Quand Garp se réveilla le lendemain, il pendait dans le vide, uniquement suspendu par une main. Dans un geste bien trop fluide pour quelqu'un qui venait de se réveiller il se hissa sur le rebord. Dès qu'il la desserra la main du marine devint soudainement extrêmement douloureuse. Garp retint de justesse un cri de douleur et quand il écarquilla les yeux il tomba à la renverse par dessus bord et entama une chute. Heureusement en mettant à profit les réflexes qu'il avait développé durant cette ascension, il fut de retour sur le rebord une seconde plus tard.

Cette fois-ci, il prit bien le temps de regarder autour de lui. Depuis combien de temps n'avait-il pas joui d'une vision à 360° ? Malgré le fait qu'il soit bien plus quelconque que ce qu'il avait imaginé, le sommet de Red Line dégageait quelque chose de mystique, d'envoûtant. Et puis le ventre du lieutenant gargouilla. Il se félicita alors d'avoir pensé, hier, à attraper un oiseau au vol. Il s'assit et le dévora en se faisant violence pour ne pas, après avoir rongé les os, sucer les plumes.

Après s'être presque calé l'estomac, Garp reprit sa route. Il avait passé tant de temps accroché à une paroi que marcher lui paraissait presque aussi doux que voler. De plus, de ce côté-là, le sommet de Red Line était semblable à une plaine herbeuse parsemée de buissons et d'arbustes, plus loin parfois, il lui semblait voir l'ombre d'une forêt. Mais cela ne le détourna pas de son chemin. Il aurait pu voir une montagne de berrys, cela ne l'aurait pas fait dévier. Une fois qu'il se fut réhabitué à la marche, il se mit à courir.

Il courut pendant plusieurs heures avant de croiser un lapin. Il s'en saisit sans la moindre difficulté et s'en reput en marchant. Dès qu'il eut fini, il repartit au galop. Le marine ne ralentit même pas à la nuit tombée. Il put enfin profiter du coucher du soleil qu'il regarda tout en continuant sa course effrénée. Il finit cependant par s'arrêter mais uniquement après s'être effondré dans un sommeil profond et soudain.

Garp fut réveillé le lendemain matin par un souffle chaud quand sa nuque. Suivant la même technique qu'il avait utilisé le premier matin de son ascension, il ouvrit lentement un œil. Cette fois-ci ce n'était pas une mouette mais un ours. Garp lui tordit le cou avec la même facilité. Il prit ensuite le temps de réunir des broussailles pour faire cuire le tout. Entre le temps de cuissons et le temps que mit le lieutenant à désosser l'ours pour tout ronger, il ne reprit sa route qu'à midi. Il avait cependant, pour la première fois, et ce depuis un temps non négligeable, le ventre plein et cette sensation lui donnait des ailes.

Avant la fin de la journée il fut cependant obligé de s'arrêter. Il était arrivé à un point où la météo changeait drastiquement. À moins de 100 mètres devant lui, la plaine d'herbe se transformait en flan de montagne. Tout devenait blanc et il devait y avoir au moins 50 centimètres de neige partout. Garp ne s'en découragea pourtant pas. Un changement si brutal ne pouvait être coursé que par un changement de mer. Il avait jusqu'alors parcouru le sommet de Red Line surplombant East Blue, et il n'avait jamais eu de neige. Il devait donc être au dessus de la Calm Belt. Il dormirait donc au sec et au chaud cette nuit en s'arrêtant tôt et s'engagerait dans le blizzard demain.

La peau de l'ours ne fut pas de trop pour se couvrir du froid. Surtout que pour essayer d'épargner ses pieds, il avançait en skywalk au dessus du sol. Il avançait si rapidement qu'il se créait lui -même un problème supplémentaire, le vent dû à sa vitesse. Il traversait traitrement toutes ses protections. Malgré tous ses efforts Garp dût dormir dans la neige et il s'en fallu de peu que le lendemain aussi. Il avait si vite retrouvé une température normale qu'il passa la nuit à pense qu'il était sous la peau d'ours alors qu'il était dessus.

