Un peu plus tard les pas reviennent directement sur lui. La personne s'accroupit juste à côté de lui. Elle lui touche l'épaule, le secoue un peu.
- Hey ! T'es vivant, faut pas rester là. Regarde je t'ai apporté de l'eau et de quoi manger. Enfin avec les averses que tu t'es pris sur la tronche, je suis pas sûre que tu en veuilles encore, de l'eau.
Elle lui vida l'eau dans la bouche, Garp la boit. Elle lui pousse du riz entre les lèvres, Garp le mange. Cela fait si longtemps qu'il n'a pas mangé que ce riz blanc lui paraît la chose la plus délicieuse qui lui ait été donné de goûter. Il la sentit passer dans tout son corps mais resta malgré tout parfaitement immobile. La femme lui parle un peu, Garp peine à l'écouter. Il a sommeil. Entre deux lâcher prises, il croit quand même comprendre qu'elle reviendra. Puis elle part. Peut-être qu'il l'avait mal compris.
Le lendemain matin il entend de nouveau les pas. Elle s'accroupit près de lui, lui donne encore un verre d'eau et un bol de riz. Tout pendant qu'elle le nourrit, elle lui parle. Elle lui répète inlassablement qu'il n'est pas mort, qu'il va vivre, qu'elle reviendra pour le nourir encore, pour le soigner. Elle dit cela une fois, dix fois, cent fois puis elle part. Garp reste seul. Pourquoi ne peut-il pas mourir ? Pourquoi ne peut-il pas s'empêcher de manger ce qu'on lui donne ? Pourquoi faut-il qu'elle lui répète sans arrêt qu'il n'est pas mort ? Ne voulait-elle pas comprendre qu'il méritait de mourir ? Las, Garp s'endormit.
Les pas. Encore. Le verre d'eau. Le bol de riz. Et toujours la même litanie. Cette fois-ci pourtant, elle s'attarde. Garp la sentit découper ses vêtements. Elle le nettoie avec de l'eau tiède qui lui brûle la peau. Elle panse toutes ses plaies puis le soulève à moitié pour lui passer de nouveaux vêtements. Alors qu'il l'avait imaginé délicate et fluette lorsqu'elle prenait soin de lui , la facilité qu'elle avait à le déplacer montre qu'elle est forte. Ainsi si habillé en sec, le froid qu'il ressent est atténué. Elle part. Garp dort. Quand elle revint le soir tombe. En plus de sa portion, elle le couvre d'une couverture.
Plusieurs jours passent. La femme vient le voir matin, midi et soir. Chaque fois elle emporte avec elle un verre d'eau et un bol de riz. Garp boit, mange. Les bons soins de sa bienfaitrice le font guérir et reprendre des forces. Arrive même un matin où, en se réveillant, il n'a plus froid. Le marine soupire. Il ne mourra plus maintenant, pas si elle continue de venir. D'ailleurs, il l'entend. La voilà qui arrive encore. Elle revient toujours. Ce jour-là Garp ouvre les yeux.
- Ça y est tu es réveillé ?
Elle se penche sur lui et sa vision est soudainement envahie par du orange. Non pas orange, roux. Ce sont des cheveux roux.
- Anya ?
- Non, moi c'est Dadan. Je suis heureuse de voir que tu vas bien. Toi tu es ?
- Vivant étonnement.
Ce n'est pas Anya. Ses cheveux sont roux, certes, mais longs et bouclés. Le marron de ses yeux a beau être clair, il n'équivaut en rien au bleu des yeux de sa femme. Et là où Anya a la taille fine et la poitrine discrète, celle-ci a des formes généreuses. Ce n'est pas Anya. C'était une certitude et pourtant Garp a mal de s'en rendre compte. Si ce n'est pas Anya, pourquoi est-il là encore alors ?
- Non mais ton nom, je voulais dire. C'est quoi ton nom ?
- Pourquoi tu m'as sauvé ?
- Tu aurais voulu que je te laisse ?
- Pourquoi pas ?
- Ah et bien autant pour moi alors, répondit-elle brusquement en s'éloignant.
- Hey ! Tu m'as sauvé la vie, maintenant tu assumes !
- Pardon ?
- Tu m'as très bien compris.
- Non mais tu es pas bien ! I peine 10 secondes tu me reprochais de t'avoir sauvé. Je m'en veux d'avoir interrompu ton programme, je t'en prie reprends où tu en étais avant que je vienne à ton secours !
- C'est trop tard maintenant.
Comme pour le prouver, Garp se lève. Cela fait si longtemps qu'il n'a pas été en station debout qu'il a des vertiges, il chancelle et manque de tomber. C'est Dadan qui le rattrape. Elle se positionne mieux en lui passant un bras sous les aisselles.
- J'espère au moins que tu sais faire des trucs.
- Je te dirais bien que je sais m'allonger pour attendre la mort mais comme je n'ai essayé qu'une fois et que j'ai raté je trouve ça faible.
Dadan soupire et le mène hors de la clairière. Garp éprouve un étrange sentiment au moment d'en sortir, comme s'il n'aurait jamais dû la quitter mais qu'un miracle est arrivé. Traversant la forêt, il a l'impression de la voir pour la première fois, pourtant il sait où ils vont. C'est un endroit haut de la forêt, relativement proche de la côte. Mais il n'y a rien par là-bas, rien d'autre que la forêt. Garp n'en dit rien. Cela fait si longtemps qu'elle vient le voir qu'il ne peut pas douter qu'elle connaisse sa route.
