À partir de ce moment-là, Garp commence une seconde vie. Chaque matin, il se réveille en essayant de se convaincre que Monkey D. Garp est bel et bien mort dans la forêt et qu'il n'a rien à voir avec lui. Tous les soirs il tente d'étouffer le lieutenant de la Marine dans son sommeil. Sa vie a commencé avec Dadan dans la forêt. Les bandits sont sa vie maintenant. Quant à Dragon il est bien plus sûr pour lui qu'il n'ait pas de père plutôt que d'en avoir un qui s'est attiré tant d'ennuis. Il pourra grandir en sécurité.
Après son exploit du premier soir, les cuisiniers ont absolument voulu de lui pour renforcer ses effectifs. Depuis qu'il est là, il ne se passe pas un jour sans que l'un des bandits ne le remercie de pouvoir enfin manger à leur faim. Il se satisfait pas mal de cette vie puisqu'il lui suffit une fois par jour de trouver de la viande et les forêts du Mont Corvo, comme les rivages de l'île regorgent de créatures assez grandes pour nourrir une cinquantaine de personnes. Le reste de son temps il l'occupe à dormir ou à se promener, sauf bien sûr quand Dadan a quelques choses à lui demander.
- Garp tu peux venir avec moi ?
Sans même se formaliser d'une réponse il se lève et part dans le sillage de Dadan qui est visiblement si sûre qu'il va suivre qu'elle ne se retourne même pas. En allongeant un peu le pas, il la rattrape à l'orée des bois. Ils marchent pendant un long moment sans rien dire. Garp attend que Dadan se décide à engager la conversation et à en croire le silence qui règne, elle n'a encore rien décidé. Cela ne l'intrigue pas. Il est devenu un ami proche de la patronne des bandits. Ils leur arrivent souvent de discuter pendant des heures mais, tout aussi souvent, ils sont justes ensemble en n'ayant pas besoin d'échanger autre chose que leur présence. Garp sait d'avance où elle l'emmène.
Pas si loin de la maison il y a une avancée de la falaise qui forme un promontoire sur la mer dégagée des arbres. Elle l'y a déjà emmené souvent. Là-bas personne ne peut les écouter en douce sans qu'ils ne le prennent la main dans le sac. Quand elle s'assoit, Garp l'imite en s'installant si près que leurs genoux se touchent. Il n'a pas besoin de la presser, cela viendra. Dans une minute ou dans une heure, elle se mettra à parler.
- Garp je peux te demander quelque chose ?
- Évidement.
- Si Daban te demande de rejoindre l'équipe, tu diras non hein ?
- Je t'ai déjà promis que si ton frère me demandait d'entraîner ses gars, je ne le ferais pas. Je ne vois pas pourquoi j'irais rejoindre son équipe.
- Merci.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
- Tu l'entends bien parler toi aussi. Il veut viser de plus en plus gros sauf qu'un jour quelque chose va mal tourner, je le sens.
- Tu lui en as parlé ?
- Des dizaines de fois mais il est têtu comme une mule.
- Et bien il arrivera quelque chose que veux-tu que je te dise ?
- Comme avec ta femme ?
Garp s'arrête une seconde. Depuis son premier bain, ils n'avaient pas reparlé d'Anya. Il en est d'ailleurs très reconnaissant à Dadan. Pourquoi ressort-elle cela maintenant ? Peut-il seulement en parler ? C'est Dadan après tout.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Comment s'appelait-elle ?
- Anya.
- Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
- Elle est … chez elle … en prison.
- C'est une criminelle aussi ?
- Non ! Non. Je disais qu'elle est repartie chez elle.
- Et tu as parlé de prison.
- Je …
Garp s'arrête en regardant un New's Coco venir directement vers lui. Il n'a pas tout son attirail habituel et ne demande aucune pièce avant de lâcher sa lettre et de repartir. Il prend l'enveloppe, sobrement inscrite : « Pour Garp ». Ces deux mots lui suffisent à reconnaître l'écriture de Tsuru. Comment est-ce possible ? Il avait laissé cette vie-là derrière lui. Il ne voulait plus en entendre parler, ni de ça, ni des Dragons Célestes. Mais c'est Tsuru, alors il ouvre.
Cher Garp,
Cela fait 5 ans que tu as été envoyé pour cette mission. Tu n'es toujours pas revenu. C'est trop long. Si l'oiseau remplit bien son office, tu recevras cette lettre un jour avant que Sengoku ne débarque à Goa pour te chercher. Tiens-toi prêt.
Tsuru
Le ton est sans appel. Il l'en réchappera pas. Ne veulent-ils pas comprendre qu'il a failli sa mission et que le Monkey D. Garp qu'ils connaissaient n'est plus. Mais Sengoku arrive. Si les informations de la lettre sont exactes, cela ne laisse pas le temps d'adresser une réponse. Et pour lui dire quoi ? « Non désolé, je suis mort » ?