Le lieutenant parcourut à fond de train le sommet de Red Line au moins une semaine encore. Les choses furent différentes quand, dans un début de soirée, que Garp avait voulu prolonger à marcher, il vit une lumière au loin. La nuit était bien installée, le marine chercha donc un abri pour passer la nuit car à approcher sans repère il n'y gagnerait qu'à se faire repérer.

Le lendemain ce sont les premières lueurs de l'aube qui le tirèrent du sommeil. Il sortit de son buisson où il avait dormi en boule et même s'il mourrait d'envie de s'étirer, il resta ramassé sur lui-même pour observer les alentours. La veille, il n'en avait rien vu mais il s'était arrêté pile à l'endroit d'une ligne de démarcation. Au delà de son buisson il n'y avait plus que de l'herbe, pas un rocher n'était plus haut que l'autre et il semblait que cette praire, contrairement à celle qu'il avait traversé avant, était parfaitement entretenue. Et plus loin, beaucoup plus loin, s'élevait un château. Pangea. C'est alors que Garp se rendit compte qu'il n'avait aucune chance de passer ce no man-s land, du moins pas en plein jour.

Il sauta alors de Red Line et inspecta la paroi. Par chance il trouva une cavité juste quelques mètres plus loin où il pourrait se cacher pour la journée. Le lieutenant n'allait cependant pas rester sans rien faire. À Goa, il avait été capable de sentir la présence d'Anya à des distances faramineuses. Elle était dans ce château, Garp n'avait plus qu'à se concentrer pour la repérer et gagna du temps dans son sauvetage. Il se mit en tailleur, ferma les yeux et fit ce qu'il avait dit.

La journée passa au dessus de lui. Plus les choses avançaient, plus il avait l'impression d'être connecté, à la Red Line d'abord mais il l'arpentait depuis longtemps déjà, au château même si ce dernier lui resta étrangement hermétique. Il avait à présent la conviction absolue qu'Anya se trouvait entre ces murs. Dès que la luminosité fut assez basse, il se couvrit avec la peau d'ours, passa son masque de dragon et sortit.

S'offrait alors à lui deux possibilités : la voie terrestre ou la voie des airs. Il commença par avancer à découvert se concentrant en priorité pour trouver où était Anya. À une telle heure, elle devrait être couchée, ou tout du moins rendue dans sa chambre avec leur fils. À quoi ressemblait-il maintenant ? C'est en se posant cette question qu'il fut soudain irrémédiablement attiré par la tour la plus haute du château. Fallait-il vraiment s'attendre à autre chose de la part d'Anya ?

Garp s'empara de ce sentiment et bondit dans les airs. Il ne perdrait pas une seconde de plus. Pangea était un lieu gardé par d'innombrables personnes et pourtant il était mal gardé. Les nerfs du lieutenant étaient tellement à vif qu'il lui semblait qu'il pouvait voir à travers les yeux de tous. La tour avait trois terrasses. La première était située au premier étage. La seconde se trouvait à la moitié de la tour et la troisième occupait presque le sommet. La première terrasse grouillait de gardes, le marine choisit donc de s'introduire par celle du milieu.

L'étage n'était pas désert mais bien peu occupé pour qu'il risque de se faire prendre. Il entra sans problème à l'intérieur du bâtiment et sut tout de suite qu'il lui fallait aller plus haut. Il ressentait Anya avec bien plus d'acuité depuis qu'il avait franchi les murs. Elle était bel et bien avec leur fils mais pas du tout dans sa chambre. Garp se mit à courir.

Les salles n'étaient pas surveillées, en revanche tous les escaliers si. Cependant pas une seconde le marine n'envisagea de perdre du temps pour passer ces gars-là discrètement. Il leur tomba dessus à la vitesse de l'éclair et les assomma en les frappant l'un contre l'autre. En un bond il était à l'étage du dessus, où il se débarrassa des deux gardes avec la même facilité que les premiers.