Le marine ressent une différence avant de savoir clairement l'identifier. Il y a plus de lumière, ou alors c'est le bois qui est plus clairsemé. Puis une odeur qui ne devrait pas être là. Ça sent le feu, la viande. Il les entend maintenant. Dadan ne vit pas seule. Quand ils arrivèrent enfin au point culminant de la zone, Garp découvre qu'une grande maison y a été construite. En voyant Dadan arriver, certains esquisses le geste de la saluer avant de remarquer Garp et de figer leur mouvement. Elle l'emmène directement à l'intérieur.
Au centre de la pièce, il y a un feu sur lequel est en train de cuire un repas. Garp n'a pas vu une telle quantité de nourriture depuis des lustres. Sans rien demander, il lâche Dadan, titube jusqu'à la première casserole et engouffre en quatrième vitesse tout ce qui lui tombe sous la main. Les cuisiniers sont d'abord surpris et mettent une temps avant de réagir mais quand ils le font, il est trop tard. Le lieutenant est lancé et malgré tous leurs efforts ils parviennent à grand peine à lui faire ralentir le rythme. Avant que les renforts aient le temps d'arriver, il a tout terminé. Des trois marmites qui occupaient le pourtour du feu, il n'en reste aucune pleine.
Un homme rentre alors dans la pièce. C'est une véritable armoire à glace. Les cheveux, tenus en tresse, aussi longs, roux et bouclés que ceux de Dadan sauf que ses yeux sont bleus. Il porte aussi une barbe qui lui mange le visage comme le haut du torse. Entre les deux son visage est rouge. Sans le connaître, Garp devine qu'il est en colère. Il se lève pour lui faire. L'autre commence à hurler.
- Qui est-ce qui m'a ramené ce parasite ?
- Pourquoi est-ce que je me serais pas ramené tout seul ?, demande Garp.
- C'est moi, répondit Dadan.
- Et on peut savoir pourquoi ?
- Parce que j'en suis responsable.
Les deux s'affrontent du regard. En les voyant comme ça, face à face, Garp en conclut qu'ils sont frère et sœur, et , par la réaction de tous les autres, ils doivent être chefs ici.
- C'est donc toi qui est responsable de la disparition du repas du soir ?, demande-t-il en s'approchant.
- Oui.
- Tu comptes prendre les coups toute seule ou partager avec lui ?
Quelle qu'est été la menace, il ne put pas la mettre à exécution puisque Garp s'est emparé de l'une des marmite et la lui a envoyé directement dans la tête. Il s'effondre et Garp interroge Dadan.
- Il faut trouver à manger pour combien de personnes ?
Pendant presque 10 secondes, elle regarde son supposé frère puis lui répond :
- 55 personnes, au moins.
Le lieutenant disparaît dès qu'il a entendu le chiffre, laissant derrière lui Dadan et les cuisiniers bouche bée. Garp sait d'expérience que le plus rapide c'est de trouver une bête assez grosses pour nourrir tout le monde. Presque 60 c'est un nombre considérable mais s'il a bien compris, ce qu'il vient d'engloutir au coin du feu c'est l'équivalent d'un repas pour eux tous. Ils ne mangent donc vraiment pas beaucoup. C'est pas grave, s'il en reste, il terminera. Pouvoir manger à s'en mettre plein la panse l'a requinqué presque totalement.
Il sait exactement où trouver ce qui lui faut. Il court dans la forêt comme un dératé et, sans ralentir, se jette dans l'eau. Garp l'a fait des centaines de fois et pourtant il a l'impression que maintenant les choses sont différentes. La mer n'est pas moins trouble et pourtant il voit plus loin. Il perçoit tellement mieux les choses qu'il repère le poissons qu'il lui faut en moins de quelques secondes. Bien vite, il se rend aussi compte que le sky walk est presque plus efficace sous l'eau que dans les airs. Sa proie n'a pas le temps de sentir qu'elle est attaquée que déjà, Garp lui a tordu le cou.
Le marine remonte aussi vite qu'il peut avec son pas de lune, s'il n'a éprouvé aucune difficulté à l'utiliser sous l'eau, le sky walk est bien plus difficile à l'air libre. Malgré ce petit inconvénient et le poisson sur son épaule, faisant au moins deux fois sa taille, Garp arrive sans problème en haut de la falaise. C'est fou comme elle lui paraît petite comparé à Red Line.
Il n'a presque pas besoin d'utiliser son sens de l'orientation pour retrouver la maison, il suffit simplement de suivre les cris. Garp identifie les voix comme étant celles de Dadan et de son « frère ». Ils montent si haut dans les vocalises que les murs en tremblent. Ce n'est pourtant pas le niveau sonore qui l'empêche de rentrer. À son arrivée, tout le monde se fige. Dadan et l'autre homme sont immobilisés dans une pose qui ne laisse pas douter qu'ils se battaient. De chaque côté, trois personnes les retiennent.
- C'est qu'il a osé revenir l'autre en plus !, s'exclame enfin le frère.
Il se précipite vers Garp, sans se poser de questions le marine lui donne un coup si monumental avec son poisson qu'il est projeté dans le mur opposé, assommé. Des gars se précipitent à ses côtés pendant que Garp donne sa prise aux cuisiniers qui l'acceptent bouches bées.
- Comment tu as trouvé ça ?, lui demande Dadan.
- Je l'ai pêché, répondit simplement l'intéressé.
- Tu sais pêcher des trucs comme ça ?
- Bien sûr que je sais. Je fais ça depuis que je suis gamin.
- J'ai vraiment tiré le gros lot avec toi on dirait. Après ce coup d'éclat il y a peu de chance que Dadan puisse te mettre à la porte.
- Dadan ?
- C'est mon frère et c'est le chef ici avec moi.
- Ici ?
- Bienvenue dans le camp des bandits de la montagne.
