L'orage fit rage toute la nuit et au petit matin, il laissa un temps clair et frais. À l'aube, Garp entrouvrit la fenêtre pour laisser entrer la brise, il en profita pour recouvrir Anya, qui s'était juste rendormir après avoir donné la tété et quand il voulut faire de même avec son fils, il vit que ce dernier n'était absolument pas endormi. Garp emmitoufla le bébé, laissa un mot à la mère et sortit le promener.
- Alors fils ? Que penses-tu de Fushia ? C'est pas mal hein ? Un peu petit mais tu verras quand on ira s'entraîner dans les bois. Il faidra que tu deviennes un fier marine, comme moi, un amiral pourquoi pas. Pour l'instant tu devrais surtout t'occuper de faire pousser tes dents et tes cheveux parce que tu ressembles à un vieillard. J'espère que tu auras les cheveux de ta mère. D'ailleurs elle va commencer à s'inquiéter.
Le nouveau-né était parfaitement silencieux. Il embrassait de ses yeux globuleux tout ce qu'il pouvait avant de subitement tomber dans le sommeil. Quand Garp franchit de nouveau la porte de la clinique, le soleil était bien levé. Anya l'attendait, anxieux dans le vestibule et les accueillit avec un débordement de joie soulagée. Dans le coin de la pièce le docteur les regardait avec un sourire, cela n'empêcha pas le marine de ressentir cette atmosphère pesante qui régnait.
- Qu'est-ce qu'il y a ?, demanda-t-il.
À sa question, le médecin se détourna et Anya agita la main en lui assurant que tout allait bien. Il ne l'avait jamais entendu mentir si mal mais si à la fois elle et le docteur s'y mettaient c'est que cela ne devait vraiment pas le concerner. Garp fit donc abstraction de ce petit moment de flottement et ressortit chercher le petit déjeuner après avoir confié le nourrisson à sa mère.
Le marine se guida uniquement avec son nez. Il connaissait, certes, le village comme sa poche mais le fumet d'un pain juste crut était un guide bien plus alléchant. Il se prit même à fermer les yeux. Malgré ses années d'absence, on le reconnaissait, les villageois le saluaient sans prendre attention à son nez en l'air ou à ses paupières closes. Avec lui ils en avaient tant vu qu'ils leur auraient fallu bien plus pour s'alarmer. Garp les sentait autour de lui, qui ne déviaient même pas leur trajectoire, comme s'ils savaient que, de toute façon, le lieutenant les éviterait. Il est vrai qu'il leur en avait fait la promesse, il y a de nombreuses années de cela.
De l'eau avait coulé sous les ponts depuis, pourtant certaines choses ne changeaient pas. L'emplacement de la boulangerie non plus. Garp y entra avec la délectation de voir que l'intérieur sentait encore plus divinement bon que l'extérieur. Il s'approcha machinalement jusqu'à avoir le nez touchant presque à la vitrine.
- Garp ! Qu'est-ce que je t'ai dit de ces attitudes de mal appris ?
- Mais je viens en acheter cette fois !, se défendit-il.
Face à lui un tout petit monsieur, les yeux si plissés qu'on les croyait fermé et la peau plus parcheminée que les premiers écrits du Gouvernement Mondial. Il se fondait parfaitement dans le décor de sa boutique.
- Tu ne viens pas acheter tout l'étal, si ?
- Non …
- Alors ôtes ta truffe de ma vitrine, chenapan !
- Je ne touchais pas !
- Tu m'as fait une auréole de buée de la taille d'un beignet. Qu'est-ce que tu veux ?
Résigné face à l'autorité du grand-père, Garp lui prit 2 pains et assez de viennoiseries pour faire déjeuner un régiment entier. Sans s'étonner, ni même relever, les quantités que le marine demandait, le commerçant exécutait la commande avec une rapidité que son aspect extérieur ne laissait pas deviner. Garp le paya.
- Au revoir.
- C'est ça. Et surtout prend soin de toi, garçon.
Toute son enfance, Garp avait attendu le moment où le boulanger arrêtait de l'appeler « garçon ». Il fallait croire que ça n'arrivait jamais mais finalement Garp n'en avait que faire. Maintenant il avait un garçon à lui et il devait retourner le voir au plus vite.
Quand il rentra, son fils était dans son landau, endormi. Garp en eut vaguement conscience mais ce qui attira d'abord son attention c'était Anya, dans les bras du docteur, en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Pris au dépourvu, le lieutenant lui présenta les viennoiseries, il ne comprend pas ce qu'elle a alors peut-être a-t-elle faim ? Elle ne prête aucune attention à la nourriture en revanche elle quitte l'étreinte du médecin pour se jeter dans le sein de Garp et redoubler de pleurs. Ce dernier ne démordait pas de son idée et l'incita à manger un morceau.
