- Hey toi là ! Qu'est-ce que tu fais ?

Garp se réveilla juste à temps pour éviter le seau d'eau. Le jour était à peine levé. La mer était calme.

- Je voudrais vous acheter ce bateau, répondit le lieutenant.

- M'acheter … Attends, ne me dis pas que c'est toi ? Tu es revenu ?

- Oui c'est moi mais je dois vraiment partir maintenant. Est-ce que je peux … ?

- C'est pour aller où cette fois ? Encore à l'école de la Marine ?

- Non, je peux rien dire.

- D'accord. Tant que tu as l'argent …

Garp lui lança une sacoche pleine de berrys. Le vieux les compta une à une avant de conclure :

- Ça me va. Bon vent !

Toujours cette même indifférence. c'est ce que Garp avait aimé chez ce charpentier. Il était très aimable et sympathique pourtant il ne demandait pas à savoir. Le marine le soupçonnait de vendre certaines de ses bicoques à des pirates, cependant Garp avait obtenu un prix pour son premier bateau en échange de son silence. De toute façon ces embarcations étaient de qualité médiocre et ne dépassait guère le bateau de pêche. Le bateau que le marine venait d'acheter n'avait rien d'exceptionnel. C'était une petite coque de noix avec deux rames et un carré de voile. Comme le temps était plat ce matin, Garp rama.

Si le lieutenant s'était félicité de ce temps clément à son départ, il avait changé d'avis après plusieurs heures de ramage au milieu d'une mer d'huile. Il n'y avait pas une brise pour lui alléger la tâche. À un moment donné, Garp décida que le soleil était au plus haut dans le ciel et donc que c'était l'heure de manger. Puis il fallut ramer de nouveau. Sous le coup de la chaleur, de la digestion, il s'endormit tout en continuant de ramer. Il devait atteindre Mariejoie au plus vite. Il ramait, il ramait mais son bateau restait à la même place. Il redoublait alors d'efforts, le bateau n'avançait pas plus. La voix d'Anya lui parvint alors :

- Tu n'aurais pas dû venir Garp. Je t'avais demandé de ne pas venir.

Garp se réveilla en sursaut. Ses bras lui faisaient mal à force de ramer pourtant autour de lui il n'y avait toujours que de la mer et le soleil descendait. Il essaya de se reposer un bras et de continuer avec l'autre mais il se mit à tourner en rond alors Garp préféra s'arrêter pour de bon et manger un morceau. Il repartit ensuite et rama jusqu'au coucher du soleil.

La lune était déjà très haute dans le ciel même si elle n'était qu'un croissant. Les lueurs argentées se reflétaient doucement à la surface de l'eau. La température chutait pourtant, dans l'heure qui suivit, l'embarcation elle-même continua d'émettre de la chaleur. Garp ramait toujours. Il rama jusqu'à tard dans la nuit sans rien voir à l'horizon que de l'eau. Finalement il s'arrêta, rentra ses rames et se coucha comme il put entre les tonneaux et son banc. Ce n'est que quand il fut installé, à moitié tordu et que le premier frisson le parcourut qu'il songea qu'il aurait dû prendre de quoi se couvrir.

Ce fut alors pour lui le début d'une nuit qui s'avéra à la fois bien trop longue car il put suivre avec précision toute la trajectoire de la lune et beaucoup trop courte puisqu'il ne put pratiquement pas fermer l'œil. Quand il vit le ciel oriental rosir, il abandonna. Se relevant il mangea, but et se remit à ramer. Ses paupières tenaient à peine ouvertes mais les sursauts de froid qui le prenaient lui ôtait toute idée de trouver le sommeil. Sans pouvoir faire autre chose, le lieutenant fit son possible pour apprécier le spectacle du lever du soleil.

Avant midi, il avait la tête farcie. Le bruit des rames sur l'eau le berçait et maintenant que la température était de nouveau clémente, il luttait pour ne pas dormir. Bientôt un autre soucis vint s'ajouter à ceux qu'il cumulait déjà. Son estomac grondait. Toujours aucune île, aucun bateau à l'horizon. Garp poussa le plus possible jusqu'à se réveiller en sursaut. Il s'était endormi et n'avait été sorti du sommeil que par la faim qui le tiraillait. Il s'arrêta donc une fois encore pour se sustenter.

