Il fallut à Garp pas moins de 3 semaines pour reconnaître que s'emparer seul de ce bateau n'avait pas été une si bonne idée que ça. Comme il l'avait si bien vu sur l'île, le navire était parfaitement adapté à un équipage de 20 personnes. Cela valait donc aussi pour sa navigation. Seul, le marine était bien plus tributaire du vent que de la barre pour la direction qu'il prenait. Cela faisait donc plusieurs semaines qu'il voguait au gré de la brise, étant parfois forcé à des heures ou des jours d'immobilité si la mer était plate. Il avait bien croisé des bateaux et des îles cette fois-ci, mais il avait été incapable d'y diriger le navire.
La prochaine fois qu'il verrait une terre à l'horizon, Garp s'était promis qu'il abandonnerait son navire pour la rejoindre à la nage. Il n'y trouverait peut-être pas de meilleure embarcation mais avec ce bateau-ci, il n'atteindrait jamais son objectif. Malgré cette résolution, à partir de ce moment-là il ne vit plus que quelques voiles au loin. Il compta 1 semaine, puis 2, et 3, 4, avant de perdre le compte, trop occupé entre deux séances de pêche pour avoir de quoi continuer à manger. Il suivait inlassablement le rythme des jours en scrutant l'horizon. Le temps se refroidit et chaque journée de son voyage commençait à se fondre avec les autres pour n'en former plus qu'une, à la fois interminable et rapide comme l'éclair.
Il était entré dans un rythme de vie tellement hors du temps qu'il fut presque surpris quand, un jour comme un autre, un jour comme tous les autres, un navire sembla faire cap droit sur lui. Pour s'en assurer Garp se munit de sa longue vue qui lui révéla qu'il s'agissait d'un bateau pirate. Malgré l'envie qui le démangeait déjà d'aller les envoyer par le fond, il dut se retenir. S'il se débarrassait de cet équipage aussi, il resterait prisonnier de la mer et pendant ce temps qui sait ce qui arrivait à Anya et à son fils. Il ne lui restait alors que deux solutions : pactiser avec les pirates ou être fait prisonnier.
Une fois le navire au plus près, le marine eut tout loisir de se rendre compte qu'il était au moins deux fois plus gros que son embarcation. Ces pirates étaient méthodiques. Une chaloupe l'avait pris à revers, portant quatre hommes. Ils montèrent rapidement sur le navire, jetèrent l'ancre et dénouèrent les gréements. Garp les regarda faire sans opposer la moindre résistance.
- Qu'est-ce que tu fais là toi ?
- C'est pas mon bateau et je suis perdu en mer.
3 hommes éclatèrent de rire alors que le 4e lançait à Garp une paire de menottes.
- Si tu les mets et que tu nous suis sans faire d'histoire, on te ramène sur la terre ferme.
Le lieutenant envisagea de demander à rester libre mais il lui vint à l'esprit que s'il faisait ça, il serait bon pour faire la bonniche alors il opta pour les menottes. Les hommes parurent satisfaits. Le bateau-mère s'amarra à eux et une foule de bandits submergea le navire. Il leur fallut moins d'une demi-heure pour récupérer tous les trésors. Ils installèrent alors le bateau de sorte à pouvoir le remorquer et firent monter Garp sur leur navire.
- Alors comme ça ton équipage t'a laissé tout seul ?, demanda une femme aux allures de capitaine.
- Je voudrais juste retourner sur la terre ferme.
- Ah ah ! Mais tu y retourneras et si vite que bientôt tu pourras dire que tu préférais vivre au milieu d'East Blue.
- J'ai une mission à accomplir.
- Dommage pour toi alors parce que les esclaves n'ont pas de missions.
- Et ouais mon gars. On va te vendre. Costaud comme t'es, je suis sûr qu'on peut en tirer un bon prix.
Garp ne répondit plus rien à partir de ce moment-là. Il y avait donc encore des marchands d'esclaves et si effectivement ils souhaitaient le vendre, ils devraient l'emmener dans un marché noir. Là-bas s'il s'échappait il n'aurait aucun mal à trouver un bateau pour Red Line. Il conclut donc aisément que la seule chose qui lui restait à faire, c'était rien. Pendant un mois il resta attaché au mât nuit et jour, ne pouvant bouger que pour manger, boire et pisser. Il fut si discret que l'équipage l'en oublia presque. Il leur arriva même de mal le renfermer. Il attendait alors qu'il n'y ait plus personnes et se dégourdissait les jambes mais bien sûr dès que l'un d'eux revenait, il était de nouveau à sa place.
Leur destination leur apparut au loin dans le milieu d'un après-midi. Plus l'île approchait, plus le marine la découvrait. Partout autour de l'île des bateaux étaient au mouillage mais ce qui attira l'attention du lieutenant, c'était la nuée de drapeaux noirs qui flottaient au dessus de l'île, au bout des mâts des bateaux ou fichés à terre et suspendus sur des cordes tendues entre deux de ces poteaux. Garp s'étonna qu'une telle île de pirates existe et qu'il n'en ait jamais entendu parler à l'Académie. L'endroit était donc sans foi, ni loi et il pourrait donc lui être bénéfique de faire une entrée fracassante. Garp passa donc à l'action.
