Garp sentait sa réticence. Il se retourna vers elle et lui adressa un grand sourire pour tenter de la convaincre. Anya détourna le regard mais se leva pour le suivre quand même. Sans vouloir courir, il marcha à grands pas, Anya l'égalait à chaque foulée. Ils allèrent jusqu'au port mais cette fois-ci ils tournèrent à l'opposé des hangars. Garp pressa encore la démarche quand ils longèrent Grey Terminal. Dans les souvenirs du marine, l'endroit était beaucoup plus encombré. Qu'importe pour l'instant, il fallait qu'il guide Anya jusqu'à un lieu plus sûr au plus vite. Dès qu'ils eurent passés l'orée des bois, Garp se détendit. Il était chez lui.

Anya le regardait étrangement, il le voyait du coin de son œil mais choisit de ne rien dire là-dessus.

- Venez, c'est par là.

À l'abri de la frondaison, Garp était plus serein. Il contrôlait la menace car il connaissait la forêt. C'est lui maintenant qui menait Anya entre les arbres, à travers les buissons et les racines. Elle le suivait tant bien que mal et sans aucun commentaire, le marine adaptait sa vitesse. Il la fit crapahuter longtemps dans les bois, malgré cela Garp ne sentait chez elle aucune lassitude et aucun ennui. Elle découvrait avec émerveillement tout ce qui s'offrait à son regard et avec un soulagement et une acceptation profonde qu'il ne comprenait pas. Un peu comme si elle était persuadée qu'il allait lui arriver malheur mais qu'elle s'était résignée à trouver qu'il s'agissait d'une fin honorable.

Pourtant la journée avançait et il ne lui arrivait rien. Les oiseaux volaient au dessus d'eux et tous les prédateurs restaient à distance raisonnable. Garp ne leur prêtait aucune attention particulière alors que Anya les détaillait autant qu'elle pouvait. Les loups, les tigres et les crocodiles les lorgnaient avec envie mais sans jamais se laisser aller à leur désir. Garp était presque surpris qu'ils se souviennent encore des leçons qu'il leur avait donné. Non pas que si le besoin s'en était fait ressentir il n'aurait pas pu leur rafraîchir la mémoire.

Finalement Garp commença la dernière partie de son périple en entamant l'ascension d'un arbre au tronc immense. Les racines étaient telles à sa base qu'elles offraient de très nombreuses prises. Le marine montait comme si de rien n'était alors qu'Anya grimpait avec difficultés. Sous ses airs distraits, Garp était prêt, à la moindre demande, au plus léger signe de faiblesse, à bondir à ses côtés. Mais la Dragon Céleste se contenta de faire comme elle avait fait jusqu'à maintenant : elle progressait, seule, laborieusement certes mais sans demander d'aide.

Pourtant l'escalade devint ensuite plus ardue. Les racines se tarissaient et les premières branches étaient encore bien loin. Là il n'y avait que deux solutions : s'agripper aux plantes grimpantes qui avaient poussé autour du tronc, ou trouver dans les anfractuosités de l'écorce des endroits pour appuyer ses pieds et cramponner ses mains. Garp utilisait l'une et l'autre indistinctement, quant à Anya, elle serrait les dents et progressait comme elle pouvait.

Quand ils atteignirent les branches basses, elle soupira de soulagement et Garp dut intervenir car une erreur d'inattention elle avait raté un appui. Sans son secours, elle aurait chuté jusqu'en bas. Alors qu'elle venait elle-même de réaliser cela, déjà le marine l'avait déposé sur une branche épaisse et s'était reculé.

Elle prit quelques profondes inspirations avant d'articuler un merci. Garp le cœur battant de l'avoir vu choir ainsi, lui répondit par un faible sourire puis reprit sa montée. Entre les branches tout était plus simple. Le réseau de bois était très serré et tout s'entremêlait. Les offres d'appuis n'avaient d'égal en leur nombre que leur solidité. Étrangement, au lieu d'être ralentie par son dérapage, Anya s'évertuait à aller deux fois plus vire qu'avant. Garp sentit le moment où elle le perdit de vue et c'est en observant autour d'elle pour le repérer qu'elle aperçut leur destination. Juste au dessus d'elle, il y avait un grand cercle noir qu'elle identifia rapidement. C'était un nid d'oiseau mais géant.

Dès lors elle n'eut qu'une volonté : l'atteindre, et étant donné la distance qui les séparait, elle parvint rapidement à son objectif. C'est à ce moment-là que tout le frappa. D'abord Garp était là, assis en tailleur dans le nid vide. Ensuite tout autour d'eux il n'y avait plus rien, elle voyait le ciel, partout. Le nid était comme posé sur une mer de feuillage, comme perdu au milieu de la frondaison. Et pour parachever le tableau, loin en contrebas se trouvait Goa. Vu d'ici la ville paraissait minuscule, même cette tour en haut de laquelle ils étaient montés pour toiser le monde avait une allure frêle.

Trop occupée à tout regarder, Anya en rata son entrée, et , prenant appui sur un rebord imaginaire, elle culbuta vers l'avant. Garp sut qu'il aurait dû la rattraper mais il était impossible qu'elle se fasse du mal ici. Le nid était construit savamment avec dehors des branches massives mais dedans des brindilles souples, que le temps avait rendu encore plus agréable depuis qu'une épaisse couche de mousse y poussait. Le marine crut un instant que son invitée était déçue puis elle releva la tête et se perdit à nouveau dans la contemplation du paysage. Garp voyait les étincelles dans ses yeux et son grand sourire. Il était rassuré car il semblait qu'il ait fait le bon choix en l'emmenant ici. Après un tel périple, c'était sûrement quitte ou double.

