Garp se réveilla plusieurs fois au cours de la journée suivante. Chaque fois qu'il revenait à lui, Sainte Anya était dans la pièce d'à côté et le docteur était là. Il lui donnait à manger, toujours un peu plus mais l'empêchait de se lever. Le marine protestait sans pour autant se rebeller. Il se sentait de mieux en mieux et Sainte Anya ne bougeait pas pourquoi aurait-il voulu changer les choses ?

- Est-ce que vous avez déjà vu sa peau ?, demanda le docteur.

Il n'avait donné aucun nom mais leur conversation ne pouvait porter que sur une seule personne. Garp ne comprenait pas.

- Je veux dire en dehors de ses mains et de son visage, avez-vous déjà vu d'autres parties de son corps ?

- Non …

- Si un jour vous les voyez, vous comprendrez. Anya n'a pas besoin de protection ou d'un garde du corps. Elle a besoin d'un allié, elle a besoin d'aide.

- Moi je vais le faire.

- Ce serait se mettre un paquet de monde sur le dos, vous savez.

- Je suis un marine, doc. Je n'ai pas peur.

Son interlocuteur avait alors sourit distraitement et lui avait tapoté l'épaule. Cependant il l'avait fait si longtemps que Garp avait fini par s'endormir au rythme de ce battement. Ses rêves ne ressemblaient en rien à ceux qu'il faisait habituellement. Ils étaient peuplés de royaumes lointains, de hauteurs et de voyages en bateau. Garp se sentait aussi léger qu'un oiseau, prêt à décoller. Il étendit ses ailes et prit son envol. À peine quelques claquements dans les airs et il était déjà haut dans le ciel. Il volait toujours plus loin quand soudain une falaise apparue devant lui. Elle ne semblait pas avoir de début ni de fin dans quelque sens que ce soit. Partout elle se perdait dans les nuages ou le brouillard. C'était Red Line.

Aussitôt qu'il s'en rendit compte, ses ailes disparurent et il chuta. Il criait mais aucun son ne sortait de sa gorge. Le sol se rapprochait à toute vitesse. Garp ferma les yeux. Le choc fut terrible, il retentit dans tout son corps sans pour autant qu'il ne ressente la moindre douleur. Il était en haut de Red Line, dans un trou au pied d'un château immense. Son père était debout au bord de la fosse, mais ce n'était pas son père, c'était Sainte Louys. Il tenait dans sa main un fouet. Garp voulut se recroqueviller sur lui-même mais à chaque fois les lanières du fouet meurtrissaient les zones qu'il essayait de protéger. Il se sentait si démuni qu'il ne se reconnaissait pas.

Le fouet le frappa sur la joue. Garp eut alors un flash, une réminiscence de cette fois-là. Cette dispute-là. La seule véritable qu'il ait jamais eut avec Sengoku. Celle qui avait bien failli marquer la fin de leur amitié si Tsuru n'avait pas été là …

- Je ne suis pas devenu marin pour faire le larbin !, hurlait Garp.

- Si tu voulais faire ce que tu voulais, il fallait faire pirate !, répondit Sengoku sur le même ton.

- Aucune chance que je devienne l'un de ces bons à rien qui ne se préoccupent que de leur tronche et t'as plutôt de la chance parce que si j'en étais un, je peux te dire que tu prendrais cher !

Garp l'agrippa par le col et le souleva presque au sol. Sengoku l'imita, rouge comme une tomate.

- Tu crois vraiment que tu aurais une chance !

- Bien sûr moi je te défonce !

- C'est moi qui te défonce Garp !

Ils prirent tous les deux une gifle qu'il n'avait pas vu arriver. Tsuru s'était approché d'eux et comme il se criaient dessus presque nez à nez, ils n'avaient rien vu d'autre. Le coup avait résonné dans le local maintenant silencieux. Victimes du pouvoir de leur amie, ils avaient glissé au sol aussi propres et nets que des draps juste lavés.