Commença alors son ascension. Après avoir mis hors d'état de nuire une autre paire de gardes, il se rendit compte qu'il pouvait passer derrière eux sans même qu'ils le voient. Il grimpa, gardant son rythme, se mouvant comme un singe. À chaque étage il prenait un peu plus le rythme, allait un peu plus vite. Il finit par aller si vite qu'en arrivant au dernier étage, il s'écrasa au plafond.

En retombant il entendit l'écho sourd de sa chute. Cet étage-ci avait quelque chose de profondément silencieux que n'avaient pas les autres. Déjà il paraissait plus petit. Le moie regarda autour de lui, il était dans un couloir, un couloir circulaire qui faisait certainement le tour de la pièce. D'après l'incurvation des murs, l'espace central ne devait pas être bien grand. IL faisait sombre aussi. Les ouvertures vers l'extérieur n'étaient guère plus importantes que des fentes et il n'y en avait que du côté opposé où il était arrivé. En faisant le tour, il se rendit compte que le quart à l'opposé était presque dans le noir. C'est pourtant là que se trouvait la porte et la seule fenêtre donnant vers l'intérieur.

Garp prit soin de détailler la vue qu'il avait à travers les fenêtres. Il était de plus en plus tendu sans aucune raison apparente et il s'en rendait compte, ce qui contribuait à agrandir encore son malaise. C'était cette pièce qui lui faisait un effet étrange. Comme un haut-le-cœur, il fut pris soudainement d'une telle sensation de claustrophobie qu'il voulut tout casser. Il balança son meilleur coup de poing dans le mur extérieur mais ne put que glapir. De son côté, la paroi n'avait rien.

Le lieutenant se recroquevilla sur lui-même tétanisé à l'idée qu'il ne pourrait jamais sortir d'ici. Ses membres se mirent à trembler furieusement. Il ne voulait plus ouvrir les yeux pour ne plus rien voir de cet endroit. Il essayait de se remémorer le vent dans ses cheveux, le soleil sur son visage, le chant de la mer et des oiseaux, la vue qu'on avait d'en haut du nid mais rien ne lui venait qu'un gouffre sans fond où le noir vertigineux était tout prêt à la happer.

Comment avait-il pu monter si haut et ne plus pouvoir faire un pas de plus à présent ? Ses poignets et ses chevilles le torturaient tant que la simple idée de les faire bouger le faisait grincer des dents, ce qui suffisait à lui lancer des maux terribles dans toute la moitié gauche du visage. Ainsi donc il ne pensait même plus à d'éventuels mouvements. Et puis pour quoi faire ? Pour allez où ? Elle était prisonnière ? Garp se secoua brusquement. Bien sûr que s'il avait un endroit où aller au péril de tous les dangers, au péril même de sa propre vie. Il devait trouver Anya.

Quand il se releva c'était comme ci toutes ces sensations qui l'oppressaient une seconde auparavant avaient laissé place à un vague sentiment désagréable mais qui ne représentait en rien un obstacle. Il n'y avait toujours aucun garde à l'horizon, Garp décida donc de retourner à la porte menant à la pièce intérieure. Il regarda par la fenêtre et distingua une forme, peut-être deux. L'obscurité était presque totale. Il y avait bien un interrupteur près de la porte mais le marine l'aurait plus volontiers détruit sans la moindre explication plutôt que d'appuyer dessus.

La porte était fermée sauf que cette fois-ci quand il la frappa avec un grand coup de pied, elle céda et s'ouvrit en claquant sur le mur. Même si cela eut l'avantage de faire entrer un peu de lumière dans la pièce. Garp ne comprit pas plus ce qu'il s'y passait. Enfin ses yeux voyaient des choses que son cerveau refusait d'admettre.