Pendant plusieurs semaines Garp parcourut l'île en long, en large et en travers. Il interrogeait tous les habitants sur Red Line pour peu qu'ils soient en âge et même avec le pactole que lui devait Lus, il ne parvint à trouver personne pour le mener. La seule chose qui avait changé depuis son arrivée c'est que maintenant il reconnaissait au premier regards les pirates des autres. La grande majorité de ceux-là avaient plus de 70 ans et les autres se limitaient à 3 ou 4 familles qui avaient refusé de partir quand les pirates étaient arrivés. Tout allait bientôt changer.
Garp émergea de l'eau et revint à pied sur la plage. Là il trouva, derrière une bouillée d'herbe, juste là où il les avait laissé, ses affaires. Il se sécha consciencieusement et se frictionna car il venait de passer plus d'une heure dans l'eau et que le jour était tombé depuis bien plus longtemps. Il se rhabilla en observant la ville. Tout était sombre et seul étaient encore éclairées, les tavernes. Le marine se rendit dans le plus proche établissement.
Il avait étudié toutes les tavernes avec soin pour connaître leurs issues et leur fréquentation. Malgré ses renseignements, son meilleur atout restait l'effet de surprise. Dans ce troquet-ci se fut d'ailleurs amplement suffisant. Il sembla que son intervention ne se passait qu'en deux temps. Le premier quand il avait défoncé une table à l'aide de la tête d'un pirate à sa portée. Le second quand il avait refermé à clé la dernière porte de l'établissement pour s'offrir une garantie qu'ils ne s'enfuiraient pas.
Après celui-là Garp passa aux autres. Méthodiquement et systématiquement, il entrait dans une taverne, mettait tous les pirates K.O., barrait les issues et passait à la taverne suivante. Il procédait dans un ordre bien défini en se débarrassant d'abord des lieux en périphérie. Chaque îlot d'habitations avait son boui-boui à saoulots et Garp les fit tous. Il y consacra la nuit entière puisqu'il avait observé que la quasi-totalité des pirates était dans ces bars jusqu'au levé du soleil.
On ne lui avait opposé que très peu de résistance. Après cela un bateau de la Marine devait arriver aux premières heures du jour mais lui serait déjà loin … enfin dès qu'il aurait trouvé comment se rendre sur Red Line. Garp sortit de la dernière taverne en n'ayant que ce soucis en tête. Face à lui un vieux le regardait avec des yeux ronds qui semblaient sortir de leurs orbites. C'était un pirate, Garp le savait. Il leva donc le poing, prêt à l'assommer.
- Attendez, attendez ! La Marine va débarquer, pas vrai ?
- Tu comptes aller le crier sur tous les toits ?
- Tu m'as pris pour qui ? Je suis un vrai pirate moi. Je n'ai aucun intérêt à prévenir tous les autres débiles. En revanche je n'ai pas très envie de finir ma vie à Impel Down. Il se trouve que j'ai entendu dire que tu voulais aller à Red Line et il se trouve aussi que j'ai exactement le bateau qu'il te fait pour ça.
- Tu veux me vendre ta barque ?
- Quoi ! Jamais, je proposais simplement de t'emmener là-bas …
- … et de te laisser partir après, c'est ça ?
- Ce serait du donnant-donnant.
Plus les jours passaient, moins Garp parvenait à se souvenir des jours qui étaient passés. Cela l'inquiétait. Depuis combien de temps avaient-ils enlevé Anya ? Le marine aurait préféré mourir plutôt que de pactiser avec un pirate, sauf que là ce n'était pas pour lui-même mais pour sa famille. Il ferma donc honteusement les yeux et suivit le pirate. Ils marchèrent jusqu'à une maison en bord de mer. c'est dans l'une des pièces de celle-ci que se trouvait le fameux bateau. Il semblait effectivement taillé pour la vitesse, en revanche beaucoup moins pour abriter deux personnes.
Garp s'installa alors que le vieil homme tirait un rideau qui dissimulait l'absence de mur derrière ce dernier. En une seconde il passa d'être dans une maison, à être sur une piste menant directement à l'océan. Le vieux ne fit aucun décompte. Les voiles se gonflèrent soudain de vent et ils furent propulsé dehors. Dans leur élan, ils survolèrent toute la plage pour venir s'écraser dans l'eau. À peine eurent-ils touché la surface que leur embarcation bondit vers l'avant.