- Qu'est-ce que vous faites bande d'idiots. Je croyais qu'on avait le même rêve tous les trois et que c'est pour ça qu'on devait se serrer les coudes, pour atteindre les sommets de la Marine.

- Désolé Tsuru, répondit Garp en souriant comme un bien heureux.

Le fruit de la lessive avait toujours eut beaucoup d'effet sur le marine originaire d'East Blue, beaucoup moins sur son collègue en revanche qui serrait les dents en silence. Les mots suivants de Tsuru s'adressaient donc presque exclusivement à Sengoku.

- On travaille tous pour la Marine alors on verra bien dans 20 ans qui avait raison. En attendant il faut qu'on se promette de toujours se donner à fond mais pas les uns contre les autres …

Depuis ce jour, Garp avait toujours suivi ce mantra et se rappelant ça, le coup de fouet suivant lui devint insupportable. Il dut se faire violence pour réussir à bouger mais il arrêta effectivement le prochain coup. Dès que la lanière de cuir claqua au creux de sa main, il se réveilla. Son corps était couvert de sueur, les endroits où il avait des bandages le démangeait, son cœur battait la chamade et les draps étaient trempés. Le docteur n'était pas là pour une fois mais Garp sentait qu'il était avec Sainte Anya. Le marine se leva et put enfin découvrir la salle adjacente à la sienne.

Le médecin était penché sur Sainte Anya, sa paume posée sur son front. Elle était dégoulinante et ses cheveux collaient à ses tempes et à son cou. Sa respiration était saccadée. Pourtant le médecin n'avait pas l'air inquiet, il semblait la rassurer, la calmer. Comme après un mauvais rêve, songea Garp. Le docteur leva alors les yeux vers lui, son regard fit quelques aller-retours entre la Dragon Céleste et le marine. Ce dernier voyait presque fleurir la question sur ses lèvres mais finalement il se ravisa et se reconcentra sur celle qui, encore alitée, paraissait en pleine confusion.

- Doc' …, commença Garp.

Les questions bourdonnaient dans sa tête à un rythme qu'il n'avait jamais connu encore. Il voulait tout savoir et tout comprendre de Sainte Anya. Trop d'éléments divergeaient avec l'image qui s'était faite des Dragons Célestes. Trop de choses étaient incohérentes et contradictoires. Il voulait faire la lumière sur tout ça mais Sainte Anya, brusquement sortie de son trouble, l'arrêta.

- Vous êtes enfin réveillé ! Allez on y va.

Mais alors elle essayait de se lever, le docteur la tint couché, comme il l'avait fait pour le marine la veille. Sainte Anya semblait bien mécontente de cette contrainte mais ce n'est pas elle qui parla avec une voix douce.

- Mon brave, auriez-vous l'amabilité d'aller chercher à Anya de quoi déjeuner ?

Garp acquiesça sans un mot et sortit de l'infirmerie. Bien qu'il ait eu l'esprit ailleurs quand il était descendu ici, il n'eut aucun mal à trouver les cuisines. Malgré toutes les bonnes odeurs qui l'assaillaient de toute part. Garp se contint et demanda humblement un déjeuner pour Sainte Anya et le docteur. Il patienta ensuite sans tenter de chaparder quoi que ce soit et repartit dès qu'on lui eut donné le plateau.

Il entra de nouveau à l'infirmerie. Le docteur était là, il lui fit signe de déposer le plateau sur la table et de s'asseoir. Garp se déchargea comme demandé mais reste debout, attendant Sainte Anya. Quand elle ouvrit enfin la porte, le marine fit des yeux ronds. La Dragon Céleste avait quitté sa tenue pour passer des vêtements de « roturier ». Elle portait un jean, une veste à carreaux et ses cheveux étaient retenus en queue de cheval. Si Garp n'avait pas su que c'était elle, il aurait pu ne pas la reconnaître.

