux de ses gardes. Il s'approcha d'elle à pas lents et le marine dût se faire violence pour ne pas s'interposer.

- Même ici tu te débrouilles pour faire honte à notre famille.

Garp avait rarement entendu ton aussi dédaigneux que celui-ci. Sainte Anya se recroquevillait sur elle-même.

- Ce petit prince était prêt à te prendre, malgré ta réputation.

- Non … je ne veux pas, s'il vous plaît, répondit-t-elle faiblement.

- « Non » ! Comment oses-tu me dire non à moi ! Même si je te disais que je voulais te donner à un pirate tu n'aurais pas à me dire « non » mais « merci » ! Tu n'es qu'une moins que rien. Comment mon auguste sang peut-il couler dans ces veines ?

Il leva la main pour la frapper mais au lieu de la joue de sa fille, Saint Louys ne rencontra que l'épaule de Garp. Le patriarche glapit devant le regard que lui lançait Garp avant de se rasseoir.

- Que fais-tu là, chien ?

- On m'a donné pour ordre de protéger Sainte Anya.

- Écarte-toi ! Pousse-toi de là, je te l'ordonne ! Retourne dans ta sale niche de roturier !

- Non.

- Comment ? Co … comment … ? Messieurs donnez à ce chien la leçon qu'il mérite.

Quand Garp lui avait répondu, le Dragon Céleste avait frôlé la syncope et derrière lui Sainte Anya avait couvert sa bouche avec ses mains. Puis les deux gardes qui avaient attendu sans bouger jusque là se dirigèrent d'un même pas vers le marine récalcitrant. Ce dernier resta parfaitement immobile même après le premier coup et tous ceux qui le suivirent. Les deux hommes le frappaient avec une coordination telle que la pluie de pieds et de poings étaient incessantes. Les coups à la tête, dans le ventre, dans les jambes pour essayer de le faire plier mais Garp malgré la douleur ne bougeait pas. Cela redoublait encore la pénibilité des coups car le marine était obligé de gaîner tout son corps, même les parties meurtries pour ne pas faillir.

Les gardes qui le rouaient de coups étaient parfaitement impassibles. Il n'y avait aucune rage dans leur mouvement et aucune colère dans leurs yeux. Ils frappaient simplement parce qu'on leur avait dit de le faire. Garp les plaignait presque en se disant que lui-même n'accepterait jamais d'obéir à des ordres si injustes. Sainte Louys en revanche jubilait. Il se délectait de la vue du sang, donc autant que faire se pouvait Garp ne grimaçait pas et ne laissait échapper aucun bruit, il n'était pas question de lui donner la moindre satisfaction supplémentaire.

- Arrêtez !, cria Sainte Anya.

Surpris les gardes cessèrent leur lynchage. Garp soupira de soulagement. Saint Louys lui devint rouge écrevisse et commença à fulminer.

- Tu n'as pas le …

- Arrêtez, répéta Sainte Anya en coupant son père, Sainte Louys est mon père, laissez-le faire ce qu'il veut.

Garp se tendit en entendant cela. Elle ne parlait pas aux gardes de son père mais à lui. Comment pouvait-il remplir sa mission ? Il devait la protéger et obéir à ses ordres. Comment pouvait-il faire quand justement son ordre était de ne pas la protéger ? Mais Garp savait déjà la réponse. « Ce sont des dieux. Il faut faire tous ce qu'ils demandent et la fermer. » Quand il avait dit ça à Tsuru le jour de son départ, il n'avait jamais imaginé que ça puisse être si dur. Garp fit un pas sur le côté pour dévoiler Sainte Anya et vit en même temps la constellation ensanglantée qu'il avait laissé par terre.

- Bien, bien je vois que les choses commencent à rentrer. Je vais t'accorder une faveur, chien. Puisque tu ne veux pas que je lève la main sur cette bonne à rien, c'est toi qui va le faire.

Garp avait peur de comprendre ce qu'on lui demandait. Il regarda Saint Louys puis Sainte Anya, cette dernière lui fit un signe de tête. Le marine porta une main à son visage pour couvrir sa bouche.

- Frappe-là ! Et sache que si je ne suis pas satisfait je demanderais à mes hommes de finir le travail.

Jamais de sa vie Garp ne s'était tant senti acculé. Ce sentiment était encore décuplé par le fait qu'il ne l'était pas vraiment. S'il avait voulu, Garp aurait pu étaler le Dragon Céleste et les gardes d'un seul coup mais s'il faisait ça Sainte Anya en subirait les conséquences. Il n'avait donc plus qu'un choix. Il se tourna vers Sainte Anya en se sentant nauséeux en plus de toutes les autres blessures qui lui faisaient toujours atrocement mal. Il aurait pu s'excuser mais elle savait qu'il était désolé alors il valait mieux ne rien dire.

Il lui envoya un coup de poing sur la tempe et la rattrapa avant qu'elle ne tombe en la soulevant. Il la tenait avec sa main agrippée à son crâne, la paume sur son front et les doigts enserrés dans le cuir chevelu. Un filet de sang coula le long de son visage. Avec l'autre main il la frappa encore, en plein dans le ventre avec tant de force qu'elle fut projetée en arrière et glissa sur le sol presque jusqu'au mur. Sainte Anya tomba sur le côté, inerte.