La proximité de la terre avait fait remonter la plupart de l'équipage sur le pont supérieur. Le lieutenant aurait une poignée de secondes de libre s'il utilisait l'effet de surprise. Comme un signal de départ, le capitaine passa à côté de lui. Garp se leva et tira sur ses chaînes qui, ce jour-là, n'avait pas été bien fermé. Par un mouvement de bras souple, il envoya sa chaîne s'enserrer autour du cou du capitaine et le propulsa loin, hors du navire. Les matelots se retournèrent vers lui mais les entraves de Garp lui conférait une allonge considérable. Il utilisait cela comme un fouet et tournoyait sur le pont en envoyant tous les membres à l'eau.
Une fois qu'il eut nettoyé tout le pont supérieur, Garp descendit sur les ponts inférieurs où il retourna tous les coffres jusqu'à retrouver son masque de dragon. Il le mit et sauta à l'eau. Quand il atteignit la côte, une petite foule s'était rassemblée. Il fut bien certain d'avoir atterri au milieu de pirates quand, au lieu de s'insurger, ils le félicitèrent pour son éclat.
- Tu les as bien eu ceux-là.
- Ils voulaient te vendre c'est ça ?
- En parlant de vendre, tu me les cèderais pour combien les bateaux ?
- Et il y a pas une égratignure !
Garp réajusta son masque et se tourna vers l'un de ceux qui avaient parlé.
- Tu me rachèterais ces navires ?
- Ouais, moi je suis …
- Prends ta chaloupe et vas les inspecter. Je te laisserais la cargaison avec. Tâches de revenir avec une offre à la hauteur. L'homme acquiesça. Il avait les mains qui tremblaient. Le marine ne sut dire si c'était dû à la crainte ou à l'excitation. La plupart de la foule était dispersée, déjà lassée par ce spectacle. Les derniers qui restaient encore étaient soit des vieux qui n'avaient rien d'autre à faire, soir des enfants jamais trop curieux. Garp s'assit face à la mer et regarda la barque s'éloigner. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas senti le sol sous ses pieds qu'il avait encore l'impression de tanguer au rythme des flots.
Les enfants en eurent marre les premiers, puis les aînées les suivirent jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une. Celle-là n'avait visiblement pas l'intention de partir car elle prit la place à côté du marine. Garp se demanda s'ils pouvaient tous être considérés comme des pirates. Il entendait l'un des cadets brailler au loin et des aînés, il venait d'avoir un aperçu.
- Vous, vous n'êtes pas d'ici.
Garp gratta la barbe qui mangeait son cou. Il ne pouvait pas donner d'informations personnelles. Il aurait pourtant bien aimé taper la causette avec cette vieille dame mais il risquait plus que probablement de laisser échapper quelque chose.
- Vous ne voulez pas parler ? Ou vous ne voulez pas répondre ? Si c'est ça qui vous gêne, on peut se lancer dans une discussion inutile et …
- Je veux atteindre Red Line.
Un silence pesant tomba alors.
- Pourquoi faire ?
- C'est ma destination.
- Vous allez devoir trouver de l'aide ailleurs parce qu'ici personne ne voudra s'approcher de là-bas.
- Les pirates sont des chochottes.
- Attention à ce que vous dites, ils sont quand même en très grande majorité dans la population ici.
- Je me les farcis comme ceux du bateau moi, les pirates d'ici.
Quelqu'un pouffa. Ce n'était pas la vieille avec qui il parlait mais l'homme qui venait de revenir de son inspection. Il avait tout entendu. Garp jura d'avoir tant dit.
- Et bien c'est du beau matos que tu as là, commença-t-il visiblement sans prendre en compte ce que Garp avait dit juste avant. Je peux en proposer 100 000 berrys.
- Lus' ce n'est pas un pirate, glissa la grand-mère.
- Ah … et bien dans ce cas je crois que je pourrais monter jusqu'à 250 000 berrys mais pas plus ou vous me tueriez, réévalua « Lus » en parlant bas.
- Marché conclus, opina Garp. J'aurais une autre question. Connaissez-vous quelqu'un capable de m'ôter ça ?
C'est la vieille qui lui attrapa les poignets et qui évalua les menottes. Le dénommé Lus semblait trouver tout cela parfaitement normal alors Garp ne se rebiffa pas. Elle lui fait signe de se lever, de le suivre et à peine lui avait-t-il emboîté le pas, qu'elle commença à déblatérer tout un tas de choses que Garp ne comprenait pas. De la météo aux histoires de famille tout y passait si bien que le marine répondait par automatisme dès qu'elle lui en laissait l'occasion.
Ils traversèrent la ville où tout paraissait normal, presque trop. Rien ne traînait dans la rue et toutes les portes, fenêtres et vitrines étaient renforcées. Garp comprit pourquoi quand ils croisèrent une mêlée d'une vingtaine de pirates où chacun tapait sur chacun. La mêlée laissée derrière depuis un moment, la femme s'arrêta devant une porte recouverte de ferronneries. Elle frappa trois coups secs et on lui ouvrit.
- Bonjour mon petit, j'aurais besoin que tu ôtes ses entraves au monsieur.
Le forgeron ne lui accorda pas un regard et concentra son attention sur les menottes. Il lui prit ensuite les mains et le déplaçait comme si ces extrémités étaient détachées du corps.
- Alors le voyageur, il a bien un nom.
- Non.
- … d'accord et bien en tout cas qu'il me donne un quart d'heure et il sera libre comme l'air.