Le ciel s'éclaircissait à présent. Par delà l'île, Garp voyait à l'horizon un navire marine. Quelques pirates de l'île qui ne fréquentaient pas les tavernes, ou les fréquentaient le jour, en voyant cela arriver, se précipitèrent à leurs bateaux. Malheureusement pour eux leurs problèmes commencèrent quand ils cherchèrent à relever leurs ancres. Le marine les avait noué les uns avec les autres par les chaînes et en prenant soin d'attacher les ancres aux coques ou de les prendre dans les gouvernails. Aucun pirate ne quitterait l'île. Enfin si, juste un. Son guide.
L'embarcation avait beau ne pas payer de mine elle filait sur l'eau à une vitesse ahurissante. Garp était obligé de tenir son masque de peur que ce dernier ne s'envole. Ils perdirent l'île de vue avant même de pouvoir y voir la Marine accoster. Le lieutenant se félicitait d'avoir trouvé cette perle rare, avec un tel navigateur il atteindrait sûrement Red Line rapidement. Comme pour lui donner raison une ligne noire se dressa à l'horizon. Plus ils s'approchaient, plus elle montait haut, obstruant parfaitement la vue.
Quand Garp se retrouva au pied du continent, il réalisa un problème qui ne l'avait pas touché avant. Comment atteindrait-il le sommet de Red Line ? Vu de la mer, il ne pouvait même pas en voir le haut mais il n'avait en revanche pas pu s'empêcher de noter que, par ses dimensions colossales, la paroi offrait aussi de nombreuses aspérités parfois de plusieurs mètres de large. Il n'avait donc pas le choix, il devait escalader.
- Vous allez faire demi-tour, c'est ça ?, demanda le pirate.
Sans répondre Garp balança un sac de provisions sur son épaule et sauta. Au contact, la roche était humide et glissante. Le marine ne regarda même pas son hôte partir, il avait une mission à présent. Il faudrait qu'il parvienne en haut de Red Line. Il assura donc la prise de sa main gauche puis de sa main droite et débuta son ascension. Bientôt il atteignit un niveau trop haut pour les vagues et le rocher ne fut plus glissant. Les embruns, en revanche, rendaient encore toute chose légèrement poisseuse.
Durant toute la journée, Garp grimpa. Quand la paroi le permettait il avançait même en bondissant d'un ressaut à un autre et alors que le soleil se couchait, il s'arrêta dans une cavité de la roche. Il y tenait aussi bien debout qu'assis mais uniquement de profil. Il était si affamé qu'il se jeta sur sa nourriture et dès qu'il eut terminé il se coucha pour s'endormir derechef.
À l'aube il fut réveillé en entendant des bruits étranges. Lentement le marine ouvrit un œil et comprit très vite de quoi il retournait. Un oiseau était en train de tirer son sac de tous côtés pour atteindre la nourriture qu'il contenait. Malheureusement pour le volatile une seconde plus tard Garp lui tordait le cou en se demandant s'il valait mieux qu'il le mange maintenant ou qu'il le garde pour midi. Finalement il décida de le manger de suite et, faute de feu, de le manger cru. Pendant son petit déjeuner il regarda au dehors. La mer était déjà si loin en bas qu'une chute serait assurément mortelle.
Il ne s'attarda pas plus après avoir mangé et reprit son ascension. Il grimpa pendant plusieurs heures avant d'atteindre un endroit où la paroi était beaucoup plus accidentée. Par endroit elle se déchirait pour former de véritables grottes, ailleurs la roche formait une terrasse si importante que des plantes et des arbres y avaient poussé. Il se déplaça presque toute la journée dans cette zone et la dépassa enfin en milieu d'après-midi. Contrairement à la veille, Garp dut grimper encore longtemps dans la nuit. Il dérapa une fois, deux fois, trois fois avant d'admettre qu'il était grand temps de s'arrêter.