L'un des gardes montrait un air suspicieux. Dès qu'il fit un pas, Garp frappa du même coup qu'il avait donné à Sainte Anya et de même il décolla, glissa et s'écroula. L'autre garde fit un pas mais Saint Louys l'arrêta avec un grand sourire.

- Il voulait vérifier, il a vérifié. Pour quelqu'un qui ne voulait pas, tu n'y as pas été de main morte. C'est bien, chien, tu es libre de disposer.

Garp retourna auprès de Sainte Anya et se posta comme s'il la protégeait encore. Saint Louys pouffa.

- Tu lui diras à son réveil que je ne veux plus qu'elle abîme encore l'image de notre famille alors il serait préférable pour elle qu'elle reste cloîtrée dans sa chambre.

Le marine ne répondit rien. Le Dragon Céleste sortit. Le garde valide chargea sur son dos l'autre et quitta aussi la pièce. Garp grogna de douleur en baissant pour prendre Sainte Anya dans ses bras et la conduire à l'infirmerie.

- Non pas par là, descends plutôt.

La Dragon Céleste chuchotait presque pour lui donner les indications. Garp suivait à la lettre tout ce qu'elle lui disait. Ils arrivèrent presque au sous-sol quand Garp vit enfin une porte qui portait une croix blanche. Il la poussa, entra et tomba à genoux. Ses jambes avaient cédé sous lui et refusait de le porter encore. Le docteur arriva.

- Anya … qu'est-ce que ton père a encore fait ?, demanda-t-il tristement.

La susnommée bondit hors des bras de Garp. Dès qu'elle les eut quitté, ceux-ci aussi devinrent flasques, incapables de porter leur propre masse, ils retombèrent le long du corps de Garp, ses mains traînant par terre. Le marine ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il voulut parler mais fut pris d'un tel vertige que si le docteur n'avait pas été là, il serait tombé encore plus bas.

- Sainte Anya … il faut …

Il lui semblait qu'il n'avait même plus la force pour une phrase complète.

- Anya va bien mais vous, vous êtes sacrément mal en point.

Dans le brouillard qu'était devenu sa vision, Garp vit la Dragon Céleste sortir non pas par la porte par laquelle ils étaient entrés mais une autre au fond de la pièce. Il voulut se relever pour la suivre mais son corps n'obéit pas et il s'écrasa au sol face contre terre, incapable de faire un mouvement de plus. Il sentit vaguement une piqûre sur son postérieur et tout devint noir.

Quand Garp revint à lui, il sut que Sainte Anya était toujours dans la pièce d'à côté. Cet endroit-ci avait tout d'une infirmerie. Le marine reposait dans un lit blanc. Il avait encore mal partout. Chacune de ses respirations le faisait grincer des dents ce qui lui envoyait une décharge à travers tout le crâne. Il chercha à se lever mais on lui posa une main sur le torse pour le maintenir couché.

- Doucement, doucement. Il faut vous reposer. Dans cet état vous n'irez nul part.

- Je dois protéger Sainte Anya …

- Avec les côtes fêlées, le bras cassé, un traumatisme crânien et le bassin fracturé vous n'allez pas pouvoir la défendre contre grand-chose.

- J'ai faim.

- Voilà qui est plus raisonnable, lui répondit le docteur en souriant et en lui tendant une soupe.

- Il va me falloir plus que ça, prévint-il.

Il but le potage d'une traite et même si c'était peu, se sentit immédiatement mieux. La douleur s'atténuait un peu et il put penser à nouveau. Dès qu'il eut remis les évènements en place, il fronça les sourcils et demanda au médecin.

- C'est quoi le problème avec son père ?

- Je ne crois pas que cela vous concerne.

- Il la maltraite c'est ça ? Si vous me confirmez qu'il la frappe, je vous jure que je vais lui …

- Vous n'allez rien du tout. C'est un Dragon Céleste.

- Je m'en fous !

- Vous savez, ça fait du bien de rencontrer des gens comme vous.

- Ça fait du bien de rencontrer des gens comme Anya aussi.

- Rendormez-vous. Je vais aller vous chercher autre chose à manger.

Comme il était question de repas, Garp obéit sans demander son reste. Sa faim l'épuisait et puis si le docteur ne le laissait pas se lever alors il n'avait rien de mieux à faire que se reposer. Allongé comme il l'était, il s'endormit rapidement et ne ronfle pas. Il n'entendit presque pas la porte s'ouvrir et ne se réveilla pas vraiment. Il était simplement conscient, comme dans un rêve, que Sainte Anya venait de rentrer et qu'elle s'adressait au docteur.

- Comment est-ce qu'il va ?

- Bien, étonnement bien même. Il récupère à une vitesse ahurissante.

- Alors c'est ça un démon ?

- Je ne crois pas que ce soit lié.

- Mais il l'a dans son nom !

- Est-ce que tu lui as posé la question à lui directement ?

Sainte Anya renifla comme si la proposition était tout bonnement stupide. Le docteur soupira. Garp entendait le cœur de la Dragon Céleste battre la chamade.

- Il est presque trop parfait, ça sent le piège.

- Moi je dis que tu devrais au moins l'écouter.