Il lui aurait été si aisé alors de sombrer qu'il dût lutter de toutes ses forces pour ne pas dormir et pour reprendre les rames. Pour se concentrer, Garp fixait la proue du bateau. Au dessus de lui, le soleil descendait. Au large un navire passa. Le lieutenant ne quitta pas des yeux sa proue. À la vérité, il était dans un état si second, perdu dans des pensées d'Anya, qu'il ne bougea que par les frissons du froid de la nuit tombante. Le froid le prit, encore plus mordant que la veille, Garp ne connut qu'un léger répit alors qu'il mangeait et il s'y sentit si bien qu'il termina les vivres du premier tonneau. La nuit qui suivit dura une éternité.

Dès que l'aube apporta quelques degrés supplémentaires, Garp sombra dans le sommeil. Il dormit tant et si bien que lorsqu'il émergea le soleil avait déjà entamé la seconde moitié de sa course. La taille de l'embarcation ne lui permit pas de s'étirer comme il le voulait si bien que pour arriver à ses fins, il dut faire l'étoile de mer. Il avait si bien dormi qu'il n'envisagea même pas de déplorer cette perte de temps. Il mangea un morceau et reprit les rames. Le reste de la journée fut ensuite une longue après-midi monotone que Garp passa à scruter l'horizon. À la tombée de la nuit, le marine ne broncha pas. Il ne fit qu'une pause pour manger puis repartit. Une fois encore ce n'est qu'au lever du soleil qu'il se laissa gagner par le sommeil.

Cependant aujourd'hui il dormait la tête dans le tonneau vide. La peau de son visage l'avait chauffé et tiraillé toute la nuit à cause du coup de soleil qu'il avait ramassé dans la matinée précédente. Garp ne pouvait pas sa voir mais il était certain d'être rouge écrevisse. Le tonneau ne le gardait pas au frais cependant dans une telle situation l'ombre qu'il offrait était déjà salutaire. À son réveil le marine recommença la même routine. Manger. Boire. Ramer. Sans que rien ne vienne jamais troubler sa vision. Au jour succéda la nuit et à la nuit le jour. Manger. Boire. Dormir. Sans que rien ne vienne jamais troubler son sommeil.

Le lieutenant tint deux jours de plus avant de sérieusement réduire ses rations. Inexorablement les tonneaux se vidaient et lui n'avait jamais vu que quelques bateaux lointains dont il avait autant réussi à attirer l'attention qu'à rattraper. Trois jours plus tard il ne lui restait plus rien à manger et il était obligé de pencher le tonneau d'eau sur le côté pour réussir à boire. Le bruit des rames frappant l'eau lui était devenu insupportable. Il lui arrivait de passer plusieurs heures à vitesse réduite simplement car il prenait le temps de faire le moins de bruit possible avec ses pagaies.

La nuit suivante il fut réveillé par la pluie. Sans grande confiance, le marine ouvrit alors sa réserve d'eau dans l'espoir d'en récolter, même en quantité infime. À mesure que le crachin forcissait Garp se protégea comme il put, d'abord en utilisant le couvercle du tonneau puis le tonneau lui-même. Finalement quand la pluie devint torrentielle, il dut abandonner ces considérations et écoper l'eau qui montait dans l'embarcation. Bientôt il ne lui resta plus rien de sec, en revanche il put boire tout son saoul. L'eau qu'il rejetait à la mer était d'abord salée mais une fois que le pont fut rincé des embruns, l'eau de pluie devint parfaitement potable, la pluie ne s'arrêta pas un seul instant. Il mangea longtemps avant de voir enfin apparaître une île. Il y accosta dans l'espoir de trouver à manger. Il avait de l'eau par dessus la tête mais cela ne pourrait pas tromper la faim encore longtemps. Malheureusement pour lui, l'île sur laquelle il venait de se poser était minuscule, à peine de quoi s'abriter. La forêt qui l'occupait ne comptait pas plus d'une centaine d'arbres et, bien entendu, personne. À force de passer et de repasser dans le bosquet, Garp trouva cependant une petite cabane, rien d'extraordinaire. Quatre murs, un toit, même pas de porte et uniquement la place d'arbitrer deux personnes assises sur un petit banc.