Il se coucha sur une corniche minuscule. Elle était si peu large qu'une fois allongé sur le dos, l'un de ses bras descendait dans le vide. Les journées étaient cependant si éprouvantes qu'il s'endormit comme une masse sans bouger d'un pouce. Le lendemain matin il avait si froid qu'il se promit de toujours dormir dans une cavité quand il serait plus haut. Il mangea et il grimpa. Bien vite la chaleur revint. À cette altitude dès que le soleil se montrait, il se réverbérait contre les parois, les rendant tièdes et Garp, lui, se trouvait assommé par toute cette chaleur.
Midi ne devait pas être passé depuis deux heures quand le marine repéra une alcôve dans la roche qui donnait sur une terrasse de verdure. Il n'hésita pas longtemps avant de s'arrêter. Avec la verdure, des oiseaux venaient régulièrement se poser. Garp réussit sans mal à en piéger un et le grignotta en regardant la mer. Cette fois il garda les plumes qu'il mit dans sa besace dans l'espoir de se faire un oreiller mais comme le jour mit à tomber, les oiseaux ne revinrent plus. Le lieutenant alla se rouler en boule au fond de l'alcôve pour dormir. Pendant une bonne partie de la nuit, la pierre lui rendit la chaleur qu'elle avait emmagasiné pendant la journée et il se réveilla frais comme un gardon.
Les jours se succédèrent ainsi sans grand changement. Garp se nourrissait plus presque exclusivement d'oiseaux. Sa collection de plumes était si conséquente qu'il ne s'en servait plus comme oreiller mais les disposait sous lui pour dormir. Le lieutenant gagnait en altitude et en cors aux mains. Il avait tellement plut un jour qu'il avait été obligé de rester dans son trou, puis il était passé au dessus des nuages de pluie habituels. Malgré ces semaines d'ascension, il ne pouvait toujours pas voir la fin de Red Line dont le sommet était toujours perdu dans la brume. Il avançait pourtant plus rapide que jamais. Faisant fi du danger au profit de l'urgence, il bondissait de nouveau sur la paroi.
C'était une fois qu'il avait glissé, qu'il s'était rendu compte qu'il était capable de mettre en pratique le skywalk. Depuis il essayait de le mettre à profit le plus possible. Il devenait chaque jour meilleur, presque capable à présent de tenir une heure de cette course aérienne. Il se servait aussi de cette nouvelle technique pour chasser plus efficacement.
Il atteignit bientôt des altitudes pour lesquelles il ne voyait même plus la mer. Il devait lui-même être dans le brouillard qui, d'en bas, lui cachait le sommet. Garp n'arrivait cependant pas à s'en réjouir. Il s'imaginait déjà, cauchemardant souvent, franchissant cette brume pour découvrir qu'au delà s'étendait la même paroi infinie.
Pourtant un jour, à la faveur d'un rayon de soleil, il l'aperçut. Ou plutôt non. Il ne vit plus rien. Red Line continuait encore loin au dessus de lui mais à un moment il voyait de nouveau le ciel. Quand il vit cela, il en reçut un tel coup de fouet qu'il partit immédiatement en sky walk. Garp filait dans les airs à une vitesse qu'il n'avait encore jamais atteinte. Il se donna à fond pendant une heure et pourtant il ne lui parut pas que le sommet s'était rapproché. Si possible il redoubla encore d'efforts. La journée avançait et ses jambes lui faisaient de plus en plus mal. Il avait depuis longtemps dépassé sa limite.
Les heures qui suivirent furent un calvaire de chaque instant. Alors que la luminosité décroissait et que son ventre réclamait son dû, Garp s'efforçait de toujours faire défiler la roche devant ses yeux, si vite qu'il ne voyait qu'une masse floue. De toute façon, il n'avait qu'un seul objectif et il était au dessus de lui ? Chaque saut lui était devenu si pénible qu'il alternait avec des phases durant lesquelles il courait à quatre pattes sur la paroi verticale. Il ne prenait pas le temps de chercher des prises et se contentait de perforer la roche.
Alors que le soleil était couché depuis des heures déjà et que la fatigue avait imprégné chaque parcelle de son corps, le sommeil le gagna. Garp lutta longtemps, jusqu'à faire un saut sur deux les yeux fermés. Soudain une brise lui effleura le visage, ce fut trop et il s'endormit derechef. Juste avant de sombrer complètement sa main agrippa un rebord.