- C'est l'un des plus bel endroit que j'ai vu de ma vie, laissa-t-elle échapper.

- Moi j'ai passé des journées entières ici, à regarder la mer …

Anya paraît surprise de l'entendre. Garp sait qu'elle n'a pas eu conscience d'avoir fait son commentaire mais il a envie de parler. Cet endroit lui fait toujours cet effet. Malgré sa réticence apparente, la Dragon Céleste répliqua.

- Je ne comprends pas pourquoi vous m'emmenez là.

- Je … je pensais que ça pouvait vous plaire.

- Oh ! Arrêtez avec ça !, s'emporta-t-elle soudain. Je sais qui vous êtes. Je sais ce que vous êtes ! Pas la peine de faire semblant.

- Pardon ?

- Mon père me choisit toujours les pires gardes du corps alors évidement que je me suis renseignée sur vous Monkey D Garp !

Le ton avec lequel elle avait prononcé son nom était sans équivoque. Le marine aurait dû se sentir démasqué et blessé sûrement puisqu'elle l'avait presque craché mais Garp nota simplement que c'était la première fois qu'elle l'utilisait. Face à cette … accusation, Garp ne pouvait rester sans rien répondre, il souligna alors le point qui le chiffonnait vraiment.

- Comment ça « le pire » ?

- Arrêtez de faire l'innocent, démon !

- Quoi ?!

- Je vous ai dit que je savais que vous étiez un « D ». Vous ne m'aurez pas par surprise.

- Un « D » ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Vous êtes vraiment frappés, les Dragons Célestes.

- On connaît tous vos histoires ! On les raconte aux enfants quand ils sont petits pour qu'ils se tiennent près. Les « D » sont des Démons. Ils attaquent sauvagement et massacrent les Dragons Célestes !

- Vous racontez ça aux enfants ? Ça explique des choses … Et vous, vous me prenez vraiment pour un démon ?

- Vous êtes un « D » !

- C'est mon nom de famille, je vais pas le changer. j'ai aussi « Monkey » et je ne suis pas un singe pour autant. C'est comme si je disais que parce que vous êtes une Dragon Céleste vous crachez sur les gens et vous collectionnez les esclaves.

Anya renifla, se détourna et ne dit plus rien. Garp quant à lui pensait. Alors comme ça, on le traitait de démon en haut de Red Line ? Combien de Dragons Célestes pensaient cela ? À en croire Anya, tous. C'est pour ça qu'elle l'avait si savamment évité. Cependant ce qu'elle avait dit sur son père le chiffonnait. Si Sainte Louys avait su qu'il était un « D », il aurait té alors très probable qu'il l'évite lui-même comme la peste.

Ces Dragons Célestes étaient bien compliqués. Il aurait mieux fait de faire ce que tous lui avait conseillé, tenir dans la ville, entre les grosses murailles de Goa avec lesquelles il était si peu familier. Mais ici tout était différent. Dans cette forêt il avait toujours pu être libre. S'il avait tenu à l'emmener ici c'était pour retrouver un instant cette impression. Il tenta d'oublier Anya et de profiter mais soudainement cette dernière se mit à pleurer. Tout son corps était secoué de sanglots et de grosses larmes cascadaient sur ses joues. Garp ne savait pas quoi faire quand un souvenir lui revint.

- Attendez moi là, je reviens de suite.

Sans attendre une réponse qui ne viendrait pas, Garp se jeta du nid directement dans la forêt. Cela lui avait demandé beaucoup de tentatives dans sa prime jeunesse mais maintenant il descendait en quelques secondes à peine. Il était si rapide dans la forêt que seuls les oiseaux pouvaient l'égaler. Il fut sorti en deux temps trois mouvements et ne s'occupa de rien avant d'avoir atteint le château. Là il croisa le chef de la garde.

- Alors ça y est, vous l'avez perdu.

- Comment ça « ça y est » ?

- Je dois dire que vous avez été plutôt bon d'habitude. Sainte Anya distance ses gardes bien plus rapidement.

Le marine qui avait commencé à étoffer des excuses bidon fut pris au dépourvu mais ne s'en plaignit pas. Il prit simplement son meilleur air débile et demanda.

- C'est pas trop grave alors ? Parce que moi je revenais pour voir si elle était là et …

- Pas la peine.

- Bon et bien je vais la chercher ailleurs …

- C'est ça.

Et Garp s'en fut aussi rapidement qu'il était venu et se dirigea alors vers la caserne. Il ne s'arrêta pas pour les sentinelles mais emprunta un chemin qu'il connaissait maintenant par cœur vers les cuisines. Les quelques marines qu'il croisa le regardèrent d'un œil étrange. Tous savaient qu'il aurait dû être avec les Dragons Célestes. Garp les aurait presque admiré de se souvenir de telles informations, alors que lui-même peinait à se rappeler ses propres ordres de mission, tout cela s'il avait prêté la moindre attention à ce qui se passait autour de lui. Mais il filait vers son but sans rien regarder d'autre.

Sans surprise il trouva Lycia aux cuisines. Cette fois-ci, elle n'était pas seule, deux commis l'assistaient et s'acharnaient sur des légumes pendant qu'elle faisait la sauce. La vitesse avec laquelle elle s'exécutait était tout bonnement ahurissante. Quelqu'un avec un peu plus de tact aurait sûrement compris qu'elle avait du travail par dessus la tête. Pas Garp. Il était focalisé sur sa tâche et réfléchirait ensuite. Il l'interpela.

- Lycia, j'ai besoin d'un coup de main.

- Explique-moi donc ton affaire en coupant des carottes, je verrais ce que je peux faire.