Même sans nourriture, le lieutenant se réjouit d'avoir trouvé un endroit presque sec, le reste de l'îlot était, à l'image de son embarcation, détrempée. À peine fut-il assis qu'il s'endormit et ne se réveilla que le lendemain matin. Il pleuvait encore. Après un plus ample examen, il s'averra que l'île ne comportait pas de quoi se faire un repas. Il ne pouvait pas se permettre de mourir de faim en cours de route. Il devait sauver Anya et son fils.

La journée passa sans qu'il ne trouve rien de plus. Il rentra au cabanon et cette fois-ci chercha une position pour dormir couché. c'est en se contorsionnant pour trouver l'espace de loger ses jambes que Garp remarqua une trappe sous le banc. Il l'ouvrit et faillit pleurer de joie. L'espace aménagé sous cette trappe était plein de nourriture. Il s'y attaqua sans hésiter et en mangea certainement bien plus que de raison. Mais pour la première fois depuis un temps bien trop long Garp pouvait donner du grain à moudre à son estomac. Ce soir-là il s'endormit avec le sourire d'un bien heureux.

Des pas dans le sable. Une personne puis deux. Garp entendait des voix aussi, ce n'était pas celles de ceux qui marchaient sur la plage. Il s'était tant habitué au rythme de la pluie qu'il entendait les nouveaux arrivants parler comme s'ils étaient à côté de lui. Le lieutenant sortit discrètement et grimpa dans un arbre à proximité.

- Fais attention, le propriétaire de la bicoque doit encore être là.

- C'est obligé qu'il soit encore la cabane. On le trouve, on le zigouille et voilà.

- Le capitaine nous a dit de le localiser, pas de le tuer.

- Tu veux qu'on fasse quoi d'autre avec ?

- Il pourrait être utile à l'équipage.

- Et si c'est un marine ou un chasseur de primes ?

- Qu'est-ce qu'il ferait dans un coin aussi perdu ? Et tu crois vraiment qu'à lui tout seul il pourrait venir à bout de 20 pirates ?

Pour toute réponse, le deuxième souffla avec mépris. Avant qu'il ait pu terminer, Garp leur était tombé sur le dos et les avait assommé. Il avait peut-être pris la mer pour tout autre chose mais ce n'était pas pour ça qu'il laisserait passer un navire de pirates. De plus cela commençait à faire un moment qu'il ne s'était pas battu, ça lui ferait de l'exercice.

Le bateau était très conforme à la taille d'équipage annoncée. Il put en assommer encore trois au couvert des arbres avant de s'engager sur la plage. Avec cette pluie battante et leurs camarades en vadrouille, les pirates ne prêtaient pas tout de suite attention à lui. Quand la sentinelle le héla, il était trop tard. À peine 10 minutes plus tard, Garp déplorait déjà leur faiblesse. Il les avait entassé sur la plage pendant que lui inspectait le navire.

Outre une spacieuse cabine sur le pont supérieur, le bateau comptait deux ponts inférieurs dont le premier servait de pièce de vie et de dortoir et le second de garde manger. Bien que pour une vingtaine de personnes, elles pouvaient être considérés maigres, pour une seule leurs réserves étaient une panacée. Sans attendre, Garp grimpa tout en haut du mât pour y décrocher le pavillon noir, à la place il noua un tissu blanc. Ce serait mieux que rien.

Le vent souffla alors et fit voleter le drapeau. Garp le prit comme un signe. Il laissa aux pirates sa bicoque, ses 3 tonneaux plein d'eau et la réserve à moitié vide du cabanon. Dès qu'il eut levé l'ancre et déployé les voiles, le vent s'y engouffra et il s'éloigna de l'île. Le marine se fit alors la réflexion qu'il n'avait pas vraiment arrêté ces pirates mais pour qu'ils recommencent leurs activités, encore aurait-il fallu qu'ils parviennent à s'échapper de l'île. Lui pendant ce temps-là voguait pour aller tirer sa famille des griffe des Dragons Célestes.