Sainte Anya prit place à table et commença à manger. Garp restait debout au milieu de la pièce sans vouloir bouger car changer de place n'aurait pas changé grand-chose. La Dragon Céleste lui lançait régulièrement des regards étranges mais ce n'est qu'au bout d'une dizaine d'œillades que le marine se rendit compte qu'il n'avait pas remis son masque de dragon. Il s'empressa alors de le chercher des yeux. Il le repéra dans les mains du docteur.

- Non jeune homme. D'abord vous vous asseyez et vous mangez.

- C'était un repas pour vous …

- Asseyez-vous, commanda-t-il.

- Est-ce que je pourrais au moins avoir mon masque ?

- Arrêtez ça et obéissez bon sang, siffla Sainte Anya. Et puis le masque vous n'en aurez pas besoin aujourd'hui.

Garp ouvrait la bouche pour poser une question quand le mantra de Tsuru se rappela de nouveau à lui. Tais-toi. Il fit donc ce qu'on lui demandait et il commença à manger de bon cœur. Il eut terminé son repas bien avant elle mais ne bougea pas et attendit. Après qu'elle eut avalée la dernière bouchée de son pain elle se leva, Garp agit en miroir et elle adressa ses remerciements au docteur que le marine trouva étrangement profonds, en sortant Garp lui fit un signe de tête auquel e soignant répondit avec un sourire malicieux. Décidément Garp ne comprenait pas grand-chose à ce qui se passait là.

Ils sortirent sans encombre, personne ne se retournant sur leur passage. Dès que la porte fut fermée derrière eux, Sainte Anya se mit à courir. Garp la suivit à travers les ruelles. Les passants leur jetaient des regards curieux mais plus aucun ne se prosternaient. Le marine se sentait bien plus à l'aise comme cela, il sentait que Sainte Anya aussi. Cette fois-ci il n'en fut pas surpris, elle n'était de toute façon jamais là où il l'attendait. Garp sourit. Brusquement elle s'arrêta dans une impasse flanquée de haut bâtiment et se retourna vers Garp qui s'était arrêté à ses habituels deux mètres d'elle. Pour la première fois, elle lui fit signe de s'approcher.

- À partir de maintenant, vous ne m'appellerez plus « Sainte Anya » mais juste Anya et vous arrêterez de marcher deux pas derrière moi.

Garp acquiesça.

- Et puis arrêtez d'être silencieux comme ça ! Il faut que vous paraissiez normal, là on dirait que vous vous retenez toujours de dire des trucs. Allez, parlez !

- … vous comptez aller jusqu'où comme ça ?

- Comment ça ?

- Depuis qu'on a quitté le château vous courrez comme une dératée mais … pour aller où ?

- Nul part en particulier. Je profite c'est tout.

Garp fronça les sourcils et sa tête bascula sur le côté alors qu'il réfléchissait. Sain … Anya sourit et soupira.

- Après ce qui est arrivé l'autre jour, la famille royale d'ici a une dent contre moi alors je suis obligée de me déplacer incognito.

- Ça n'a pas l'air de vous attrister tant que ça, remarqua Garp.

Le visage d'Anya se fendit en un grand sourire et le marine sut qu'il avait vu juste. Avec une telle expression, tout son être redoublait de beauté et plus que cela son sourire était si communicatif qu'il se prit à l'imiter.

- C'est la partie que je préfère dans nos escales ! Plus personne pour s'écraser sur mon passage, plus besoin de faire attention à ce que je dis ou à ce que je fais …

- C'est la liberté quoi !

À ce mot les yeux d'Anya se mirent à briller de milles feux mais aussi soudainement que le mot « liberté » l'avait emmené à l'extase, la tristesse sembla la submerger. Garp lui posa une main réconfortante sur l'épaule. Il la vit frissonner alors il la retira, ce qui ne l'empêcha pas de déclarer.

- Venez avec moi, j'ai un endroit à vous montrer.