- Des mauvaises nouvelles ?
- Des connaissances du passé.
- Ta femme ?
- Hélas non.
- Qu'est-ce qu'ils voulaient ?
- Rien.
- Ça te dérangerait de développer un peu tes réponses ? J'ai l'impression de discuter avec un meuble.
- Oui.
Il se lève et il part Dadan est si surprise de son comportement qu'elle ne se lève même pas pour le suivre. Sans réfléchir il marche dans la forêt. Il est si perdu dans ses pensées qu'il est surpris de se retrouver dans la clairière, cette clairière qui l'a vu mourir. Il envisage pendant un instant seulement de se questionner sur la raison de sa présence ici avant de s'allonger pour ne penser à rien. Il ne reste plus aucune trace de son premier passage.
Combien de temps reste-il là ? Il ne sait pas. Malgré tous ses efforts pour se vider la tête il a l'impression d'être sans cesse assailli par des gens de son ancienne vie. Sengoku. Tsuru. Ryugo. Lydia. Anya. Dragon. Ils l'appellent de tous côtés mais Garp reste inflexiblement les yeux fermés. Une main touche son épaule. Il sursaute.
- Ça va ?
- Qu'est-ce que tu fais là Dadan ?
- Je savais que tu serais ici. Ça fait des heures que tu es parti. Il fait nuit noire et Daban veut parler d'un projet mais il veut que tout le monde soit là.
- Et …
- On attend plus que toi.
À contrecœur, Garp se lève et la suit. Le trajet de la clairière à la maison lui paraît beaucoup plus long que la première fois. La maison, elle, en revanche, lui paraît bien plus petite. Toutes les lumières y sont allumées et il s'en dégage le bourdonnement caractéristique des conversations quand le salon est plein. Quand ils entrent ils sont accueillis par des hourras.
- Enfin Dadan ! Garp ! Approchez. Je m'apprête à vous faire l'annonce la plus importante depuis la création des bandits des montagnes.
- Vas-y Daban, ça fait des heures que tu nous cours sur le haricots avec ça.
- Ok, ok. On va devenir pirates !
- Quand ça ?
- Demain. J'ai mes informations comme quoi un tout petit navire de la Marine venait à Goa demain. Apparemment il vient pour chercher je-ne-sais-quoi. On va attaquer cette bicoque, ce sera notre premier acte de piraterie !
- Non !
Alors que Garp a crié bien plus fort qu'il ne le pensait, tout le monde se retourne vers lui. Daban l'interpelle.
- Pourquoi ? C'est du tout cuit !
- Si … s'il se déplace sur un petit bateau, c'est qu'il doit être assez fort pour se défendre.
- On est forts nous aussi, en plus avec toi …
- Moi je ne viendrais pas.
- Ah … et bien on reste fort et beaucoup plus nombreux.
- Et s'il est plutôt fort comme moi ?
- Comme toi ? Non mais Garp, les gars comme toi ça ne court pas les rues.
- Dans la Marine, il y en a.
- Qu'est-ce qu'un type balèze comme ça viendrait faire chez nous ?
- Je n'en sais rien ! Ça reste une possibilité alors par prudence tu ne devrais …
- Oh Garp ! C'est qui le chef ici ! Si je dis que demain en attaque le navire, alors demain on attaque le navire !
- Si tu fais ça je me barre !
- Ah ouais ? Attrapez-le et arrachez-le dans un coin.
Dogra et Magra s'exécutèrent immédiatement et Garp les couche d'une seule claque pour tous les deux. C'est ensuite au reste de la famille Dadan de se retourner contre le dernier venu pour le submerger. La « pauvre victime » se défend à grands coups et repousse les bandits par brassées jusqu'à ce qu'une main se pose sur son épaule. C'est Dadan. Garp se fige. Il ne pourra pas la frapper et l'envoyer au tapis, pas elle, pas comme les autres. Il devrait pourtant, cela vaudrait mieux pour tout le monde.
Malheureusement dans sa nouvelle vie, Garp n'a obéi qu'à une seule règle et elle s'appelle Dadan. Il se laisse faire et elle le conduit dans un coin de la pièce où un anneau en métal est fiché dans le mur. Derrière, Clyde la suit avec une chaîne. Ils le menottent si serré qu'il doit s'asseoir pour être à l'aise.
- Je suis désolé Garp, lui glisse Dadan.
- Non. S'il te plaît, ne t'excuse pas.
- Dadan ! Baillone-moi ce rabat-joie !, lui crie Daban.
Elle prend une écharpe et l'entortille. Juste avant de lui mettre le bâillon, elle paraît sur le point de dire quelque chose puis se ravise. Ainsi saucissonné il regarde impuissant alors que tous festoient. Lui ne peut pas rester sans bouger très longtemps, si bien que malgré la situation, il s'endort.