Il échangea un regard perdu avec le docteur mais celui-ci ne semblait pas avoir de réponse précise. Garp avait assisté Anya sans ses recherches. Il savait qu'une grossesse pouvait s'accompagner de sauts d'humeur et qu'à l'accouchement pouvait suivre une période dépressive. Il savait tout cela pourtant en regardant sa femme pleurer à chaudes larmes tout en dévorant un croissant, il se rendit compte à quel point il n'avait pas pris la mesure de ce que cela voulait dire. Il la fit s'asseoir avec lui et continua de la nourrir en lui adressant tous les mots réconfortants qui lui venaient en tête même s'ils ne voulaient absolument rien dire. Finalement complètement épuisée, Anya s'endormit.
Elle dormit si bien qu'elle ne fut pas dérangé par les cris de leur fils, pas plus qu'elle ne le fut quand Garp lui découvrir un sein pour que le poupon puisse manger. Alors qu'il tétait avidement, Anya remua dans son sommeil mais sans plus. Dès qu'il eut terminé le bébé s'endormit de nouveau. Garp était aux anges. Il tenait contre lui sa femme et contre sa femme, son fils. Tous deux étaient calmes et paisibles. Le docteur vaquait à des occupations d'abord silencieuses, puis au fur et à mesure que leur repos s'illustrait à toute épreuve, il se lança dans des activités bruyantes. Aucun ne broncha.
Bientôt Garp se mit à ronfler plus fort que tous. Plusieurs fois, le praticien tenta des techniques pour le réduire au silence mais rien ne fonctionna, ni le bouger, ni lui fermer la bouche, ni lui boucher le nez. Anya était soulevée de plusieurs centimètres à chaque respiration cependant ni ça, ni le bruit ne la dérangeait. Étrangement ils l'aidaient même à dormir tant elle était apaisée par ce signe si évident de la présence du lieutenant.
Le bébé devait, dès le ventre de sa mère, s'être habitué à ces sens. Rien ne les réveillait jusqu'à ce que le docteur se fasse cuire un œuf.
- Manger ?, demanda Garp en émergeant de son sommeil profond.
Comme un signal d'alerte, le bébé se mit à pleurer au même moment ce qui réveilla Anya aussi. Elle avait une tête de déterrée, elle se leva machinalement et alla prendre son fils danses bras. Garp se dirigeait vers la cuisine.
- Garp, l'appela Anya.
Le marine eut un léger pincement au cœur en entendant son nom prononcé ainsi, il ne comprit pas bien pourquoi.
- Oui ?
- Est-ce que tu pourrais aller me cherche du chocolat chaud de Lycia ?
- Bien sûr.
- Il faudrait aussi que tu passes chez Ryugo et qu'en rentrant tu montes au nid je crois que j'ai oublié quelque chose là-bas. Et il faudrait que tu le fasses maintenant.
Garp fut pris d'une chaire de poule soudaine dont il ne comprit pas l'origine. Anya était un peu à l'ouest mais elle avait l'air sérieuse. Plusieurs fois durant sa grossesse il lui était venues des envies soudaine de chocolat chaud et Garp gardait encore la cicatrice de la fois où il avait trop tardé à partir. Il s'inquiéterait d'elle avec plus d'attention au retour. Il fit son salut de marine et prit la direction de la sortie.
- Je t'aime Garp !
- Moi aussi je vous aime. À toute à l'heure, je serais rapide.
Le lieutenant partit si vite vers Goa que même un oiseau n'aurait pas survolé la forêt si rapidement. Heureusement pour lui quand il arriva chez Lycia, Ryugo était là.
- Salut.
- Hey Garp, ça faisait longtemps. Comment va Anya ?, salua Ryugo.
- Elle vient d'accoucher et elle me demande du chocolat chaud.
Lycia se leva sans un mot et commença à s'activer en cuisine.
- Alors c'est un garçon ou une fille ?
- Un garçon.
- Ah ! Je le savais ! Tu me dois 5 berrys, s'exclama Lycia depuis les fourneaux.
- Et comment il s'appelle ?
- On ne s'est pas encore décidé.
- 5 berrys de plus pour moi, Ryugo !
Bien qu'arborant une moue déçue, dement. Il lui proposa une bière que Garp déclina. Lycia fut d'accord avec lui.
- Tu la connais pas la Anya. Quand elle veut quelque chose il faut que ça aille vite.
Disant cela elle jeta à Garp un thermos plein. Ce dernier la remercia et sortit par la fenêtre. Il ne lui restait plus qu'à aller au nod. Il garderait la bouteille dans une main se dit-il. Cela lui fera un exercice de grimper jusqu'en haut à l'aide d'une seule main. Exercice qu'il réussit sans aucune difficulté tant il désespérait de retrouver sa famille au plus tôt. De là-haut, la vue était imprenable et malgré le temps qui le pressait, Garp fut happé par le paysage. Fushia paraissait minuscule.
En regardant dans la direction du village, un détail attira son attention. Au large était amarré un immense bateau dont Garp ne reconnaissait que trop bien le symbole et presque arrivée à ce navire, il y avait une chaloupe, une toute petite chaloupe. Et c'est quand son regard croisa cette bicoque-là que Garp fut submergé par un doute terrible.
